dimanche 30 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





La surveillance fut renforcée de jour comme de nuit dans un périmètre délimité par le boulevard de Grenelle, l’avenue de La Motte-Picquet, le boulevard de La Tour-Maubourg et la Seine. La BAC des deux arrondissements concernés par le dispositif, le XVe et le VIIe, en constituait le pivot, renforcée par deux équipes « volantes » de vététistes et de rolleristes de la police de six hommes – et femmes – chacune. Que la hiérarchie pensa à mettre en civil pour la nécessaire discrétion.
Le capitaine Cavalier coordonnait le dispositif de nuit. Le commissaire Antoine, qui en avait fait une question personnelle depuis le dernier meurtre, celui de jour.
Mais rien ne se produisit, et, dix jours plus tard, le lundi 21 septembre, il fut décidé d’alléger le dispositif dès le lendemain.
Parallèlement, la quête sur la provenance des couteaux menée par le lieutenant Lenoir n’avait toujours pas abouti. Antoine et Cavalier en vinrent à penser qu’il s'était peut-être agi de crimes ponctuels. Que la série s’arrêtait à trois.
Le mercredi 23, après sa première bonne nuit de sommeil depuis la découverte du premier corps, Isabelle Cavalier songea à Euh-Euh, qui était resté « prisonnier » tout ce temps chez ses parents. « Le pauvre, ça a dû lui sembler une éternité que de ne pouvoir sortir selon son humeur, se dit-elle. Il a sûrement vécu cette réclusion comme une punition. »
Elle s’en sentait responsable et décida qu’il lui fallait faire quelque chose pour se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qu’elle éprouvait à l’égard de Euh-Euh.
Son mari jugea que c’était idiot, qu’elle n’y était pour rien. Mais il savait qu’Isabelle suivait toujours ses « impulsions ». – Une fois, il avait utilisé le terme « tocades » et s’en était mordu les doigts durant toute une semaine.
Isabelle Cavalier se rendit à pied chez les Dutour, rue Amélie. Elle sonna à la porte de leur appartement vers onze heures.
Paulette Dutour l’accueillit avec inquiétude et ne se détendit que lorsque le capitaine Cavalier lui eut expliqué l’objet de sa visite.
– C’est très gentil à vous, mais il ne fallait pas vous inquiéter pour Patrice. Vous savez, il n’a même pas essayé de sortir. Comme s’il avait compris notre conversation de l’autre jour et qu’il pouvait être victime à son tour.
Patrice Dutour apparut dans l’embrasure de la porte du salon. Les bras ballants mais sans gants. Son sourire épanoui sur sa face lunaire.
Il manifesta sa satisfaction de revoir Isabelle Cavalier. Se tapotant la poitrine.
– Euh-euh…
Mme Dutour traduisit pour Isabelle.
– Quand il fait ça, il veut dire : « C’est moi. » En général, quand il a réussi ou fait quelque chose de précis, car, sinon, vous savez, il est plutôt du genre contemplatif. Il passe son temps à observer. Mais, là, il doit vouloir vous dire qu’il a fait quelque chose dont il est satisfait… Ah ! mon pauvre chéri !
Paulette Dutour était très contente d’apprendre qu’il n’y avait, pour ainsi dire, plus de crainte à avoir. Que c’était très gentil de la part du capitaine de s’être déplacée personnellement. Mais qu’elle aurait pu, tout simplement, téléphoner.
Isabelle Cavalier lui proposa d’emmener déjeuner Patrice dans le quartier. Que ça lui faisait plaisir. Qu’elle y tenait beaucoup, même.
– C’est pas si souvent que mon Patrice a de telles invitations… Mais, vous savez, il se tient très bien. Il est juste un peu lent.
Puis elle expliqua à son Patrice qu’il allait manger dehors avec la dame.
Il donna l’impression d’en être très satisfait.
– Euh-euh…
Plusieurs fois.
Isabelle et Euh-Euh se rendirent au Relais angevin, qui avait rouvert récemment depuis sa fermeture début août à la suite de l’arrestation de la « bande du Relais angevin » et pour cause d’« absence temporaire » du patron, Gérard Langlot
*.
Euh-Euh semblait très fier d’être au restaurant avec une dame. Il se tint à la perfection.
Comme on était mercredi et qu’il n’avait pas cours, Isabelle Cavalier ne fut pas surprise de voir Philippe-Henri les rejoindre.
Elle présenta Euh-Euh à Phil, mais ils semblaient déjà se connaître. Ce qui était logique vu que l’agrégé de lettres avait toujours vécu dans le quartier et que Patrice Dutour y était connu comme le loup blanc.
Phil ne semblait pas avoir de problème de communication avec Euh-Euh. Et vice versa. Ce qui étonna Isabelle.
Elle nota que Patrice semblait moduler ses « euh-euh… » et que Phil en percevait les nuances.
Ils partirent dans une grande explication à laquelle elle ne comprit strictement rien. Mais, à voir le visage attentif et soucieux de Phil, celui-ci paraissait parfaitement suivre. Surtout lorsque Euh-Euh se tapota la poitrine.
Phil ne répondait pas par des « euh-euh… » mais par des mines, des moues, des mouvements de sourcils, des hochements de tête très expressifs – tout au moins pour Patrice.
Isa, en tout cas, se sentait parfaitement exclue de leur échange.
Les deux hommes la raccompagnèrent ensuite jusqu’en haut de la rue Cler et, quand elle se retourna, elle les vit prendre ensemble la direction des Invalides. Ils semblaient lancé dans une grande discussion gestuelle.
* Voir Cadavres dans le blockhaus, Sous le signe du rosaire et Sans se salir les mains.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

samedi 29 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 5 (suite et fin)

Chapitre 5 (suite et fin)





Les parents de Patrice furent surpris de découvrir leur fils au bras d’une charmante jeune femme lorsqu’ils ouvrirent leur porte à Isabelle.
– Il n’a pas fait de bêtise, au moins ? s’enquit aussitôt sa mère.
Isabelle Cavalier la rassura.
– Oh ! pas le moins du monde, madame. Votre fils ne ferait pas de mal à une mouche.
– Oh ! ça, vous pouvez le dire !
Après s’être présentée, Isabelle expliqua gravement que Euh-… – Patrice, voulait-elle dire – avait été le témoin bien involontaire d’un crime.
Gros émoi de la maman. C’était compréhensible.
Elle appela son mari. Qui les rejoignit.
Re-explication. Et puis prendre des précautions avec ce tueur qui rôdait tant qu’il n’aurait pas été arrêté. Un maniaque du couteau.
Il serait donc sage que Patrice ne sorte pas pendant un certain temps.
Louis Dutour allait dire que, justement, comme c’est étrange, il avait découvert que cinq de ses couteaux – les couteaux de boucher de son père – avaient disparu, précisément…
Le capitaine Cavalier avait senti que M. Dutour souhaitait prendre la parole et elle lui adressa un sourire d’encouragement car il semblait être un homme timide ou réservé.
Mais sa femme reprit la parole.
Louis Dutour avait l’habitude que Paulette monopolise la conversation. Et puis, à quoi bon ennuyer un capitaine de la Criminelle, qui avait ces horribles crimes à résoudre, avec cette histoire de couteaux disparus ?
Paulette, justement, était en train de parler de la mort de la petite voisine du dessus, celle qui se droguait.
– Elle était toujours très gentille avec Patrice. Elle lui faisait la bise et se promenait parfois avec lui. Eh bien, quand il est apparu évident qu’elle se droguait et que ça allait de mal en pire pour elle, Patrice en a semblé très perturbé. Mais, curieusement, quand elle est morte, il y a juste quatre mois, eh bien, il n’a pas eu de réaction. Comme s’il était totalement indifférent ou ne réalisait pas ce qui était arrivé. C’est curieux, n’est-ce pas ?
– Et de quoi est-elle morte ?
– Oh ! un malheur… Une overdose…
Après le départ du capitaine, Louis Dutour reprocha à sa femme d’avoir ennuyé le capitaine avec l’histoire de la mort de la petite voisine. Puis il lui dit que, quand même, il aurait pu lui parler de cette histoire de couteaux disparus.
Celle-ci haussa les épaules.
– Mais, mon pauvre Louis, quel rapport avec les couteaux à désosser de ton père ?
C’était vrai.
Les médias, à la demande de la police, s’étaient faits discrets sur ces trois meurtres. Qui avaient été traités comme de banals faits divers. Des règlements de comptes entre petits trafiquants.
Il ne fallait pas inquiéter inutilement la population des « beaux quartiers ».
De toute façon, les médias ignoraient qu’il s’agissait de couteaux à désosser. Les services de police concernés avaient préféré garder le silence sur ce point.
Le patron de la Crim avait estimé que c’était leur botte secrète. Que lorsqu’ils auraient identifié la provenance de ce type d’« arme », ils auraient fait un grand pas dans l’enquête.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 28 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 5

Chapitre 5





Euh-Euh resta à regarder les policiers chercher des indices dans la zone présumée du lieu du crime même après que le corps eut été emporté à l’institut médico-légal.
Parfois, ils devaient l’écarter du périmètre. « Euh-Euh, ne reste pas dans nos pattes », « Euh-Euh, traîne pas par ici »…
Euh-Euh était d’une patience infinie.
Il cherchait à comprendre le sens de tout ce remue-ménage. Il aurait bien aimé faire comme eux et les aider à chercher. Mais ils ne semblaient pas vouloir qu’on les aide.
Vers dix-sept heures, deux heures plus tard, le capitaine Cavalier décida de prendre du champ et de rentrer. Elle voulait revoir tout le dossier à tête reposée. Faire son boulot d’analyse et de déduction.
C’était étrange car elle avait le sentiment à la fois d’être très proche de la solution et d’en être éloignée. Il y avait quelque chose d’évident dans ces meurtres qu’elle n’arrivait pas à saisir.
Elle passa près de Euh-Euh et eut l’idée, puisqu’elle se rendait chez Phil – Philippe-Henri Dumontar, l’homme qu’elle aurait aimé avoir pour père et qui était à la fois le parrain et le Papy de sa fille qui venait d’avoir trois ans le 23 août dernier – de raccompagner Patrice Dutour chez lui.
D’ailleurs, elle aurait dû le faire raccompagner chez lui dès le début. Où avait-elle la tête pour ne pas y avoir pensé ? Peut-être à cause d’Antoine qui avait voulu faire tout son cinéma et s’était planté. Parfois, elle le trouvait impossible.
Pourtant, elle était surprise que Euh-Euh n’ait pas paru le moins du monde perturbé après avoir assisté à un tel crime. Ne ressentait-il rien ? Intériorisait-il tous ses sentiments ?
En tout cas, elle aurait dû le faire raccompagner.
Rétrospectivement, elle se dit qu’il avait bien eu de la chance que l’assassin ne s’en prenne pas à lui, le seul témoin de son crime. Elle en frissonna.
Mais oui, c’était évident ! L’assassin connaissait Euh-Euh et savait qu’il ne pourrait jamais témoigner. Qu’en conséquence, le meurtrier habitait le quartier. Qu’il était peut-être un membre de la « bande tricolore ». Ou un ancien habitué du Relais angevin
Le capitaine Cavalier était fière de son raisonnement.
Elle avait – enfin ! – un début de piste.
Euh-Euh lui avait porté chance. Mais il faudrait qu’elle dise à ses parents – qui devaient sûrement être de bien braves gens – de le surveiller un peu plus ces temps-ci avec ce tueur qui rôdait dans le quartier.
Elle lui sourit et le prit par le bras après lui avoir dit, gestuelle à l’appui, qu’elle le raccompagnait chez lui en voiture.
Patrice Dutour parut enchanté de l’idée.
Il tapota du plat de sa main droite sa poitrine. Plusieurs fois. Répétant : « Euh-euh… » avec insistance. Comme voulant signifier : « C’est moi ». Ou quelque chose d’approchant. Isabelle Cavalier n’était pas bien sûre de l’interprétation à donner.
– Mais oui, Euh-Euh, c’est toi, dit-elle à tout hasard.
Mais elle devait avoir vu juste car il manifesta une grande satisfaction par une litanie de « euh-euh… ».



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mercredi 26 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 4 (suite et fin)

Chapitre 4 (suite et fin)





Le capitaine Cavalier de la Crim, qui avait prévenu le commissaire Antoine de ce nouveau crime, comprit immédiatement qu’elle devait servir d’intermédiaire diplomatique entre lui et le sous-directeur de la DST qui attendait également son arrivée en battant la semelle de ses chaussures de prix sur le trottoir.
– Bon, dit Antoine au sous-directeur d’un ton sec, nous avons un nouveau meurtre. Un nouveau règlement de comptes entre dealers. Et alors ?
Le sous-directeur resta de marbre.
– Et vous, Cavalier, vous avez pu l’identifier, ce « client » ?
Bien qu’amis, Cavalier et Antoine respectaient toujours les formes en public.
– Oui, commissaire. Il s’agit d’un membre de la « bande tricolore ». Un jeune Beur, cette fois, Ahmed Larbi…
– À ce train-là, il ne va plus en rester ! la coupa Antoine en envoyant un sourire carnassier au sous-directeur qui n’abandonna pas son rôle de statue de sénateur romain en pied.
Isabelle Cavalier toussa. Comme pour attirer l’attention du commissaire et lui faire comprendre qu’il y avait un problème.
Antoine ignora le message.
– Bon, Cavalier ! Vous et le lieutenant Lenoir n’avez qu’à rajouter cette affaire sur la pile des deux dossiers précédents. L’assassin finira bien par commettre une erreur. Comme toujours, hein ?
Il défia le sous-directeur du regard, qui esquissa un léger sourire. Puis se tourna à nouveau vers le capitaine Cavalier.
– Pas de témoin, comme toujours, hein ?
– Juste ce jeune homme, Patrice Dutour, que vous voyez là-bas, mais…
– Mais c’est une très bonne nouvelle ça, Cavalier ! la coupa-t-il joyeusement.
Isabelle Cavalier prit un air sombre.
– Qu’est-ce que vous avez ? On a enfin un témoin ! Le premier dans cette merde !
Le commissaire Antoine se dirigea à grande enjambée vers Patrice Dutour qui affichait un large sourire sur sa face lunaire.
– Alors ? Qu’avez-vous vu ?
– Euh-euh…
– Comment ?
– Euh-euh…
Déconcerté, le commissaire se tourna vers Isabelle Cavalier en lui jetant un « ti-ti-ti ta-ta-ta ti-ti-ti », bref un SOS, du regard.
Le capitaine lui expliqua les problèmes de personnalité de Patrice Dutour.
– Ah ! fit le commissaire. Alors, on est toujours dans la merde… Mais, à propos, c’est qui ce bouffon de la DST qui est avec vous et qui joue les statues depuis que je suis arrivé ? Il se la joue, ou quoi ?
Il avait accompagné ses propos d’un mouvement de menton dédaigneux en direction du sous-directeur.
– C’est le sous-directeur, répondit Isabelle d’un air entendu.
– Le sous-directeur de quoi ? de quel service ?
– Le sous-directeur de la DST… – le sous-patron, si vous préférez, précisa-t-elle.
– Merde ! fit le commissaire. J’ai peut-être fait un peu fort. Manqué de diplomatie. Mais c’est quoi son problème pour qu’il soit descendu de son bureau en personne ?
– La victime était un de leurs indics. Je crois que c’est de cela qu’il veut vous entretenir.
Le commissaire Antoine se dirigea vers le sous-directeur et s’excusa de son ton « abrupt ».
– Vous comprenez, je suis un peu sur les nerfs avec ce tueur mystérieux. D’ailleurs, moi-même, un de mes indics de la « bande tricolore » – et un bon ! – s’est fait tuer récemment.
Le sous-directeur l’écouta courtoisement mais lui répondit d’un ton distant.
En bref, il s’agissait d’un quartier sensible. Siège de la DST rue Nélaton, Commissariat à l’Energie atomique rue de la Fédération, ambassade d’Australie au coin de la même rue, Direction des Journaux officiels rue Desaix, ambassade de Cuba rue de Presles. Et d’autres annexes de services sensibles. Le tout dans un périmètre restreint. Avec en plein milieu la ZAC Dupleix, sur l’emplacement de l’ancienne caserne du même nom. Avec des résidences de standing et des logements sociaux, plus une grande résidence pour les miliaires d’active. Alors il faut sécuriser. Que ça reste tranquille. Faut pas que ça pète. Ça suffit comme ça. Surtout qu’on a déjà eu les ayatollahs marxistes iraniens qui sont venus se faire flamber devant le siège de la DST. Et donc on compte sur vous pour tout régler dans les plus brefs délais et arrêter ce dingue au couteau.
Le commissaire Antoine était à présent dans ses petits souliers. Il recevait cinq sur cinq et assurait M. le sous-directeur de l’efficacité de son service et de la haute compétence du capitaine Isabelle Cavalier de la Criminelle en charge du dossier. Qu’on allait multiplier les planques et monter des traquenards pour arrêter ce salopard au plus tôt. Qu’il renouvelait ses excuses, etc.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 25 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 4

Chapitre 4





Le lieutenant Gilbert Lenoir avait traîné ses guêtres durant quarante-huit heures en faisant chou blanc.
Il préférait à présent procéder par téléphone interposé. C’était plus commode.
Le commissaire Antoine, quant à lui, se trouvait dans un tel état d’énervement qu’il était en train d’envisager de perfectionner la traque au couteau à désosser en recensant les bouchers et anciens bouchers parisiens.
– Si en plus je dois me taper les maisons de retraite…, marmonna le lieutenant dans sa barbe.
Quand le commissaire Antoine se sentait personnellement défié par un criminel, comme c’était présentement le cas, il n’était pas vraiment à prendre avec des pincettes.
– Excellente idée, lieutenant ! rétorqua-t-il de sa voix de stentor.
– Je blaguais, commissaire…, tenta de se défendre le subalterne.
– Ah ! parce que vous croyez que vous êtes aux Stups pour blaguer, vous ? Lieutenant, vous allez immédiatement…
Le jeune lieutenant n’eut pas droit au pire car le portable du commissaire résonna.
– Comment ça !
Il hurlait.
– En plein jour, maintenant !
Il devenait hystérique.
– Quoi ? Mais c’est pas possible !
Pourtant, ça devait l’être pour qu’il devienne blême.
– Juste devant chez eux ! Sous le métro aérien ? Sur le parking ?
Quand il se mettait en colère, il avait le souffle court.
– Qu’est-ce que vous me dites ? Ils disent qu’on ne fout rien ? Mais, ils ont qu’à se la surveiller leur taule à la con !
Il coupa rageusement son portable et convoqua toute son équipe. Tournant rageusement dans le bureau en attendant que tout son petit monde soit réuni.
– On y va en force ! hurla-t-il lorsqu’ils furent tous là.
Personne n’osa demander où. Mais ce devait être grave. Sûrement une descente musclée sur le renseignement d’un des indics personnels du patron. Des bons. Qui faisaient sa force et étaient le fondement de sa réputation de « grand flic ».
– Et en plus, ils se foutent de nous ! les STUPS ! C’est insupportable…
Un capitaine qui le pratiquait depuis longtemps lui demanda s’il pouvait préciser le problème, parce que, eux, là, ils prenaient le train en marche et ne comprenaient pas tout à fait les tenants et aboutissants.
Le commissaire le fusilla du regard et répondit rageusement :
– On fonce avec une forte équipe de trois voitures rue Nélaton !
Consternation générale et muette jusqu’à ce que le lieutenant Gilbert Lenoir, jeune flic et nouveau venu aux Stups, donc naïf et voulant bien faire, énonce l’évidence :
– Mais c’est le siège de la DST, patron…
Le commissaire Antoine lui jeta un regard de condescendance qui fit rentrer le lieutenant sous terre.
– Qu’est-ce que vous croyez ? Bien sûr que je le sais ! Mais ils se foutent de notre gueule et on va leur montrer que nous en avons !
Trois équipes de trois foncèrent toutes sirènes hurlantes et gyrophares en folie jusqu’au siège de la DST. Peinant pour suivre la voiture de leur patron qui s’offrit un freinage en dérapage contrôlé à la hauteur de la grille d’entrée de la DST boulevard de Grenelle. À la stupéfaction des agents de garde. Qui eurent pour premier réflexe de porter la main à leur arme.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 24 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 3

Chapitre 3





Louis Dutour interpella sa femme :
– Paulette, il me manque au moins cinq couteaux à désosser dans la mallette où je range les anciens couteaux de papa. Tu n’as pas vu Patrice avec des couteaux, par hasard ? Il y en avait vingt-neuf et il n’y en pas plus que vingt-quatre…
Le père de Louis Dutour avait longtemps été boucher rue de Lourmel et son fils conservait religieusement ses anciens « instruments » de travail. À la cave et enfermés dans une mallette pour que Patrice ne puisse se blesser avec.
– Arrête d’accuser le petit chaque fois que tu ne retrouves pas quelque chose ! lui rétorqua Paulette avec véhémence. C’est agaçant à la fin. Et puis, Patrice ne descend jamais à la cave. Il a peur du noir. T’as qu’à lui demander. Hein, Patrice ?
– Euh-euh…



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

dimanche 23 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 2

Chapitre 2





Le lundi 8 septembre, trois jours seulement après la découverte du corps de Clément Duroc, un agent de sécurité de l’ambassade de Cuba, rue de Presles, dans le XVe, vit sur son écran de surveillance un homme avancer en titubant sur le trottoir de l’ambassade et s’accoter à la porte d’entrée de la résidence.
Il se tenait le ventre à deux mains.
L’agent fit pivoter la caméra et zooma sur l’individu suspect.
L’homme avait le visage crispé et disparut de l’écran de contrôle quand il tomba à genoux, le haut du corps plié en avant, le front contre le bitume, comme en une ultime prière.
L’agent appela immédiatement le commissariat central du XVe et alerta les autres agents de sécurité de l’ambassade.
Il était six heures vingt du matin.
À huit heures, le commissaire Antoine piquait une grosse colère.
La victime, Désiré Bouba, dix-neuf ans, était un de ses indics les plus efficaces sur le secteur de l’ancienne caserne Dupleix, transformée en ZAC par Tapie. Il l’avait recruté deux ans auparavant après une « descente » de la police dans les parkings de l’immeuble des employés municipaux de la rue George-Bernard-Shaw.
Désiré Bouba le tenait régulièrement informé des faits et gestes de la « bande tricolore », ainsi surnommée car elle réunissait de jeunes blancs-blacks-beurs, tous Français de souche, qui s’étaient lancés dans un petit commerce de shit et de crack. Elle était ravitaillée par deux jeunes dealers du 93.
Mais le commissaire Antoine savait, justement par son indic, que Clément Duroc se trouvait en amont. Que les deux dealers de la Seine-Saint-Denis lui servaient d’écran et de relais.
– Il y a donc un rapport évident entre ces deux meurtres, dit-il au capitaine Cavalier quand cette dernière arriva sur les lieux à neuf heures, une demi-heure après le commissaire Antoine.
Il n’y avait pas d’autre hypothèse que le règlement de comptes. Surtout que le modus operandi était identique dans les deux cas. Un couteau planté dans le ventre de la victime.
Comme pour le premier crime, il s’agissait d’un couteau de boucher. À désosser. À la lame bien affilée et étroite au bout, avant de se courber légèrement vers l’intérieur et s’épaissir côté du manche. L’« outil » parfait.
L’interrogatoire de Christine Langlot, à la suite du premier meurtre, n’avait rien donné. Elle avait seulement éclaté de rire quand elle s’était rendu compte que la police la soupçonnait d’avoir commanditer l’assassinat depuis sa cellule.
– Il y a un liquidateur derrière tout ça, c’est évident, conclut le commissaire Antoine.
L’ambassadeur de Cuba accepta que la bande vidéo de la nuit soit remise au capitaine Cavalier.
Son visionnage ne donna pourtant rien de concret.
De rares passants et des voitures.
C’était absolument sans intérêt.
Le jeune Bouba marchait sur le trottoir de l’ambassade en titubant, les deux mains plaquées contre le ventre.
Et pas un seul passant dans le quart d’heure précédent. Il fallait remonter d’une demi-heure, à cinq heures cinquante, pour découvrir une grand-mère promenant son toutou.
À cinq heures et demie, un jeune homme aux bras ballants remontait la rue.
Le capitaine Cavalier faillit ne pas le reconnaître et poursuivre son visionnage, quand elle sursauta en se rendant compte qu’il s’agissait de Euh-Euh.
Elle fit un agrandissement.
– C’est drôle, dit-elle au lieutenant Gilbert Lenoir que lui avait « laissé » le commissaire Antoine puisqu’ils se connaissaient depuis le premier crime. Je n’avais pas remarqué qu’il portait des gants la première fois que je l’ai vu et…
– Oh ! c’est rien. Euh-Euh porte toujours des gants, hiver comme été. Il doit avoir une maladie de peau ou c’est une manie.
– Pauvre Euh-Euh, fit Isabelle Cavalier. En tout cas, nous n’avons rien sur la bande.
Le lieutenant semblait avoir l’esprit ailleurs.
– Ça n’a pas l’air de vraiment vous contrarier que nous n’ayons pas le moindre indice ? remarqua-t-elle sur un ton de reproche.
– Oh, vous savez, moi, des dealers qui s’entretuent !
Il avait accompagné sa phrase d’une moue de désintérêt total.
– Peut-être que ça vous laisse de marbre, mais, moi, j’appartiens à la Crim, et mon job, c’est d’arrêter les assassins. Et permettez-moi d’ajouter, fit-elle en prenant un air entendu, que si un autre « client » du commissaire Antoine, votre patron, se fait trucider, je ne donne pas cher de votre peau aux Stups !
Elle avait marqué un point car le jeune lieutenant se sentit obligé de s’excuser.
Après la réception du rapport du légiste et celui du service scientifique qui faisait remarquer que les deux « armes » étaient des couteaux de fabrication ancienne provenant d’une coutellerie de Thiers, le lieutenant Lenoir fut chargé de faire le tour des antiquaires et brocanteurs de Saint-Ouen spécialisés dans le couteau à désosser « modèle 1950 ».


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 21 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 1 (suite et fin)

Chapitre 1 (suite et fin)





On était revenu à la case départ. Pas de témoin.
Ce qui ne ferait pas l’affaire du commissaire Antoine des Stups qui avait demandé au responsable de la Crim de confier l’enquête au capitaine Cavalier.
La victime, Clément Duroc, était recherchée, depuis début août, dans le cadre de l’affaire du trafic de drogue dite « du Relais angevin », pour le meurtre de Lionel Péroti
*.
Son corps avait été découvert une heure et demie plus tôt par un passant, affalé contre une porte d’immeuble et les mains encore crispées sur le manche du couteau qui lui saillait du foie. Rue Malar, rue perpendiculaire à la rue Saint-Dominique où la victime possédait un appartement que la police avait mis sous surveillance dans l’espoir de le « serrer ».
Et il avait été assassiné à deux pas de là sans que les deux flics en civil en planque dans leur bagnole banalisée s’en rendent compte.
C’est d’ailleurs eux qui s’étaient retrouvés les premiers sur les lieux après avoir été alertés par les appels à l’aide du passant.
Ils avaient immédiatement identifié la victime dont ils connaissaient le signalement par cœur.
Ils étaient toutefois étonnés et s’étaient demandé comment ce type d’un mètre quatre-vingt-cinq aux cheveux mi-longs rejetés en arrière avait pu circuler dans les parages sans qu’ils s’en aperçoivent. Vexés qu’ils étaient, et assurés d’une bonne engueulade en même temps.
Isabelle frissonna et resserra machinalement son blouson de cuir. Elle avait froid et se sentait fatiguée. Sa petite fille de trois ans avait un peu de fièvre et elle l’avait veillée une partie de la nuit. Elle avait été réveillée à sept heures, une demi-heure après la découverte du corps, et s’était retrouvée sur les lieux à sept heures et demie. Elle avait la chance d’habiter pas trop loin de là, rue du Commerce. À peine dix minutes en voiture.
Le lieutenant des Stups et son coéquipier, qui étaient de surveillance devant le domicile de Duroc, lui faisaient pitié. Antoine n’allait pas leur pardonner facilement d’avoir « perdu » leur client de cette façon. Mais, un point était sûr. Celui qui avait perpétré ce meurtre ne manquait pas de sang-froid. Il avait couru des risques certains en agissant aussi près du domicile de l’assassin recherché.
Le jeune trisomique – elle détestait ce mot – se tenait toujours à quelques mètres de là. Il semblait ne pas avoir bougé d’un pouce. Avec le même sourire qui éclairait sa face lunaire.
– Votre Euh-Euh semble loin de toutes ces turpitudes, dit-elle en se tournant vers le lieutenant. Je me demande ce qui peut bien le faire sourire ainsi… Il a peut-être assisté au meurtre, vu l’assassin, et n’en paraît pas le moins du monde troublé. Comme si cela le réjouissait même… Ah ! s’il pouvait parler !
Elle traversa la chaussée et posa sa main sur l’épaule du jeune homme en lui souriant.
– Euh-euh…
Elle lui rendit son sourire tout en regrettant qu’il n’y ait pas de miracle possible.
Mais qui pouvait bien en vouloir à ce Duroc au point de le supprimer ? Le réseau avait été démantelé et tout était à présent parfaitement clair dans cette affaire. Quelqu’un aurait-il pu, malgré tout, échapper au coup de filet et vouloir le faire taire ? Ou un règlement de comptes entre dealers. Mais qui ?
Tout compte fait, le meurtre avait peut-être été commandité par celle qui avait pris la tête du réseau, Christine Langlot. L’instigatrice de l’assassinat de son ancien « patron », Lionel Péroti.
Seuls les aveux de son complice Jean Périni la mettaient en cause dans le meurtre de Péroti. Christine Langlot n’avait pas craqué et la « disparition » de Clément Duroc ne pouvait qu’arranger ses affaires.
En tout cas, c’était la seule piste à creuser.
* Voir Cadavres dans le blockhaus et Sans se salir les mains.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

jeudi 20 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (Chroniques croisées VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 1

Une série de crimes perpétrés au couteau à désosser endeuillent les beaux quartiers parisiens. Le commissaire Antoine des Stups et le capitaine Isabelle Cavalier de la Crim courent inutilement après l’assassin. Mais certains savent et le sinistre Pierre-Marie de Laneureuville, garde des Sceaux et responsable des « basses œuvres » à la tête du « Service », tire les ficelles d’un complot politique machiavélique.
Le commandant Pierre Cavalier, affecté à la section des « affaires spéciales » de la Direction centrale des Renseignements généraux, aidera-t-il sa femme Isabelle et Philippe-Henri Dumontar à sauver l’assassin et à déjouer l’ignoble complot ?
Je vous invite donc à me suivre dans ce nouveau récit qui est en quelque sorte un thriller politique.





Chapitre 1





– Et il n’y a pas de témoin ?
– Non, capitaine. Aucun, répondit le lieutenant Gilbert Lenoir.
Le capitaine Isabelle Cavalier trouvait cela insolite.
– À part lui, ajouta d’un air désolé le lieutenant en se tournant vers un jeune homme d’une vingtaine d’années.
Celui-ci se tenait à l’écart, les bras ballants, et un sourire béat illuminait son visage lunaire.
Il était vêtu d’un imperméable beige informe et était coiffé d’un bonnet de marin bleu marine enfoncé jusqu’aux yeux.
– Vous ne pouviez pas me le dire plus tôt ! s’énerva-t-elle.
Le lieutenant des Stups se dandinait sur place tout en tentant de trouver les mots justes.
Le capitaine le fusillait du regard et tapotait du pied droit le bitume – signe d’extrême impatience chez Isabelle Cavalier – en attendant sa réponse.
– C’est que ce n’est pas vraiment un témoin, capitaine…
– On est témoin ou l’on n’est pas témoin ! le coupa-t-elle sèchement. Pourtant, vous avez l’air éveillé, lieutenant !
Le jeune lieutenant se sentit rougir et prit son courage à deux mains.
– C’est que ce témoin-là est un peu particulier… Il est gog… pardon, mong… euh, trisomique si vous voulez…
Isabelle Cavalier l’avait regardé avec stupéfaction.
– Et alors ? dit-elle en haussant les épaules. Ils sont comme tout le monde, maintenant.
– Peut-être, capitaine. Mais celui-là, pas vraiment, si vous voyez ce que je veux dire…
Non. Le capitaine Cavalier ne voyait pas du tout ce qu’il voulait dire.
Elle haussa à nouveau les épaules et se dirigea vers le jeune homme, suivie par le lieutenant.
Le jeune homme souriait toujours et se gratta le nez en voyant cette femme énergique se diriger vers lui. Qui lui rappelait une de ses anciennes infirmières.
– Bonjour, dit-elle doucement en lui adressant la parole. J’aimerais vous poser quelques questions, si vous le voulez bien…
– Euh-euh…
Le capitaine eut un haut-le-corps sous l’effet de la surprise. Mais elle avait la réputation de ne jamais se décourager. « C’est une question de formulation », se dit-elle pour se rassurer.
– Voilà… moi… po-li-ce…
– Euh-euh…
– Moi… vouloir… poser… question… vous…
– Euh-euh…
Isabelle Cavalier se trouva, pour la première fois de sa carrière de policière, déstabilisée.
Ce genre de situation n’était prévu par aucun manuel.
Et ni le langage adulte ni le langage bébé ne donnait de résultat.
Elle se tourna vers le lieutenant qui avait retrouvé tout son aplomb devant l’air stupéfié de ce capitaine de la C rim.
– Il est toujours comme ça ? lui demanda-t-elle dans un murmure pour ne pas être entendu du jeune homme dont le comportement l’avait mise mal à l’aise.
– Oui, répondit-il en haussant les épaules.
– Et alors, vous ne pouviez pas me dire plus tôt qu’on n’avait pas de témoin sur ce coup-là au lieu de me faire perdre mon temps !
Le lieutenant préféra se taire. De toute façon, il n’avait pas le choix
– Vous ne pouvez pas lui demander de partir, puisqu’il n’a rien à faire ici, s’il vous plaît ?
– Impossible, capitaine.
– Comment ça, impossible… ?
Le capitaine Cavalier ne sentait pas du tout ce début de journée de septembre.
– C’est qu’il est toujours en train de traîner de droite et de gauche dans le quartier. Il fait ce qu’il veut. Ma copine habite le coin et je le croise parfois. Si vous lui adressez la parole, il répond toujours « euh-euh ». On ne l’a jamais entendu prononcer autre chose. Alors, tout le monde l’a surnommé « Euh-Euh »… Mais il n’est pas méchant, vous savez, seulement…
Le lieutenant compléta sa phrase par une moue de compassion.
– Je comprends. Excusez-moi pour tout à l’heure, lieutenant. Mais ce…, enfin, je veux dire il a quand même quelqu’un pour s’occuper de lui ?
– Oh oui ! Mais ses parents veulent qu’ils vivent sa vie. Comme ils disent : « Il n’a jamais fait de mal et d’ailleurs il est majeur. » Et puis il fait partie du paysage du quartier.
– Pourtant, je ne me souviens pas de l’avoir croisé alors que j’y suis souvent.
– Il est très discret. Et son truc, ça se remarque à peine. Alors on ne le voit pas vraiment. En plus, c’est surtout la nuit qu’il aime se promener.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

dimanche 16 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 19

Chapitre 19





Quatre jours plus tard, la veille de notre départ, nous nous sommes tous rendus, sauf Isa qui gardait la petite, à l’inhumation dans le cimetière de Caorches de la dépouille de Dominique Pieri.
La famille ne s’étant pas manifestée pour récupérer le corps, Marcelle a tenu à ce que nous enterrions dignement « ce M. Domi si gentil ».
– Et puis je pourrai m’occuper de fleurir sa tombe et celle de la petite !
C’est fou ce que les vieux ont besoin d’occupations. J’ai l’impression qu’ils en accumulent telle une muraille qu’ils doivent sans cesse renforcée et qui se dresse entre eux et la mort. Plus ils sont occupés, plus la muraille est épaisse.
L’ironie de l’histoire veut que la sépulture de Dominique Pieri jouxte celle d’Annabelle Patronicci. Où se trouve toujours le corps de Jacques Berton.
Le brigadier a préféré simplifier les choses.
La dalle et la stèle en marbre de Carrare ne seront jamais posées.
Nous avons seulement fait inscrire le prénom de la jeune fille sur la croix de bois de sa sépulture et déposé un bouquet champêtre sur la tombe.



« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue. »
Hugo, Victor.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

samedi 15 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Le reste de nos vacances n’a pas été aussi familial que je l’aurais souhaité. Dès ce 15 août, elles ont pris une tournure « collectiviste » avec nos nouveaux amis.
Mais, le 23 août, Philippine a eu droit à un superbe anniversaire.
Le commissaire Antoine, notre pote et collègue des Stups, nous a fait une grande surprise.
Il est venu passer la journée avec nous et avait amené avec lui Gérard Langlot, récemment sorti de son hôpital psychiatrique et rétabli dans son honneur depuis l’arrestation début août de Christine Langlot, sa femme, et de Jean Périni, l’un des deux serveurs du Relais angevin, pour trafic de drogue.
Il nous raconta qu’il avait été impossible de faire craquer Mme Langlot mais que le serveur s’était mis à table sans faire d’histoire. C’est grâce à son témoignage que Gérard Langlot avait pu être innocenté.
Gérard nous parut l’ombre de lui-même. L’épreuve l’avait marqué.
Phil en profita pour lui conseiller son psy, le Dr Lévy.
– Un type plein de bons conseils et qui a transformé ma vie, lui dit-il.
Antoine félicita plusieurs fois Phil pour son rôle déterminant dans le démantèlement du réseau de trafiquants de drogue dont Christine Langlot avait pris la tête – bien peu de temps – après le meurtre de son « patron »
*, Lionel Péroti. Mais l’assassin, un certain Clément Duroc, courait toujours.
Les « complices » de Papy n’en conçurent que plus d’admiration pour lui.
Phil en est devenu vraiment insupportable. La modestie n’étant pas sa vertu principale, je l’ai vu prendre la grosse tête. Mais Isa ne voulut pas l’admettre.
En réalité, c’est Marcelle qui avait su nous manipuler savamment et nous utiliser pour sa vendetta personnelle – venger la mort de son « M. Domi ». Mais nous l’avions tous oublié et c’était devenu une « affaire d’hommes ».
En repartant tard le soir avec Gérard, Antoine me prit à part.
– Tu as de la chance avec tes amis d’ici. Ils sont fort sympathiques. Mais comment as-tu fait pour tisser de tels liens de complicité en si peu de temps – et avec des paysans ?
– Oh ! c’est grâce à Papy…
– Il est merveilleux, ce bonhomme ! C’est d’ailleurs grâce au service qu’il m’a rendu que je vous ai pardonné votre sale farce du « nettoyage » chez lui. La petite a de la chance d’avoir un grand-père comme lui…
* Voir Cadavres dans le blockhaus.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 14 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





Phil conduisit la Twingo sur les cinq cents mètres qu’il restait à parcourir. Muet comme une carpe.
Il alla se coucher immédiatement en jetant juste un « Tout va bien » à Isa. Se refusant à toute explication.
– Demain. Je suis épuisé.
Le lendemain, jour de l’Assomption, il tint parole après le petit déjeuner.
– C’est cette histoire de marnière qui m’a donné l’idée. Elle coupait toute la largeur sur près de trois mètres et faisait huit mètres de long – et au moins une trentaine de mètres de profondeur.
Alors, quand je l’avais vu partir avec la première équipe de mafieux, il avait pris un peu d’avance puis éteint ses lumières une centaine de mètres avant la bifurcation.
L’entraînement des soirées précédentes, c’était ça.
Mais les autres, ses « complices », dès son passage sur la bonne route, avaient aussitôt placé le panneau d’interdiction de passage sur celle-ci.
D’où le dérapage contrôlé des Siciliens qui devaient s’engager forcément sur la mauvaise où les attendait, cinquante mètres plus loin, la marnière.
– Et, même en s’en rendant compte au dernier moment, avec le remblai des deux côtés qu’on avait mis l’après-midi, ils ne pouvaient qu’aller tout droit… Pour sûr, ils ont freiné à mort ! Mais tête baissée ils ont basculé dedans… Sans trop de bruit car Michel y avait balancé des bottes de paille au fond !
Même topo avec la seconde équipe.
Sauf que, cette fois, ils avaient prévu de les coincer à deux voitures. L’une conduite par Phil et l’autre par l’un des jumeaux. De façon que, s’ils montraient de la méfiance au dernier moment, la deuxième voiture conduite par Phil puisse les coincer et les pousser vers le trou sur cette route où il était impossible de se doubler.
– Mais il n’y a pas eu besoin. Ils ont foncé dedans tout seuls…
Phil était fier comme Artaban.
– Je crois que j’ai enfin fait une bonne action dans ma vie.
– Mais, Papy…, tenta Isa.
– Si, si, la coupa-t-il. Et je sais ce que je dis. Vous pouvez me croire !
Ses acolytes, ainsi que Marcelle, nous rejoignirent à l’heure de l’apéritif.
– Il manque encore un peu de terre ! dit joyeusement Michel. Mais c’est déjà pas mal.
Les deux jumeaux me serrèrent chaleureusement la main avec de petites tapes complices sur l’épaule qui n’échappèrent pas à Isa.
Qui a fait la gueule après que Georges lui a dit :
– Votre mari, il a pas été mal. Il nous a donné un bon coup de main, vous savez ?
Non, elle ne savait pas. Je lui avais tu mon rôle de croque-mort.
– Tu m’expliqueras, me lâcha-t-elle fielleusement, ce que tu entends par rôle de simple observateur. Ça m’intéresse…
Il y eut quand même un petit flottement dans notre confrérie lorsque le brigadier débarqua, seul, alors que nous étions déjà quelque peu éméchés.
Il s’approcha d’un pas énergique et l’air particulièrement satisfait. Jetant des regards chaleureux à chacun et chacune. Style de Gaulle descendant les Champs-Elysées à la Libération.
– Alors, messieurs ! Beau travail que ce remblayage de la marnière… Mais je ne suis pas venu pour vous parler de ça. Je souhaitais vous apprendre une bonne nouvelle, que vous ignorez encore, bien sûr… Eh bien, je vous annonce que le « clan des Siciliens » s’est volatilisé dans la nature cette nuit et qu’il a dû s’enfuir en Sicile. Hélas ! car nous étions près de les arrêter pour leur trafic de drogue et autres méfaits… De toute façon, nous en sommes débarrassés. C’est l’essentiel, n’est-ce pas ?
Nous avons tous applaudi et félicité le brigadier qui a accepté de trinquer avec nous.
Il n’était pas de service.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

jeudi 13 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 16 (suite et fin)

Chapitre 16 (suite et fin)





