mercredi 27 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 36

Chapitre 36





Le commissaire principal Bellou, de la direction régionale des Renseignements généraux des Pays de la Loire, ne fut jamais nommé divisionnaire.
Il ne put expliquer la présence du corps déchiqueté de son fils dans sa propre cave. Mais il était évident qu’il n’avait pas pu le bouffer lui-même.
Le cadavre avait dû être transporté là par des individus qui ne furent jamais identifiés. Pour une raison quelconque, ils en voulaient au commissaire en particulier et à la police en général.
Probablement les complices du fils Bellou lors du meurtre de sa grand-mère.
Une vengeance sordide. Sûrement que Jacques-Henri Bellou ne les avait pas dédommagés comme promis de leur aide.
Mais les prélèvements d’ADN ne révélèrent que la présence du fils Bellou sur les lieux du crime.
Le commisaire René Bellou s’abstint de mentionner l’existence de ses filles.
La hiérarchie lui conseilla fermement de se faire hospitaliser en maison de repos après qu’il eut tenté d’étrangler le capitaine Breton dans son bureau.
Par égard aux épreuves successives subies ces derniers temps par le commissaire Bellou, on conseilla également fermement au capitaine de ne pas porter plainte.
– Mais il est devenu complètement dingue ! protesta en vain Breton. Je venais juste de lui dire que c’était pas de bol pour sa nomination et il m’a sauté dessus comme un forcené. J’aurais été attaqué par un doberman que ça aurait pas été pire !



« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue. »
Hugo, Victor.



© Alain Pecunia, 2010.
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mardi 26 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 35

Chapitre 35





Quand Bellou se réveilla au petit matin, il était seul. Ses deux filles avaient disparu.
Une bille de flipper infernal ne cessait de rebondir d’une bande à l’autre à l’intérieur de sa boîte crânienne. Il frissonna au souvenir de ses filles qui avaient « joué » leur tour toute une partie de la nuit. Mais le flipper était out, ses deux vitres brisées.
Il repleura longuement, recroquevillé sur lui-même, et se sentit sali. Meurtri.
Il finit par se lever et marcha vers l’escalier en tenant ses mains en conque sur ses attributs douloureux.
La porte ouverte de la cave attira son attention.
Il trottina jusqu’à celle-ci et se pencha machinalement sur l’escalier.
Lorsqu’il vit le corps de son fils au bas-ventre déchiqueté, il se mit à haleter, cherchant vainement de l’air, et s’écroula à genoux en gémissant, se tenant la tête à deux mains.


© Alain Pecunia, 2010.
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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 34

Chapitre 34





Le commissaire René Bellou arriva vers quatorze heures à la direction régionale des Renseignements généraux.
Une bonne nouvelle l’y attendait. Sa nomination comme divisionnaire n’était plus qu’une question de jours. Une quinzaine, tout au plus.
Ragaillardi, le commissaire régla d’une main de maître les affaires pendantes du service qui s’étaient accumulées pendant ses dernières absences.
Il prit même un whisky en fin d’après-midi avec ses collaborateurs les plus proches.
Mais il fallut que le capitaine Breton lui gâche ce moment de détente en lui rappelant qu’il ne fallait « pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer ».
Il le fusilla du regard. Celui-là, il le ferait muter quand il serait divisionnaire. Il voulait lui porter la poisse, ou quoi !
René Bellou quitta Nantes d’humeur morose. À cause de ce petit con de Breton, bien sûr, mais surtout de ses enfoirés de mômes qui risquaient de tout faire foirer s’il ne leur mettait pas la main dessus dans les quinze jours.
Il poursuivit la route jusqu’à Pornic en se demandant quel petit truand de ses connaissances pourrait lui rendre le service de l’en débarrasser en échange de sa mansuétude.
C’était le seul plan qui vaille.
En tuant lui-même ses mômes, surtout trois, il prendrait trop de risques. Tandis qu’un truand, une fois qu’on n’a plus besoin de lui, une bavure suffit.
Oui, c’était ça la solution, et ce serait bien le diable, pensa-t-il, en ouvrant la porte d’entrée de sa villa, s’il n’en dénichait pas un dans les quarante-huit heures.
En fin de compte, c’était une connerie de monter à Deauville. Qu’est-ce qu’il aurait fait là-bas sans main-d’œuvre à disposition ?
Le « Bonsoir, papa » jeté par deux voix enfantines quand il alluma le salon lui glaça instantanément les sangs et l’esprit – ce qui était nettement de loin le plus ennuyeux, surtout en ces circonstances.
Il n’eut pas de mal à mettre un nom sur ses deux filles qui se tenaient à poil au milieu du salon. Il y avait une plus grande et une plus petite. Mais la plus grande était la plus jeune et vice versa. Bref, Zoé et Chloé. Tout le portrait de leur mère. Belles à damner un saint et une putain d’âme noire. Aussi noir que le doberman vautré aux pieds de Zoé et indifférent à l’intrus.
Deux baffes et il allait les rhabiller, sauf que Chloé tenait son Remington à bout de bras pointé sur lui.
Quant à Zoé et Chloé, elles étaient déçues de découvrir un petit être rondouillard et chauve paraissant la soixantaine.
– À poil, papa chéri ! lui ordonna Chloé en agitant l’arme.
Dans la police, on vous apprend toujours qu’il ne faut pas faire le mariole avec un dingue. Alors deux !
Fallait procéder avec doigté et psychologie. Rentrer dans le jeu du déjanté.
Mal à l’aise, le commissaire René Bellou entreprit de se déshabiller devant ses filles en s’efforçant de penser que, de toute façon, c’étaient deux putes, elles avaient sûrement raison sur ce point, et qu’il n’avait qu’à imaginer qu’il était invité à une partouze.
Ses filles sourirent quand il dévoila sa nudité. Le corps velu jusqu’aux doigts de pied, les couilles pendantes et la bistouquette toute riquiqui.
– Et maintenant ? fit Bellou en tentant de rentrer le ventre et prenant un ton faussement dégagé.
– On va te montrer comment nous avons été élevées par notre papa Terrassou, dit Chloé avec un regard triste.
Le commissaire Bellou se sentit la bouche sèche.
– Allonge-toi, lui ordonna sèchement sa fille en dirigeant le canon du fusil vers le tapis.
Le chien leva vers l’homme un regard morne quand il s’allongea sur le sol. Bellou se surprit à avoir une pensée stupide. « Bouffe trop, ce chien. »
Le commissaire René Bellou eut beaucoup de mal à jouir la première fois.
Quand Chloé passa le fusil à sa sœur et s’approcha de lui lascivement, il se mit à pleurer et implorer comme une femme violée.
– C’est rien, mon petit papa. Toi, ça ne va durer qu’une nuit, tandis que nous ça a duré des années…


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lundi 25 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 33

Chapitre 33





Jacques-Henri arriva le mercredi midi à Pornic après avoir galéré en stop.
Il avait estimé qu’il était plus prudent pour lui de ne pas aller traîner pour l’instant à Pornichet et avait préféré passer l’estuaire. Que le mieux était de prendre la villa de son père comme base arrière. Et puis, il avait besoin de fric, donc de taper le vieux.
Il fut contrarié en découvrant les volets fermés de la villa. Son père avait peut-être pris des vacances.
Mais il n’y avait pas de raison qu’il aille à l’hôtel pour autant. Cette maison était aussi la sienne.
En faisant un léger détour, il connaissait un petit chemin qui lui permettrait d’arriver sur l’arrière de la maison sans être aperçu des voisins.
Il avait faim et se réjouissait à l’idée d’y trouver de quoi se nourrir vu que le congélo de son père était toujours bourré de plats cuisinés pour célibataire.
Il stoppa net en apercevant le volet fracturé d’une des fenêtres de l’arrière, celle de gauche donnant sur l’arrière-cuisine. La vitre en était absente, mais il n’y avait pas d’éclats de verre dans la plate-bande de bégonias au pied du mur.
Sur ses gardes, il se dirigea vers la porte donnant accès par l’arrière de la villa. Celle-ci était fermée à clé.
Il imagina un instant des voleurs ou des squatters. Mais il ne percevait aucun bruit dans la maison.
Jacques-Henri retourna vers le fond du jardin et déterra au pied d’un des poteaux de ciment de la clôture une reproduction de la clé de la porte d’entrée de la villa qu’il avait pris la précaution de faire faire lors de son dernier passage. Au cas où. Puis il se munit d’une branche qui avait dû tomber lors de la dernière tempête et revint silencieusement vers la villa.
Il ouvrit la porte et attendit un moment avant de pénétrer dans la pénombre du couloir.
Il avançait à pas de loup, méthode commando, plaqué contre le mur en tenant la branche à deux mains à hauteur de son ventre. Progressant lentement en maîtrisant sa respiration, il parvint dans le vaste vestibule qu’il traversa pour se poster au pied de l’escalier, l’oreille aux aguets. Mais aucun froissement ou craquement ne provenait de l’étage.
Il retourna contre le mur et progressa jusqu’à l’entrée du salon. Il y pénétra d’un bond souple et resta les jambes fléchies. Son regard circulaire ne percevant rien d’anormal dans la semi-obscurité de la pièce, il se décida à allumer la lumière.
Tout était en ordre. Il se détendit et respira profondément. Puis il perçut un faible bruit provenant de la cuisine, comme le raclement d’un pied de chaise.
Il fit volte-face en serrant à deux mains sa branche et marcha lentement vers la cuisine en allumant le vestibule au passage.
Une petite voix intérieure lui murmurait : « Fous le camp ! » Il lui répondit qu’il n’allait pas se laisser intimider par un petit voleur de poule ou un SDF. Au contraire, il allait lui foutre une bonne dérouillée.
– Hé ! le clodo, cria-t-il en affermissant sa voix et en gonflant les muscles, sors de là que je te règle ton compte.
Campé à trois mètres de la porte de la cuisine plongée dans l’obscurité, jambes fléchies, branche tenue fermement à deux mains à hauteur du ventre, il entendit comme un froissement et vit surgir son clodo – Titus.
Qui se mit en position d’attaque, bavant et grognant.
Jacques-Henri recula instinctivement d’un pas. Se retenant de détaler. Mais il savait pertinemment que c’était la dernière chose à faire.
– Calme, mon chien, dit-il sottement à voix basse au fauve à l’échine hérissée.
Titus avança d’un pas en grognant et bavant de plus belle.
Jacques-Henri avait les méninges en stand-by et n’avait pas encore fait la liaison entre le doberman et les filles. Il devait bien y avoir quelqu’un avec le chien, bien sûr. Un clebs ça ne fracture pas un volet. Enfin, pas encore.
« C’est un chien de drogué », se dit-il avant que ses warnings ne se mettent à clignoter.
– Les salopes ! dit-il en reculant encore d’un pas.
Il regarda autour de lui.
Chloé se tenait sur le seuil du salon, le fusil Remington à répétition de son père à la main.
Zoé apparut à la porte de la cuisine avec un couteau à découper.
Les warnings de Jacques-Henri s’affolèrent.
– Écoutez, les filles, on pourrait peut-être discuter, dit-il d’une voix incertaine.
Zoé arma le fusil à pompe.
– Pas de discussion, frérot, direction la cave, fit-elle en indiquant du canon la direction à suivre.
« Gagner du temps », lui dicta son cerveau à la recherche d’une solution.
D’abord faire preuve de bonne volonté. Amadouer.
– Tenez, les filles, je pose ma branche et vous mettez votre monstre en laisse.
– Pédé, va ! lui cracha Zoé qui s’était avancée jusqu’à la hauteur de Titus et lui flattait l’encolure. Répète un peu que mon Titus est un monstre, si t’es un homme !
Chloé voyait où Jacques-Henri voulait en venir. Faire diversion en rendant Zoé incontrôlable.
– Du calme, ma chérie, dit Chloé. On procède comme on a dit. Et toi, Tarzan, tu peux te la garder, ta branche. On en a rien à cirer.
Et elle indiqua de nouveau la direction de la cave du bout du fusil.
Jacques-Henri alluma l’interrupteur de la cave sur l’ordre de Chloé et descendit docilement en songeant à la pelle qui se trouvait toujours au pied de l’escalier contre le mur.
Les filles ne pouvaient descendre l’escalier qu’une à une, pensa-t-il. Mais ce fut Titus qui descendit.
Son geste était suspendu. Il allait lâcher sa branche et se saisir de la pelle pour se débarrasser du fauve.
C’est ce qu’il fallait faire. D’abord mettre la bestiole hors d’état de nuire. Après, il avait une chance. Chloé était folledingue mais elle n’oserait pas l’abattre. Son fun à elle, c’était de voir mourir les autres, pas de tuer.
D’ailleurs elles ne descendaient pas et restaient l’une derrière l’autre à mi-hauteur de l’escalier, Zoé devant.
« Une chance de plus pour moi », pensa-t-il.
Titus avait pressenti le geste de l’homme qui bandait ses muscles et fléchissait les jambes.
Une dernière fois, le regard de l’homme croisa le regard du chien avant d’agir. Commettant l’erreur de le fixer un quart de seconde de trop.
Pour Titus, c’était le signal de l’attaque.
Il crocha les couilles alors que Jacques-Henri lâchait sa branche pour se saisir de la pelle.
Jacques-Henri poussa un hurlement à lui arracher la gorge et porta ses mains au cou de Titus qui se débattait pour arracher le morceau de barbaque à travers l’étoffe.
Mais il n’y parvint que lorsque Jacques-Henri s’écroula terrassé de douleur.
Chloé et Zoé le regardèrent se tordre tel un ver bruyant et se vider de son sang tandis que Titus se délectait de sa prise avec des petits grognements de chiot satisfait.
Il n’avait pas mangé, lui non plus, depuis son départ de Deauville.
– Et de un ! fit Chloé quand leur frère expira.
– Brave Titus, conclut Zoé en embrassant son trésor de chien sur sa truffe humide de sang.


