11 (suite et fin)
– Oh ! à l’origine c’est un truc de fachos et de néo-nazis et ç’a été lancé sur Internet en février 2003, le 21 exactement. « Il faut abattre Ben Shirak ! » Tu vois le topo. Évidemment, dans ces filières-là, il y a les débiles et les pas débiles. En apparence, il s’agit de l’extrême droite anti-musulmane. Dans les faits, c’est l’extrême droite tout court. D’ailleurs, en juillet, le procureur de Paris a ouvert une information contre X pour « association de malfaiteurs et menaces de mort sur le président de la République ». Et ils ont mis cent cinquante flics sur l’affaire depuis.
– Oui, ça je sais.
– Oui, mais ce que tu ne sais pas, c’est qu’il y a un petit génie du mal qui a repris l’affaire à son compte, toujours avec de la main-d’œuvre facho, mais en voulant faire porter le chapeau aux nationalistes corses. Enfin, à ceux, parmi eux, qui veulent décrocher du cycle de la violence. Car il a monté son opération avec les fachos nationalistes.
– Et Laneureuville est donc derrière tout ça.
– Comme toujours, mon vieux.
– Mais je ne vois pas un commando corse monter un coup pareil sur le continent.
– Tu as raison. Et c’est là qu’intervient Tomasini avec une idée géniale. Il a lâché en confidence à Laneureuville que le chef de l’Etat avait l’intention de se rendre en Corse à la mi-décembre.
– Comme ça, il faisait donc d’une pierre deux coups, dit Cavalier.
– Tu as tout compris. Ainsi il éloignait un danger d’attentat contre Chichi en France en faisant gamberger Laneureuville sur une combinaison corse et, dans le même temps, il le piégeait.
Cavalier se rembrunit.
– Et moi, qu’est-ce que je viens faire là-dedans, exactement ? demanda-t-il avec amertume.
Pour le commissaire Bellou, c’était un moment difficile.
Il prit le temps de mâcher sa tranche de jambon avant de répondre.
– Ben, ce que tu as deviné, dit-il gêné. L’appât nécessaire pour amorcer la phase finale…
– Et je dois remercier qui ? le coupa un Cavalier boudeur.
– Écoute, avec Tomasini, on n’avait pas le choix. Il nous fallait le top pour faire sortir le loup de sa tanière et, vu tes rapports avec Laneureuville, c’était toi le top.
– Et je dois m’en sentir flatté, peut-être ?
– Oui, car dès que Laneureuville a su que tu partais incognito en Corse, il s’est mis en branle.
– Ah ! Parce qu’il savait !
– Bien sûr, c’était nécessaire qu’il le sache…
– Alors c’est Tomasini qui le lui a appris ?
– Ah non ! Là, c’est moi, dit le commissaire en esquissant un sourire de contrition.
Cavalier plongea son regard dans le sien.
– T’es vraiment un enfoiré, René !
– Mais nous sommes tous des enfoirés, Pierre !
Les deux hommes se mirent à rire comme deux collégiens après une bonne farce.
Lorsque les deux hommes reprirent leur sérieux, Cavalier posa la dernière question qui le turlupinait.
– Et la mort de Ferlatti, le cousin du sous-directeur, c’est les Corses ?
– Oui, mais les bons cette fois, dit-il en accompagnant sa phrase d’une mimique de gêne qui annonçait le coup tordu.
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que son sacrifice était devenu nécessaire. Il jouait double jeu et devenait gênant. Il pouvait tout faire capoter. D’ailleurs, on le soupçonnait d’avoir prévu ton élimination à votre prochain rendez-vous. Ta mission est prioritaire et tu as droit à la protection absolue, je te l’ai dit. Alors dis-toi qu’un salaud a été éliminé…
– Je vois, dit Cavalier en reposant son verre vide. Et la suite des réjouissances, c’est quoi au juste ?
– Ben, on est là toi et moi pour l’organiser. Mais il nous faut du renfort.
– Ah bon ! Parce qu’on est combien de petits soldats exactement sur le coup ?
– Ben, il y a toi et moi, quelques-uns de mes hommes. Il y a aussi le lieutenant de gendarmerie pour la logistique. Et puis quelques Corses de bonne volonté…
Un silence pesant s’instaura. Que finit par rompre Cavalier.
– Dis, rassure-moi, René. On n’est pas reparti avec la méthode Bonnet et le coup des paillotes ?
– Non, non. Pas du tout, s’empressa de répondre le commissaire. L’idée de départ de Bonnet était bonne, mais il a eu le tort de voir les choses en petit. Il a été trop timide, si tu veux mon avis. Tu comprends, dans ces coups-là, il faut voir tout en grand. Comme ça, ça passe…
– Ou ça casse, le coupa Cavalier.
– Oui, évidemment, dit le commissaire en hochant la tête. C’est pour ça justement qu’il nous faudrait du renfort de la maison. Deux trois collègues sûrs du continent, tu vois. Mais moi j’ai pas. Peut-être que toi…
Il était plus de quatorze heures et leur conseil de guerre fut interrompu par l’arrivée de Jeanne Collieri.