Je comprenais enfin la manœuvre de Phil et Georges.
Ils voulaient se faire poursuivre. Faire tomber les Italiens dans un guet-apens.
Et je me retrouvais là coincé sans voiture et dans l’impossibilité de les suivre.
Face à l’artillerie et à l’expérience des Siciliens, je pensais que c’était franchement un plan foireux.
La fine équipe de Phil et Georges n’avaient rien d’un gang aguerri ou d’une équipe du GIGN.
Phil redémarra sur les chapeaux de roue lorsque les phares du monospace éclairèrent la route en sortant de l’allée.
Les deux voitures se dirigeaient vers la campagne, à l’opposé de la route Orbec-Bernay.
J’entendis le bruit des moteurs et des reprises fougueuses jusqu’à ce qu’il devînt un murmure lointain. Déchiré cinq minutes plus tard par des crissements de pneus et un bruit très assourdi.
À vol d’oiseau, ça devait se situer à un bon kilomètre.
J’étais en train d’hésiter sur la marche à suivre.
Jusqu’à présent, aucun coup de feu n’avait résonné dans la campagne et Patronicci était toujours chez lui.
Vingt minutes plus tard, la voiture d’Isa vint se garer, toujours avec Phil au volant, le long du cimetière après un demi-tour sur le parking.
Une autre voiture se gara une soixantaine de mètres plus loin sur le bas-côté de la route près du croisement du centre- bourg.
Les deux voitures avaient éteint leurs phares et Phil se dissimula derrière le volant.
Cinq minutes plus tard arrivait une autre voiture. Une BMW. Mais celle-ci pénétra franchement dans l’allée de la propriété de Patronicci.
Deux hommes en sortirent. Ce devaient être le cuistot – pardon ! le pizzaïolo – et le serveur de la pizzeria appelés en renfort.
Il y eut un long conciliabule et Patronicci monta dans la voiture avec l’un des deux hommes au volant. Mais sans démarrer.
L’autre s’était dirigé sur l’arrière de la maison et avait quitté mon champ de vision.
Une dizaine de minutes plus tard, la voiture dans l’allée alluma ses phares deux fois et démarra lentement.
Cela me parut être un signal.
Instinctivement, je jetai un regard vers la voiture de Phil et aperçus le mafieux qui avait disparu s’en approcher par-derrière en tenant une arme à la main.
Il en était encore à une dizaine de mètres.
Mais, Phil, l’innocent, ne se doutait de rien. Ils avaient dû repérer la voiture, immatriculée 75, à leur arrivée et le sbire avait été chargé de neutraliser le conducteur.
Quand il passa le long du muret à ma hauteur, je lui sautai dessus et l’étendit raide à la première manchette.
Phil ne s’était même pas retourné.
Il sursauta comme un diablotin sur son ressort quand j’ouvris sa portière.
Il eut un geste apeuré et un cri muet. Les autres mafieux durent me confondre avec leur acolyte car ils démarrèrent aussitôt et se jetèrent à la poursuite de l’autre voiture qui avait également démarré avec une très faible avance.
Phil remis de sa frousse, je lui demandai de m’aider à charger l’artiste de la pizza endormi à l’arrière et de me le surveiller avec une clé à molette. Avec ordre de l’assommer sans sommation s’il se réveillait. – Je n’avais pas osé confier à Phil mon arme de service.
Je pris le volant et Phil m’indiqua le chemin à suivre. Qui était curieusement celui de notre lieu de « vacances ».
Sur le chemin de Saint-Mards-de-Fresnes direction le pont de Plainville, j’aperçus au loin des lueurs qui se matérialisèrent, à l’approche de la bifurcation que faisait la route à cet endroit, en une pelleteuse et un tracteur avec sa remorque tout affairés au remblayage de la marnière.
Georges était là à regarder. Michel, lui, maniait la pelleteuse, et les deux jumeaux continuaient d’apporter de la terre et de la pierraille avec le tracteur.
Georges s’approcha de ma familiale et, après avoir jeté un coup d’œil à l’arrière, me lança joyeusement :
– Vous nous apportez le manquant !
Je descendis en demandant à Phil de continuer de veiller sur le sommeil du mafieux.
– On ne peut pas le laisser là. Il faut qu’il aille rejoindre les autres, me lança le vieux Georges sur le ton d’un chef de chantier en désignant du menton le large trou béant.
J’en suis resté sans voix. J’ai protesté.
– Mais cet homme est encore vivant ! Je dois le remettre à la justice !
– Pour qu’il aille tout raconter ? C’est ce que vous voulez ? Et nous faire tous tomber ainsi que M. Phil qui a eu cette idée géniale ! De toute façon, il sera mort dès qu’il arrivera au fond, ce salopard.
Il se tourna vers la voiture et cria :
– C’est ça, amenez-nous-le, monsieur Phil !
Phil était en train d’extraire le mafieux de la voiture en le tirant par les pieds.
Je me précipitai vers lui.
– Ne vous inquiétez pas, Pierre, il est bien mort.
Je regardai Phil avec effarement. Comme si je contemplais un monstre.
– Vous l’avez achevé à la clé à molette ! balbutiai-je.
Plus troublé, en réalité, par les possibles déchets crâniens sur la garniture des sièges de la Twingo d’Isa que par ce meurtre perpétré de sang-froid.
Phil eut un sourire radieux.
– Mais non, je l’ai juste étranglé… Il commençait à émerger et vous m’avez dit de l’estourbir en ce cas, s’empressa-t-il de préciser en voyant mon regard. Et ma méthode est bien plus propre que la vôtre et bien moins barbare… Aidez-moi à le porter jusqu’au trou plutôt que de rester à me regarder comme ça.
Je l’ai aidé en prenant le corps par les épaules. Il n’y avait pas le choix.
J’ai même balancé le corps avec Phil.
– C’est bon, les gars, a-t-il alors dit. C’est complet. Vous pouvez finir de reboucher !
Il se tourna vers moi.
– On peut rentrer, maintenant, Pierre. Ils en ont pour un bout de temps à verser les sept cents mètres cubes. C’est que ce n’était pas une petite cette saloperie de marnière !


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mercredi 12 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 16

Chapitre 16





Le jeudi, j’ai renoncé à trimbaler Phil pour la journée.
Je ne rêvais que d’une paisible journée à la campagne.
En fin de matinée, Isa m’a envoyé chercher des œufs chez Marcelle et Georges. J’y suis allé à pied avec Philippine.
Le monospace des Siciliens nous a dépassés au ralenti sur la route. Il s’est arrêté vingt mètres plus loin puis a redémarré brusquement comme nous arrivions à sa hauteur.
Ça m’a donné un mauvais pressentiment.
Phil a disparu la plus grande partie de la journée pour aller à la ferme.
À l’heure de la sieste de la petite, sans nous être concertés, Isa et moi avons nettoyé nos armes de service.
Comme toujours, elle a remonté la sienne plus rapidement que moi.
Nous n’avons pas échangé un mot. Ce n’était pas nécessaire. Nous savions que nous étions sur la même longueur d’onde. Et qu’avant l’arrivée des bleus – la cavalerie – il faudrait jouer la protection rapprochée de nos doux dingues.
Dans le courant de l’après-midi, nous avons entendu un remue-ménage de pelleteuse et un va-et-vient de tracteur vers la ferme.
J’ai pris ma voiture et je suis passé devant sans m’arrêter.
La pelleteuse prenait de la terre et des cailloux sur l’immense monticule qui servait de réserve aux trois frères pour leurs remblayages de marnières.
Elle chargeait une remorque de tracteur.
Je suis allé jusqu’au bourg, fait demi-tour sur le parking du cimetière et suis revenu.
C’est alors que j’ai compris qu’ils amenaient leurs matériaux de remblayage jusqu’à la marnière qui coupait la route. En deux tas d’une dizaine de mètres de longueur sur chaque bas-côté.
Ça m’a rassuré ainsi qu’Isa quand je lui ai rapporté ce qui se passait.
– Ce n’est rien. Ils font leur boulot, ai-je conclu en haussant les épaules et en regagnant mon transat.
Le va-et-vient a continué jusqu’en début de soirée.
Phil était revenu pour dîner avec nous et se préparait à présent pour sa virée du soir.
Quand il est redescendu de l’étage, il était sur son trente et un.
– Ne m’attendez pas pour vous coucher. Ça risque d’être long ! nous lança-t-il négligemment.
Il partit à vingt et une heures trente avec la Twingo d’Isa et nous l’avons entendu s’arrêter à la ferme.
J’ai alors aidé Isa à fermer la maison. C’est elle qui garderait la petite.
Puis je suis parti à pied jusqu’au bourg en suivant la lisière des champs et en me tenant le plus éloigné possible du chemin vicinal. Mais la nuit finissait de tomber.
J’ai mis une demi-heure pour atteindre le cimetière et me dissimuler à l’intérieur derrière son muret. De ce poste d’observation, j’avais à la fois une vue sur la maison du Sicilien et sur la route.
Je n’avais pas vraiment d’idée précise. Juste l’intuition qu’il fallait que je me trouve là.
Il était à présent vingt-deux heures passées.
À la demie, je vis arriver la Twingo d’Isa. Je devinai Phil au volant et reconnus la silhouette de Georges à l’arrière, derrière la place du passager avant, lorsque la voiture vint faire demi-tour sur le parking du cimetière. Georges tenait un fusil de chasse.
Phil s’arrêta ensuite devant l’entrée de la maison du Sicilien en donnant des à-coups d’accélération.
Le canon du fusil de Georges apparut à la fenêtre arrière, semblant viser la porte d’entrée, qui se trouvait au-delà de la portée de son fusil pour qu’une décharge fût mortelle.
C’est alors que la porte s’ouvrit sur l’un des « cousins » de Salvatore Patronicci.
Il se baissa instinctivement et s’apprêtait à saisir une arme sous sa veste quand la Twingo démarra en trombe pour s’arrêter pile cinquante mètres plus loin.
Déjà, des cris ou des ordres retentissaient en sicilien et deux sbires se précipitèrent vers le monospace.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 11 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Alors, le lendemain, le mercredi, ni une ni deux, je l’ai emmené après le déjeuner pour un long périple touristique dans la ville. En partant à pied de la maison. Ce qui représentait déjà dix-huit kilomètres aller-retour. Histoire de le fatiguer. Ce qui était facile vu son manque d’entraînement évident par rapport à moi.
Mais là, il m’a soufflé, le Papy. Il avait des réserves insoupçonnées. Il a même failli me devancer au retour.
J’avais un point de côté. Les poumons en feu et le crâne en ébullition.
Lui, rien !
– Papy, c’est le chef, a osé dire ma fille à notre retour.
Ça m’a profondément vexé venant de sa part. Malgré les paroles d’apaisement d’Isa.
– Mais ce n’est qu’une enfant. Sois raisonnable, mon chéri.
Et, alors que, vanné, je ne pensais qu’à me coucher le plus tôt possible, lui, il est reparti pour son rodéo.
Encore une heure à me morfondre dans le jardin à attendre la catastrophe alors que mes yeux se fermaient de sommeil.
– Pas encore couché, Pierre ? qu’il m’a lâché goguenard lorsqu’il est revenu.
Je n’ai même pas eu envie de lui répondre.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 10 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 14

Chapitre 14





Le mardi 12, nous sommes partis à la mer. Deauville, cette fois. Mais j’ai quasiment chargé Phil de force dans la voiture.
Au moins, me suis-je dit en démarrant – je conduisais cette fois, à cause de l’image du père partageux des rôles mais non soumis à donner à ma fille pour son équilibre psychologique –, il ne pourra pas comploter aujourd’hui.
Bien sûr, ça n’empêchait pas les autres, les ruraux, de cogiter leurs conneries. Ils n’avaient d’ailleurs pas besoin de lui puisque Phil, avec son manque complet d’esprit pratique, ne leur servait à rien. Je ne comprenais d’ailleurs pas comment ils pouvaient s’encombrer de ce quasi-retraité de l’enseignement qui avait le plus souvent la tête dans la lune.
Il avait dû les impressionner avec ses diplômes et tout son baratin culturel.
– Hein ! Papy que t’es le chef ?
– Chut ! ma chérie…
– Oui, chut ! ma puce. On se tait quand papa conduit. Il lui faut de la concentration.
Je ne supporte pas toujours l’ironie de ma femme à mon égard.
Bref, j’étais quand même parvenu à lui mettre Papy à l’abri pour la journée. Et c’était toujours ça de gagner.
Je situais la zone de turbulence à venir vers le jeudi et le vendredi. Il me suffirait de le neutraliser à nouveau les trois jours à venir. Pour sa sécurité – et la nôtre.
Mais le soir, à notre retour, après une superbe journée à la plage et un déjeuner au Bar du Soleil sur les Planches, à presque neuf heures, Phil a demandé les clés de sa voiture à Isa pour aller faire un tour.
– Mais pour aller où ? lui ai-je demandé interloqué.
– En ville !
– Mais lâche un peu Papy ! est intervenue ma femme. Il a le droit d’aller se promener où il veut et quand il veut, non !
– Mais c’est ville morte, le soir !
– Et s’il veut aller tirer son coup ?
C’est vrai, je dois l’admettre, je n’ai jamais pensé que Papy pouvait avoir une vie sexuelle. Sentimentale, si. La preuve, sa relation avec Isa.
Tout compte fait, pourquoi pas ? À cinquante-sept ans, à part sa calvitie prononcée et sa bedaine, il portait beau quoique rondouillard. Elégant et courtois. Beau parleur – un peu trop à mon goût. Mais je ne le voyais pas attirer par le sexe. Aucune femme dans sa vie. Jamais un mot ou une allusion entre hommes avec moi sur une expérience passée ou une rencontre présente.
Vraiment le vieux garçon qui a vécu auprès de sa maman.
Phil n’a pas démenti. Peut-être qu’après tout il y avait un bordel confidentiel en ville ou des adresses accueillantes.
Peut-être même qu’un de ses nouveaux « amis » lui avait refilé un tuyau.
Alors je me suis montré beau joueur.
– Bon coup, Papy ! je lui ai dit.
Il a haussé les épaules. Isa m’a dit que c’était pas malin de ma part.
La voiture de ma femme, elle a un moteur qui fait un bruit particulier que je reconnaîtrais entre mille.
Je suis resté dans le jardin et j’entendais ce bruit décroître sur la route puis revenir dix minutes plus tard. Demi-tour vers la ferme. Et puis à nouveau le même manège.
Puis une deuxième voiture qui démarra de la ferme.
Une heure que ce manège a duré !
Comme une course-poursuite.
– Mais quelle connerie de s’amuser à se poursuivre sur un chemin départemental ! Phil a dû accepter un pari stupide avec le fermier ou l’un de ses frères… Il va se viander, ce con, et péter ta bagnole !
Isa ne m’a pas rabroué. Je l’ai vu inquiète.
– Qu’est-ce qu’ils peuvent fabriquer ? a-t-elle même dit.
Puis Phil est revenu. Avec tentative de dérapage contrôlé pour s’engager dans le chemin.
Content de lui. L’air aussi satisfait que s’il avait tiré son coup.
– Sympa, le rodéo, Papy ? ai-je demandé mi-figue, mi raisin.
– On s’est bien amusés ! qu’il a osé me répondre.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