© Alain Pecunia, 2010.
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vendredi 22 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 32

Chapitre 32





Le commissaire René Bellou, lui, ne put prendre la route de Deauville, ce même mardi, qu’en début d’après-midi pour des raisons de service.
Il arriva en début de soirée à Deauville et alla dîner directement à la brasserie.
Il ne risquait pas d’être reconnu par ses filles puisqu’elles ne l’avaient jamais vu. Lui non plus, d’ailleurs, mais il n’y aurait pas trente-six serveuses répondant au nom de Chloé et Zoé.
Il fut étonné de ne découvrir qu’un vieux serveur répondant au nom de Norbert. Mais peut-être s’était-il trompé de brasserie.
– Ce n’est pas ici que travaillent Zoé et Chloé Terrassou ? demanda-t-il au serveur.
Le serveur ouvrit de grands yeux.
– Ben dites donc, elles sont recherchées, celles-là !
– Que voulez-vous dire ? demanda Bellou sur ses gardes.
– Ben oui, ce midi même, il y a un jeune homme qui a demandé après elles.
Le commissaire n’eut aucun doute sur l’identité du jeune homme. De toute façon, il ne pouvait pas se faire remarquer plus en demandant des précisions.
– Elles ne sont pas là pour l’instant, donc ? dit-il d’un ton détaché.
– Et elles risquent pas de revenir, vous savez, avec l’héritage qu’elles sont parties chercher à Pornichet. Figurez-vous que…, poursuivit le serveur en veine de confidences.
Mais le commissaire ne l’écoutait déjà plus.
Il était crevé et demanda où il pourrait trouver une chambre d’hôtel bon marché pour la nuit.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 31

Chapitre 31





Zoé et Chloé reprirent la route le mardi une fois leur voiture réparée.
Elles arrivèrent en fin d’après-midi à Pornic et cherchèrent la villa du commissaire René Bellou.
Elles n’eurent pas trop de difficulté à découvrir la baraque qui leur fit penser à une sorte de château fort miniature à cause de sa tourelle. Elles s’étonnèrent des volets fermés mais passèrent leur chemin.
Après être retournées en ville, elles traînèrent un long moment sur le port avec Titus et allèrent dîner dans une crêperie.
À la nuit tombée, elles retournèrent à la villa et parvinrent à s’y introduire en fracturant le volet d’une des pièces donnant sur l’arrière de la maison.
Elles avaient décidé d’y attendre son propriétaire. De toute façon, la villa de leur père était aussi la leur en quelque sorte.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 30

Chapitre 30





Le lundi, Jacques-Henri Bellou s’inquiéta de ne pas assister à la promenade matinale de Zoé avec son chien.
Il passa et repassa plusieurs fois devant la brasserie, déconcerté de ne pas y apercevoir Chloé.
« Peut-être ont-elles pris leur journée », se dit-il. L’absence de leur vieille chiotte le confortant dans cette idée.
Mais, le mardi midi, n’apercevant ni l’une ni l’autre, il décida d’en avoir le cœur net et alla déjeuner à la brasserie.
À la fin du repas, tout en réglant son addition à la caisse, il s’étonna auprès de la patronne de ne plus voir la « jeune serveuse ».
– C’est qu’elles ont fait un bel héritage, mon brave monsieur. Leur grand-mère qui vivait à Pornichet est morte, la pauvre…
Jacques-Henri, surpris un instant de la coïncidence, l’oublia aussitôt.
Le soir même, il partit en stop pour Pornichet.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 29

Chapitre 29





Ce même lundi matin, le commissaire se souvint que son fils lui avait parlé de Deauville durant son séjour.
C’était sa seule et unique piste pour le moment. Il fallait donc la suivre.
Il appela le commissariat de Deauville en se faisant passer pour un notaire recherchant les dénommées Chloé et Zoé Terrassou dans le cadre d’un héritage. Ça arrive et c’était plausible vu que le notaire chargé de la succession de leur grand-mère devait les rechercher.
– Encore ! lui répondit son interlocuteur.
– Comment ça, encore ? fit René Bellou surpris.
– Ben oui, il y a un notaire de Bretagne qui nous a écrit il y a trois semaines pour nous demander la même chose. C’est peut-être un nouvel héritage ? demanda le policier deauvillais.
Bellou sauta sur l’occasion.
– Oui, c’est ça. Cette fois, c’est un oncle.
– Ah bon, parce que l’autre fois, c’était leur grand-mère, si je me souviens bien.
– Oui. Et, cette fois, c’est leur grand-oncle, le frère précisément de leur grand-mère…
– Les pauvres, le coupa le policier.
« Pas tant que ça », faillit répondre René Bellou.
– Oui, dit-il, il n’a pas dû supporter la mort de sa sœur avec laquelle il était très lié.
– Je comprends. Écoutez c’est simple, elles travaillent dans une petite brasserie où nous allons parfois avec les collègues. C’est pas cher, vous comprenez…
Le commissaire Bellou décida de partir le lendemain matin pour Deauville.


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jeudi 21 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 28

Chapitre 28





Deux jours plus tard, le lundi, les deux sœurs prirent la route dans leur vieille BM. Avec Titus vautré sur le siège arrière.
Les patrons avaient été compréhensifs. De toute façon, c’était une saison avec des hauts et des bas. Calme en semaine et chargée le week-end. Et puis, avec un tel héritage qui les attendait, ils comprenaient fort bien qu’elles soient pressées de se rendre à Pornichet.
Ils avaient également cédé à la demande de Zoé d’emmener le chien.
– Pourquoi pas ? Nous n’avons pas le temps de nous occuper de lui et il est à l’attache jour et nuit.
Seule Chloé avait été réticente. Ce clébard allait être un boulet. Mais sa frangine en avait fait une condition sine qua non.
– Je pars pas sans Titus !
Chloé s’était finalement résignée.
À présent, elles roulaient en direction de Caen en silence, Zoé imaginant sa vie future et Chloé cherchant à échafauder un plan qui tienne la route.
C’est peu avant de s’engager sur le périphérique de Caen que la BM péta une durite.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 27

Chapitre 27





Zoé et Chloé avaient passé toute la nuit à pleurer dans les bras l’une de l’autre.
Elles avaient un père. Un père commun, qui plus est, et bien en vie. Le choc.
Un lâche, un veule, qui ne s’était jamais préoccupé de leur sort.
– C’est à cause de lui que maman est devenue comme ça, dit Chloé.
C’était la première fois de sa vie qu’elle disait « maman ». Mais elle ne s’en rendit pas compte.
– T’imagines la vie qu’on aurait pu avoir ? dit Zoé.
– T’inquiète, petite sœur, on va se rattraper avec l’héritage de la vieille.
– Oui, mais il faut qu’on retrouve Jacques-Henri pour lui expliquer et qu’on fasse alliance avec lui pour s’occuper du fumier. Lui, il saura mieux que nous. Et puis c’est notre frère, maintenant, dit Zoé d’un ton sentencieux.
Chloé eut toutes les peines du monde à la ramener à la réalité.
Jacques-Henri était un tueur et elles étaient ses complices. Un jour ou l’autre, Jacques-Henri commettrait un autre crime – peut-être même en avait-il déjà commis d’autres par le passé – et, ce jour-là, il n’hésiterait pas à les balancer.
– Si nous ne nous en débarrassons pas, conclut-elle, nous ne jouirons pas longtemps de notre nouvelle vie dorée.
Zoé dut en convenir.


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mercredi 20 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 26

Chapitre 26





René Bellou s’était endormi sur le sofa du salon après le quatrième whisky. Ronflant comme un sonneur. Mais il se réveilla avec une sensation de malaise. Il fallait qu’il en ait le cœur net.
À neuf heures, il appela son service pour dire qu’il avait affaire dans la région pornicaise. Mais qu’il serait là en début d’après-midi.
Il avala deux tasses de café coup sur coup et hésita longuement avant de composer le numéro de téléphone du chef de corps du 1er RIMA à Angoulême.
Qui était absent.
– Que puis-je pour vous ? lui demanda l’officier de service auquel il n’avait pas décliné son identité, se présentant comme un officier anonyme des Renseignements généraux.
– Nous aimerions savoir où se trouvait le caporal Jacques-Henri Bellou la nuit de Noël 2003.
– Laissez-moi votre numéro, je vous rappelle dans vingt minutes.
Le commissaire Bellou tourna en rond une vingtaine de minutes en se disant que tout cela était une histoire de dingues, qu’il faisait fausse route. Que, par une coïncidence quelconque, les chemins de son fils et de ses filles s’étaient croisés et qu’ils avaient décidé de monter tout un scénario pour lui pourrir la vie, se venger qu’il ne se soit pas occupé d’eux. « Les petites ordures », était-il en train de se dire quand la sonnerie du téléphone retentit.
– Les Renseignements généraux ?
– Oui.
C’était une autre voix. Sûrement un sous-fifre administratif.
– L’engagement de Jacques-Henri Bellou a pris fin le vendredi 19 décembre 2003.
Le commissaire faillit demander à son interlocuteur s’il en était sûr.
– Merci, dit-il en raccrochant.
« C’est pas mon boulot de demander un complément d’information », se dit-il. De toute façon, il ne se voyait pas demander une enquête sur son propre fils car cela risquait de rouvrir le placard aux cadavres et de réveiller des soupçons encore frais*.
Et c’est à ce moment-là que ces petits cons choisissaient pour intervenir dans sa vie, le menaçant même de mort.
Bon, ça c’était pas le plus grave. Sûrement que Chloé y était allé au flan. Ça devait rentrer dans leur putain de scénario.
Qu’est-ce qu’elle avait dit, déjà ? Que Jacques-Henri était un criminel et qu’elles étaient ses complices. Qu’elles allaient le buter, et lui après…
« C’est cohérent », se dit-il en se rendant à la salle de bains.
Les chemins du frère et des frangines se croisent. Ils découvrent leur parenté. Ils sont dans la panade. Jacques-Henri apprend à ses sœurs qu’ils ont une grand-mère pleine aux as. L’idée germe chez l’un ou l’autre de se refaire en tuant la vieille.
« Putain, les mômes, quelle engeance de nos jours… »
Ils n’ont pas cogité ça le soir du réveillon de Noël. Ils ont dû se rencontrer avant, à un moment quelconque.
« Ça, ça n’a pas d’importance, trancha-t-il. Inutile d’embrouiller. »
En tout cas, ça expliquait que le « rôdeur » n’ait pas touché aux bijoux. Les petits salauds, ils savaient qu’il y avait l’héritage de la vieille à la clé.
« Putain, se dit le commissaire, si ça se découvre, je suis bon pour la retraite anticipée. Je serai jamais nommé divisionnaire… »
René Bellou se coupa en se rasant et pesta contre ces coups de queue de jeunesse que l’on paie toute sa vie.
– C’est la faute à la Marilou, maugréa-t-il en passant un bâton cicatrisant sur la coupure. Elle n’avait qu’à prendre ses précautions ou m’obliger à mettre une capote.
Non, il n’y avait aucune raison de payer pour ça.
Il se surprit à chercher dans sa mémoire quel était le nom de ce dieu grec qui bouffait ses propres mômes.
Bah, ça n’avait pas d’importance. Sûrement qu’il les bouffait parce que, sinon, c’eût été l’inverse.
C’était une métaphore, en quelque sorte. Les vieux Grecs devaient déjà connaître ce genre de situation.
« Il faut que je mette la main sur eux et que je m’en débarrasse », pensa-t-il en bouclant la ceinture de son pantalon.


* Voir Par esprit de famille.


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mardi 19 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 25

Chapitre 25





Le commissaire principal René Bellou de la direction régionale des Renseignements généraux des Pays de la Loire resta un long moment affalé sur le canapé de cuir du salon de sa villa cossue de la côte de Gourmelon.
Sa vie semblait lui échapper définitivement. Il avait pris vingt ans d’un seul coup de fil.
Il était un ripou dans sa vie professionnelle* et un fumier dans sa vie privée. Par lâcheté, bien sûr. Veulerie, si l’on veut. « Mais merde, se dit-il, ça ne se contrôle pas ces trucs-là, c’est comme le diabète et le cholestérol ou la drogue… »
Il essaya d’imaginer physiquement ses deux filles. Elles avaient trois ou quatre ans d’écart et l’aînée, Chloé devait avoir vingt et un ou vingt-deux ans, et la cadette dix-huit ou dix-neuf. En tout cas, elles devaient ressembler à leur mère avant sa déchéance et être jolies, et l’aînée semblait aussi dingue que sa mère Marilou. « Peut-être que Zoé, la petite, tient plus de moi », se plut-il à rêver.
Puis il se souvint que Chloé avait dit qu’elles étaient « des putes comme leur mère ». Qu’elles s’étaient envoyées en l’air avec leur frère. Que Jacques-Henri était un criminel, « et nous-mêmes ses complices ».
René Bellou se servit un scotch bien tassé, sans glaçons, dont il avala la moitié d’une seule rasade.
– C’est de la provocation, bordel ! c’est évident, jura-t-il entre ses dents. Et je suis en train de me laisser manipuler par une petite garce qui ne pense qu’à venger sa mère…
Il termina son verre cul sec, comme rageusement, et s’en servit un second tout aussi bien tassé, mais en prenant la peine d’aller chercher deux glaçons dans la cuisine.
René Bellou se dit qu’il avait tendance à boire depuis la mort de sa seconde femme. Mais elle n’était plus là pour le lui reprocher et il y a des occasions où c’est quasiment thérapeutique. Comme ce soir.
Puis il se dirigea vers le coin du salon où il avait installé le flipper de collection qu’il avait remonté de la cave après la mort de sa femme. Un rêve de gosse, ce flipper.
Avant son veuvage, il ne pouvait que le contempler en cachette, maintenant il pouvait en jouir à volonté. Parfois même de façon compulsive.
Il fit monter une bille et s’apprêta à la lancer. Il suspendit son geste en pensant à son fils. « Jacques-Henri, un criminel ? » Il haussa les épaules et lança la bille d’un geste nerveux. « Tout au plus un vaurien, un combinard, une petite frappe. Mais pas un criminel. Il n’en a pas l’envergure. »
Il ne put s’empêcher de penser que l’on voyait à présent pas mal de criminels sans envergure, de petites frappes qui tuaient pour un rien.
« Tiens, justement, comme la mort de Marie-Thérèse Bellemain. Retrouvée assassinée au petit matin dans la véranda de sa villa. Pour lui piquer à peine trois mille euros. Un crime de rôdeur. Même pas touché aux bijoux de la vieille. Un meurtre à la va-vite commis par un minable une nuit de Noël. »
René Bellou s’énerva et l’appareil lui rendit un tilt vengeur.
* Voir Par esprit de famille.


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lundi 18 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





En fin d’après-midi, Chloé prit son courage à deux mains et demanda à la patronne l’autorisation d’utiliser son Minitel.
Fébrilement, elle rechercha un Bellou en Loire-Atlantique.
Il n’y en avait qu’un. À Pornic. Un certain René Bellou.
Elle nota le numéro de téléphone et attendit la soirée pour l’appeler d’une cabine téléphonique.
Elle tenait le combiné d’une main moite et avait la gorge sèche.
– Je voudrais parler à Henri-Jacques, dit-elle d’une voix incertaine.
– Qui ? répondit une voix d’homme irritée.
– Excusez-moi, fit-elle, j’ai dû faire une erreur.
Chloé était déçue et s’apprêta à raccrocher le combiné.
– Non. Mais il n’est pas là et je ne sais pas où est reparti mon vaurien de fils.
– Ah ! lâcha-t-elle soulagée, le cœur battant. Je l’ai raté de peu, alors ?
– Il est resté ici trois semaines et il est reparti il y a quinze jours pour je ne sais où… Mais, qui êtes-vous, mademoiselle ?
Chloé déglutit. « Maintenant ou jamais, ma vieille », se dit-elle pour s’encourager.
– Je suis sa sœur…
Un long moment, elle crut qu’il n’y avait plus personne à l’autre bout du fil.
– Ah ! fit la voix qui avait perdu son irritation.
– Oui, je suis la fille de Marie-Louise Bellemain, Marilou, et j’ai une sœur…
– Vous êtes Zoé ou Chloé, alors ? la coupa doucement la voix.
Chloé était abasourdie.
– Vous êtes là ? demanda la voix.
– Oui, et je suis Chloé, parvint-elle à murmurer.
– Je vous entends mal.
– Chloé. Je suis Chloé…
Elle sentait les larmes lui monter aux yeux.
– Vous êtes mon père ? demanda-t-elle en réprimant un sanglot.
Silence ponctué par la respiration de l’homme.
Chloé enfonçait ses ongles dans la paume de sa main libre pour ne pas crier.
L’homme répondit indirectement, d’une voix de confession.
– Quand j’ai connu votre mère, elle avait à peine dix-huit ans et moi vingt-quatre. Votre frère est né l’année suivante. Je l’ai reconnu mais je ne pouvais épouser Marilou car j’étais fiancé. Vos grands-parents, qui étaient très à cheval sur les principes, l’ont chassée et ont élevé Jacques-Henri en lui interdisant de le revoir. Alors elle a disparu et je l’ai retrouvée, presque cinq ans plus tard, par hasard dans un bar d’un village de la région. J’étais fou d’elle et vous êtes née de nos amours secrètes. Puis Zoé…Mais votre mère avait beaucoup changé et…
– Nous, ma sœur et moi, vous ne nous avez pas reconnues ? le coupa sèchement Chloé en maîtrisant son envie de pleurer.
– Non… Ma femme ne l’aurait pas accepté bien qu’elle ne pouvait pas me donner d’enfants. Elle m’avait pardonné pour Jacques-Henri – et à condition de ne jamais le revoir, trouva-t-il nécessaire de préciser – car nous n’étions pas encore mariés, mais vous…
– Vous êtes un salaud, murmura Chloé.
Silence tendu.
– Non, lâche, tout simplement… et je ne voulais pas compromettre ma carrière.
– Vous êtes un salaud.
– Si vous voulez, dit-il d’une voix lasse après avoir hésité.
Chloé avait à présent envie de mettre fin à la communication.
– Peut-être, reprit la voix de l’homme, pourrions-nous faire enfin connaissance. Et peut-être alors pourriez-vous, vous et Zoé, me pardonner…
– Ça, jamais ! dit Chloé la voix tremblante de colère contenue. Il y a eu trop de dégâts à cause de vous et de votre lâcheté.
– Pourquoi m’avez-vous appelé, alors ?
– Pour savoir.
– Je comprends. Et Jacques-Henri n’était qu’un prétexte. Mais comment avez-vous appris son existence ?
Chloé ricana.
– En croisant sa route par hasard et en nous envoyant en l’air avec lui. Nous deux, Zoé et moi.
– Que voulez-vous dire ? demanda la voix de l’homme soudain inquiète.
– Que nous sommes des putes comme notre mère. À cause de vous. Et votre fils, notre frère, est un criminel, et nous-mêmes ses complices. Mais je vais le buter, cet enfoiré, et toi après, espèce d’ordure…
Chloé raccrocha et s’effondra en sanglots dans la cabine téléphonique.


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dimanche 17 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 23

Chapitre
23





Chloé, encore en état de choc, tendit la lettre à sa sœur vautrée sur le lit.
– Lis !
Zoé parcourut rapidement la lettre pour arriver au dernier paragraphe.
– Ben quoi ! On fait un chouette héritage qui va nous sortir de cette galère et de ce trou…
– En bas de la première page, t’as lu avec qui on le partage ?
Zoé retourna au premier feuillet et lut attentivement le paragraphe en question.
– Merde ! fit-elle. C’est pas croyable… Un frère, on a un frère… Putain ! Et tout ce qu’on a fait avec lui…, poursuivit Zoé songeuse. Tu te rends compte, notre frère…
– Demi ! la coupa sèchement sa sœur en s’asseyant sur l’une des deux chaises de la chambrette.
Un long silence s’instaura. Que Zoé rompit la première.
– Et dire que tu as voulu le tuer ! dit-elle d’un ton de reproche.
Chloé redressa la tête et la fixa froidement.
– Je ne le regrette pas. De toute façon, c’était lui ou nous.
– Oui, mais, maintenant, on peut s’expliquer avec lui. Et il a dû recevoir la même lettre que nous et apprendre que nous sommes frère et sœurs.
Chloé se leva et arracha la lettre des mains de sa sœur.
– Là ! dit-elle en tapotant du doigt le second feuillet. C’est écrit noir sur blanc. Le notaire dit qu’il n’a pas encore pu localiser le nouveau domicile de Jacques-Henri depuis son départ du 1er RIMA et il nous demande si nous serions en rapport avec lui… Donc il n’est pas encore au courant, conclut-elle en tendant la lettre à sa sœur.
– On n’a qu’à le retrouver et lui expliquer, dit Zoé avec conviction.
Mais Chloé ne l’écoutait pas.
Elle avait appris coup sur coup qu’elles avaient une famille sans le savoir. Leur grand-mère maternelle et Jacques-Henri Bellou. Et leur mère ne leur avait jamais parlé ni de l’un ni de l’autre.
Une grand-mère qui laissait des biens. Une villa à Pornichet, un immeuble de rapport à La Baule et des actions. Alors que leur mère avait traîné une vie misérable de rade minable en bouge d’alcoolos. Allant jusqu’à prostituer ses propres filles.
Une question commençait à l’obséder. Qui était Bellou ? Pas le fils, mais le père.


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samedi 16 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 22

Chapitre 22





Pour faire face à l’urgence, Chloé trouva, pour la saison, en échange du gîte et du couvert pour elle et sa sœur, une place de serveuse dans une petite brasserie de la ville qui n’en manquait pas.
Leur chambrette était située dans l’arrière-cour même de la brasserie, dans ce qui avait dû être un appentis. Ce n’était pas la petite maison de Blanche Neige dans la forêt, mais le doberman du patron avait sa niche à deux mètres de leur porte d’entrée, ce qui avait décidé Chloé à accepter la place.
Au moins, Jacques-Henri ne pourrait tenter de les approcher sans y laisser un mollet.
Simple précaution, car elle estimait qu’il avait dû prendre le large.
En tout cas, à sa place, c’est ce qu’elle aurait fait.
Pour l’instant, seul l’état de Zoé l’inquiétait.
Quinze jours après l’épisode Eusèbe Clovis, elle continuait de donner l’impression d’être « ailleurs ». Pas vraiment à l’ouest, mais absente. Non pas apathique mais indifférente. Affichant un sourire niais à longueur de journée. Se laissant vivre et restant vautrée sur le lit quand elle ne partait pas en promenade avec le chien qui s’était pris d’affection pour elle. Au point qu’il finit lui également vautré sur leur lit quand Zoé ne le sortait pas.
Chloé avait bien tenté de la sortir de son apathie, mais l’univers de sa sœur semblait se réduire à son lit et au chien, Titus.
Elle se demandait d’ailleurs si l’état lymphatique de sa sœur ne déteignait pas sur elle.
Chloé ne se reconnaissait pas. Tout comme sa sœur qui semblait être tombée en frigidité, elle-même n’était plus en quête de fun. Ou peut-être en avait-elle été gavée pour le restant de ses jours depuis la tentative d’élimination de Jacques-Henri qui s’était retournée contre elles.
Elle se laissait vivre au jour le jour et faisait son travail sans plaisir ni déplaisir. Ce qui ne la surprenait même plus. Même s’il faisait surgir parfois des souvenirs douloureux, surtout à cause de la présence d’un flipper près de l’entrée.
Pour le reste, le patron la laissait tranquille. Lui et sa femme ne semblaient songer qu’à leur tiroir-caisse et aux milles et une combines pour en laisser le moins possible au fisc. Et Norbert, le barman, était assez sympa avec elle.
Pourtant, cette existence était fort éloignée du mode de vie dont elle avait rêvé avec sa sœur. Peut-être avait-elle besoin d’une pause.
Parfois, quand elle sortait, elle cherchait Jacques-Henri du regard. Plus par réflexe que par crainte, d’ailleurs.
Puis elle cessa d’y penser. La saison battait son plein et elle était débordée. L’état de Zoé semblait s’améliorer et elle acceptait à présent de la seconder lors des coups de feu. Mais sa sœur continuait de l’exclure de ses longues promenades du matin et du soir avec Titus. Elle en souffrait car elles avaient toujours été très proches et n’avaient à présent plus guère de complicité.
Chloé devint naturellement jalouse du chien qui avait usurpé sa place auprès de sa cadette sur laquelle elle pensait sincèrement avoir toujours veillé telle une mère poule. Elle ne se sentait pas trahie, mais écartée, rejetée.
« Qu’est-ce qu’il a de plus que moi, ce clébard ! » se disait-elle parfois.
Un matin, avant l’ouverture du café, elle les avait même suivis et observés de loin sur la plage.
Elle vit Zoé s’obstiner à faire attaquer par Titus un morceau de bois qu’elle tenait tantôt à bout de bras et tantôt devant elle, à la hauteur de son ventre.
Chloé, après l’avoir observée un quart d’heure, haussa les épaules et rebroussa chemin.
Le comportement de sa sœur lui devenait incompréhensible.
C’est ce même matin qu’elle crut apercevoir la silhouette de Jacques-Henri près du marché.
Elle en frissonna de saisissement mais préféra ne pas en parler à sa sœur à son retour.
Le même soir, le chien, couché au pied de leur lit, grogna longuement.
La nuit suivante, il se redressa sur ses pattes et aboya. Ce qui ne lui arrivait jamais.
Chloé se leva lorsque le chien cessa d’aboyer. Elle resta un long moment immobile près de la porte à écouter les éventuels bruits.
– Reviens te coucher, lui dit calmement Zoé. Ce devait être un chat.
Pour Chloé, c’était le monde à l’envers. Elle inquiète et sa sœur imperturbable et rassurante.
Il n’y avait pas de raison, après tout, que sa sœur ne partage pas son angoisse.
– Et si c’était Jacques-Henri ? dit-elle presque méchamment.
– Et alors ? fit Zoé en changeant de côté.
Chloé se recoucha perplexe sans parvenir à retrouver le sommeil.
Il n’y eut plus d’alerte nocturne mais Chloé sentit de plus en plus la présence angoissante d’une menace diffuse.
Elle en était convaincue, Jacques-Henri était revenu. Il était là, quelque part, tapi dans l’ombre de la ville insouciante. Les épiant et attendant le moment de frapper. Mais elle n’allait pas attendre qu’il surgisse à l’improviste. Elle devait prendre les devants, aller à sa rencontre, le débusquer. Sinon, elle risquait de s’abandonner à cette panique qu’elle sentait poindre en elle et qu’il devait soupçonner.
– Il est là, je le sens, dit-elle à sa sœur alors qu’elles prenaient leur petit déjeuner avant l’ouverture de la brasserie.
– De qui parles-tu ?
– Mais de Jacques-Henri ! répondit-elle énervée de l’insouciance de sa sœur. Il est revenu, je le sais.
Zoé haussa les épaules et regarda sa montre.
– Je vais promener Titus, dit-elle en se levant.
Chloé passa les deux premières heures de la matinée à servir et desservir tout en échafaudant des plans tous plus bancals les uns que les autres.
En fait, elle n’en voyait que deux qui tiennent la route. Trouver sa tanière et le cramer. Ou le donner à bouffer à Titus.
Le second était aléatoire. Son succès dépendait de l’appétit du doberman.
Le premier l’était moins et elle avait l’expérience pour elle. Mais il fallait trouver la tanière.
Le facteur interrompit le cours de ses pensées en lui remettant une liasse de courriers et de pubs.
Chloé déposa le tout à côté de la caisse de la patronne qui la héla dès qu’elle eut survolé les lettres.
– Pour toi, Chloé.
Elle fut surprise car son seul courrier se réduisait à ses échanges de correspondance entre elle et les assurances pour l’indemnisation de ses biens partis en fumée après l’incendie de leur appartement. Maigres biens qu’elle avait largement majorés et dont l’assurance ne cessait de réclamer les justificatifs d’achat ou des photos.
Une lettre d’étude notariale. De Pornichet, Loire-Atlantique. Le pays de sa mère. Son cœur fit un bond et elle ouvrit la lettre fébrilement.
Deux pages pleines où le notaire l’informait qu’il était chargé de régler la succession de Marie-Thérèse Bellemain, décédée six mois auparavant. Dont la fille, Marie-Louise Bellemain était également décédée. Par conséquent, elles étaient, Chloé Terrassou et Zoé Terrassou, en qualité de petites-filles de la défunte, les héritières ainsi que M. Jacques-Henri Bellou…
Les lettres se mirent à sautiller devant les yeux de Chloé qui dut s’asseoir à un coin de table pour en poursuivre la lecture.
… fils de Marie-Louise Bellemain…
Ses bras en tombèrent. Elle était abasourdie.
– Une mauvaise nouvelle ? lui demanda sèchement la patronne de derrière sa caisse.
Les clients se tournèrent un instant vers elle.
– Oui et non, répondit-elle machinalement en se levant et en pliant la lettre.
La patronne remarqua sa pâleur et demanda à Norbert, le barman, de la remplacer en salle.
– Je m’occuperai du comptoir, lui dit-elle, et toi, Chloé, prend une pause, mais reviens-moi en forme pour le coup de feu de treize heures.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Quand Chloé pénétra dans l’appartement, une odeur âcre la saisit à la gorge et une légère fumée filtrait de sous la porte de la chambre.
Retenant sa respiration, elle ouvrit la porte pour la refermer aussitôt. La couette avait commencé de s’enflammer.
Le cœur battant la chamade, elle se ravisa, rouvrit la porte de la chambre, sortit de l’appartement en laissant sa porte palière grande ouverte et grimpa quatre à quatre l’escalier jusqu’au troisième.
Elle cria : « Au feu ! » en frappant avec insistance à la porte de Mme Lesiure mère.
L’autre locataire du troisième, l’infirmière, n’était pas encore rentrée. Au quatrième, les voisins du policier, un couple paisible, travaillaient tous deux au casino.
La veuve du gendarme ouvrit la porte en poussant des cris d’orfraie.
– Mon fils ! mon fils !
– Il est en sécurité en bas. Descendez vite, je préviens les locataires du quatrième.
Sans se retourner, la masse tremblotante de Mme Lesiure entreprit la dégringolade des escaliers en alternant les « Mon fils ! » et « Au feu ! » d’une voix perçante.
Chloé pénétra prestement dans l’appartement des Lesiure et tourna à fond le bouton du plus grand des feux de la cuisinière au gaz.
Elle ressortit précipitamment en laissant la porte grande ouverte et dévala les marches.
La fumée commençait à envahir la cage d’escalier et l’incendie gagnait leur salon.
Au deuxième et au premier, les locataires évacuaient dans la confusion. Deux femmes, un homme, quatre enfants, un hamster en cage, un lapin nain, un chien et deux chats.
Des cris, des lamentations et déjà des spectateurs aux fenêtres des immeubles voisins et quelques badauds sur le parking.
L’explosion de gaz se produisit quand l’appartement des sœurs Terrassou fut en flammes. Alors que l’on entendait déjà la sirène affolée des pompiers.
Chloé eut envie de pousser un hourrah mais se contenta de prendre Zoé, terrifiée, dans ses bras. Une nouvelle fois, elles s’étaient sorties d’une mauvaise passe. « La chance est à nouveau de notre côté, se dit Chloé. Je suis la plus forte ! »
En tout cas, elle allait être l’héroïne du jour.
Tous les locataires avaient leurs biens détruits mais étaient sains et saufs, et ce « grâce à la présence d’esprit de Mlle Chloé Terrassou ». « Précisez-le bien, avait insisté la veuve de gendarme. Elle a prévenu tout le monde et est même montée me chercher au péril de sa vie. Si elle n’avait pas été là, je serais morte à l’heure qu’il est !»
Son fils n’osa même pas mentionner aux enquêteurs qu’il lui avait semblé sentir une odeur de brûlé provenant de l’appartement des filles Terrassou quand il était descendu peu de temps auparavant.
Sa mère ne jurait que par Chloé et il était impossible de la contrarier en quoi que ce soit. Il était bien placé pour le savoir.
– Et toi qui ne cessait de critiquer cette jeune femme méritante, reprocha-t-elle à son fils. Sans elle…, ne cessait-elle de répéter avec des trémolos de barytonne dans la voix. Et toi qui t’étais absenté pour je ne sais quelle raison…
Les locataires présents au moment du drame étaient tout aussi reconnaissants, quoique avec moins d’épanchements, envers leur « sauveuse ».
Tant et si bien que l’on accorda peu d’importance au décès d’Eusèbe Clovis – il y aurait dû en avoir tant d’autres que c’en était un miracle ! – dont le cadavre mutilé et carbonisé ne fut retrouvé que trois jours plus tard.
Seuls les experts s’acharnèrent un temps à comprendre comment le corps du policier, locataire de l’appartement du quatrième situé au-dessus de celui des Lesiure, côté droit de l’immeuble, avait pu se retrouver côté gauche dans les décombres qui devaient appartenir à l’appartement des Terrassou.
Puis ils en vinrent à la conclusion logique.
Feu Eusèbe Clovis avait entendu les cris d’alarme de Mlle Terrassou et était descendu le dernier – puisque personne ne l’avait vu. Mais ce policier municipal courageux, découvrant l’origine de l’incendie dans l’appartement des sœurs Terrassou, n’avait écouté que son sens du devoir et avait dû tenter d’en combattre le foyer.
Un héroïsme bête, mais un héroïsme tout de même, qui méritait bien une décoration à titre posthume.


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Noir Express : sur Feedbooks...

Crève, frangin !, La Fatwa et Fin de race sont désormais disponibles en téléchargement gratuit sur Feedbooks : http://fr.feedbooks.com/

Crève, frangin ! :

Abel et Caïn. Romulus et Rémus. Depuis la nuit des temps, deux frères qui héritent, c’est toujours un héritier de trop. Alors Bernard Lèbre a pris l’initiative et s’est débarrassé de son frère par un crime parfait. Pierre-Henri était un être nuisible et personne ne le regrette. Sauf la voisine, une de ses maîtresses, qui nourrit des soupçons. Alors il faut recommencer. Mais jusqu’à quand ? Pas facile, surtout si l’on n’est pas un criminel.
Délirant mais bien réel. Du moins dans les rêves fraternels.

La Fatwa :

Avenue des Coquelicots-d’Argent, Saint-Michel-Chef-Chef, paisible commune du littoral atlantique. Derrière ses rideaux, Jean-Henri Loubert, dit Jeanri, guette le départ matinal de Luc Maginot pour son travail. Pour la dernière fois, car Jeanri a décidé que cet ami d’enfance qui l’a trahi devait mourir.
Grâce à ses dons de télépathe, la « fatwa » qu’il a lancée sur Maginot va le terrasser. Mais, si les morts se succèdent dans le voisinage, Luc Mouginot est, lui, toujours bien vivant.
Jeanri en est désespéré. Il n’est pas un criminel et n’a jamais souhaité la mort d’innocents. Il lui faut « réparer » la fatwa déréglée et reprendre ses dons en main…

Fin de race :

Grâce à la mort de son père, Hector-Louis, psychiatre de profession, hérite du titre de baron. Célibataire endurci, il se doit malgré tout à présent d’envisager de convoler en justes noces aristocratiques pour assurer sa descendance. Tâche ardue que sa mère décide d’assumer à sa façon car elle a toujours veillé avec un soin jaloux au bonheur de son fils, le seul amour qui ait illuminé sa vie. Transformant un banal acte biologique en chemin de croix pour Hector-Louis qui a conscience d’avoir tout raté, même son suicide.
Outre une mère possessive, une sœur déjantée et un demi-frère ex-taulard se pressent aux pieds de son fauteuil roulant en une conjuration maléfique.
Le titre de baron de Dugon de Milain de la Rochepic de Croisieu doit se transmettre coûte que coûte. Noblesse oblige.



vendredi 15 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 20

Chapitre 20






Le dépanneur était arrivé avec un camion-plateau pour emmener la BM au garage.
Chloé était contrariée. Elle avait pensé qu’il changerait les pneus sur place et qu’elle pourrait jeter un coup d’œil de temps en temps à la fenêtre du salon donnant sur le parking.
– Mais, ma p’tite dame, le pneu c’est pas la roue. En plus vous en avez deux à changer. Alors, vous comprenez, ce sera bien plus facile pour moi au garage, là-bas ça ira vite avec mon outillage, et puis il faut tout rééquilibrer.
Le garagiste treuilla la voiture sur son plateau et les laissa sur place, leur promettant qu’elle pourrait reprendre leur véhicule vers dix-sept heures.
Chloé, encombrée de sa sœur, hésita un long moment sur la conduite à tenir.
Elles ne pouvaient pas rester à bayer aux corneilles devant leur immeuble en attendant que le feu se déclenche.
Puis elle se décida.
– On remonte, dit-elle à Zoé en la prenant par le bras.
Avant de pénétrer dans le hall, elle jeta machinalement un dernier regard à la fenêtre du salon.
Toujours rien.
La tête en l’air, elle ne vit pas débouler en trombe un de leurs voisins du troisième qui faillit la renverser.
– Ah ! vous tombez bien ! J’allais justement chercher le gardien à cause de vous.
Chloé le regarda avec étonnement. Puis le prit de haut. Le bonhomme lui était antipathique. La quarantaine asexuée. Genre avorton. De plus, il était le « chieur » de l’immeuble et elles étaient dans son collimateur depuis qu’elles y avaient emménagé. « Vous avez fait du bruit cette nuit », « Dites donc, c’est un véritable moulin chez vous », ou « Vous rentrez tard ». À croire qu’il passait son temps à surveiller leurs faits et gestes. Et même pas flic ou assimilé. Un simple comptable plaqué par sa meuf et abonné au chômage longue durée vivant « chez » sa maman, veuve, elle, de gendarme.
– Qu’avons-nous encore fait, monsieur Lesiure ? lâcha Chloé en pinçant les lèvres. Aurions-nous dérangé votre môman ? ajouta-t-elle en regrettant que le feu n’ait pas pris et cramé par la même occasion la mère Lesiure aussi large et épaisse que son fils était maigrichon.
Le fils Lesiure fut déconcerté par la réponse de Chloé qui, d’habitude, ne lui répondait même pas et se contentait de hausser les épaules.
– Ça sent le brûlé chez vous…, bafouilla-t-il. J’ai pensé que vous aviez peut-être laissé quelque chose sur le feu.
– Vous avez senti ça de chez vous ? demanda Chloé en reprenant espoir et en ne pouvant s’empêcher de sourire.
– Non, non…, hésita-t-il, je descendais faire une course… C’est en passant devant votre porte…
Le sourire de Chloé s’évanouit. À cause de ce débile, les pompiers allaient intervenir avant que le feu ait eu le temps de prendre.
– Vous avez dû vous faire une idée. Nous n’avons rien laissé sur le feu.
– Pourtant, je vous assure…
– Écoutez, faites vos courses et rassurez-vous. Ma sœur et moi remontions justement chez nous.
Chloé pestait intérieurement et espérait éloigner l’importun.
– Dans ce cas…, fit à contrecœur le fils Lesiure en s’écartant pour laisser passer Chloé et Zoé.
Chloé regarda l’ex-comptable s’éloigner puis ordonna à sa sœur de rester dans le hall.
« Il faut en finir une fois pour toutes », se dit-elle en grimpant les escaliers avec résolution.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 19

Chapitre 19





À deux heures pétantes, tout était au point.
Le dépanneur avait promis de venir dans la demi-heure s’occuper de leurs pneus.
Elles faisaient donc le pied de grue devant leur box.
Chloé avait simplement dit à Zoé, après qu’elle l’eut ramenée sur terre à coups de baffes, qu’elles allaient partir.
Zoé n’avait pas fait de difficulté et pas même reproché les baffes. Quasiment reconnaissante, qu’elle était.
Et, quand sa sœur lui avait dit : « Excuse-moi, c’était pour te réveiller », Zoé avait répondu : « J’ai dormi combien de temps ? »
Elle se souvenait de rien du tout. Même pas de Jacques-Henri ni de feu Clovis. Chloé avait d’ailleurs eu toutes les peines du monde à l’empêcher d’aller « se faire une beauté » et de pénétrer dans la chambre pour se rendre à la salle de bains.
Chloé, en attendant, faisait de longues prières pour que ça marche, que la cigarette posée allumée sur la couette du lit finisse par foutre le feu à la baraque.
De toute façon, elle était bien déterminée à recommencer autant de fois qu’il le faudrait.



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jeudi 14 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Les sœurs Terrassou, rassurées de s’être confiées et mises sous la sauvegarde de la police en la personne d’Eusèbe Clovis, mais néanmoins prudentes, comptèrent une large demi-heure avant de remonter chez elles avec leur barda.
Bien décidées à respecter scrupuleusement les consignes du policier municipal, elles s’enfermèrent à double tour sitôt la porte de leur appartement refermée. Se sentant immédiatement soulagées d’être enfin à l’abri de la vindicte de Jacques-Henri.
Soulagement bien éphémère qui se transforma en totale frayeur lorsqu’elles pénétrèrent dans leur chambre pour se rendre à la salle de bains afin de prendre une douche purificatrice bien méritée.
Zoé poussa un long ululement suraigu avant de s’écrouler sur le faux parquet telle une poupée de chiffon, tandis que sa sœur, terrorisée, resta pétrifiée, ne pouvant détacher son regard de la paire de ciseaux émergeant de l’abdomen de l’Antillais inanimé.
Cette paire de ciseaux lui faisait horreur et la fascinait à la fois. Elle ne vit plus qu’elle et, tel un automate, sans prêter attention à sa sœur affalée sur le sol ni au corps du policier, marcha jusqu’au lit et la retira d’un geste brusque.
Eusèbe Clovis eut un sursaut. Il agonisait sûrement mais n’était pas encore mort.
Il fixa ses yeux vitreux sur la jeune femme et eut la force de soulever sa main droite vers elle. Comme un appel muet.
Sottement, Chloé se sentit soulagée que la blessure ne fût pas mortelle. Un instant plus tôt, elle avait cru que leur assurance vie avait viré l’arme à gauche. Mais il était encore vivant. Elles allaient appeler les secours et tout finirait par s’arranger.
Elle défit le bâillon et s’approcha du visage de l’homme au regard vitreux qui ouvrait la bouche comme un poisson hors de l’eau.
– Be… lou… Por… ni…
Chloé s’inquiéta. Eusèbe Clovis semblait bien mal-en-point et faisait des efforts désespérés pour dire quelque chose sans y parvenir.
– Bellou, j’ai compris, mais le reste ? dit-elle.
L’Antillais goba de nouveau le vide. Puis il fit un ultime effort.
– Porni…
Expirant cette fois-ci pour de bon en bavant du sang que c’en était franchement dégueulasse, pas du tout le genre de finale que l’on se souhaiterait, une odeur nauséabonde se dégageant, pour couronner le tout, de la bouche ou du ventre d’Eusèbe Clovis – Chloé ne savait plus.
Elle fila vomir dans la salle de bains mais gerba avant de l’atteindre.
Zoé choisit ce moment-là pour refaire surface parmi les « beueurk » de sa sœur, et c’est à quatre pattes – pour ne pas apercevoir le corps – qu’elle quitta tant bien que mal cette chambre des horreurs.
Les deux sœurs étaient anéanties. Jacques-Henri était on ne sait où, sûrement pas loin, et attendait le moment opportun pour leur faire subir un sort analogue à celui d’Eusèbe Clovis. Mais pourquoi s’en était-il pris à ce dernier ? Parce qu’il était un policier de la ville ? Ça n’avait aucun sens. À moins qu’il ait jugé qu’il représentait un danger quelconque pour une raison qu’elles ignoraient. Ou alors il avait voulu leur faire peur et leur envoyer un message. « Donnez-moi à la police si bon vous semble, mais expliquez-leur la présence d’un cadavre dans votre appartement. » Mais comment aurait-il deviné que c’était là leur intention ? Et, surtout, qu’Eusèbe Clovis était leur intermédiaire ? Pour ça, il aurait fallu qu’il soit doté d’un sixième sens. Ou qu’il ait pu se transformer en homme invisible et se trouver en même temps qu’elles et le policier dans le box.
« Si tu continues comme ça, ma fille, se dit Chloé, tu vas finir par dérailler complètement. Ressaisis-toi ou tu vas finir comme ta pétasse de frangine. »
Zoé était assise, recroquevillée sur elle-même, à même le sol de la cuisine, le dos contre la porte fermée. Comme si Eusèbe ou bien Jacques-Henri avait pu surgir à tout instant.
Elle était totalement sonnée et gardait le regard hagard. Ne dégoisant pas un mot depuis plus d’une heure.
Pourtant, il fallait prendre une décision. Les collègues du policier allaient finir par s’inquiéter de son absence. Bien sûr, il ne pourrait constater que son absence. Ils n’avaient aucune raison de venir le chercher chez elles.
Mais, elles, combien de temps tiendraient-elles avec ce squatter importun dont l’odeur finirait par envahir tout le deux-pièces ? Et quand elle atteindrait le palier ?
Elle songea un instant à l’idée qu’avait eue sa sœur pour se débarrasser du corps de Jacques-Henri avec son histoire de le donner à bouffer à deux molosses. C’était, tout compte fait, pas si stupide que ça, au moins une idée comme une autre. Mais, même nourris aux croquettes et sevrés de viande, est-ce qu’ils accepteraient de se morfler de la barbaque en décomposition avancée ?
En tout cas, il n’était pas question de débiter ce putain de cadavre en morceaux, même grossièrement.
Chloé imagina un instant deux bestioles affamées de la taille d’un petit veau lâchées dans la chambre. Le carnage ? À côté, Massacre à la tronçonneuse ou Le Retour des morts vivants ressembleraient à une production Disney !
Et après, quand il faudrait récupérer les bestioles, qui dit qu’elles n’auraient pas envie de se jeter sur de la viande fraîche sur pied et bien vivante ?
Pourtant, il fallait se débarrasser du cadavre. Et elles n’allaient tout de même pas se le bouffer elles-mêmes.
Zoé, si elle avait encore un neurone en activité, dirait : « Barrons-nous. »
Tu parles, en moins de deux les flics leur mettraient la main au collet.
Oui, Jacques-Henri leur avait dressé un putain de piège.
Chloé se sentit soudain très lasse. « Merde, se dit-elle, on ne mérite pas ça… »
L’idée de prier lui passa par l’esprit. « Je vais quand même pas allumer un cierge ! »
Cierge, allumer… feu !
Oui, il fallait foutre le feu, même si tout l’immeuble y passait.
Carbonisé, réduit en cendres, le cadavre d’Eusèbe Clovis serait inoffensif.
Le hic, c’est que, ne retrouvant pas leurs restes à elles dans les décombres, on les chercherait et les soupçonnerait peut-être. Quelqu’un pourrait même s’apercevoir de leur départ peu avant l’incendie. Avec le bol qu’elles avaient en ce moment, ce n’était pas impossible.
« Suffit que tout le monde crame », lui dit une petite voix intérieure.
Elle frissonna et eut une idée pour limiter la casse. Et ça leur fournirait en même temps un alibi solide.
Mais, d’abord, il fallait que Zoé recouvre ses esprits. Qu’elle reste un zombie, si ça lui chantait, mais un zombie présentable et sortable. D’ailleurs, son état présentait un avantage certain : au moins, elle ne la ferait pas chier.



© Alain Pecunia, 2010.
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samedi 9 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





Jacques-Henri Bellou était paisiblement assis dans l’unique fauteuil. Comme s’il l’attendait et était sur le point de sortir vu qu’il avait enfilé son blouson.
– Ben dis donc, elles ont un sacré bagou, tes deux thons ! lâcha Clovis faussement jovial en pénétrant dans la pièce, histoire de mettre Bellou en confiance.
– Raconte, ça m’amuse.
Le ton de sa voix était froid. Clovis sentit son assurance titubée.
– Je suis désolé, Bellou, mais tu ne peux pas rester ici. Tu comprends ?
Bellou hocha la tête.
– Tu as un point de chute ? demanda Clovis, mais il manquait de conviction.
« Normal, se dit Jacques-Henri, puisqu’il a décidé de me liquider. Bah ! après tout, je peux lui dire, ça le mettra en confiance. »
Bellou se leva lentement et alla vers la fenêtre, tournant le dos à Clovis.
– Mon vieux a une baraque à Pornic. Je peux y aller quelque temps. Il me doit bien ça vu qu’il ne s’est guère occupé de moi.
Clovis se dit que c’était le moment ou jamais. Il se pencha vers le bar pour l’ouvrir. Il planquait toujours son arme de service à l’intérieur.
Jacques-Henri Bellou se retourna à ce moment-là.
– Figure-toi, dit-il jovial, que ce con est commissaire à Nantes. C’est drôle, non ?
Eusèbe Clovis ne trouvait pas son arme.
– C’est peut-être ça que tu cherches ?
L’arme était pointée sur lui mais Bellou se tenait à distance. Même avec une bonne détente il ne pourrait le désarmer.
– Que veux-tu, dis Jacques-Henri, c’est toi ou moi… Allez, on va descendre chez les filles…
Durant la descente des deux étages, Eusèbe Clovis pria les mânes de ses ancêtres qu’un locataire quelconque se trouve dans l’escalier, même un chien ou un chat. Mais les citoyens, c’est comme la police, ils sont jamais là quand on a besoin d’eux, songea-t-il amèrement en s’efforçant de penser au soleil et à la mer des Antilles.
Bellou ouvrit la porte de l’appartement avec son double et conduisit Clovis directement dans la chambre des filles.
Il lui ordonna de s’allonger sur le lit puis lui tendit un foulard qui traînait sur le dos d’une chaise pour qu’il se bâillonne lui-même.
Ensuite, il lui lia les poings et les pieds avec le tissu d’une robe qui avait été oubliée dans le placard.
Il alla farfouiller dans la cuisine et revint avec une paire de ciseaux.
Eusèbe Clovis ouvrit des yeux exorbités de douleur et de terreur et perdit connaissance lorsqu’il vit la paire de ciseaux dépasser de son propre abdomen.
– Désolé, marsouin, dit Bellou en prenant un air faussement navré.


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vendredi 8 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 16

Chapitre 16





Eusèbe Clovis monta les quatre étages sans se presser. Il fallait qu’il prenne le temps de réfléchir. Plus précisément, car sa décision était prise, d’examiner comment il s’y prendrait pour se débarrasser de Bellou sans qu’il se méfie. Ensuite, il se donnait la matinée pour résoudre le problème des deux sœurs. Mais il lui serait facile de les emmener dans un endroit tranquille sous prétexte de les mettre au vert. Et peut-être même qu’elles lui offriraient le grand jeu par gratitude avant d’y passer.
Eusèbe Clovis atteignit son palier avec une certaine appréhension. On lui avait appris à tuer, pas à assassiner.
Mais il n’avait pas le choix.



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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Jacques-Henri Bellou, de la fenêtre de la salle, n’apercevait que le parking et la rangée de toits des box. Et c’est bien des box que Clovis revenait quand il le vit réapparaître. Cette fois-ci, il était sans les deux frangines. Mais trois quarts d’heure plus tôt, il avait suivi le chemin inverse en leur compagnie. Et, en trois quarts d’heure, elles avaient eu le temps de lui servir une sacrée salade.
Jacques-Henri se mit sur ses gardes. Le danger, pour l’instant, n’était plus incarné par les deux sœurs démoniaques mais par Clovis. Que savait-il et comment allait-il réagir ?



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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 14


Chapitre 14





En sortant du hall de l’immeuble, à sept heures cinq, pour sa demi-heure de footing quotidien immuable, Eusèbe Clovis marqua un temps d’arrêt quand il vit les deux sœurs Terrassou sortir de leur box et se précipiter vers lui telles deux naufragées apercevant la bouée salvatrice.
Il était satisfait du petit numéro qu’il avait mis au point avec Bellou, mais il ne pensait pas qu’il produirait un tel effet.
« Elles ont dû avoir une sacrée pétoche pour passer leur nuit là-dedans ! » se dit-il en souriant. Sourire que Zoé et Chloé prirent pour un encouragement.
– Il faut que nous vous parlions, monsieur Clovis, dit Chloé d’un ton tout empreint de gravité. C’est important. Mais pas ici…
Il se laissa entraîné, amusé et curieux, par les deux sœurs jusqu’à leur box.
Quand elles refermèrent la porte basculante et qu’il se retrouva avec elles dans la pénombre, l’une des réflexions de Bellou lui revint à l’esprit. « Faut quand même faire gaffe avec elles. Elles sont complètement tordues. »
Trois quarts d’heure plus tard, après les avoir écoutées de plus en plus attentivement, il était convaincu qu’elles étaient effectivement tordues. Mais elles n’étaient pas les deux seules et il avait hâte d’avoir une franche explication avec le marsouin Bellou.
– Qu’est-ce que vous allez faire pour nous aider, monsieur Clovis ? demanda anxieuse Chloé.
– On vous a tout dit, je vous le jure, surenchérit la cadette qui n’en menait pas large.
Le policier municipal Eusèbe Clovis pensait depuis un bon moment que tout cela n’était pas de son ressort ni même de celui du commissariat. Il se serait d’ailleurs bien passé des confidences des deux jeunes femmes concernant les deux crimes jusqu’alors inexpliqués. Et, si elles disaient vrai – et ce devait l’être tout au moins en partie –, il abritait l’auteur des deux crimes chez lui depuis presque quarante-huit heures.
Bref, sa carrière peinarde était plus que compromise et il se voyait déjà en train de signer sa lettre de démission.
– Écoutez, finit-il par dire, vous ne pouvez pas rester ici. Vous allez finir par attirer l’attention sur vous (et sur moi, pensa-t-il in petto). Moi, je monte me changer et je pars débrouiller l’affaire au commissariat. Vous attendez une petite demi-heure avant de rentrer chez vous (j’ai vraiment pas envie qu’on me voie avec elles et j’ai besoin d’un peu de temps) et vous attendez mon retour sans répondre à personne. Mais ne vous inquiétez pas, tout ira bien, ajouta-t-il pour les rassurer tout en pensant qu’il devait surtout s’inquiéter pour lui
.


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jeudi 7 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 13


Chapitre 13





Les sœurs Terrassou, après un moment de totale panique, avaient décidé de s’enfermer dans le box pour le restant de la nuit. En utilisant la corde ayant servi à ligoter Jacques-Henri, elles avaient réussi à bloquer l’ouverture de l’intérieur en passant la corde autour de la barre inférieure de la porte basculante et en la fixant sur la boule d’attelage de la BM. Puis elles s’étaient enfermées dans leur véhicule. Blotties l’une contre l’autre sur le siège arrière pour se rassurer. Sans pour autant oser s’assoupir.
Zoé semblait résignée à son sort. Elle ne voyait pas par quelle magie sa sœur pourrait les sortir de ce mauvais pas. Elles avaient été conduites à refermer elles-mêmes leur propre piège.
En passant le reste de la nuit dans le box, elles échappaient à Jacques-Henri, mais, au matin, dès qu’elles mettraient le nez dehors, elles tomberaient sûrement sur les collègues d’Eusèbe Clovis. Et, en plus, elle sentait qu’elle allait avoir ses règles et être malade comme d’habitude.
Chloé n’était guère plus optimiste tout en recherchant désespérément une issue. Elle se souvenait d’un truc qu’elle avait appris à l’école, une histoire de type coincé entre deux rochers et que dans les deux cas c’est la cata. C’était comme avoir à choisir entre la peste et le choléra. Mais il n’y avait pas moyen de ne pas choisir. Exactement comme lorsqu’elle était coincée entre l’ogre et les « gagnants ».
« La peste et le choléra ne me lâcheront jamais », se dit-elle amère.
Un moment, elle se laissa aller à rêver qu’elles se trouvaient toutes deux, non pas piégées dans ce foutu box, mais installées dans une cabane haut perchée dans un arbre. Presque à toucher les nuages et, en tout cas, hors de portée de tout adulte.
Gamine, c’était souvent son rêve refuge. Et elle disait à Zoé que les petits oiseaux viendraient les nourrir.
– C’est comme un nid, alors ? avait dit Zoé.
– Oui, comme un nid.
Chloé sentit les larmes lui monter aux yeux et la gorge se serrer.
« Putain d’espèce humaine ! se dit-elle. C’est la seule race de bêtes qui saccage ses propres nids. Pourquoi qu’on est nées petites filles Zoé et moi ? Pourquoi qu’on a pas eu la chance d’appartenir à une autre race ?… »
Chloé ravala ses larmes en reniflant.
– Tu préfères la peste ou le choléra ? demanda-t-elle brusquement à sa sœur.
– Ben, je sais pas…, hésita Zoé surprise.
– Moi non plus, trancha sa sœur. Mais quand on a le choix qu’entre deux bâtons merdeux, il faut choisir le moins merdeux.
– Et comment tu fais, toi, pour savoir avant ?
– Tais-toi, je réfléchis à haute voix. La peste et le choléra, t’en meurs pareil. Mais Jacque-Henri et Eusèbe Clovis, c’est pas pareil. Le premier est un serpent vénéneux. Le second est policier…
– Ben, jusqu’à maintenant, je ne vois pas où est ta différence, la coupa Zoé. Un flic c’est aussi un serpent et en plus c’est sournois.
– Oui, mais c’est un serpent que l’on peut charmer…
– Tu veux qu’on se tape l’Antillais ? dit Zoé en se redressant, tout émoustillée par le sous-entendu de sa sœur.
– Accessoirement, fit sa sœur en haussant les épaules. Mais un flic, ça se charme en lui offrant un coupable.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Zoé soudain inquiète.
– Ben, qu’on va offrir Jacques-Henri à Eusèbe…
– Mais t’es devenue folle ! s’insurgea sa sœur.
– Pas le moins du monde, ma chérie… Écoute-moi, plutôt. Un, on va voir Eusèbe Clovis ou on le chope quand il va partir bosser tout à l’heure. Deux, on lui raconte les horribles crimes du Jacques-Henri…
– Mais il va dire qu’on était avec lui, cet enculé, et nous on va écoper ! T’es devenue dingue…
– Oui, mais le juge retiendra que nous l’avons dénoncé et nous dirons qu’il nous forçait à l’accompagner, qu’il nous terrorisait.
– T’es folle !
– Nous aurons le minimum…
– Mais j’veux pas finir en taule, moi ! brailla Zoé en secouant sa sœur par l’épaule. Et les petits vieux qu’on michetonnait et qu’on a plumés avec son aide, hein ?
– Il nous obligeait à commettre plein de vilaines choses sous la menace, répondit Chloé impassible.
Zoé se rencogna boudeuse contre la vitre.
– Moi je marche pas, dit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
– Ma chérie, il n’y a pas trente-six solutions et c’est la seule qui nous permette de nous débarrasser de Jacques-Henri à moindres frais et de repartir à zéro. D’ailleurs, je me permets de te rappeler que c’est toi qui l’as aguichée…
– Eh ! dis, ça t’a pas déplu et il nous a vachement aidées…
– Laisse-moi faire, conclut Chloé en posant sa main sur le bras de sa sœur.



© Alain Pecunia, 2010.
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mercredi 6 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12





– Qu’est-ce que tu crois qu’elles vont faire quand elles vont découvrir les pneus ? demanda Jacques-Henri Bellou.
– En tout cas, elles vont pas se tirer sur trois pattes, répondit Eusèbe Clovis. Je ne les vois pas non plus partir à pied dans la nuit. Donc, elles remontent chez elles. Et elles attendent la suite des événements avec la pétoche au ventre car elles savent que tu es là à rôder.
Ils étaient tous deux allongés habillés sur le lit du policier municipal.
– C’est trop simple, fit Jacques-Henri après un long silence. Elles sont imprévisibles et dingues.
– T’inquiète. Essaie de dormir un peu. Demain, elles seront toujours là.



© Alain Pecunia, 2010.
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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





Un peu avant deux heures du matin, les sœurs Terrassou descendirent les deux étages. Elles ne portaient chacune qu’un grand sac de voyage en toile noire contenant l’essentiel de leurs effets.
Chloé était tendue et Zoé faisait la gueule. Elle aimait bien Deauville et n’appréciait pas que sa sœur ait refusé de lui dévoiler leur destination.
L’aînée bascula la porte du box avec appréhension. Elle virait parano avec toutes ces histoires des mille et une façons de donner la mort subrepticement dont les bassinait parfois Jacques-Henri en leur racontant ces années d’infanterie de marine.
Elle haussa les épaules. Ce con, il avait pas les moyens de se procurer des explosifs.
« Tu sais, on peut faire des explosifs avec quasiment n’importe quoi. Tu peux tout trouver au supermarché. » Elle crut entendre sa voix et sentait sa présence. Elle réprima un frisson.
« Merde, se dit-elle. Il peut pas être plus terrible que l’ogre et, lui, j’ai fini par le baiser. »
Chloé devait réfléchir pour deux car sa sœur était totalement inconsciente du danger.
Elle n’eut même pas le temps de lui dire de faire gaffe en ouvrant grand le coffre qui ne fermait plus que Zoé avait déjà jeté son sac à l’intérieur.
Mais rien ne se produisit.
De toute façon, se dit-elle, Jacques-Henri n’était pas assez con pour faire sauter la bagnole dans le box. Il devait bien se douter que la police remonterait à lui directement.
Chloé se sentit soulagée. Elle pouvait démarrer sa voiture sans crainte. Mais elle sentit que quelque chose clochait quand elle posa son sac dans le coffre. Sa BM lui paraissait plus basse, légèrement.
Elle pensa immédiatement à un pneu crevé et pesta intérieurement contre ce contretemps tout en se penchant vers le pneu arrière droit.
– Merde, dit-elle à haute voix, on a un pneu entièrement dégonflé.
Elle frissonna en découvrant qu’il avait été volontairement crevé. L’incision sur le flanc était béante.
Zoé, qui avait pris place au volant, sortit du véhicule et rejoignit sa sœur. Elle ne put s’empêcher de jeter un regard craintif vers l’extérieur.
– Tu surveilles dehors et moi je change la roue, lança Chloé la voix tendue de nervosité.
Mais son cœur se mit à battre la chamade dès qu’elle eut dégagé la roue de secours.
Elle aussi était éventrée.
– Saloperie !
– Quoi ? fit sa sœur en se retournant vers elle.
Zoé n’avait jamais vu son aînée paniquer en quoi que ce soit. Toujours elle faisait face et savait trouver la solution, même dans les situations les plus limites – et Dieu sait qu’elles en avaient vécu ! Mais, là, l’expression du regard de Chloé ne trompait pas. Zoé en fut même choquée. Elle la sentait sur le point de craquer.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Zoé inquiète en se dirigeant vers elle.
Sans un mot, sa sœur lui désigna l’intérieur du coffre.
– L’enflure ! cria Zoé d’une voix suraiguë en découvrant le pneu éventré.


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mardi 5 octobre 2010

Noir Express : "Un été pourri", par Alain Pecunia, sur Feedbooks

Un été pourri est à présent disponible en téléchargement gratuit sur Feedbooks : http://fr.feedbooks.com/



Gustave Lebreton, flic parisien placardisé en raison de son franc parler et de sa manie de vouloir mener ses enquêtes jusqu’à leur terme, se rend à Bernay pour répondre à la demande d’aide angoissée de son grand amour d’enfance, la ravissante Claire, qui a épousé son rival d’antan, François Ticheux. Lequel aurait mystérieusement disparu.
Impuissant devant cette énigme qui le dépasse rapidement, Gustave Lebreton se retrouvera ballotté entre Claire, ses souvenirs d’enfance et la légendaire « perspicacité » des gendarmes…

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Au quatrième étage, Eugène Clovis et Jacques-Henri Bellou en étaient à leur troisième bière.
– Je te revaudrais ça, tu sais ?
– Arrête, Bellou, ça fait dix fois que tu me répètes ça. Entre anciens du 1er RIMA, on se doit bien ça. On est des marsouins, non ! On s’entraide sans poser de questions.
– Ouais, et je dois à ce putain de stage de survie à Djibouti de m’en être sorti.
– Allez, une dernière, dit Clovis en se levant de son fauteuil pour aller chercher deux canettes fraîches. Après, on passe aux choses sérieuses. J’espère que je serai pas trop rouillé. Moi, ça fait huit ans que j’ai retrouvé la vie civile et c’est pas dans la municipale qu’on a l’occasion de démontrer son savoir-faire.
– T’inquiète, on n’a affaire qu’à deux pétasses.
– Ouais, n’empêche que tes deux thons t’ont pêché comme un bleu.
– Elles m’ont prises en traître, les salopes. Mais, là, elles vont souffrir !
– Attention, Bellou. Tu règles tes affaires, tu leur donnes une bonne leçon, mais tu te contrôles, tu ne vas pas trop loin. C’est notre accord, hein ! Moi, je suis quand même flic et je ne veux pas perdre mon job.
– T’inquiète, Clovis, juste une petite mais bonne leçon.


