vendredi 13 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Une fois rentrés à l’appartement, Jeanne Collieri proposa à son neveu de lui faire du café.
Elle était toujours aussi calme et ne montrait aucun signe de fatigue à cinq heures du matin.
Pierre Cavalier avait l’impression qu’elle était très satisfaite d’elle-même. En un sens, elle n’avait pas tort puisqu’elle avait sauvé sa nièce.
Ils n’avaient pas échangé un seul mot depuis leur départ de l’hôpital. Ça valait mieux, pensait-il. Sinon, il aurait eu droit à coup sûr à toute une avalanche de reproches sur la nullité de la police.
Il préféra la jouer cool lorsqu’elle lui versa le café.
– Pas mal le coup du cabas, ma tante, lui dit-il en souriant.
Elle haussa les épaules et se servit du café.
Le cabas était posé sur la table de la cuisine.
– Vous pourriez peut-être me montrer maintenant ce qu’il y a dedans.
Elle plongea la main dans le sac et en ressortit un petit pistolet qu’elle posa sur la table.
Pierre s’en saisit.
C’était un 7,65. Un MAB.
– C’est pas tout jeune, fit-il en vérifiant si le cran de sûreté était mis.
Il ne l’était pas et le remit discrètement. Ce n’était pas le moment de faire quelque reproche que ce soit à sa tante qui pût la vexer.
– Il a fait la guerre d’Espagne, dit-elle. Comme ton oncle. En 36, il avait vingt-trois ans. On se connaissait déjà. Moi j’avais dix-huit ans. Je suis de 18 et lui était de 13. Il était métallo et tout fougueux. Il s’est retrouvé du côté de Barcelone avec une colonne anarchiste. Il a été blessé sur le front d’Aragon. Après, on a fait la Résistance ensemble puis, en 44, il est parti avec un régiment FFI sur l’Alsace. Il était lieutenant. Ensuite, il a accepté un engagement dans la coloniale. Il ne savait plus rien faire d’autre, qu’il disait. Il a quand même fini chef de bataillon mais ses derniers combats étaient bien loin des idéaux de la Résistance. Alors il s’est mis à boire, de plus en plus. Il est mort ici en 70. On s’était installé en 62 dans cet appartement quand il en a hérité d’un oncle de sa mère… Il s’est suicidé avec ce 7,65.
Jeanne Collieri se tut et s’essuya les yeux d’un revers de la main.
– Mais je n’ai pas voulu me débarrasser de cette arme, reprit-elle. Maudite pour moi mais qui représentait tant pour lui. Alors je l’ai confiée à l’époque à une amie, à une ancienne résistante corse, au cas où. Celle que tu as vue cet après-midi dans la chambre d’Élisa.
– Et des amies comme ça, vous en avez beaucoup, ma tante ?
– Oh ! on n’est bien plus nombreuses. Mais nous entretenons tout un petit réseau d’anciennes à travers toute la Corse. Mais rien que des femmes. Nous suivons les événements, nous échangeons des informations, et puis, parfois, tu l’as vu, on peut encore se rendre utiles. Alors, si avec ton Bellou vous avez besoin de nos services !… En attendant, je vais me coucher.
Cavalier la regardait tendrement, mais il n’osa pas lui dire qu’elle était une sacrée bonne femme.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

Aucun commentaire: