mercredi 21 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 37

Chapitre 37





Isabelle Cavalier se fit déposer en bas de chez elle, rue du Commerce, par un taxi vers midi trente.
Aux informations de treize heures, Pierre-Marie de Laneureuville, le garde des Sceaux, menaçait de porter plainte en diffamation contre l’auteur ou les auteurs de ces prétendues révélations qui n’étaient rien d’autre que des affabulations sans fondement qui constituaient une manœuvre grotesque de déstabilisation du gouvernement à la veille des élections régionales et européennes.
Isabelle fit ensuite le ménage et remit de l’ordre dans le salon-salle à manger. S’étonnant que tout soit rangé dans la cuisine et qu’il n’y ait pas de vaisselle qui traînât. Mais la litière du chat n’avait pas été changée de la veille.
Son mari rentra à dix-sept heures trente avec sa fille qu’il avait récupérée au passage chez la baby-sitter du premier.
Pierre n’était pas à prendre avec des pincettes.
Il feignit d’ignorer la présence d’Isabelle tandis que Philippine se précipita dans les bras de sa maman en criant qu’elle avait été au Mac Do « tous les jours ».
– Il était temps que je rentre, ma puce, hein ?
Pierre continuant de bouder, Isabelle lui demanda s’il allait continuer de lui faire la tête longtemps parce qu’elle s’était absentée un week-end.
– Ah oui ! c’est vrai…
Isabelle fut vexée que son mari prenne son absence si à la légère. Elle s’attendait au moins à une petite scène de jalousie.
« Où étais-tu ? Je me suis inquiété », etc.
Non. Rien. Limite insultant.
« Tiens ! se dit-elle, c’est peut-être le moment de lui demander s’il n’aurait pas quelqu’un d’autre dans sa vie pour se montrer si indifférent… »
Elle se mordilla la lèvre en hésitant.
– Non, je suis contrarié, ajouta son mari. Je ne sais pas si tu as vu la presse du jour ou écouté les infos…
Isabelle fit oui de la tête, feignant peu d’intérêt pour la chose.
– Je me demande, reprit-il, qui a pu mettre la main sur ces dossiers et les communiquer à la presse…
– C’est si grave que ça ?
– Tu parles ! J’étais chargé de les récupérer… Par le Président lui-même !
– Mon pauvre chéri…, fit Isabelle, compatissante et esquissant un geste affectueux en posant sa main sur la poitrine de son mari, bien décidée à ne jamais lui révéler la vérité.
Pierre Cavalier en fut ému. Il devait reconnaître qu’avec ses foutues responsabilités il ne trouvait de réconfort qu’auprès de sa femme.
Il hésita un long moment, se demandant s’il ne devait pas lui révéler que la maison d’édition Serge Tampion avait été fondée grâce à l’aide et aux fonds secrets du « Service ». Afin d’avoir un pied dans le monde littéraire, de repérer aisément les manuscrits « sensibles » circulant dans le milieu et de favoriser la parution des ouvrages servant ses intérêts propres.
Mais il se dit qu’une révélation en entraînerait une autre et qu’il était préférable que sa femme ignore la vérité sur le « Service ».
Il se devait de la protéger.
De toute façon, Isa n’avait que mépris pour ce qu’elle appelait la « police politique » et ne portait aucun intérêt à tout ce qui touchait de près ou de loin la « raison d’État ».
Elle est trop idéaliste, conclut-il pour lui-même et en lui demandant :
– Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?




« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue. »
Hugo, Victor.



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mardi 20 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 36

Chapitre 36





Le lundi matin, à huit heures, Isabelle et Antoine rejoignirent Gilbert Lenoir dans l’appartement de la rue Mouffetard.
Ils consultèrent ensemble la presse du matin dont Lenoir avait eu la primeur dans la nuit sur Internet.
Le Parisien et L’Humanité n’avaient pas hésité à augmenter leur pagination pour reproduire l’ensemble des documents qui avaient été mis sur Internet. Libération avait fait plus sobre et Le Figaro restait prudent sur l’authenticité des documents tout en en révélant la teneur.
La presse régionale n’avait pas voulu être en reste et toute la presse européenne faisait ses choux gras des subventions agricoles européennes ainsi que des extraits du manuscrit.
Les trois flics étaient particulièrement satisfaits.


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lundi 19 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 35

Chapitre 35





Il était cinq heures cinq du matin quand Marie-Laure de Loÿ acheva sa confession.
Antoine et Isabelle étaient épuisés, Phil et son ami Dupont-Jaulieu accusaient la fatigue. Seule la générale ne semblait pas marquée par cette nuit blanche.
Le commissaire Antoine fut hébergé par la vieille dame, le professeur ne disposant que de deux chambres qui furent occupées par Philippe-Henri et la jeune femme. Tandis qu’Isabelle Cavalier se contenta du canapé du salon où elle s’écroula d’épuisement.
Ils dormirent jusque vers midi.
Isabelle se sentit reposée, à la différence d’Antoine qui apparut les traits tirés, ayant eu du mal à s’endormir à cause des ronflements de sapeur de la générale.
Marie-Laure de Loÿ fut la dernière à se lever.
Après un copieux déjeuner-lunch, Antoine donna congé à ses deux subordonnés qui avaient également dormi chez la générale, partageant le même lit.
Isabelle parvint à convaincre Philippe-Henri de rentrer chez lui et demanda au professeur Dupont-Jaulieu de continuer à les héberger, elle, Antoine et la jeune femme, jusqu’au lendemain matin, lundi.
Dans l’après-midi, Isabelle et Antoine parvinrent à s’isoler pour décider du sort de Marie-Laure.
Le capitaine Éric Dupert, le meurtrier de Serge Tampion et des frères Monteil, était mort. Ainsi que Gérard Boulic, son complice dans le meurtre de l’éditeur et l’assassin des deux fillettes. Anne-Sophie de Loÿ avait probablement subi le même sort.
Les dossiers avaient été mis sur Internet. La presse du lendemain les reprendrait peut-être.
Le scandale, en tout cas, risquait d’être énorme. Tant au niveau européen avec l’escroquerie aux subventions agricoles que sur le plan intérieur avec le manuscrit des « basses œuvres ».
Pierre-Marie de Laneureuville serait peut-être même obligé de démissionner du gouvernement.
Anne-Sophie de Loÿ ne pesait pas lourd eu égard à tout ça, même si la complicité de meurtre pouvait être retenue contre elle.
Isabelle estimait qu’elle avait été sous l’emprise de sa sœur aînée, en qui elle voyait un personnage pervers et manipulateur.
– De toute façon, soyons logiques, dit-elle à Antoine. Nous avons agi en marge du code de procédure pénale. Alors continuons !
C’était l’évidence.
Isabelle lui proposa de demander à la générale d’héberger la jeune femme quelque temps.


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samedi 17 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 34

Chapitre 34





– Vous avez des nouvelles de ma sœur ? demanda Marie-Laure de Loÿ d’une voix emplie d’angoisse.
Isabelle Cavalier fit non de la tête. Sans lui faire part de ses craintes sur le sort de sa sœur.
La cadette refoula ses larmes.
Elle avait perdu toute assurance. Son regard triste inspirait une certaine compassion à Isabelle, qui n’en oubliait pas pour autant qu’elle était complice de meurtres.
– Je me suis toujours doutée que ça se finirait mal…
Trop tard, pour le regretter, pensa Isabelle, en se tournant vers Antoine qui était en train de demander à ses adjoints de se poster dans le hall de l’hôtel pour la nuit aussitôt qu’ils auraient fini leur tasse de café.
– Je vous en apporterai tout à l’heure et je vais vous préparer des sandwiches, intervint la générale, montrant par là qu’elle n’avait pas l’intention d’aller se coucher.
D’ailleurs, ni Phil ni son ami Dupont-Jaulieu ne semblaient montrer la moindre intention de se retirer pour laisser les policiers en tête à tête avec leur témoin.
– Vous pouvez aller vous coucher, leur dit Antoine.
– Pas question ! lui répondit la voix de la générale qui se trouvait derrière lui et à laquelle il ne s’était pas adressé sciemment. Vous pouvez encore avoir besoin de nous.
Le ton était sans réplique.
Antoine consulta Isabelle Cavalier du regard.
Fataliste, Isabelle haussa les épaules. Le lieu le plus sûr était encore ici.
D’ailleurs, il était exclu de se rendre au 36, quai des Orfèvres étant donné que leur enquête n’avait aucun cadre légal et restait strictement perso. De toute façon, le danger se situait à l’extérieur. En restant dans cet appartement, ils limitaient les risques et pouvaient aisément protéger leur témoin.
– Bon, on fera avec, dit Antoine résigné, en se demandant s’il travaillait bien aux Stups ou s’il participait au tournage d’un épisode d’Hercule Poirot lorsqu’il vit les deux professeurs et la vieille dame s’installer confortablement pour ne rien rater du finale.
Antoine regarda sa montre, il était deux heures dix, et fit signe à Isabelle Cavalier qu’il lui laissait l’initiative vu que c’était initialement son enquête.
– Vous avez compris, je pense, que la seule chance de vous en sortir est de nous dire toute la vérité sur cette histoire ? commença Isabelle en s’asseyant au côté de Marie-Laure sur le canapé.
La jeune femme fit oui de la tête.
– Mais ce n’est pas facile, dit-elle. J’ai peur…
Isabelle la sentait bloquée.
– Quand vous aurez parlé, ils ne pourront plus rien contre vous, insista doucement Isabelle tout en pensant qu’il n’y avait rien de moins sûr.
Isabelle faillit lui dire que c’était la seule façon d’éviter à son tour le sort probable de sa sœur.
Elle préféra lui révéler celui de Dupert.
À sa surprise, la jeune femme ne sembla pas regretter la fin tragique du policier.
– C’était votre amant…, dit Isabelle, pensant la faire réagir.
– C’était aussi un pourri, lâcha-t-elle en baissant la tête.
Marie-Laure de Loÿ semblait avoir plongé en elle-même.
Isabelle sentait instinctivement qu’elle hésitait encore à parler.
Elle fit comprendre d’un bref regard à Antoine qu’il leur fallait patienter un peu et respecter son silence.
– Allez-y, ma petite, ça vous soulagera, intervint la générale à la stupeur des deux policiers qui l’aurait volontiers étranglée.
« Elle va tout foutre en l’air, la vieille ! » pensa Antoine en tentant de se contenir.
Isabelle ferma les yeux pour conjurer intérieurement le mauvais sort.
– Vous avez raison, madame, fit la jeune femme en s’adressant à la générale.
– Commencez par le commencement, ma petite, ça sera plus facile, l’encouragea celle-ci. Je crois que vous pouvez faire confiance à ces personnes (elle désignait Isabelle et Antoine), elles vont vous sortir de là. N’est-ce pas ?
La question s’adressait à eux.
Voyant Antoine bouillir intérieurement et près d’exploser, Isabelle s’empressa d’acquiescer pour limiter la casse.
– Nous avons fait la connaissance d’Éric, le capitaine Dupert, l’été dernier, commença Marie-Laure de Loÿ. Après le 14 juillet. Au café en face de l’impasse, Chez Pierrot. C’était un midi et nous y déjeunions avec ma sœur quand il s’est invité à notre table parce qu’il n’y avait pas d’autres places de libre. Nous lui avons trouvé tout de suite beaucoup de charme…
La jeune femme sembla hésiter. Isabelle croyait deviner.
– Allez-y, ma petite ! l’encouragea la générale. Ne soyez pas gênée. J’ai vécu, vous savez. Ah ! l’Afrique et ses nuits… Si vous croyez que j’attendais mon mari comme Pénélope son Ulysse !
Les femmes furent seules à sourire.
– Avec ma sœur, poursuivit la jeune femme, nous avons toujours partagé nos amants, et Éric était un amant exceptionnel. Nous sommes même partis une quinzaine de jours en août ensemble, au Cap-d’Agde. C’était super et nous sommes devenus tous trois inséparables. Puis, début septembre, un soir, chez nous, Éric nous a dit que c’était pas vraiment par hasard qu’il avait fait notre connaissance. Qu’il avait été mis sur la piste d’un truc qui valait de l’or, que c’était comme ça qu’il avait voulu nous connaître car il avait besoin d’aide, et que nous pouvions en profiter ensemble et vivre la belle vie. Au début, il nous a avoué qu’il voulait juste se servir de nous, nous utiliser, mais qu’il était tombé amoureux fou de nous deux. Pour preuve, il nous a révélé comment il était tombé sur ce qu’il appelait sa « mine d’or ». Début juillet…
Le capitaine Dupert enquêtait sur le meurtre de deux fillettes qui avaient été retrouvées assassinées et violées dans le XIXe , au parc des Buttes-Chaumont, vers la mi-juin.
Il avait arrêté début juillet le meurtrier, un certain Gérard Boulic, postier de son état, qui habitait le même immeuble que les petites victimes et qui s’étaient laissé aborder par lui en toute confiance. C’est alors que Boulic, en échange de sa liberté, a révélé au capitaine Dupert l’existence de dossiers qui valaient de l’or. Qu’il était bien placé pour le savoir, car, grâce à ces dossiers, Serge Tampion, l’éditeur, faisaient chanter certaines personnes et que c’était lui, Boulic, qui allait chercher l’argent. Il cita l’homme politique et le producteur. Mais il y avait d’autres dossiers que Tampion gardait en réserve dans le coffre de son bureau au deuxième. L’éditeur, un jour, lui avait révélé, avec des airs mystérieux, qu’il en détenait un qui pourrait faire trembler la République. Boulic avait également avoué qu’il était l’amant de l’éditeur.
Pour Isabelle et Antoine, les choses commençaient à se mettre en place.
Les « spectateurs », eux, retenaient leur souffle.
Marie-Laure poursuivait son récit.
– Ma sœur a toujours été ambitieuse. Elle n’a jamais reculé devant rien pour atteindre ses objectifs. Aussi, quand Éric lui a demandé de coucher avec Tampion pour lui soutirer le code de son coffre que n’avait pu obtenir Boulic, elle a accepté. Elle ignorait que c’était un pervers sado-maso. Alors, quand Éric, voyant qu’elle n’obtenait rien et subissait ce porc de Tampion pour rien, a décidé de passer à des méthodes « plus efficaces », elle l’a presque encouragé. Moi, aussi d’ailleurs, avoua-t-elle. Mais nous avions mis la main dans un engrenage cauchemardesque. Surtout qu’Éric n’était plus le même après le meurtre de Tampion. Il a fait du chantage sur son complice, le postier, pour qu’il joue le rôle de la victime momentanée, lui promettant de le sortir de là rapidement. À ma sœur, tout ça lui semblait un mauvais scénario. Elle craignait que Boulic craque en prison. Alors, elle a pris contact avec un type qu’elle avait rencontré dans un cocktail littéraire et avec qui elle avait couché occasionnellement. Un type au bras long et qui peut aider à résoudre n’importe quel problème. Elle lui a dit qu’elle avait des ennuis et lui a parlé des dossiers Tampion. Alors, ce type lui a promis que, si elle mettait la main dessus et les lui remettait, non seulement elle n’aurait plus de problème, mais elle y gagnerait une fortune.
Isabelle et Antoine échangèrent un long regard.
– Ce type, c’est Pierre-Marie, n’est-ce pas ? demanda Isabelle pour la forme.
– Comment le savez-vous ? s’étonna Marie-Laure.
– Nous savons, dit Isabelle, mais ce n’est pas la peine d’en dire plus sur lui, ajouta-t-elle en craignant que son nom complet ne soit prononcé devant les « spectateurs » que le récit de la jeune femme tenait en haleine.
– Ensuite…, reprit la jeune femme.
– Ce n’est pas nécessaire. La suite, nous la connaissons.
La jeune femme parut surprise. Les trois « spectateurs », eux, donnaient l’impression d’être déçus. Mais Isabelle et Antoine savaient que c’était préférable.
Ils n’avaient pas besoin de savoir que l’aînée des Loÿ avait ensuite manipulé Dupert pour le compte de Pierre-Marie de Laneureuville. Que la reprise de l’enquête sur l’assassinat de Serge Tampion avait jeté un vent de panique et que tout s’était accéléré. Que de Laneureuville avait fait exécuter le postier en prison la veille de son audition par le juge car de Laneureuville savait pertinemment qu’il risquait de craquer devant le juge et de lui révéler l’existence des dossiers Tampion, de la même façon qu’il l’avait révélé à Dupert. Qu’ensuite…
– Vous croyez que ma sœur…, dit Marie-Laure en se mettant à pleurer.
Ce n’était pas vraiment une question et Isabelle savait qu’il était inutile de mentir.
La jeune femme « savait ».


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vendredi 16 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 33

Chapitre 33





Il était une heure du matin passée quand ils montèrent à l’appartement du professeur Dupont-Jaulieu.
Les quatre policiers crurent halluciner quand ils pénétrèrent dans le grand salon bibliothèque.
Non pas en raison du fouillis de livres et dossiers divers, mais à la vue de l’armement hétéroclite posé à même la table, au milieu de tasses de café et d’assiettes de petits gâteaux secs.
Un fusil Lebel de la guerre de 14, trois revolvers d’ordonnance de provenance diverse, et même une mitraillette Sten de la Seconde Guerre mondiale.
Les souvenirs de guerre de feu le général. Dont la veuve, malgré son grand âge, assurait la garde à cette heure avancée de la nuit.
C’était une petite vieille toute sèche et toute stricte avec un chignon hors d’âge d’où ne s’échappait aucune mèche folle. Même lui était réglementaire.
Elle avait largement dépassé les quatre-vingts automnes mais semblait toute pimpante et plus fraîche qu’Isabelle avec un demi-siècle de moins et qui commençait à ressentir l’effet du manque de sommeil.
Le professeur Dupont-Jaulieu, lui, semblait la copie conforme de Philippe-Henri.
À peu près le même âge, la même taille, calvitie et bedaine. À croire que la fonction modèle le corps.
Quant à Marie-Laure de Loÿ, elle s’était endormie sur le canapé et la générale s’opposa à ce qu’on la réveillât.
Isabelle et Antoine eurent toutes les peines du monde à la convaincre – à voix basse – qu’il leur était nécessaire de l’entendre, que la vie de sa sœur en dépendait. Mais ils ne se faisaient pas trop d’illusions sur ce dernier point.
La générale ne céda que lorsque Antoine, exaspéré, explosa de sa voix de stentor.
– Ça suffit comme ça !
Il venait de réveiller Marie-Laure.


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jeudi 15 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 32

Chapitre 32





Antoine laissa un de ses hommes en surveillance rue Amelot, au cas où, et se rendit avec Isabelle Cavalier et les deux autres policiers à l’hôtel particulier de Serge Tampion.
Ils inspectèrent l’impasse avec précaution avant de pénétrer dans l’hôtel arme au poing.
Dès qu’ils arrivèrent au premier étage, celui des bureaux de la maison d’édition, ils se rendirent compte qu’ils avaient été précédés.
Les deux portes, de chaque côté du palier, n’étaient pas fermées à clé.
Antoine et l’un de ses hommes inspecta le côté gauche, Isabelle et l’autre policier le côté droit.
Puis ils montèrent au deuxième, l’étage des appartements de Serge Tampion.
La porte d’entrée avait été forcée.
Antoine pénétra le premier dans l’appartement, puis fit signe à Isabelle et à ses hommes qu’il devait y avoir une présence.
Isabelle entra à son tour, tenant son arme à deux mains.
Suivie des deux policiers, qui les dépassèrent et se placèrent en protection au bout du corridor.
Ils avancèrent dans le plus grand silence et explorèrent les premières pièces.
L’un des hommes d’Antoine fit halte et signala un filet de lumière sous la porte d’une des pièces.
– Bibliothèque, souffla à Antoine Isabelle qui connaissait la disposition des lieux.
Le commissaire fit signe à ses hommes de se disposer à intervenir.
Ceux-ci se placèrent de part et d’autre de la porte, Antoine devant la porte prêt à l’ouvrir à la volée, Isabelle quelques pas derrière lui en protection.
Antoine ouvrit la porte dans la seconde, se précipita à l’intérieur et se mit en position de tir, genoux légèrement fléchis, pistolet tenu à deux mains balayant la pièce.
Il resta ainsi figé, aussitôt suivi et imité par ses adjoints et Isabelle.
Antoine se redressa et baissa son arme.
Il se tourna vers Isabelle avec une mine consternée.
L’ahurissement le plus complet se lisait sur le visage d’Isabelle qui avait également baissé son arme.
Les deux autres policiers ne comprenaient pas l’attitude de leur supérieur mais restèrent néanmoins en position de tir.
– Vous en avez mis du temps !
La voix de Philippe-Henri Dumontar était lourde de reproche.
Il était tranquillement installé dans un des fauteuils, un livre entre les mains et un plaid sur les genoux.
– Mais qu’est-ce que tu fais là ? s’exclama Isabelle.
Antoine fit signe à ses hommes qu’ils pouvaient remballer la quincaillerie.
Ils mirent un certain temps à s’exécuter, ne sachant plus dans quel film on les faisait tourner.
– Ben, je vous attendais ! répondit Philippe-Henri. Mais je commençais à me faire du mauvais sang.
– Ça mérite peut-être une explication, non ? fit Isabelle d’une voix blanche.
– C’est le moins qu’on puisse dire ! surenchérit Antoine d’un ton rogue, malgré la grande estime qu’il éprouvait pour le « père » d’Isabelle.
Phil resta assis et rajusta son plaid sur les genoux, affichant une moue désabusée.
– Ah ! je reconnais bien là la police. Toujours ingrate… même quand on lui sauve ses témoins !
Isabelle comprit la première.
– Tu sais où elles sont ? demanda-t-elle avec impatience.
– Marie-Laure, oui. Elle est au troisième.
« Au moins une des deux de sauver », pensa Antoine sans exprimer sa pensée à haute voix.
– Mais elle est choquée. Alors faites dans la délicatesse pour l’interroger, ajouta-t-il.
Puis Phil leur expliqua qu’il était venu rendre visite en fin d’après-midi à son ami Dupont-Jaulieu, le professeur en Sorbonne qui habitait au troisième étage.
Il était arrivé vers cinq heures, en même temps que Marie-Laure de Loÿ, qu’il connaissait en tant qu’auteur de la maison.
Elle ne lui avait pas paru dans son assiette. Elle était très tendue. Alors il lui avait proposé de prendre le thé avec lui et son ami. Ce qu’elle avait accepté avec empressement, presque avec soulagement.
Plus le temps s’écoulait, plus elle semblait nerveuse, consultant tantôt sa montre, tantôt son portable.
– J’attends un message de ma sœur, avait-elle dit en guise d’explication. Nous avons un dossier urgent à terminer et nous nous sommes donné rendez-vous ici.
À dix-huit heures trente, elle a reçu un de ces messages écrits qu’on reçoit par téléphone.
« Rejoins-moi. »
Alors, la petite s’est mise à éclater en sanglots.
– On a réussi à comprendre que sa sœur avait de gros problèmes. Que, si ça se passait mal, elle enverrait ce type de message.
Isabelle et Antoine se jetèrent un regard entendu.
L’aînée était en compagnie des assassins et ils avaient exigé d’elle qu’elle fasse venir sa sœur.
Ils devinaient la suite.
Ils avaient réussi à la faire parler et lui faire avouer qu’elle avait donné rendez-vous à sa sœur à la maison d’édition.
Et ils étaient venus. Ce que leur confirma la suite du récit de Philippe-Henri Dumontar.
Peu avant vingt heures – ce qui signifiait qu’Anne-Sophie avait résisté un certain temps –, il avait vu arriver dans la cour trois hommes.
Philippe-Henri avait joué au locataire qui se rend aux poubelles avec son sac et il avait croisé les trois hommes sur le palier du premier.
Ceux-ci l’avaient ignoré et il en avait fait de même.
Quand il était remonté, quelques minutes plus tard, ils n’étaient plus là.
Antoine et Isabelle comprirent qu’ils avaient pénétré dans les locaux à l’aide du jeu de clés que possédait Anne-Sophie Loÿ.
Ils étaient ressortis trois quarts d’heure plus tard.
La jeune femme avait raconté aux deux professeurs une histoire à laquelle ils n’avaient pas compris grand-chose.
– Mais, comme tu m’avais dit que tu enquêtais sur le meurtre de Serge Tampion, j’ai pensé que tu devais être sur la piste. Alors j’ai décidé de venir t’attendre ici après leur départ…
– Mais ils auraient pu revenir ! le coupa Isabelle en songeant au danger qu’avait couru Phil. Pourquoi ne m’as-tu pas appelée ?
– Le téléphone, surtout les portables, c’est pas sûr dans ces cas-là. Et il n’y avait pas à s’inquiéter. Ils n’allaient pas revenir puisqu’ils n’avaient pas trouvé Marie-Laure et, de toute façon, j’étais armé.
À la stupéfaction des policiers, Phil sortit de sous le plaid un vieux pistolet Mauser de la Seconde Guerre mondiale.
– Mais, où t’as eu ça ? s’exclama Isabelle abasourdie.
Phil haussa les épaules tant cette préoccupation lui semblait triviale.
– C’est la générale qui me l’a prêté. Un des souvenirs de guerre de son défunt mari.
Antoine leva les yeux au ciel. Il trouvait que ça faisait beaucoup de témoins à leur opération « discrète ».