samedi 8 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 13

Chapitre 13





Isa avait peut-être raison. Parce que, le lundi matin, je me sentais plutôt vaseux et avec un haut-le-cœur rien qu’à penser à tout ce qu’on avait englouti la veille.
Isa, Phil et Philippine semblaient frais comme des gardons. Pourtant, Phil, c’est pas de la menthe à l’eau qu’il avait bue hier.
L’idée m’est même venue que Phil pouvait être ce qu’on appelle un alcoolique mondain. Il devait s’entraîner en privé et boire de la menthe en public pour fignoler son image de prof respectable et respecté.
À dix heures, alors que je n’avais pas encore réellement émergé de mes vapeurs, il nous lança, tout pimpant et plein d’entrain :
– Excusez-moi, mais je dois m’absenter… J’ai rendez-vous avec mes amis.
– Je veux venir avec toi, Papy !
– Si tu veux, ma chérie.
Tout compte fait, ça m’a rassuré de les voir partir à pied tous les deux. Il serait incapable de faire des conneries en présence de Philippine.
Mais je n’ai pas pu tirer les vers du nez de ma fille quand ils sont revenus vers midi. Pourtant, les mômes ça saisit des trucs. Même à trois ans.
Je ne suis parvenu qu’à me faire engueuler par Isa qui m’a surpris en train de questionner Philippine.
– Tu ne vas quand même pas faire de ta fille une indic précoce !
Pourtant, un flic sans indic c’est comme un poisson hors de son bocal. C’est notre oxygène et notre gagne-pain. Nos yeux et nos oreilles. Même notre nez… Elle le sait, Isa !
D’accord, il y a des indics crapuleux et sordides. Mais il y en a d’autres qui sont très bien. Comme Phil, par exemple.
Là, ça ne l’a pas gênée quand elle lui a demandé comme un service personnel de servir d’indic à Antoine ! Pourtant, elle le considère comme son père…
Mais j’ai senti qu’Isa ne serait pas accessible à ce raisonnement. Qu’elle se braquerait si je touchais à Papy.
Isa, quand elle s’y met, elle peut être l’incarnation de la pire mauvaise foi féminine.
La preuve, je l’ai surprise après déjeuner, alors qu’elle couchait notre fille pour sa sieste, en train de la questionner à son tour…
– J’ai promis à Papy, maman. Nous avons nos secrets, Papy et moi…
Elle est très bien, ma fille !
Parfois, je me dis que, ma femme et moi, nous sommes à l’image de la guerre des polices. Chacun pour soi !


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 7 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12





Le dimanche matin, Isa nous fit la leçon comme à des mômes. À Papy et à moi. Juste avant de nous rendre chez Georges et Marcel.
Pour Papy, pas de démonstrations intempestives de son immense culture. Pour moi, pas d’emportement impulsif et de mauvaise humeur.
Philippine y échappa car, « elle, à presque trois ans, elle sait se tenir en public ».
Nous avons parcouru à pied les quelque trois cents mètres qui nous séparaient de la maison de Marcelle et Georges.
Le fermier et ses deux frères cadets étaient de solides gaillards d’une quarantaine d’années qui nous reçurent chaleureusement. Les cadets étaient jumeaux.
À quinze heures, sous une chaleur torride, nous attaquions seulement le fromage après avoir commencé par un plateau de charcuterie et enchaîné par le poisson –, des truites – suivi du gigot. Sans oublier les trous normands entre chaque.
C’était une joyeuse compagnie et nous étions tous détendus et de bonne humeur.
Avant les tartes du dessert, je surpris quelques mots échangés entre Georges et Phil.
– Vous avez vu, hein ! c’est bien profond comme je vous l’avais dit. Il y en a un qui est tombé dans une devant chez lui récemment. Eh ben, on n’a pas pu aller le chercher ! Et puis on pourra compter sur Michel et ses frères…
Michel, c’est le fermier.
J’ai regardé Isa qui était assise en vis-à-vis de moi et avait Phil à sa droite. Peut-être comprendrait-elle de quoi il pouvait s’agir. Mais Michel, qui était assis à ma droite, éclaira ma lanterne.
– Je m’occupe de remblayer les marnières avec mes frères quand il y en a une qui s’effondre dans le secteur. Je crois qu’on pourra bientôt remblayer celle de la route à côté…
Je fus rassuré mais je ne comprenais pas l’intérêt subit de Phil pour la géologie et le mouvement des sols. Surtout qu’il s’était promis, en arrivant en vacances, de commencer une étude sur Alexandre, poète du XIIe siècle natif de Bernay, « inventeur » de l’alexandrin par sa composition de Li romans d’Alexandre – d’Alexandre le Grand, roi de Macédoine – en vers de douze syllabes. Alors pourquoi s’intéressait-il à leur remblayage ?
J’éprouvai un sentiment étrange.
Plus tard, bien plus tard, une fois que nous fûmes de retour chez nous après le repas du soir, Isa me dit que c’était à cause du calva maison de cinquante ans d’âge – « celui des grandes occasions », comme avait dit Georges avant de déboucher la bouteille – et de ses soixante-dix degrés.
Mais je ne suis pas sûr qu’elle ait eu raison pour cette fois.
C’était un réel sentiment de malaise. Comme si j’avais découvert tout à coup que je me trouvais immergé dans un complot. Et les comploteurs étaient mes commensaux. Là, en chair et en os. Avec plein d’idées plus tordues les unes que les autres.
Ça me plongea dans un abyme de perplexité.
Je ne savais plus si j’entendais ce que j’entendais ou si je virais parano complet. Je ne voyais qu’allusions sibyllines dans les phrases que j’attrapais au vol.
« On fera comme on a dit » (Georges), « C’est entendu comme ça » (Michel), « C’est d’une simplicité géniale ! Il m’arrive souvent d’avoir de bonnes idées » (Phil), « On pourrait même en mettre deux » (l’un des jumeaux), « Mais il y en a cinq à mettre » (l’autre jumeau), « Non, je parle de tracteurs » (le premier jumeau), « C’est d’un classicisme ! En tant qu’expert, je peux vous le dire » (Phil), « Faudra pas boire avant ce soir-là, hein ! les hommes » (Marcelle), « Faudrait quand même régler ça avant l’Assomption » (Georges), « On entendra même pas le bruit » (Michel), « Rien à foutre » (le premier jumeau), « On sera rapide » (l’autre jumeau), « Personne pour regretter, c’est sûr » (Michel), « Que c’est beau, tout de même » (Phil), « Ça vous amuse bien, hein ! monsieur Phil » (Marcelle), « Vraiment le bon coup » (Michel), « Super » (le premier ou le deuxième jumeau), « C’est une belle. Bien large et profonde » (Georges)…
Comme les pièces d’un puzzle infaisable. Et même pas de modèle pour commencer par les bords.
J’ai eu du mal à trouver le sommeil.
– Isa, t’as compris quelque chose, toi ?… Mais à quoi pouvaient-ils faire allusion ?… J’en ai la migraine…
– Dors, mon chéri. Tu n’as jamais supporté les alcools forts.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

