Chapitre 8
La chambre était spacieuse et haute de plafond comme tout le reste de l’appartement. Le lit douillet et le grog de la grand-tante carabiné.
Pierre Cavalier s’endormit en pensant à sa femme et à sa fille.
Quand il se réveilla à dix-huit heures trente, il découvrit Jeanne Collieri assise sur une chaise à côté du lit.
– Hein qu’il est efficace, mon grog ? dit-elle en souriant. Tu as bien dormi, tu sais, et tu vas te régaler ce soir avec un rôti de marcassin que j’ai mis à mariner, avec de bonnes châtaignes !
Pierre Cavalier la remercia d’un sourire mais n’osa pas lui dire que les châtaignes, sous quelque forme que ce fût, ce n’était pas vraiment son truc.
La vieille dame ne lui posa aucune question et se retira pour préparer le repas.
Cavalier alluma son transistor pendant qu’il se rafraîchissait dans la salle d’eau attenante à la chambre, mais il n’y eut aucune information concernant le meurtre de Jean Peligrini au flash de dix-neuf heures. Ce qui lui mit immédiatement la puce à l’oreille.
Si le meurtre du responsable nationaliste et indicateur – mais il n’était pas le seul honorable correspondant ou indicateur à la solde d’un service quelconque parmi les responsables de la mouvance nationaliste, à tel point que, si un groupe « vertueux » eût entrepris de les éliminer, il ne serait plus resté grand monde – était, par son mode opératoire tout du moins, dans le droit-fil de la pure « tradition » corse, celui de Jean Peligrini était tout différent.
Ça sentait les basses œuvres.
Et si on ne mentionnait même pas le meurtre ni la disparition du « visiteur médical », c’est que personne ne risquait de faire de vague à son sujet. Donc qu’il appartenait à un service ou à un autre et – erreur de cible ou non – que c’était une affaire de « famille ».
Mais, si le Marseillais était la cible, quel avait été son rôle et quelle « équipe » avait eu intérêt à l’éliminer ?
Quelle officine voulait la mort du Président et quelle autre voulait l’empêcher ?
Dans l’univers du crime politique – et du crime d’Etat, c’est d’ailleurs souvent la même chose –, il est toujours difficile de discerner les bons des mauvais.
La seule chose dont pouvait être assuré le commandant Cavalier, c’est que le « gros » coup, quel qu’il soit, était en route et que les obstacles étaient éliminés un à un. Au bulldozer.
À dix-neuf heures quarante, Jeanne Collieri invita son neveu à venir prendre l’apéritif dans le salon aux tentures cramoisi en attendant le retour d’Élisa.
– Avec ses consultations, elle n’a pas d’heure fixe pour rentrer, dit-elle en commençant de se rouler une énième cigarette.
À vingt heures, aucune chaîne n’évoqua la mort de Jean Peligrini, et celle de Jérôme Ferlatti n’était qu’un fait divers corse suscitant les interventions habituelles des leaders nationalistes et des autorités, sur lesquelles venaient se greffer les commentaires convenus des présentateurs.
L’atmosphère de ce salon faiblement éclairé et aux sombres tentures l’avait d’abord apaisé. À présent, elle commençait à l’oppresser.
Pierre Cavalier regrettait de ne pas avoir demandé à Élisa si elle connaissait le visiteur médical. Également de ne pas lui avoir parlé de sa découverte macabre. Il avait cru la préserver ainsi, mais quelqu’un l’avait peut-être aperçu lorsqu’il était descendu ou avait rejoint la 206 d’Élisa.
Il sursauta quand le téléphone sonna à vingt heures vingt.
– Tout va bien, lui dit la vieille dame après avoir raccroché le combiné. C’est Élisa. Elle revient d’Alata et sera là dans une demi-heure.
Cavalier fut rassuré et se servit un deuxième whisky.
Vers vingt et une heures, Jeanne Collieri commença de regarder la pendule.
– Mon marcassin va être trop cuit. Je vais réduire le gaz.
En revenant de la cuisine dix minutes plus tard, elle se planta devant le fauteuil de Pierre.
– Elle devrait être là. Ça m’inquiète, surtout avec cette pluie…
– C’est loin, Alata ?
– Non. C’est un village à une dizaine de kilomètres. Je vais l’appeler sur son téléphone de voiture…
La vieille dame laissa sonner longuement.
– Il lui est arrivé quelque chose, dit-elle d’une voix angoissée.
Pierre tenta de la rassurer.
Le téléphone sonna.
– C’est elle, sûrement ! dit Jeanne Collieri en se précipitant vers le poste.
Son visage se décomposa dès qu’elle eut décroché.
C’était la gendarmerie.
Élisa Matocelli venait d’être transportée à l’hôpital d’Ajaccio.
Un accident de la circulation à l’embranchement de la départementale 461, la route venant d’Alata, et la D 261.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
La chambre était spacieuse et haute de plafond comme tout le reste de l’appartement. Le lit douillet et le grog de la grand-tante carabiné.
Pierre Cavalier s’endormit en pensant à sa femme et à sa fille.
Quand il se réveilla à dix-huit heures trente, il découvrit Jeanne Collieri assise sur une chaise à côté du lit.
– Hein qu’il est efficace, mon grog ? dit-elle en souriant. Tu as bien dormi, tu sais, et tu vas te régaler ce soir avec un rôti de marcassin que j’ai mis à mariner, avec de bonnes châtaignes !
Pierre Cavalier la remercia d’un sourire mais n’osa pas lui dire que les châtaignes, sous quelque forme que ce fût, ce n’était pas vraiment son truc.
La vieille dame ne lui posa aucune question et se retira pour préparer le repas.
Cavalier alluma son transistor pendant qu’il se rafraîchissait dans la salle d’eau attenante à la chambre, mais il n’y eut aucune information concernant le meurtre de Jean Peligrini au flash de dix-neuf heures. Ce qui lui mit immédiatement la puce à l’oreille.
Si le meurtre du responsable nationaliste et indicateur – mais il n’était pas le seul honorable correspondant ou indicateur à la solde d’un service quelconque parmi les responsables de la mouvance nationaliste, à tel point que, si un groupe « vertueux » eût entrepris de les éliminer, il ne serait plus resté grand monde – était, par son mode opératoire tout du moins, dans le droit-fil de la pure « tradition » corse, celui de Jean Peligrini était tout différent.
Ça sentait les basses œuvres.
Et si on ne mentionnait même pas le meurtre ni la disparition du « visiteur médical », c’est que personne ne risquait de faire de vague à son sujet. Donc qu’il appartenait à un service ou à un autre et – erreur de cible ou non – que c’était une affaire de « famille ».
Mais, si le Marseillais était la cible, quel avait été son rôle et quelle « équipe » avait eu intérêt à l’éliminer ?
Quelle officine voulait la mort du Président et quelle autre voulait l’empêcher ?
Dans l’univers du crime politique – et du crime d’Etat, c’est d’ailleurs souvent la même chose –, il est toujours difficile de discerner les bons des mauvais.
La seule chose dont pouvait être assuré le commandant Cavalier, c’est que le « gros » coup, quel qu’il soit, était en route et que les obstacles étaient éliminés un à un. Au bulldozer.
À dix-neuf heures quarante, Jeanne Collieri invita son neveu à venir prendre l’apéritif dans le salon aux tentures cramoisi en attendant le retour d’Élisa.
– Avec ses consultations, elle n’a pas d’heure fixe pour rentrer, dit-elle en commençant de se rouler une énième cigarette.
À vingt heures, aucune chaîne n’évoqua la mort de Jean Peligrini, et celle de Jérôme Ferlatti n’était qu’un fait divers corse suscitant les interventions habituelles des leaders nationalistes et des autorités, sur lesquelles venaient se greffer les commentaires convenus des présentateurs.
L’atmosphère de ce salon faiblement éclairé et aux sombres tentures l’avait d’abord apaisé. À présent, elle commençait à l’oppresser.
Pierre Cavalier regrettait de ne pas avoir demandé à Élisa si elle connaissait le visiteur médical. Également de ne pas lui avoir parlé de sa découverte macabre. Il avait cru la préserver ainsi, mais quelqu’un l’avait peut-être aperçu lorsqu’il était descendu ou avait rejoint la 206 d’Élisa.
Il sursauta quand le téléphone sonna à vingt heures vingt.
– Tout va bien, lui dit la vieille dame après avoir raccroché le combiné. C’est Élisa. Elle revient d’Alata et sera là dans une demi-heure.
Cavalier fut rassuré et se servit un deuxième whisky.
Vers vingt et une heures, Jeanne Collieri commença de regarder la pendule.
– Mon marcassin va être trop cuit. Je vais réduire le gaz.
En revenant de la cuisine dix minutes plus tard, elle se planta devant le fauteuil de Pierre.
– Elle devrait être là. Ça m’inquiète, surtout avec cette pluie…
– C’est loin, Alata ?
– Non. C’est un village à une dizaine de kilomètres. Je vais l’appeler sur son téléphone de voiture…
La vieille dame laissa sonner longuement.
– Il lui est arrivé quelque chose, dit-elle d’une voix angoissée.
Pierre tenta de la rassurer.
Le téléphone sonna.
– C’est elle, sûrement ! dit Jeanne Collieri en se précipitant vers le poste.
Son visage se décomposa dès qu’elle eut décroché.
C’était la gendarmerie.
Élisa Matocelli venait d’être transportée à l’hôpital d’Ajaccio.
Un accident de la circulation à l’embranchement de la départementale 461, la route venant d’Alata, et la D 261.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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