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mercredi 14 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 31


Chapitre 31





Le commissaire Antoine et Isabelle Cavalier, laissant la garde des dossiers de Serge Tampion au lieutenant Lenoir, arrivèrent au bas de la résidence des sœurs Loÿ peu après vingt-trois heures.
Cinq minutes plus tard, trois des hommes de l’équipe d’Antoine les rejoignirent. Deux d’entre eux furent chargés de sécuriser les abords. Le troisième accompagna Antoine et Isabelle jusqu’à l’appartement des deux sœurs.
Cavalier sonna avec insistance. Seuls les miaulements du chat leur répondirent.
Antoine fit signe à son subordonné d’ouvrir la porte.
Celui-ci sortit de la poche intérieure de son blouson le trousseau du parfait crocheteur. En deux minutes, il vint à bout de la serrure.
L’appartement était vide et même le chat avait disparu.
– On arrive trop tard, commenta Antoine.
Sans illusion, ils fouillèrent l’appartement à la recherche d’un indice.
Le salon, les deux chambres des jeunes femmes et la pièce qui leur servait de bureau commun.
L’agenda de bureau ne leur révéla aucun secret.
– À mon avis, dit Antoine, on n’est pas près de les retrouver, et ce sera sous forme de tas de cendres dans une forêt ou de troncs de femmes dans la Seine…
– Non, lui répondit Isabelle, je ne crois pas que l’aînée soit allée chez Dupert en compagnie de sa sœur.
– Ça ne change rien à ce que je dis. Ils ont emmené direct la grande et ils sont ensuite passés prendre la petite…
– À moins qu’elle ne se soit réfugiée ailleurs.
– Chez des amis ? demanda Antoine.
– Non, je pense plutôt à l’appartement de Tampion.
– Tu parles d’une planque ! C’est le premier endroit que j’irais visiter si j’étais les méchants…
– Oui. Alors allons-y. Vite !


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mardi 13 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 30

Chapitre 30





– Voilà, c’est envoyé ! fit Gilbert Lenoir en poussant un soupir de soulagement. J’ai faim, ajouta-t-il aussitôt. On pourrait peut-être boire un coup et grignoter en attendant les réactions, non ?
Il était près de vingt-deux heures.
Antoine accompagna Isabelle dans la cuisine et alluma le poste télé au passage. Branché sur LCI.
Le tout-venant des infos d’un samedi soir. Puis…
« Comme nous vous l’avons indiqué en début de soirée, un désespéré a mis fin à ses jours en se précipitant dans le vide de la fenêtre d’un appartement situé au douzième étage d’une tour du Front de Seine du quartier Beaugrenelle à Paris vers dix-huit heures ce soir.
« L’homme, Éric Dupert, âgé de quarante-quatre ans, capitaine de police, appartenait aux effectifs de la prestigieuse Brigade criminelle, le 36, quai des Orfèvres.
« D’après le communiqué émis peu avant vingt heures par les services du ministre de l’Intérieur, ce policier était très bien noté de ses supérieurs et ne semblait pas rencontré de problèmes particuliers ni dans sa vie professionnelle ni personnelle.
« Au moment du drame, il se trouvait seul dans l’appartement… »
Les trois policiers restèrent figés de stupeur.
– Il a peut-être compris qu’il était fini…, commença Gilbert Lenoir.
– Mais non ! le coupa Antoine sèchement. Il se serait servi de son arme de service, et puis, c’est juste à l’heure où il avait rendez-vous avec Anne-Sophie, l’aînée des Loÿ…
Isabelle Cavalier imagina froidement la scène.
On sonne. Dupert va ouvrir en pensant qu’il s’agit d’Anne-Sophie qui lui a dit qu’elle avait peut-être une solution.
– Mais ce n’est pas la Loÿ toute seule, pensa Isabelle à haute voix, ni même avec l’aide de sa sœur, qui a pu le balancer par la fenêtre…
– Mais alors, qui ? demanda Lenoir.
– Ceux qui étaient, avec elle ou sans elle, derrière la porte, dit Isabelle.
– Les méchants, si tu préfères. T’es débile, ou quoi ! s’emporta Antoine qui se reprochait ne pas avoir fait surveiller la tour.
Tout en sachant que cela n’eut rien changé au scénario de la mort programmée de Dupert.
– En tout cas, maintenant, seules les sœurs Loÿ peuvent nous apprendre quelque chose, au moins l’identité de celui que l’aînée a appelé après avoir eu Dupert au téléphone ce matin, reprit Antoine.
– Peut-être pas pour longtemps, le reprit Isabelle avec un brin d’amertume dans la voix. Ceux qui sont derrière tout ça ne sont pas à un meurtre près.


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dimanche 11 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 29

Chapitre 29





Les trois policiers se rendirent à l’appartement d’Antoine après avoir fait provision de plats cuisinés chez un traiteur asiatique.
Ils tinrent conseil tout en jouant des baguettes.
D’emblée, ils écartèrent la voie judiciaire normale.
Cela leur semblait la plus sûre façon de voir l’affaire Tampion et ses dégâts collatéraux définitivement enterrés. Et, de toute façon, ils étaient en pleine illégalité depuis le début de leur enquête perso.
Le plus urgent était de neutraliser le capitaine Dupert.
– Peut-être en faisant rouvrir le dossier du meurtre des deux gamines ? suggéra Isabelle Cavalier.
– Trop long, trancha Antoine. Ça prendrait trop de temps. Il nous faut agir très, très rapidement.
– Et la presse ? proposa Gilbert Lenoir.
– Tu vois la presse publier ces trucs-là, toi ? lui rétorqua Antoine. C’est une presse d’opinion, pas d’investigation…
– Ouais, concéda Lenoir, mais il y a quand même Internet. Et, si on balance ces dossiers sur la toile, je vous jure que le moindre canard en parlera pour ne pas être à la traîne.
Le commissaire Antoine n’avait que peu d’estime pour les internautes. Il les classait en deux grandes catégories, les voyeuristes, ceux qui recherchaient les sites de cul, et les glandeurs, les amateurs de jeux vidéo.
Ses collègues des Mœurs en étaient devenus des accrocs et ne juraient plus que par la Toile pour repérer leurs clients : pédophiles de tout poil, sado-masos hards, zoophiles acharnés – mais, là, c’était surtout pour protéger les pauvres bêtes qui n’en pouvaient mais et ne réclamaient pas tant d’épanchements…
Pour lui, un ordinateur, ça servait à rédiger les rapports et les procès-verbaux. Cet usage marquait un progrès certain vis-à-vis de la machine à écrire à deux doigts : plus de ratures et ça s’autocorrigeait.
Surtout, c’était idéal pour engranger ses vieilles photos de vacances accumulées au fil des ans.
Antoine interrogea Isabelle Cavalier du regard en faisant une moue dubitative.
– Il n’a pas tort, dit-elle. Mais comment s’y prendre ?
Le lieutenant Lenoir prit la balle au bond.
– On scanne et j’envoie, en fichiers joints, à deux, trois forums de discussion auxquels je participe sous pseudo, plus les agences de presse…
Antoine se résigna à laisser son ordinateur et son scanner aux mains de Lenoir.
D’un commun accord, ils écartèrent le premier dossier, celui concernant les fantaisies sexuelles de l’éminent opposant, peut-être présidentiable. Ça n’intéresserait personne.
Le producteur et la mafia russe fut scanné en une heure et lancé sur-le-champ.
Les pièces essentielles du dossier concernant le trafic aux subventions agricoles européennes furent balancées l’heure suivante.
Une heure plus tard, vers dix-sept heures trente, les forums étaient déjà largement animés par les deux premiers envois, surtout le forum de TF 1.
– Ça roule, dit Lenoir en montrant les questions et commentaires que les deux dossiers suscitaient. On peut envoyer celui de Saddam.
Dans la demi-heure, le nombre de réactions à ce dossier fut surprenant et deux agences de presse le reprirent quasi simultanément.
Restait le manuscrit de quatre cents pages. La bombe.
Mais il était impossible de scanner les quatre cents pages en peu de temps et ils prirent la décision de ne « publier » que des morceaux choisis.
Antoine et Isabelle Cavalier se partagèrent le manuscrit tandis que Lenoir se chargeait de scanner les pages sélectionnées, les plus significatives.
Le nom de Xavier Cavalier, le grand-père du mari d’Isabelle, revenait souvent, ainsi que celui de son père, François Cavalier, le précédent garde des Sceaux qui s’était suicidé le 17 juillet 2003.
Isabelle y découvrait une histoire « familiale » qu’elle ignorait et dont Pierre ne lui avait que peu parlé, soi-disant pour l’en protéger.
Le nom de Pierre-Marie de Laneureuville revenait également souvent depuis le milieu des années 60. Laneureuville, l’actuel garde des Sceaux et ministre de la Justice, celui qui avait succédé au père de Pierre.
L’auteur du manuscrit en parlait comme de l’âme damnée du « Service ». Celui qui ne reculait devant l’emploi d’aucune méthode, quelle qu’elle fût, pour atteindre ses objectifs. En général, éliminer tout obstacle, ami ou ennemi.
Sur le personnage, Isabelle savait à quoi s’en tenir.
Antoine tendit à Isabelle les dernières pages du manuscrit.
Une sorte de conclusion où l’auteur exprimait ses craintes sur la sort qui l’attendait.
En brisant l’omerta de rigueur au sein du « Service », il était conscient que celui-ci le broierait et qu’il s’efforcerait de discréditer sa mémoire. Il prévoyait son assassinat sous forme de « suicide » ou d’« accident ».
« Je suis sain de corps et d’esprit, disait-il dans la dernière page. J’ai voulu révéler ce “secret au sein du secret” et ses manipulations auxquelles j’ai participé et que j’ai parfois dirigées car il met en péril l’âme de la République et la démocratie.
« Les menées de Gladio ont été révélées dans tous les pays européens qui ont été concernés par son action occulte, en particulier l’Italie victime de sa “stratégie de la terreur” dans les années 70. Excepté en France qui participa pourtant, avec un rôle de premier plan, à son comité directeur secret dépendant du Conseil atlantique de l’Alliance atlantique.
« Sa dernière réunion s’est tenue en 1990 et j’y représentais la France.
« Le secret qui entoure la nébuleuse de réseaux Glaive en France s’explique par le fait qu’il regroupa sur notre sol des anticommunistes “viscéraux” provenant de tous les horizons politiques, alors que, ailleurs, et principalement en Italie et en Grèce, sa main-d’œuvre fut essentiellement fasciste. »
– C’est limite nausée, tout ça, fit Isabelle.
– Oui, mais ça va branler dans le manche, dit Antoine qui avait une vision purificatrice du rôle de policier. Surtout que le manuscrit habille sur-mesure le de Laneureuville et que, je ne sais pas si tu l’as remarqué, on retrouve son fidèle de toujours, son actuel conseiller particulier au ministère, sur la liste des heureux bénéficiaires des largesse de Saddam…
– Il avait donc deux raisons de mettre la main sur ces dossiers. Il n’y a pas que le manuscrit qui l’intéressait. Et c’est le ministre lui-même qui a mis fin à la reprise de l’enquête par le petit juge…
– De là à imaginer que le capitaine Dupert agissait pour le compte de Laneureuville…, compléta Antoine, interrompu par Gilbert Lenoir qui avait hâte de balancer les quarante pages choisies et réclamait, impatient, le feu vert.