jeudi 6 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





Isa m’a dit que j’avais beaucoup parlé dans mon sommeil. Que j’avais été très agité toute la nuit.
Je n’en avais pas le moindre souvenir. J’avais dormi dix heures d’affilée et je me sentais frais et dispos.
Je n’ai même pas râlé quand Isa m’a proposé d’aller en ville aussitôt le petit déjeuner avalé. En amoureux.
Le samedi est jour de marché à Bernay, sur la place de la Poste, qui ne s’appelle pas ainsi mais place Derou.
Un petit marché de province où l’on reconnaît les « étrangers » à leur tenue négligée.
Évidemment, nous sommes tombés sur Georges et Marcelle. Qui n’avaient pas grand-chose à acheter vu qu’ils cultivent tout et élèvent volailles et moutons.
Les jours de marché ont remplacé en province les sorties de messe d’antan. C’est le parvis actuel de la convivialité, malgré la concurrence des supermarchés. Mais une grande surface n’aura jamais l’intimité d’une place de marché ni cet air de jour de fête chatoyant. Ça reste froid et impersonnel comme tout ce qui est uniquement fonctionnel. Et puis, sur un marché, il y a des odeurs, ça sent la vie, pas la morgue.
Bref, Georges et Marcelle nous coincèrent entre la charcuterie et la poissonnerie, alors que nous sortions de l’une pour entrer dans l’autre.
Pourtant, j’avais tout fait pour éviter la rencontre. Mais ils nous avaient savamment pistés. Pour nous inviter à déjeuner le dimanche midi chez eux. Avec le fermier d’à côté et ses deux frères. Histoire de faire connaissance.
Isa a accepté de bon cœur et m’a donné un coup de coude dans les côtes pour accélérer mes remerciements qui tardaient à venir.
– Comme ça, on va peut-être savoir ce qu’ils mijotent, me dit-elle en enfournant les courses dans le coffre.
Elle n’avait pas tort. Toutefois, je soupçonnais fort les deux retraités agricoles d’être plus aptes à nous manipuler que nous à les faire parler.
Les paysans, ils n’ont pas attendu les sauvageons de banlieue pour apprendre à « niquer » l’autorité et les étrangers au « quartier ». Ils savent ça depuis le Néolithique.
En quittant la route d’Orbec pour le chemin du Sacré-Cœur qui traverse le petit bourg de Caorches, j’ai demandé à Isa de bifurquer une centaine de mètres plus loin vers le cimetière, sous prétexte de lui montrer l’emplacement de la tombe de la fille du Sicilien.
En fait, je voulais surtout repérer la maison du Salvatore Patronicci. Juste pour m’en faire une idée.
Elle fut vite faite car j’ai immédiatement constaté qu’il n’y avait pas d’approche discrète possible. Même de nuit. À cause des deux chiens en liberté. De beaux bergers allemands tout en muscles. Mais le pire était peut-être le teckel de leur voisin qui aboyait rageusement pour un rien.
Nous sommes repartis en passant de nouveau devant la maison du Sicilien alors qu’un monospace s’apprêtait à franchir le portail du garage.
Il nous suivit jusqu’à l’entrée de notre chemin près de deux kilomètres plus loin. Puis poursuivit sa route vers le pont de Plainville.
En arrivant, nous avons découvert Phil en train d’activer les braises du barbecue en prévision des brochettes de poisson que nous avions promis de rapporter.
Pilippine, elle, était vautrée dans sa piscine miniature en plastique et caoutchouc vide d’eau.
Le reste de la journée fut sans histoire et Phil resta plongée dans les Commentaires de la Guerre des Gaules de Jules César. Regrettant de ne pas avoir apporté son Thucydide de La Pléiade.
– C’est impardonnable ! dit-il.
Ce à quoi nous ne pûmes qu’acquiescer.
Puis il nous bassina en nous racontant qu’il y avait eu à Caorches un castrum romain.
– Nous sommes ici le long d’une ancienne voie romaine et nous foulons peut-être l’emplacement de l’ancien camp militaire de ces grands civilisateurs que furent ces glorieux Romains…
Quand il lâchait sa logorrhée culturelle, c’était au moins le temps d’un cours. Ça me paraissait toujours très long.
– D’ailleurs, poursuivit-il en élevant le ton pour réveiller notre attention défaillante, les Romains avaient remarqué une coutume des Normands de l’époque, c’est-à-dire les Gaulois, et alors que la Normandie s’appelait la Neustrie…
– Ah !
– Oui, les Gaulois extrayaient la craie du sol et l’épandaient dans leurs champs.
– Pourquoi ? fit Isa réellement intéressée.
– Car le calcaire riche en carbonate de magnésium est un excellent engrais naturel. Ça rend les sols moins acides et, par conséquent, plus fertiles. Le calcaire était donc utilisé depuis des temps immémoriaux pour amender les sols limoneux… Mais vous ne savez pas tout !
– Ah !
– Oui, mon cher Pierre. Car la Haute-Normandie est truffée de marnières. Cent quarante mille pour les deux départements de l’Eure et de la Seine-Maritime ! C’est que les paysans, petits et grands, n’ont pas arrêté de creuser jusque vers 1920…
– C’est quoi, les « marnières » ? fis-je en retenant un bâillement.
– La craie ou la marne, mon pauvre Pierre, c’est la même chose. Donc, une marnière est la cavité creusée pour l’extraction de la craie. Avec des tailles bien variables. Parfois de véritables carrières sous les terres des paysans les plus riches. Avec des galeries et des puits d’accès jusqu’à trente mètres de profondeur, avec des chevaux… Mais il y a deux problèmes. Un, elles s’effondrent et s’effondreront toutes un jour ou l’autre sous le poids de la terre qui les recouvre. Deux, elles n’ont pas été recensées et l’on a construit dessus des maisons et des routes au fil du temps. Et une marnière de taille moyenne qui s’écroule, ça fait un trou de cinq cents mètres cubes !
– Etonnant !
– Le plus curieux, c’est que lorsque Napoléon III a voulu les recenser pour prélever une taxe, eh bien, il y a même des paysans qui se sont mis à creuser un nouveau puits d’accès dans le sol de leur cuisine pour le dissimuler…
– Et alors ?
– Elles s’effondrent en plus grand nombre ces dernières années. Il y en a même une sur la route barrée à cent mètres d’ici. Georges me l’a montrée. C’est spectaculaire. Ça engloutirait un tracteur…
Je ne voyais pas trop où il voulait en venir. Mais d’où sortait-il toutes ces connaissances ?
– Mais grâce à votre ordinateur portable, mon cher Pierre. J’ai cherché des renseignements sur la commune puis je me suis branché sur le site des archives de Paris-Normandie
* ce matin. Je suis d’un naturel curieux, moi…
* Dossier sur les marnières réalisé par Jean-Pierre Boulais. Site « paris-normandie ».


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 4 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 10 (suite et fin)

Chapitre 10 (suite et fin)





Isa a toujours l’esprit pratique. Elle ne cesse de me surprendre.
– Peut-être que les deux vieux ont un ou deux fusils ? Suffit de leur demander.
– Tu veux peut-être aussi demander au fermier d’à côté s’il n’a pas quelques reliques ? Et pourquoi pas tous les voisins et faire un remake des Sept Mercenaires en pleine campagne normande, pendant que tu y es !
– Et pourquoi pas ? m’a-t-elle lancé en défi.
Je n’y croyais vraiment pas. Je voyais ma chère et tendre épouse devenir aussi taré qu’eux sous mes propres yeux.
– Mais tire pas une tronche comme ça ! Je déconnais juste…
Et le Phil qui se pointait en sifflotant.
– Vous manigancez quoi ? lui lâchai-je méchamment.
Il me snoba.
– Ça ne vous concerne pas !
– Mais vous mettez Philippine en danger !
Là, il me jeta un regard vraiment mauvais.
– Mais c’est vous, mon pauvre Pierre, qui mettez sa vie en danger en laissant vivre ces saloperies !
Alors j’ai tenté le bon sens.
– Mais vous n’êtes même pas armés…
– Si. Georges a un vieux fusil de chasse.
– Ah ! vous voyez, Phil, c’est pas sérieux.
– Mais les armes ne jouent qu’un rôle secondaire dans notre plan. Tout est dans l’intelligence et la finesse tactique, précisa-t-il en pointant son index droit contre sa tempe. Nous, nous n’évoluons pas dans la brutalité policière, si vous voyez ce que je veux dire, Pierre…
Isa s’est interposée entre nous au moment où j’allais le prendre à la gorge et ne plus lâcher prise jusqu’à ce que mort…
Non ! J’allais quand même pas péter les plombs ! Mais pourquoi cette pulsion de meurtre par strangulation sur Papy ?…
– On se calme, les hommes ! On est de grands garçons… Voilà, on recule un peu et on respire un grand coup. Ça ira mieux après…
En fait, ça n’a pas été tellement mieux après. J’ai senti les choses m’échapper. Avec la sensation d’évoluer dans un univers étranger.
C’est simple, depuis que j’étais là, j’éprouvais le sentiment d’évoluer dans une cinquième dimension. Comme si cette propriété était placée sous le signe d’une malédiction quelconque.
C’est vrai, je suis superstitieux. C’est même terrible parce que c’est quelque chose qui ne se commande pas du tout et qui ne vous lâche plus quand ça vous prend. Comme à présent.
– Les deux vieux nous ont jeté un sort ! je me suis dit à haute voix.
– Mais qu’est-ce que tu racontes, chéri ?
J’ai sursauté et me suis ressaisi.
– Rien, Isa. Rien. Je me sens juste un peu fatigué…
– Eh bien, rejoins ta fille pour faire la sieste, mon chéri.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 3 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Le lendemain matin, le vendredi 8, je me suis rendu seul à la gendarmerie de Bernay.
J’ai été reçu au bout d’un quart d’heure par le brigadier.
– Qu’y a-t-il pour votre service, commandant ?
J’avais décidé l’offensive sans concession.
– Mettre les choses au clair, commençai-je, même si ce ne sont pas mes affaires. Mais ça peut le devenir…
– Serait-ce une menace ? Cela me surprend de votre part.
– Non, brigadier. Mais vous savez parfaitement que Salvatore Patronicci est l’auteur du meurtre de Dominique Pieri et, probablement, de celui de Jacques Berton.
– Oui. Et alors ?
J’étais soufflé.
– Que voulez-vous, je le sais, mais je n’ai pas de preuves.
Il avait l’avantage, le savait et prit la peine de se fendre d’un large sourire avant de poursuivre.
– Lors de la découverte du cadavre d’Annabelle Patronicci, nous avons rapidement soupçonné Jacques Berton. Mais il s’était enfui. Puis, ensuite, il y a eu l’installation de Salvatore Patronicci. Qui venait attendre le retour du meurtrier. Que voulez-vous ? lui il y croyait… Aussi, dès le retour de Berton sous prétexte du décès de sa sœur – pas très clair d’ailleurs son suicide par pendaison, on peut y voir la main de Patronicci pour accélérer le retour du dernier des rejetons Berton –, je les ai surveillés tous deux… Nous avons eu droit à l’explosion suspecte du garage des Berton et à l’incendie – à la grenade incendiaire, s’il vous plaît ! – de la pizzeria Patronicci… Nous étions observateurs et nous le sommes restés – je ne vous apprendrai rien en vous disant que, si la justice a parfois du mal à éliminer les malfaisants, parfois, ceux-ci y parviennent plus facilement en s’entretuant… Je ne suis pas contre – officieusement, s’entend –, et vous, commandant ?
Je revoyais mon séjour du mois de juillet dans le pays de Retz et repensais aux moyens que j’avais employés.
J’opinai.
– À la bonne heure ! J’étais sûr que nous nous comprendrions… Bref, il est évident que Patronicci a mutilé le sieur Pieri puis l’a achevé. Comme il a sûrement assassiné le sieur Berton… Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi qui l’ai rencontré plusieurs fois et l’ai bien observé, ce Berton, je puis vous assurer qu’il ne faisait pas le poids face au Sicilien, surtout que ce dernier avait rameuté de la « main-d’œuvre » – des « cousins »… Et je l’imagine mal réussissant à lui échapper. Donc, le corps n’est pas loin. Mais où ? Vous avez une idée, commandant ?
J’avais la bouche sèche de toutes ces révélations qui recoupaient mes déductions.
Le brigadier attendait patiemment ma réponse.
– À mon avis, il se trouve dans la tombe de la fille de Patronicci.
– La tombe d’Annabelle, la seule du cimetière qui n’ait pas de nom ? Je suis d’accord avec vous… Mais, si je la fais ouvrir, poursuivit-il d’un air matois, qui me prouve que le corps de Berton ait été mis là par le papa Patronicci ? J’ai une présomption mais toujours pas de preuve, n’est-ce pas ?
– Je vous l’accorde.
Il se pencha vers moi à travers son bureau en prenant appui de ses deux coudes.
– Je vais vous confier un secret… Le marbrier attend, pour le début de la semaine prochaine, une superbe dalle funéraire avec stèle monumentale, le tout du plus beau marbre de Carrare – limite convoi exceptionnel, si vous voyez le genre… Bref, le papa Patronicci a prévenu le marbrier qu’il n’avait qu’à s’occuper de la livraison. Lui et sa famille s’occuperont de l’installation. Il lui a présenté ça, cet enfoiré de mafieux, comme une vieille tradition sicilienne !… Donc, j’ai dit au marbrier, qui est venu s’en inquiéter auprès de moi, de les laisser faire. Comme ça, je pourrai les surprendre en train d’ouvrir la fosse et, si le corps de Berton s’y trouve – comme nous le supposons tous deux –, les arrêter tous quand ils commenceront l’installation de leur monument, en flagrant délit de dissimulation et recel de cadavre…
Je me sentais quelque peu rassuré, mais nous étions le 8 et il s’agissait de prendre de vitesse les possibles conneries de Phil et des deux vieux.
– Ah oui ! j’allais oublier, reprit le brigadier. Le vieux Patronicci tient absolument à faire sa maçonnerie le vendredi 15, le jour de l’Assomption… Que voulez-vous, encore une tradition sicilienne !
Je ne savais pas comment j’allais pouvoir retenir mes trois lascars toute une semaine. Mais j’eus l’impression que le brigadier lisait dans mes pensées.
– D’ici là, vous savez, s’il y a du nettoyage dans l’air, c’est que Dieu l’aura voulu ! Ce n’est pas moi qui irai m’en plaindre en cette période de restriction budgétaire…
Il éclata de rire sur ces bons mots.
Je ne pus que sourire jaune.
– À bientôt, commandant. De toute façon, je passerai vous voir pour faire signer au grand-père de la petite sa déposition en tant que « découvreur » du cadavre du bois. Je ne vais quand même pas convoquer ce brave homme et éminent professeur à la gendarmerie, n’est-ce pas ?
Il m’a accompagné jusqu’à la sortie, mais je n’ai pas compris pourquoi il m’a souhaité « bonne chance » d’un air entendu. Mais je savais que j’allais en avoir besoin.
Ce que m’a confirmé la vision des deux vieux en train de discuter de façon animée avec Phil à l’entrée du chemin d’accès à notre fermette.
Que pouvaient-ils bien comploter ? Je ne voyais pas George et Marcelle, à soixante-dix ans, et encore moins Phil, le pacifique prof de lettres, se transformer en desperados.
Ça sentait quand même les emmerdes à venir s’ils provoquaient le Salvatore Patronicci d’une façon ou d’une autre.
Il me fallait les protéger contre eux-mêmes et tenir Isa et notre fille à l’écart.
Ces mafieux, au nombre de cinq selon le brigadier, étaient loin d’être des enfants de chœur. S’ils apprenaient ou savaient déjà – et pourquoi pas ? – qu’Isa et moi étions officiers de police, ils pouvaient même s’imaginer dans leur tête de tarés que nous étions là en opération clandestine contre eux.
J’ai expliqué longuement à Isa le fruit de mes cogitations après lui avoir fait le compte rendu de mon entretien avec le brigadier. Qu’il laissait le champ libre à un éventuel « assainissement » providentiel. Qu’il resterait, à mon sens, en retrait. Pour compter les coups. Mais elle refusa tout net de partir avec Philippine ou d’aller terminer ailleurs ses vacances pour les raisons de sécurité évidentes que je lui exposai.
Elle voyait les choses différemment. Elle estimait que le brigadier était correct. Qu’il resterait effectivement en retrait mais aurait toujours un œil sur nous, de jour comme de nuit. Que ça représentait une sacrée protection.
Que Patronicci et ses quatre sbires n’oseraient jamais s’attaquer frontalement à nous car il devait bien se douter que la cavalerie ne serait jamais bien loin.
Qu’il n’était pas question qu’elle parte sans moi. Qu’elle veillerait sur notre fille. Qu’il n’y avait d’ailleurs aucune raison de se mêler de tout ça. Qu’il n’y avait qu’à laisser faire le brigadier et ses hommes le jour de la pose de la dalle de marbre. Le 15 août.
– Mais c’est Phil et les deux vieux qui sont en train de nous mêler à tout ça ! ai-je protesté. Te rends-tu compte que, pour nous et notre fille, ils représentent un danger aussi importants que le Patronicci s’ils s’amusent à le défier avec leurs projets débiles que nous ignorons totalement ? Et nous n’avons que nos deux flingues de service ! Avec ça, on ne va pas loin face à des individus qui disposent à leur guise de tout un arsenal allant de l’arme de poing sophistiquée au lance-roquettes en passant par les explosifs en tout genre !


