mardi 24 mars 2009

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 25

Chapitre 25





Les six hommes furent conviés à se mettre à table à treize heures trente.
Leur morosité s’était dissipée dans les effluves de l’apéritif que Jeanne Collieri leur avait servi dans le salon une heure plus tôt en leur demandant de patienter pour le repas gas-tro-no-mi-que qui les attendait. Ils avaient grand faim à présent et ils ne notèrent même pas l’absence de Laëtitia en bout de table.
Jeanne Collieri leur avait préparé un ragoût de sanglier de sa spécialité et avait prévu de nombreuses bouteilles de vin pour accompagner les agapes.
À quinze heures, ils attaquèrent le fromage en commençant de se raconter des histoires grivoises.
Jeanne Collieri n’avait cessé de regarder sa montre le plus discrètement possible. Seul son neveu s’en était rendu compte. Quelque chose l’avait intrigué dans l’attitude de sa tante au cours du repas. Il n’aurait su dire quoi, sinon qu’il ne l’avait jamais vue aussi enjouée, comme rajeunie. Surtout depuis le retour de Laëtitia un quart d’heure plus tôt. Avec laquelle elle avait échangé un bref regard de complicité.
Jeanne Collieri se leva de table et s’excusa.
– J’en ai pour un instant.
À peu près au même instant, la camionnette transportant huit des douze hommes de l’équipe des « bons » nationalistes commençait de se faire canarder alors qu’elle s’engageait sur le petit chemin menant cinquante mètres plus loin à la « ruine ». Les quatre autres dont le 4 x 4 venait juste de stopper devant le dépôt et qui avaient ouvert la route à ceux de la camionnette étaient en aussi mauvaise posture.
Mais leurs agresseurs, qui les croyaient moins nombreux, n’étaient qu’au nombre de quatre et les assaillis purent reprendre le dessus.
Les « bons » n’avaient perdu que trois hommes et les « mauvais » deux.
Ces deux survivants refluèrent vers la ferme.
Un seul y parvint, les neuf « traîtres » survivants sur les talons.
Dans le feu de l’action, ils s’aventurèrent trop près de la ferme et une rafale de fusil-mitrailleur en abattit trois.
Il y en avait à présent cinq d’un côté et six de l’autre.
L’avantage allant malgré tout à ceux de la ferme pour l’instant vu leur retranchement et leur puissance de feu.
Le trafiquant Botticelio étaient de ceux qui venaient de perdre la vie dans la dernière action.
L’instit fêlé, Radicali, demanda alors à ses hommes de se mettre à couvert. Il se rendait compte qu’ils avaient eu tort de foncer dans le tas sans réfléchir et sans même prendre le temps de récupérer les RPG et les fusils d’assaut du dépôt, sans parler des grenades incendiaires. Il avait cru qu’il pourrait se passer du soutien des six flics.
Radicali était fêlé mais, comme nombre de leaders nationalistes, il avait le sens de la survie. Et celle-ci dépendait à présent de l’arrivée imminente de l’équipe « policière ». Il décida donc d’envoyer le garagiste Pietromania et un de ses hommes au-devant d’eux.
Arrivés à une centaine de mètres du dépôt, ils aperçurent quelques uniformes de gendarmes et poussèrent des clameurs pour attirer leur attention. Croyant qu’il s’agissait des quelques hommes du lieutenant qui avait promis son soutien.
Ils n’avaient pas pu apercevoir, en raison du relief, le reste de l’escadron de gendarmerie en train de prendre position. Ni qu’il s’agissait de la « mobile ». Celle qui se déplace sans femmes ni enfants.
Quand le garagiste et son compère se mirent à danser sur place tout en continuant de beugler : « Par ici ! » en brandissant leurs fusils de chasse, ils se firent tirer comme des lapins.
Quasi simultanément, les cinq retranchés de la ferme, qui s’étaient rendu compte du départ de deux des « traîtres » et avaient attendu qu’ils se fussent suffisamment éloignés, réalisaient une sortie contre les quatre « traîtres » planqués autour mais, malheureusement pour ces derniers, trop regroupés derrière un boqueteau de genévriers.
Ils baissèrent la tête sous les premières rafales d’armes automatiques, ce qui leur évita d’apercevoir le départ du jet du lance-flammes qui carbonisa le tout.
Le camp des mauvais n’avait perdu qu’un homme dans l’assaut. Et, encore, c’était de sa faute. Il était trop avancé par rapport à ses camarades de jeu et n’avait pas remarqué le départ de la langue de feu.
Mais les quatre « traîtres » étaient partis en une seule flambée et les mauvais tirèrent des rafales de joie en l’air.
Puis, les quatre survivants, tout en continuant de tirer des rafales par bravade, décidèrent d’aller au-devant – s’ils étaient suicidaires – ou à la poursuite – si c’était des lâches – des deux « traîtres » qu’ils avaient vus partir.
Ils remontèrent leur piste, tirant au coup par coup, tandis que les gendarmes mobiles la descendaient, se guidant au son des détonations.
Les uns et les autres s’aperçurent simultanément.
Quand le capitaine leur demanda de rendre les armes, les quatre Corses les agonirent d’injures et préférèrent mourir les armes à la main que de se rendre à de faux gendarmes qui les eussent ensuite froidement exécutés.
Le détachement de la brigade de gendarmerie, à laquelle Jeanne Collieri avait téléphoné à la façon des hommes d’honneur corse – c’est-à-dire anonymement – pour leur signaler un affrontement entre deux « bandes » rivales, n’arriva sur les lieux qu’à la demie de trois heures. Juste pour le baisser de rideau.
Ils durent filer un coup de main aux mobiles pour la collecte du tableau de chasse.
En fait, l’escadron de mobiles, qui était en déplacement, était juste passé par-là par hasard et avait eu son attention attirée par des rafales de fusil-mitrailleur. Bruit caractéristique qui, même en Corse, peut surprendre.



© Alain Pecunia, 2009.
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