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vendredi 9 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 28


Chapitre 28





Les trois policiers restèrent dans le sous-marin jusqu’à midi.
Le moins gradé, le lieutenant Gilbert, fut désigné volontaire d’office par ses deux collègues et amis pour exercer la surveillance, tandis que ces derniers prenaient connaissance des cinq dossiers qu’ils avaient emportés avec eux par mesure de sûreté. Dossiers qui étaient la cause directe de quatre meurtres.
L’un d’eux concernait un éminent représentant de l’opposition et portait sur ses fantaisies sexuelles. De la broutille pour un citoyen lambda, mais suffisant pour plomber l’image de rigueur morale d’un homme public de premier plan.
Le deuxième, un producteur de cinéma dont la société recyclait de l’argent sale provenant de la mafia russe. Il n’était pas le premier dans son domaine d’activité à succomber à ce type de tentation, mais les preuves étaient accablantes.
Le troisième décrivait les rouages d’une magouille juteuse portant sur les subventions agricoles européennes. Auprès de laquelle les heurs et malheurs de la dette agricole des « cultivateurs » corses étaient de l’ordre du conte de fées.
Un quatrième, relativement récent, portait sur les « subventions », chiffrées, perçues par des partis et hommes politiques français et provenant de la générosité de Saddam Hussein.
Si la plupart des noms cités étaient connus des initiés, le montant des « appointements », lui, était une révélation, ainsi que la durée et la périodicité des versements.
Le cinquième, de loin le plus explosif, était un manuscrit d’une écriture serrée de près de quatre cents pages. Il révélait, avec précision, les dessous des dérapages commis, sous la IVe et la Ve République, par les services parallèles et réseaux occultes de l’État organisés et manipulés par son bras des basses œuvres, communément surnommé le « Service » par les initiés. Le « Glaive », par d’autres. Au prétexte de la lutte contre la subversion communiste.
Le manuscrit ne comportait pas de titre ni de nom d’auteur, mais, à certains détails, on pouvait identifier ce dernier. Un des anciens bras droits de Xavier Cavalier, surnommé le « Vieux », l’éminence grise de la barbouzerie durant plus d’un demi-siècle.
Les faits relatés s’arrêtaient en 1994.
À l’époque, le « suicide » de l’auteur avait suivi de près l’annonce de la parution prochaine de ses Mémoires en cours de rédaction.
Ses archives personnelles avaient été « déménagées » de son appartement de fonctions avant même qu’il ne soit enterré et il n’avait plus jamais été question de ces Mémoires.
Certains en vinrent même à douter de leur existence.
Pourtant, ils ne furent pas perdus pour tout le monde puisqu’ils figuraient parmi les dossiers « sensibles » de l’éditeur Serge Tampion.
D’ailleurs, tout portait à croire que l’auteur de ces révélations avait confié son manuscrit à Tampion et que celui-ci avait renoncé à sa publication pour échapper au même sort.
– Il en est quand même mort, dit Isabelle Cavalier après avoir parcouru le manuscrit.
Le commissaire Antoine était plus réservé. Il penchait plutôt pour la thèse d’une action de la mafia russe.
– Non, insista Isabelle, les Russes, ils n’auraient pas eu les moyens de « suicider » l’assassin présumé de Tampion en prison la veille de son audition par le juge, ni ceux de faire enterrer l’affaire.
– Alors, on est dans la merde, ma grande, dit Antoine, parce que, le Dupert, il a du monde derrière lui, et on ferait bien de se tirer d’ici parce qu’on va finir par se faire repérer.


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jeudi 8 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 27