– La petite va bien, dit-elle en débarquant dans la cuisine et sans montrer de surprise à la présence de René Bellou. Moi, je vais me reposer. Je retourne veiller Élisa cette nuit et j’ai besoin de dormir. Mais vous me rangez votre désordre quand vous en aurez fini avec vos conciliabules, hein ! ajouta-t-elle du ton de la maîtresse de maternelle qui demande à ses élèves de ranger leurs jouets.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
– Oh ! à l’origine c’est un truc de fachos et de néo-nazis et ç’a été lancé sur Internet en février 2003, le 21 exactement. « Il faut abattre Ben Shirak ! » Tu vois le topo. Évidemment, dans ces filières-là, il y a les débiles et les pas débiles. En apparence, il s’agit de l’extrême droite anti-musulmane. Dans les faits, c’est l’extrême droite tout court. D’ailleurs, en juillet, le procureur de Paris a ouvert une information contre X pour « association de malfaiteurs et menaces de mort sur le président de la République ». Et ils ont mis cent cinquante flics sur l’affaire depuis.
– Oui, ça je sais.
– Oui, mais ce que tu ne sais pas, c’est qu’il y a un petit génie du mal qui a repris l’affaire à son compte, toujours avec de la main-d’œuvre facho, mais en voulant faire porter le chapeau aux nationalistes corses. Enfin, à ceux, parmi eux, qui veulent décrocher du cycle de la violence. Car il a monté son opération avec les fachos nationalistes.
– Et Laneureuville est donc derrière tout ça.
– Comme toujours, mon vieux.
– Mais je ne vois pas un commando corse monter un coup pareil sur le continent.
– Tu as raison. Et c’est là qu’intervient Tomasini avec une idée géniale. Il a lâché en confidence à Laneureuville que le chef de l’Etat avait l’intention de se rendre en Corse à la mi-décembre.
– Comme ça, il faisait donc d’une pierre deux coups, dit Cavalier.
– Tu as tout compris. Ainsi il éloignait un danger d’attentat contre Chichi en France en faisant gamberger Laneureuville sur une combinaison corse et, dans le même temps, il le piégeait.
Cavalier se rembrunit.
– Et moi, qu’est-ce que je viens faire là-dedans, exactement ? demanda-t-il avec amertume.
Pour le commissaire Bellou, c’était un moment difficile.
Il prit le temps de mâcher sa tranche de jambon avant de répondre.
– Ben, ce que tu as deviné, dit-il gêné. L’appât nécessaire pour amorcer la phase finale…
– Et je dois remercier qui ? le coupa un Cavalier boudeur.
– Écoute, avec Tomasini, on n’avait pas le choix. Il nous fallait le top pour faire sortir le loup de sa tanière et, vu tes rapports avec Laneureuville, c’était toi le top.
– Et je dois m’en sentir flatté, peut-être ?
– Oui, car dès que Laneureuville a su que tu partais incognito en Corse, il s’est mis en branle.
– Ah ! Parce qu’il savait !
– Bien sûr, c’était nécessaire qu’il le sache…
– Alors c’est Tomasini qui le lui a appris ?
– Ah non ! Là, c’est moi, dit le commissaire en esquissant un sourire de contrition.
Cavalier plongea son regard dans le sien.
– T’es vraiment un enfoiré, René !
– Mais nous sommes tous des enfoirés, Pierre !
Les deux hommes se mirent à rire comme deux collégiens après une bonne farce.
Lorsque les deux hommes reprirent leur sérieux, Cavalier posa la dernière question qui le turlupinait.
– Et la mort de Ferlatti, le cousin du sous-directeur, c’est les Corses ?
– Oui, mais les bons cette fois, dit-il en accompagnant sa phrase d’une mimique de gêne qui annonçait le coup tordu.
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que son sacrifice était devenu nécessaire. Il jouait double jeu et devenait gênant. Il pouvait tout faire capoter. D’ailleurs, on le soupçonnait d’avoir prévu ton élimination à votre prochain rendez-vous. Ta mission est prioritaire et tu as droit à la protection absolue, je te l’ai dit. Alors dis-toi qu’un salaud a été éliminé…
– Je vois, dit Cavalier en reposant son verre vide. Et la suite des réjouissances, c’est quoi au juste ?
– Ben, on est là toi et moi pour l’organiser. Mais il nous faut du renfort.
– Ah bon ! Parce qu’on est combien de petits soldats exactement sur le coup ?
– Ben, il y a toi et moi, quelques-uns de mes hommes. Il y a aussi le lieutenant de gendarmerie pour la logistique. Et puis quelques Corses de bonne volonté…
Un silence pesant s’instaura. Que finit par rompre Cavalier.
– Dis, rassure-moi, René. On n’est pas reparti avec la méthode Bonnet et le coup des paillotes ?
– Non, non. Pas du tout, s’empressa de répondre le commissaire. L’idée de départ de Bonnet était bonne, mais il a eu le tort de voir les choses en petit. Il a été trop timide, si tu veux mon avis. Tu comprends, dans ces coups-là, il faut voir tout en grand. Comme ça, ça passe…
– Ou ça casse, le coupa Cavalier.
– Oui, évidemment, dit le commissaire en hochant la tête. C’est pour ça justement qu’il nous faudrait du renfort de la maison. Deux trois collègues sûrs du continent, tu vois. Mais moi j’ai pas. Peut-être que toi…
Il était plus de quatorze heures et leur conseil de guerre fut interrompu par l’arrivée de Jeanne Collieri.
– La petite va bien, dit-elle en débarquant dans la cuisine et sans montrer de surprise à la présence de René Bellou. Moi, je vais me reposer. Je retourne veiller Élisa cette nuit et j’ai besoin de dormir. Mais vous me rangez votre désordre quand vous en aurez fini avec vos conciliabules, hein ! ajouta-t-elle du ton de la maîtresse de maternelle qui demande à ses élèves de ranger leurs jouets.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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