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

samedi 1 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





Le jeudi 7, peu avant midi, le brigadier vint nous rendre une visite, « de courtoisie », selon ses propres termes.
Il nous apprit que Dominique Pieri avait été émasculé de son vivant. Que son oreille avait été tranchée avant le reste. Que l’on n’avait pas retrouvé de traces significatives ni dans le garage ni dans la maison. Que Jacques Berton était toujours en fuite.
– Et la fouille du jardin derrière la maison ? demandai-je.
– Ça n’a rien donné. Et d’ailleurs il n’y avait pas de trace sur le corps qu’on l’ait traîné jusqu’au bois. Nous pensons que Jacques Berton a utilisé la brouette à bois pour transporter le corps.
– Et si Jacques Berton avait été également assassiné ?
– Dans ce cas, il aurait été enseveli dans le bois comme son associé. Nous avons sondé les alentours hier mais nous n’avons pas découvert d’autre « tombe ».
– Peut-être parce que vous ne cherchiez pas au bon endroit, lui ai-je dit simplement.
Mais il ne pouvait pas comprendre le sens de ma phrase. Ou pas encore.
– Pour nous, l’affaire est bouclée. S’il n’y a pas de fait nouveau dans les jours à venir, nous en resterons là.
Il s’apprêtait à partir et il changea brusquement de sujet.
– Tiens ! le grand-père de la petite n’est pas là aujourd’hui.
C’était une simple constatation.
Isa lui a répondu ironiquement.
– Non. Mais il n’a pas disparu – ou pas encore ! Il a simplement souhaité déjeuner en ville en célibataire.
Le brigadier s’excusa de ne pouvoir rester plus longtemps et repartit. Il me laissait une drôle d’impression.
S’il soupçonnait Jacques Berton d’avoir assassiné – pour on ne sait quelle raison – la fille du Sicilien il y a douze ans, pourquoi ne soupçonnait-il pas le Sicilien d’avoir assassiné et Pieri et Berton ?
Ou alors il souhaitait laisser les événements suivre leur cours. Mais lequel ?
– Au fait, ai-je demandé à Isa, c’est quoi cette histoire de Phil qui souhaite déjeuner en ville ?
– C’est rien. Il veut juste voir de quoi à l’air la pizzeria du Sicilien.
Je craignais le pire. Papy allant taquiner la Mafia dans son antre !
Mais le pire, pour l’instant, c’étaient les deux retraités agricoles qui revenaient plus tôt que je ne l’avais pensé.
Ils avaient l’air gênés. Moi, j’étais déjà sur mes gardes.
Ni l’un ni l’autre ne se décidait à parler. Chacun des deux attendant que l’autre prenne l’initiative.
Après s’être dandiné un moment sur ses jambes, Georges s’est enfin décidé.
– Il faut qu’on vous dise quelque chose…
Dans ce cas, il faut se taire afin que le malaise que crée le silence oblige l’interlocuteur à vider son sac.
– Voilà… Eh ben, ma femme et moi, on a toujours soupçonné le fils Berton du meurtre de la jeune Sicilienne… Alors, quand le brave M. Patronicci nous a demandé de lui prêter la clé de la maison des Berton pour donner une leçon à l’assassin de sa fille, eh ben, on la lui a donnée…
– Il a dû vous dédommager, non ? le coupai-je en leur jetant un regard compréhensif.
– Oh ! pas tant que ça vu le service rendu, jeta Marcelle. Puis, ce pauvre M. Domi si gentil, c’était pas prévu qu’il soit tué… Il n’avait rien à voir là-dedans. Il était innocent !
– Oui, reprit Georges, ça a été trop loin… C’est d’ailleurs pour ça qu’on voulait vous causer. Parce que, nous, on n’a rien à voir là-dedans… On a juste prêté la clé pour rendre service…
– On s’est demandé ce qu’on devait faire pour ne pas avoir d’ennui. Alors, Georges et moi, on s’est dit que le mieux était de le dire à la police, et comme vous êtes de la police…
Avec Isa, nous nous sommes regardés avec effarement. L’un et l’autre pensions la même chose. « Complicité de meurtre » !
Après un moment de réflexion pour donner plus de poids à mes paroles, je me suis lancé d’un ton empreint de gravité.
– Je ne vois qu’une solution. Répéter aux gendarmes ce que vous venez de nous avouer. Cela fera avancer l’enquête. Il vous en sera tenu compte par le juge…
– Ah ! mais il n’en est pas question ! me coupa farouchement Marcelle. Nous, on n’a rien à dire à c’te grande andouille de brigadier, hein, Georges ?
Le mari opina de la tête en prenant un air buté.
– Mais, Marcelle, intervint Isa, si mon mari et moi allons répéter vos dires au brigadier, il viendra vous interroger…
– Ah ! mais c’est que nous on vous a rien dit, hein, Georges ? Et puis ce serait comme de la délation de vot’ part ! Nous on est venus se confier à vous par sympathie et en toute confiance. La mort du Jacquot, elle est juste. Mais pas celle de M. Domi. C’est ça qui nous pèse sur la conscience, vous comprenez ?
Marcelle s’était mise à essuyer de grosses larmes.
Georges posa son bras sur ses épaules et tenta de la consoler.
– Nous, c’qu’on veut, c’est réparer la mort de M. Domi, déclara Georges avec dignité. Si vous voulez pas nous aider, eh ben, on se débrouillera tout seul ! On a l’habitude. Et c’est pas toute l’autorité des Parisiens qui nous fera peur, foi de Normand ! conclut-il un rien condescendant avant d’entraîner sa femme vers le portail.
Isa et moi n’avions plus faim et moi j’avais envie de retourner à Paris, même par cette canicule, pour y couler des vacances paisibles les pieds dans l’eau du bassin du Trocadéro et en dînant chinois ou libanais pour le dépaysement…
À voir notre tête, Philippine ne fit aucune difficulté pour avaler ses épinards et sa tranche de jambon.
Et Phil qui nous revenait tout excité. Il ne manquait plus que ça !
– J’ai découvert ! bégaya-t-il d’énervement. Ça sent le trafic de drogue et le crime organisé. Et je m’y connais ! C’est des gros, en plus, des mafieux, sûr !
Nous étions atterrés. Il nous contempla un moment.
– Vous en faites des têtes ! poursuivit-il. Si vous n’êtes pas contents, c’est pas grave, je me débrouillerai tout seul avec le commissaire Antoine pour les faire tomber ces pourritures d’empoisonneurs… Vous préférez peut-être que ma petite-fille se drogue plus tard !
Nooon ! Pitié ! Dieu existe-t-il ? Dans ces moments, on aimerait toujours que oui.
J’imaginais déjà la colère homérique d’Antoine. « Quoi ! après vos faux cadavres, un faux réseau de drogue de la Mafia sicilienne en pleine campagne normande ? Et puis quoi, encore ! »
– Papy, dis-je en m’efforçant de garder mon calme, en mettant dans ma voix le plus de tendresse filiale possible, le commissaire Antoine, c’est peut-être pas une bonne idée en ce moment. Il est très surchargé et…
– C’est bon, j’ai compris, je me débrouillerai seul. D’ailleurs, j’ai l’habitude, moi !
– Mais Phil…, tenta Isa.
– Quoi ? Toi aussi tu acceptes que ces nuisibles puissent droguer ta fille plus tard – et pis même ! Tu me déçois, ma fille…
Philippine se mit à pleurer et se précipita vers son grand-père.
– Vous êtes méchants avec Papy !
Mais qu’est-ce que je fous là ?
Isa et moi nous avons tenu un conseil de guerre dans notre lit une partie de la nuit. Il n’y avait qu’une solution. Mettre le brigadier sur la piste du Sicilien pour qu’il arrête le massacre. Papy et les deux vieux ne faisaient pas le poids face à lui.


– Tu te rends compte, me dit-elle au moment de nous endormir, on n’a pas encore fait l’amour depuis qu’on est là !
– On n’a pas eu le temps, ma pauvre chérie, avec toute cette dinguerie.
– J’ai même pas envie, amour. Et toi ?
– Non plus.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.