Chapitre 27





À cinq heures cinquante-cinq du matin, Isabelle Cavalier, Antoine et Lenoir rejoignirent le sous-marin rue Amelot, après être passés faire un brin de toilette et prendre un peu de repos chez le commissaire Antoine, rue Mouffetard.
À six heures et demie, ils virent le capitaine Dupert quitter l’immeuble des sœurs Loÿ et ils s’assoupirent en attendant la suite des événements.
À sept heures vingt-cinq, il entendirent un bruit de chasse d’eau et les miaulements du chat très proches du micro.
– Arrête de gratter sous la chaise ! gronda une voix encore ensommeillée. (L’une des deux sœurs.)
– Allez, viens, je vais te donner à manger. (Ils identifièrent la voix de la cadette.)
Re-miaulements du chat et grattements très proches du micro.
– Bordel ! jura Lenoir, il va finir par me le décrocher… Sois gentil, le minet, va bouffer…
– En tout cas, c’est lui le moins con, commenta Antoine en haussant les épaules, fataliste.
Miaulements insistants sans grattement.
– Mais qu’est-ce qu’elle t’a fait, cette chaise, hein ? Elle n’a rien de particulier, tu sais. (La même voix.)
Miaulements et grattements à nouveau.
– Tu veux que je regarde en dessous pour te faire plaisir ?
Un silence angoissé s’installa dans le sous-marin.
La sonnerie d’un téléphone fixe fit sursauter les trois policiers.
– Oui ?
– …
– Tu veux parler à Anne ?
– …
– Tu préfères ? Bon, je vais la chercher.
Silence puis grattements sous la chaise sans miaulements.
– Mais fait chier, ce matou ! s’exclama Antoine énervé.
Puis la voix d’Anne-Sophie Loÿ, devenant rapidement tendue.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– …
– Quoi ? C’est pas possible ! Mais qui a pu faire ça ?
– …
– Les Stups et Cavalier ! Mais, pour quelle raison ?
– …
– Non ! (Ton déterminé et résolu.) Tu ne changes rien à ta journée et tu rentres ensuite chez toi. J’ai peut-être une solution. Je viendrai chez toi ce soir vers dix-huit heures…
Silence.
L’atmosphère devait être pesante dans le salon. Même le chat devait être attentif puisqu’il avait cessé de miauler et de grattouiller le dessous de la chaise.
– Le con ! (L’aînée.) Se faire piquer les dossiers ! L’endroit le plus sûr au monde, son bureau dans les locaux de la Brigade criminelle…
– J’ai peur… Qu’est-ce qu’on va devenir ? (La cadette sur un ton plaintif.)
– Oh ! toi, tais-toi ! Pas de jérémiades, s’il te plaît, et laisse-moi faire !
Silence.
– T’appelle qui ? (La cadette.)
Pas de réponse.
– Allô ! Oui, c’est moi. (L’aînée au téléphone.)
– …
– Notre ami s’est fait voler son bien à son nez et à sa barbe.
– …
– Oui. (Ton respectueux.)
– …
– Je lui ai donné rendez-vous chez lui ce soir à dix-huit heures.
– …
– D’accord.
– …
Fin de la communication.
– Je donnerais cher pour savoir à qui elle téléphonait, commenta Isabelle.
– Moi aussi ! fit Antoine.
– Chut ! les coupa Gilbert Lenoir.
La conversation reprenait entre les deux sœurs.
– Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. (L’aînée, d’un ton apaisant.)
– Tu es sûre ? (La cadette, toujours inquiète.)
– Oui, Pier…
Inaudible. Suite de grésillements et de crachotements.
Puis bref reprise.
– Mais avec quoi il joue ? (La cadette, ton de surprise.)
– Écoute, laisse le chat jouer avec son bouchon… T’es quand même pas croyable, on a un problème gros comme ça, je t’explique, et toi tu te préoccupes du chat. T’es encore une môme, ou quoi ?
– …
Suite à nouveau inaudible. Grésillements et crachotements. Puis craquements et silence absolu.
– L’enfoiré, il me l’a bouffé ! s’insurgea le lieutenant Lenoir.


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mercredi 7 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 26

26





Le capitaine Dupert débarqua au 36, quai des Orfèvres un peu après sept heures. Pas rasé et la mine fripée après sa folle nuit passée en compagnie des deux sœurs.
À quarante-quatre ans, ce genre de performance amoureuse commençait de lui coûter. Il est des réputations qu’il devient parfois difficile d’assumer avec le temps.
Quand il arriva dans les locaux de la Crim, un de ses collègues qui avait été de permanence de nuit l’entraîna dans un bureau pour lui parler en aparté.
– Il faut que je te dise, cette nuit, il y a eu un drôle de truc qui te concerne.
Dupert se figea. « Une merde ! » se dit-il.
– Les Stups ils ont débarqué parce que, soi-disant, un indic leur avait rapporté que tu détenais de la drogue dans ton bureau…
– C’est absurde ! le coupa Dupert que la nouvelle inquiétait.
– T’inquiète, vieux, ils ont fait chou blanc et leur commissaire a dû s’aplatir et présenter des excuses.
– C’était qui ?
– Antoine et trois de ses sbires.
– Je te remercie, dit Dupert qui avait hâte de rejoindre son bureau.
– Ah ! j’oubliais, il avait rameuté Cavalier pour sa perquise.
Dupert crut que son cœur allait s’arrêter de battre. Il devint pâle comme un suaire.
– Ça va, vieux ? s’inquiéta son collègue.
Dupert mit un temps à se ressaisir.
– Oui, oui… Je suis crevé, c’est tout, dit-il en s’efforçant de sourire. J’ai fait la java, c’est tout…
– T’as toujours été un veinard, toi ! lui jeta son collègue en lui adressant un clin d’œil égrillard.


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mardi 6 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 25


Chapitre 25





À minuit et demi, Antoine, Lenoir et Isabelle Cavalier se rendirent dans les locaux de la Crim, 36, quai des Orfèvres.
Auparavant, ils avaient fait un détour par les Stups pour se procurer ce qui était essentiel dans leur scénario et rameuter deux collègues.
Les collègues de permanence du capitaine Cavalier se montrèrent surpris de cette arrivée en force.
– T’es pas en congé ? lui jeta l’un d’eux, un commandant, genre chiwawa teigneux.
Cavalier haussa les épaules d’impuissance et Antoine prit la parole comme prévu.
– C’est moi qui l’ai appelée pour qu’elle soit présente à notre intervention.
– Comment ça ? fit le commandant de la Crim. T’es pas chez toi, ici ! ajouta-t-il en le prenant de haut.
– Avec mes hommes, nous agissons en flag. Une dénonciation qui nous est parvenue dans la soirée… Mais, si tu préfères que j’en réfère auparavant à l’Inspection générale des services, libre à toi ! Tu te débrouilleras ensuite avec ton patron.
– Le commissaire Antoine, intervint Isabelle plus diplomate que nature, souhaite précisément éviter les vagues et traiter ça en interne.
Il y eut un flottement parmi les hommes de la Crim présents.
– Ça concerne qui, ton truc ? demanda le commandant du bout des lèvres.
– Dupert, le capitaine Dupert, répondit Antoine de sa voix de stentor qui résonna.
Dupert étant loin de faire l’unanimité, le flottement se mua en désintérêt.
Le commandant haussa les épaules et les accompagna jusqu’au bureau de Dupert.
Antoine et ses trois hommes pénétrèrent dans le bureau et entamèrent leur perquisition.
Le commandant était resté sur le seuil et s’efforçait de surveiller les faits et gestes de chacun des flics des Stups, légèrement gêné par Isabelle qui ne cessait de se déplacer devant lui.
Au bout de cinq minutes de recherche, le lieutenant Lenoir, qui était accroupi près d’un rayonnage, leva légèrement la main.
– J’ai ! fit-il.
Antoine et les deux autres policiers se placèrent autour de lui de façon à le dissimuler un bref instant à la vue du commandant.
– Oh ! la la ! fit Antoine. Notre indic ne nous a pas menti…
Il tenait dans ses mains un paquet de sachets de cocaïne que Lenoir venait de sortir de son blouson.
– Il y en a bien pour trois cents grammes, ajouta-t-il avec l’autorité de l’expert après l’avoir soupesé.
Le paquet passa de main en main.
Le commandant s’était approché. Il n’en croyait pas ses yeux.
– J’aurais pas cru Dupert capable de ça, répétait-il.
Imaginant les conséquences.
Antoine lui tapota le bras, consolateur.
– T’inquiète, on va essayé de régler ça entre nous, lui dit-il d’un air de camaraderie complice. À charge de revanche, hein ?
Le commandant acquiesça. Reconnaissant.
– Mais va occuper les autres, ajouta Antoine retors. Ce n’est pas la peine qu’ils rappliquent et soient au courant. Nous, on va encore fouiller un peu pour la forme et, quand on ressortira, on s’excusera et on dira qu’on n’a rien trouvé, d’accord ?
– T’es sympa, Antoine, je n’oublierai pas ce que tu fais là. C’est vraiment sympa, les gars…
Antoine coupa ses effusions pour ne pas avoir à y passer la nuit.
– Mais motus et bouche cousue, hein ?
– Compte sur moi ! répondit le commandant, ému, avant de se retirer avec soulagement.
Dès qu’il eut le dos tourné, Antoine força le seul tiroir du bureau de Dupert qui soit fermé à clé.
Les cinq dossiers scellés s’y trouvaient.
Il adressa un signe de tête à l’un de ses hommes qui avait amené un attaché-case et les fourra prestement dedans.
Puis, avec l’aide de Cavalier, les quatre hommes s’efforcèrent de tout remettre en place et en ordre.
Quand ils sortirent et arrivèrent à la hauteur des policiers de la Crim qui les attendaient regroupés, ils s’efforcèrent d’afficher un air contraint.
– Excusez-nous, dit Antoine avec un ton de repentance qui devait lui coûter. Chou blanc. Un tuyau foireux. Mais ne vous inquiétez pas, l’indic, il va entendre parler du pays et du commissaire Antoine ! gronda-t-il. Mais tant mieux, non ?
Les policiers de la Crim affichaient des sourires de satisfaction et l’un d’eux se permit même de se moquer des Stups. Vite rabroué par le commandant.
– Je t’avais bien dit, Antoine, que ce n’était pas possible ! intervint Isabelle d’un ton faussement indigné avant de s’éclipser avec le groupe des Stups.


