Chapitre 22
Jeanne Collieri s’éveilla de bonne humeur ce matin du 6 décembre. Il était déjà huit heures et elle alla entrouvrir la porte du salon.
C’était un capharnaüm et ça sentait le tabac froid. Aucun des six hommes n’était réveillé et quelques-uns ronflaient de façon cacophonique.
À neuf heures, les femmes avaient déjà déjeuné et étaient toutes habillées.
Gilbert Lenoir fut le premier à émerger. Suivi de Pierre Cavalier.
Il était neuf heures et demie.
René Bellou apparut dix minutes plus tard pour dire qu’il allait prendre une douche avant de déjeuner – « Je veux avoir les idées claires ! » dit-il –, mais qu’on n’oublie surtout pas de le prévenir si on le demandait au téléphone.
Les femmes, durant la nuit, avaient débranché les prises des postes de l’appartement. Celles de l’entrée, du salon, de la salle à manger, de la cuisine. Même celles de la chambre d’amis où avaient dormi Maria et Antoinette et celle de la chambre de Jeanne Collieri. Seule restait fichée la prise de la chambre d’Élisa Matocelli.
À dix heures la sonnerie retentit et Jeannette, l’infirmière, décrocha et répondit : « Ne quittez pas ! » S’empressant d’aller chercher Jeanne Collieri qui revint avec ses copines sur les talons.
– Allô ! fit la tante de sa voix emplie d’autorité dès qu’elle eut saisi le combiné.
– J’ai demandé à parler à René Bellou, dit l’interlocuteur étonné.
– Je sais, mais il a dû s’absenter et m’a demandé de prendre le message.
– En ce cas, je le rappellerai.
– Oh ! ne vous inquiétez pas. Je suis de son équipe locale. Alors, c’est oui ou c’est non ?
Le sous-directeur Tomasini sembla hésiter.
Jeanne Collieri se racla la gorge pour signifier qu’elle était là à attendre à l’autre bout du fil.
– Bon, se décida Tomasini comme à contrecœur. Dites-lui que c’est oui.
– Feu vert pour aujourd’hui, donc ?
– C’est cela. Mais je le rappellerai en fin de matinée sur son portable. Dites-le-lui.
– Ah ! je regrette, ce ne sera pas possible. Dès à présent, nous appliquons la procédure. Plus aucune communication.
– Bon, bon, ça va, répondit hâtivement le sous-directeur qui ne supportait pas qu’on lui rappelle les règles de sécurité élémentaires. Mais qu’il m’envoie un texto de confirmation de réception. Je compte sur vous.
Jeanne Collieri resta un moment perplexe après avoir reposé le combiné.
– Il veut un texto…, dit-elle.
Elle lut des « oh ! la la ! » dans le regard des trois vieilles dames.
Jeannette, la soixantaine, dit qu’elle connaissait mais qu’elle ne savait pas faire.
Élisa sourit.
– Empruntez le téléphone du commissaire Bellou et apportez-le-moi. Je vais vous l’envoyer, votre texto !
Jeanne Collieri désigna Laëtitia comme volontaire pour remplir la mission.
Son visage avait toujours exprimé une telle naïveté qu’on lui donnait le Bon Dieu sans confession. « Pourtant, songea Jeanne Collieri, qu’est-ce qu’elle a pu le tromper son homme ! »
Le commissaire Bellou était en train de s’habiller quand Laëtitia pénétra dans le salon et se dirigea vers lui.
– Pourrais-je vous emprunter votre téléphone portable cinq minutes ? demanda-t-elle avec un sourire angélique.
Alors qu’elle sortait du salon avec le portable du commissaire, celui-ci se demanda pourquoi le sien précisément. Puis il pensa à l’appel de Tomasini qu’il attendait.
– Il n’y a pas eu de coup de fil pour moi ? demanda-t-il à la ronde.
– Non, chef ! répondirent en chœur Mathieu et Fabrice, ses subalternes.
Le lieutenant Gilbert dit qu’il avait cru entendre une sonnerie de téléphone. Ce que confirmèrent Antoine et Cavalier.
Bellou, méfiant, se dirigea vers le poste du salon et en suivit le cordon.