© Alain Pecunia, 2010.
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lundi 4 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





Chloé poussa sa sœur larmoyante à l’intérieur de l’appartement en la bousculant. « T’exagères », répétait plaintivement Zoé prête à parer la prochaine baffe. Qui ne vint pas. Pourtant l’envie n’en manquait pas à Chloé qui préférait toutefois se concentrer sur l’urgence de la situation plutôt que de perdre plus de temps avec sa tarée de frangine indécrottable.
Mais elle crut bon de lui récapituler la situation.
– Le Jacques-Henri s’est fait la malle et il est bien placé pour savoir que notre intention était de l’occire. Et m’est avis qu’il nous attend au tournant.
Chloé marqua une pause, avec le faible espoir que sa sœur touche terre.
– Ça, c’est la première cata. La seconde, c’est le bellâtre du quatrième qui se doute de quelque chose et que tu as mis sur la piste avec ton quasi-aveu.
Chloé ne cessait de tourner en rond autour du sofa où était affalée Zoé. Quand elle marchait, ça l’aidait toujours à réfléchir.
Au neuvième tour, elle stoppa net devant sa sœur et se campa les mains sur les hanches.
Sa décision était prise.
– On se taille cette nuit, lança-t-elle d’un ton sans réplique.
Zoé sursauta de surprise.
– Mais pourquoi, on est bien ici…, objecta-t-elle en prenant son ton de pucelle pleurnicheuse qui avait le don d’énerver son aînée.
Chloé resta coite un instant devant autant de conneries à l’état brut. « Même pas le QI d’un chiot », se dit-elle en haussant les épaules.
– Si on reste ici, reprit-elle patiemment, le Clovis va alerter – si ce n’est déjà fait – sa hiérarchie demain matin et les flics vont nous cuisiner…
– Mais il n’a que des doutes et pas de preuves, la coupa Zoé.
– Oui, mais toi tu ne tiendras pas ta langue cinq minutes s’ils t’interrogent. Alors on part cette nuit et on disparaît dans la nature, en mettant de la distance entre nous et tout ce joli monde.
Elle consulta sa montre-bracelet.
– Il est presque neuf heures. À deux heures on se tire de là avec juste le nécessaire. C’est comme ça et tu ne discutes pas.
Sa sœur renifla et fit oui de la tête. À contrecœur.


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Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





Quand Eusèbe Clovis ouvrit la porte de son appartement, il eut un clin d’œil complice pour l’homme qui se tenait dans le couloir et l’interrogeait muettement du regard.
– T’inquiète, Bellou, elles n’en mènent pas large, les tarées. Elles vont perdre les pédales dans pas longtemps.


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vendredi 1 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 7

Chapitre 7





Chloé descendit l’escalier en se disant qu’une fois débarrassées du Jacques-Henri, il leur faudrait changer de région au plus vite. Que le coin devenait malsain pour elles. Elles pourraient au moins aller se mettre au vert quelque temps.
Elle n’avait pas encore d’idées bien précises de leur future destination quand elles arrivèrent devant la porte du box, Zoé piétinant sur place d’impatience comme lorsqu’une envie pressante la prenait.
– T’inquiète, dit Chloé en sélectionnant la clé du box sur son trousseau, le colis est toujours là.
Avant même qu’elle ait mis la clé dans la serrure, Zoé appuya sur le haut de la porte comme si cela eût pu accélérer son ouverture.
Chloé allait lui dire : « Tu te calmes ! », quand elle reçut le bas de la porte basculante dans le genou droit.
– Merde ! jura-t-elle en se frottant l’os.
Sa sœur la contemplait, effarée.
– Mais on avait fermé ! lâcha celle-ci.
Toutes deux sursautèrent en même temps.
– Un problème, les petites dames ?
Zut ! c’était l’Antillais du quatrième toujours prêt à rendre service.
Zoé se remit à piétiner sur place. Sa sœur la fusilla du regard. Elle la sentait paniquer.
Eusèbe Clovis les écarta de son autorité naturelle de policier municipal et termina de basculer la porte du box.
– Ben, mes petites dames, c’est pas prudent de laisser son coffre ouvert, surtout lorsqu’on a oublié de fermer son box ! s’exclama-t-il.
Le réverbère extérieur éclairait faiblement l’intérieur du box. Suffisamment, toutefois, pour dévoiler le contenu du coffre.
– Ben dites donc, vous en avez de la corde là-dedans ! dit Eusèbe Clovis tout en dodelinant du chef et poussant un sifflement de perplexité.
Zoé piétinait de plus belle et se sentait au bord de la crise de nerfs. Chloé, elle, était scotchée sur place.
Eusèbe Clovis tenta de refermer le coffre qui refusa de se fermer. Puis il se gratta longuement son crâne rasé.
– Je comprends pas, dit-il en se tournant vers les deux sœurs. On dirait que votre coffre a été forcé de l’intérieur…
Chloé déglutit difficilement et prit son courage à deux mains.
– Il est resté coincé l’autre jour et j’ai dû le forcer pour l’ouvrir. Depuis, il ferme mal, lâcha-t-elle d’une traite d’une voix penaude.
Eusèbe Clovis tenta de le fermer en force.
– Il ferme même plus du tout, constata-t-il à la troisième tentative. Moi, à votre place, je ferais réparer au plus vite… Si vous voulez, demain j’essaierai de le faire…
– C’est gentil. On verra ça demain, s’empressa de répondre Chloé.
– Vous sortiez ? demanda le policier municipal en fixant le visage hébété de Zoé.
– Non, nous avions oublié quelque chose dans la voiture, dit Chloé en tentant de ficher la clé dans la serrure de la portière et qui ne parvenait pas à maîtriser son tremblement nerveux.
« Il faut que je trouve quelque chose, putain de merde », se dit-elle quand elle y fut enfin parvenue.
Elle farfouilla dans l’habitacle et extirpa une boîte de mouchoirs en papier de sous le siège passager.
– Voilà ! dit-elle triomphante après avoir refermé la voiture et en brandissant la boîte sous le nez d’Eusèbe Clovis.
Qui la regardait avec étonnement.
– Je l’avais oubliée sous le siège, se crut-elle obligée de préciser.
Le policier municipal haussa les épaules et resta planté auprès des deux jeunes femmes.
– Poussez-vous, lui dit Chloé en le bousculant presque. Je vais refermer.
Eusèbe Clovis se recula légèrement. Chloé fit basculer la porte du boxe, mit la clé dans la serrure en tournant le dos à l’Antillais et sentit que la clé tournait dans le vide.
Sans se démonter, elle fit volte-face et planta son regard dans celui du policier municipal.
– Voilà ! c’est fermé. Merci encore pour votre aide, monsieur Clovis, dit-elle en restant plantée devant la porte.
Eusèbe Clovis eut une moue dubitative.
– Vaut mieux vérifier, dit-il en joignant le geste à la parole et appuyant des deux mains sur le haut de la porte basculante après avoir contourné Chloé qui s’esquiva prestement pour ne pas recevoir le bas de la porte dans les jambes.
– Votre serrure a été forcée, lâcha Eusèbe Clovis tout en examinant la serrure à l’envers et à l’endroit. C’est bizarre, de l’intérieur elle aussi…
Le policier, perplexe, se gratta de nouveau son crâne rasé. Son regard allant et venant entre la serrure de la porte et le coffre de la BM.
Puis il entreprit de faire le tour de la voiture, s’agenouillant à deux reprises.
– Vous n’auriez pas une lampe de poche, par hasard ? demanda-t-il en se redressant. Dans cette obscurité, je vois rien.
– Non, répondit sèchement Chloé. On pourrait peut-être voir ça demain au grand jour, vous ne croyez pas ?
– Bah ! ça n’a pas d’importance, fit le policier municipal en frottant le bas de son pantalon et sortant du box au grand soulagement des deux sœurs, surtout de Zoé qui était au bord de la syncope.
Chloé s’empressa de basculer la porte, remerciant de nouveau Eusèbe Clovis de sa serviabilité.
– C’est quand même bizarre, dit-il comme pour lui-même tout en fouillant du regard les alentours.
Puis, consternées, les deux sœurs le virent faire trois enjambées, apercevant dans le même temps l’objet de la convoitise d’Eusèbe Clovis : un long tournevis à manche de plastique rouge que Zoé laissait toujours traîner dans le coffre.
Elles le virent le ramasser et se redresser en le brandissant victorieusement à bout de bras.
– C’est ça que je cherchais ! exulta-t-il.
Il mit le tournevis sous le nez des deux sœurs.
– Je parie que c’est avec ça que l’on a forcé la serrure de votre porte de parking !
– Vous croyez ? demanda d’un ton neutre Chloé.
– Sûr ! répondit le policier. Et il ne serait pas à vous, par hasard ?
– Non, il n’est pas à nous.
– Dommage, ça aurait expliqué que la serrure soit forcée de l’intérieur.
Eusèbe Clovis ne cachait pas sa déception.
Il tapotait machinalement le tournevis dans la paume de sa main.
– Peut-être, après tout, qu’elle a été forcée de l’extérieur, fit-il résigné.
– Ce serait plus normal ! crut malin d’intervenir Zoé qui avait repris ses esprits. Pour ouvrir de l’intérieur, il aurait fallu que quelqu’un soit enfermé dans le box, non ?
Le policier municipal la regarda avec un air faussement surpris, tandis que sa sœur fermait les yeux en se disant qu’il n’était pas possible d’être plus conne.
– Laisse tranquille M. Clovis avec tes divagations, Zoé, intervint-elle. Monsieur nous a aidées. Merci. Et maintenant chacun remonte chez soi. Demain sera un autre jour.
Zoé prit une moue boudeuse sous la réprimande de son aînée. Vexée d’être rabrouée devant un mec qui était super bien bâti et qu’elle trouvait follement excitant. Sauf qu’il était flic et que Chloé lui avait toujours interdit de faire copain-copain avec les flics, excepté en cas d’extrême nécessité.
– Non, non, fit Eusèbe Clovis en hochant énergiquement la tête. Votre sœur ne divague pas. Elle a tout à fait raison. Seulement, le box est si petit qu’il est impossible de se dissimuler volontairement à l’intérieur et donc de s’y faire enfermer. Sauf…
Il laissa sa phrase en suspens et, impassible, considéra l’effet produit sur les deux sœurs. Dévastateur.
– Bon, suffit pour ce soir. Ça peut attendre demain… Au fait, votre ami n’est pas avec vous ? conclut-il à leur stupéfaction en prenant congé, satisfait de lui-même et s’éloignant à grandes enjambées.
Chloé retint sa cadette par le bras et laissa Eusèbe Clovis disparaître dans le hall d’entrée de l’immeuble avant de lui balancer une gifle magistrale.
– T’es contente de toi, pétasse ?



© Alain Pecunia, 2010.
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