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samedi 3 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





Le reste de la conversation fut sans intérêt. Les deux sœurs et Dupert avaient dû pas mal forcer sur la bouteille et ça vira vite soirée cul.
Ni Isabelle ni les deux flics des Stups n’en croyaient leurs oreilles. Ils étaient à la fois sonnés et édifiés par cette succession de révélations.
– Ben dis donc, si nous n’avions pas cet enregistrement, je dirais que nous avons trop fumé ! s’exclama le commissaire Antoine.
– Ouaf ! fit Isabelle en expirant profondément. Quand je pense qu’en plus ce salopard a couvert l’assassin des deux gamines !
– Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda, innocent, Gilbert Lenoir.
Isabelle et Antoine échangèrent un long regard.
C’était la bonne question et il s’agissait de trouver la bonne réponse.
Il y eut un long silence.
Le commissaire Antoine le rompit.
– Tu te sens capable de ce coup-là, Isa ?
– Oui ! répondit Isabelle sans hésiter.
– On les arrête maintenant ? demanda le jeune Lenoir pour confirmation.
Le commissaire Antoine lui jeta un regard de pitié.
– Écoute, petit, nous allons faire ce que nous avons à faire, et tu vas m’obéir, compris ?
– Oui, mais…, protesta Lenoir qui craignait le pire dans ces cas-là.
– Il n’y a pas de « oui, mais ».
– Qu’est-ce qu’on va faire, alors ?
– D’abord récupérer les dossiers, répondit calmement Antoine en se contenant.
– Mais, ils sont…
– Oui, justement, et notre amie Isabelle a besoin de nous… à moins que tu ne veuilles la lâcher et faire le jeu de ces pourris ?
– Non, ce n’est pas ce que je veux dire…
– Alors, nous sommes d’accord, petit, trancha Antoine d’un ton sans réplique.


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vendredi 2 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 23


Chapitre 23





– Elles traînent…, dit Iabelle en consultant de nouveau sa montre.
Il était dix-neuf heures trente et les sœurs Loÿ n’étaient pas encore rentrées.
– Elles font peut-être quelques courses, fit Antoine en haussant les épaules.
De temps à autre, on entendait un miaulement. Parfois faible, parfois éloigné.
– Ça, c’est leur matou, avait dit Gilbert la première fois. Ça prouve au moins que ça marche.
Isabelle Cavalier avait déjà planqué dans des sous-marins, mais celui-ci lui avait semblé particulièrement bien aménagé.
L’intérieur lui faisait penser à un camping-car avec plein de petites astuces de rangement pour pouvoir s’y tenir à deux ou trois à l’aise.
– Normal, c’est mon sous-marin perso, avait dit Antoine en lui avouant aimer ces longues veilles car elles lui rappelaient les moments passés dans son enfance avec son grand-père dans sa hutte de chasse aux canards.
– Les voilà ! dit soudainement Isabelle en désignant les deux jeunes femmes qui s’avançaient dans la rue. Tu avais raison, elles ont fait quelques courses…
Antoine fit signe à Gilbert Lenoir de se mettre à l’écoute.
Les minutes parurent interminables à Isabelle puis on entendit le chat fêter par des miaulements successifs l’arrivée de ses maîtresses.
Des paroles anodines. Des va-et-vient. Des petits bruits. Le chat.
Il était dix-neuf heures cinquante.
– Elles s’installent et prennent leurs aises, commenta Antoine en faisant signe à Isabelle de patienter.
Plus rien pendant vingt minutes.
– Dommage que je n’aie pas pu mettre d’émetteur dans la cuisine ! regretta Lenoir.
Coup de sonnette.
Des voix lointaines. Puis des pas dans la salle à manger.
– Comment ça ? (« C’est la sœur aînée », commenta Isabelle.)
– Oui, comme je vous le dis, le monsieur du câble. (« Merde ! la vieille ! » fit Lenoir.)
– Mais nous n’avons pas le câble ! (Toujours l’aînée.)
– Ah bon, vous n’avez pas le câble ? Remarquez, moi non plus, mais parfois, vous savez, Mme Jean me dit – vous savez, la dame du troisième qui boîte un peu…
– Comment était ce monsieur ? la coupa l’aînée avec impatience.
– Mais très bien, très correct.
– Vous l’avez vu toucher à quelque chose ? (L’aînée.)
– Oh ! je ne l’ai pas quitté des yeux, vous pouvez me croire ! Il a juste touché la prise là près de votre téléviseur. Celle d’où vient le câble quand on a le câble, qu’il m’a dit. Parce que, vous savez, c’est collectif leur machin…
– Et il n’a rien touché d’autre ? la recoupa l’aînée d’une voix encore plus impatiente.
– Non, je vous assure… Le monsieur a posé son blouson sur la table, sa mallette sur la chaise, il a vérifié la prise, puis il est parti… Je me souviens même qu’il a relacé sa chaussure. Heureusement que je lui avais signalé que son lacet était défait, parce que, le pauvre, il aurait pu marcher dessus…
La petite vieille se fit ensuite repousser vers la porte.
Silence.
Des pas dans la salle. Le raclement d’une chaise. Un miaulement.
– Il n’y a rien sous la table. (L’aînée.)
– C’est peut-être rien. (La cadette.)
– Qu’est-ce que tu peux être conne, parfois !
Gilbert se tourna vers Antoine. Les trois policiers hochèrent la tête en même temps.
– Ça devient intéressant, dit Antoine. Tu as peut-être vu juste, Isa.
La voix de la cadette, Marie-Laure :
– Qu’est-ce que tu fais ? (Voix craintive.)
– Je l’appelle.
– Tu crois…
Il était vingt-heures trente-cinq.
Un silence de catacombe s’installa dans le sous-marin. On eût dit que les trois policiers retenaient leur respiration.
Voix de l’aînée. Avec une pointe d’inquiétude.
– Oui, c’est moi… Écoute, il y a eu un truc bizarre cet après-midi… Un type de la télé par câble qui venait soi-disant vérifier l’installation…
– …
– Qu’est-ce que tu dis ?… Non, je ne peux pas te le décrire…
Voix plus basse. S’adressant à sa sœur.
– Allume la télé et mets de la musique…
– Pourquoi ? (Avec étonnement.)
– Fais ce que je te dis ! (Énervée.)
– Bon, bon, j’y vais… (Rechignant.)
(Commentaires d’un journaliste. Un temps. Musique style tub de boîte de nuit.)
– Plus fort !
Gilbert Lenoir avait pris la précaution d’ôter ses écouteurs et de baisser le volume de l’ampli.
Seul un filet de musique pénétrait l’intérieur du sous-marin.
Le lieutenant Gilbert interrogea son supérieur du regard.
– À mon avis, dit Antoine en retrouvant sa voix de stentor, le type qu’elle a appelé et qui lui a conseillé de faire du bruit pour couvrir une éventuelle écoute va rappliquer pour vérifier de lui-même.
– Il risque de trouver mon micro sous la chaise…
– C’est un risque à courir, dit Antoine fataliste. Mais, à présent, on sait qu’elles ont quelque chose sur la conscience même si nous devenons « sourds ».
– Moi, intervint Isabelle, je suis curieuse de découvrir la tête de leur visiteur.
Gilbert Lenoir se proposa pour aller se poster dans l’immeuble.
Antoine haussa les épaules.
– Avec le gardien et la vieille qui connaissent ta tronche !
Isabelle Cavalier fit non de la tête.
– Je sais, dit Antoine. Je pense comme toi. Notre client est peut-être un flic et nous avons une chance de l’identifier.
Il regarda sa montre. Il était vingt-heures cinquante.
– À partir de maintenant, on scope toutes les entrées de mecs. On fera le tri après.
– Je commence, dit Isabelle en prenant le caméscope posé prêt à l’emploi sur la tablette.
Au bout de vingt minutes d’attente, où elle n’avait noté aucune entrée significative, Isabelle pouffa de rire et attira l’attention de ses deux collègues des Stups.
Un trio de jeunes s’était arrêté devant le hall d’entrée de la résidence et deux d’entre eux entamèrent leur petit échange en toute tranquillité.
Le premier reçut un billet du second, puis, jetant à peine un regard alentour, se dirigea nonchalamment vers l’un des bacs à fleurs sur le côté du hall. Posa son pied sur le rebord et fit semblant de relacer ses Nike. S’emparant dans le même mouvement d’un petit sachet de plastique à peine enterré là.
– Les enfoirés ! dit Antoine. Sous mon nez…
Isabelle pouffait toujours de rire.
– Tu les a filmés, au moins ? lui demanda-t-il mi-figue, mi-raisin.
Isabelle fit non de la tête en tentant de refréner une nouvelle envie de rire.
– Excuse-moi, dit-elle en dirigeant l’objectif sur les jeunes dealers qui s’éloignaient.
Elle les suivit un instant avec le caméscope et se figea subitement.
Elle n’avait plus envie de rire.
Elle venait de prendre le capitaine Dupert dans son objectif.
– Je l’ai ! cria-t-elle, immédiatement rejointe par Antoine et Lenoir. C’est Dupert ! C’est lui !
Isabelle Cavalier se sentait tout excitée.
– Oh ! bordel, commenta le commissaire Antoine. Filme ! Ne le lâche pas jusqu’au bout !
Le capitaine Dupert passa devant la camionnette de location sans même y jeter un regard.
– Il a sa tête des mauvais jours, commenta Isabelle.
Ils le regardèrent s’engouffrer dans le hall mais il disparut de l’objectif et de leur angle de vision quand il se dirigea vers les ascenseurs.
Isabelle baissa le caméscope.
L’excitation fit place à une extrême tension.
Antoine prit la place de son subordonné à l’écoute.
Les minutes qui s’écoulaient leur semblaient une éternité.
On entendait toujours le filet de musique. Antoine augmenta légèrement le volume du son.
Au bout d’une quinzaine de minutes, il n’y eut plus de son.
– Il a trouvé mon micro…, se lamenta Lenoir.
– Ta gueule ! lui dit Antoine, tendu, en poussant le volume.
On entendit alors le son du téléviseur.
– Tu vois ! fit Antoine.
Le son du téléviseur disparut.
– Merde ! cria Antoine, il l’a trouvé, le salaud !
La tension montait dans le sous-marin. Puis ils entendirent à nouveau des voix.
– Il n’y a rien. (Isabelle reconnut celle de Dupert.)
– Tant mieux ! Je suis soulagée. (Anne-Sophie, l’aînée des sœurs Loÿ.)
– Moi aussi… (La cadette.)
– Valait quand même mieux vérifier. (À nouveau Dupert.) De toute façon, il est resté trop peu de temps pour placer quelque chose. En tout cas, il n’y a rien du côté de la prise, ni sous la table…
Isabelle et ses deux collègues retenaient leur souffle.
Antoine lui tapota amicalement l’épaule.
– T’es une bonne, toi ! T’as un sacré flair. Je te prends aux Stups quand tu veux.
Puis il se tourna vers le jeune lieutenant.
– Ben, tu vois, il a été assez con pour ne pas avoir pensé à la chaise…
Un miaulement de chat. Des bruits de vaisselle que l’on devait installer sur la table. Des voix lointaines. Puis des bruits de verre. Encore le chat, dont personne ne devait s’occuper.
– Bon, trinquons à notre succès ! (La voix de l’aînée.)
– Oui, nous pouvons. (La voix de Dupert.) Enfin, presque. Mais ça a été plus facile que prévu.
– Comment t’as fait ? (La voix de l’aînée, admirative.)
– Simplement. Je me suis présenté à vingt et une heures chez eux en disant que je venais de la part du capitaine Cavalier que je secondais dans son enquête.
– Ils ne se sont pas méfiés ? (Toujours l’aînée, avec une pointe d’excitation.)
– Tu parles ! Ils avaient été ensorcelés par la Cavalier et ses airs angéliques.
– Et alors ? (L’aînée.)
– J’y suis allé au bluff. Je leur ai demandé de me confier, à la demande du capitaine Cavalier qui était empêchée de se déplacer elle-même, les documents en leur possession.
– Et ils te les ont donnés comme ça ? (Toujours l’aînée.)
– Oh ! il y a eu un petit flottement, mais je leur ai dit qu’ils pouvaient téléphoner au capitaine Cavalier pour vérifier. Ça les a mis en confiance et ils m’ont sorti les cinq dossiers magiques d’un placard.
– Ils savaient ce qu’ils contenaient ? (L’aînée.)
– Pas le moins du monde. Je leur ai demandé s’ils en avaient pris connaissance, et le blondinet m’a répondu : « Oh non ! monsieur. Quand Marie-Claude nous les a confiés, elle nous a fait jurer de ne pas les ouvrir. » De toute façon, la Dubize, elle avait pris la précaution de les sceller. Et ils m’ont appris que la Dubize les leur avait remis juste après la mort de Tampion.
– Tu les a mis où, les dossiers ? (L’aînée.)
– Ne t’inquiète pas, ma chérie. L’endroit le plus sûr au monde, la Brigade criminelle ! Dans mon bureau. Personne ne songerait à les trouver là.
– Pourquoi les avoir tués alors qu’ils avaient remis les documents ? (La cadette intervenait d’une voix mal à l’aise.) Ce n’était pas nécessaire…
– Écoute, ma chérie, ces dossiers ils valent de l’or, ils vont faire notre fortune, mais c’est de la dynamite. On ne peut pas se permettre de laisser des témoins derrière nous. C’est le prix à payer pour notre tranquillité. Mais ils n’ont pas souffert, si ça peut te rassurer. Ils sont morts sans se rendre compte de rien.
– Comment ? (La cadette, d’une voix timide.)
– Tu veux vraiment savoir ?
– Oui. Je veux être sûre qu’ils sont morts sans souffrir.
– Qu’est-ce que tu peux être sensible ! (L’aînée, d’une voix tranchante.)
– Laisse, laisse. Elle a le droit de savoir. Écoute, je leur ai demandé un verre d’eau. Ils m’ont proposé un alcool. Je leur ai dit OK à condition qu’ils m’accompagnent. On a bu le coup ensemble et on a discuté une petite demi-heure qui m’a permis de me les mettre dans la poche. Puis, je leur ai demandé s’ils n’avaient pas un joint. Ça les a d’abord surpris, ensuite ils se sont marrés. Ils trouvaient ça drôle de fumer avec un flic cool. Après, je leur ai proposé de goûter à une gélule d’un nouveau truc encore meilleur que leur saloperie d’ectasy. Alors là, ils ont sauté dessus. On était copains comme cochons. Un quart d’heure après, ils étaient raides morts, sans s’en rendre compte, je t’assure. En prenant leur pied. Ensuite, j’ai fait ma petite mise en scène.
– Mais, s’ils faisaient une autopsie ? (L’aînée, qui semblait la tête pensante du trio.)
– Il n’y en aura pas. Mon rapport est nickel et la justice ne s’emmerde pas pour la mort de deux camés.
– Je suis contente que ça soit fini et que nous ayons enfin les dossiers. (L’aînée.)
– Ah, ça, ils nous auront fait courir ! (Le capitaine Dupert.) Mais, tu vois, quand j’ai commencé à lui taillader les veines dans la baignoire (Il parlait de Serge Tampion.), je savais qu’il parlerait.
– L’ordure ! (L’aînée.) Quand je pense que, lorsqu’il m’a donné le code de son coffre, il savait qu’il était vide… Et tout ce que j’ai dû subir de ce porc avant de l’obtenir !
– Allez, c’est fini, mes chéries. À nous le bon temps !
– Tu crois qu’il n’y aura pas de problème ? (La cadette, inquiète.)
– Mais non. Nous avons fait un parcours sans faute. Nous savions qu’il les avait confiés à son ex, la Dubize, et qu’il fallait attendre que ça se calme. Le seul hic, ça a été la reprise de l’enquête par ce petit con de juge et qu’on l’ait confiée à Cavalier. Mais, en même temps, ça nous a obligés à accélérer le mouvement. Puis ça a eu le mérite de nous mettre sur la bonne voie. Sans le suicide de la Dubize, qui ne se serait jamais suicidée si elle avait conservé les dossiers chez elle, on n’aurait jamais pensé à ses deux petits protégés.
– Quand je pense à tout cet enchaînement de circonstances depuis l’été dernier ! (La voix de l’aînée.)
– Eh oui, si je n’étais pas tombé sur Boulic dans cette histoire de meurtre des deux gamines, je n’aurais pas eu connaissance de l’existence de ces dossiers et nous ne nous serions pas rencontrés.
– Tu restes avec nous cette nuit ? (L’aînée, d’une voix langoureuse.)
– Bien sûr, il faut fêter ça ! Mais il faut que je sois à sept heures demain matin à la Crim…


© Alain Pecunia, 2010.
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