Il était débranché.
Soudain empli de suspicion, il se précipita torse nu dans le couloir, les bretelles de son pantalon pendouillant de part et d’autre de ses jambes.
La prise du téléphone de l’entrée était, elle, branchée.
Il douta un moment puis se précipita vers la salle à manger.
Branchée.
La cuisine. Où Jeanne Collieri et les deux « cantinières » le virent se mettre à quatre pattes pour dénicher la prise dissimulée par un billot de boucher.
Branchée.
– Le café se sert à table chez moi, pas à terre, ne put s’empêcher de lui lâcher, goguenarde, Jeanne Collieri.
Tout en se relevant, le commissaire demanda s’il n’y avait pas eu de coup de fil pour lui tandis qu’il était dans la salle de bains.
– Si, répondit Jeanne Collieri. Mais j’attendais que vous soyez présentable pour vous l’annoncer. D’ailleurs, tout est remis à demain et la personne que j’ai eue a dit qu’elle vous rappellerait demain matin.
Perplexe, le Nantais se passa la main sur le menton rasé de frais.
– Je vais quand même rappeler, dit-il à mi-voix.
– Surtout pas. La personne m’a bien précisé de vous dire que vous deviez attendre son appel et de ne pas tenter de l’appeler, pour des raisons de sécurité… Ce monsieur a l’air très à cheval sur ce point.
– Oui, c’est vrai, fit le commissaire en pensant que le sous-directeur avait vraiment toujours été un maniaque des procédures de sécurité.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Jeanne Collieri s’éveilla de bonne humeur ce matin du 6 décembre. Il était déjà huit heures et elle alla entrouvrir la porte du salon.
C’était un capharnaüm et ça sentait le tabac froid. Aucun des six hommes n’était réveillé et quelques-uns ronflaient de façon cacophonique.
À neuf heures, les femmes avaient déjà déjeuné et étaient toutes habillées.
Gilbert Lenoir fut le premier à émerger. Suivi de Pierre Cavalier.
Il était neuf heures et demie.
René Bellou apparut dix minutes plus tard pour dire qu’il allait prendre une douche avant de déjeuner – « Je veux avoir les idées claires ! » dit-il –, mais qu’on n’oublie surtout pas de le prévenir si on le demandait au téléphone.
Les femmes, durant la nuit, avaient débranché les prises des postes de l’appartement. Celles de l’entrée, du salon, de la salle à manger, de la cuisine. Même celles de la chambre d’amis où avaient dormi Maria et Antoinette et celle de la chambre de Jeanne Collieri. Seule restait fichée la prise de la chambre d’Élisa Matocelli.
À dix heures la sonnerie retentit et Jeannette, l’infirmière, décrocha et répondit : « Ne quittez pas ! » S’empressant d’aller chercher Jeanne Collieri qui revint avec ses copines sur les talons.
– Allô ! fit la tante de sa voix emplie d’autorité dès qu’elle eut saisi le combiné.
– J’ai demandé à parler à René Bellou, dit l’interlocuteur étonné.
– Je sais, mais il a dû s’absenter et m’a demandé de prendre le message.
– En ce cas, je le rappellerai.
– Oh ! ne vous inquiétez pas. Je suis de son équipe locale. Alors, c’est oui ou c’est non ?
Le sous-directeur Tomasini sembla hésiter.
Jeanne Collieri se racla la gorge pour signifier qu’elle était là à attendre à l’autre bout du fil.
– Bon, se décida Tomasini comme à contrecœur. Dites-lui que c’est oui.
– Feu vert pour aujourd’hui, donc ?
– C’est cela. Mais je le rappellerai en fin de matinée sur son portable. Dites-le-lui.
– Ah ! je regrette, ce ne sera pas possible. Dès à présent, nous appliquons la procédure. Plus aucune communication.
– Bon, bon, ça va, répondit hâtivement le sous-directeur qui ne supportait pas qu’on lui rappelle les règles de sécurité élémentaires. Mais qu’il m’envoie un texto de confirmation de réception. Je compte sur vous.
Jeanne Collieri resta un moment perplexe après avoir reposé le combiné.
– Il veut un texto…, dit-elle.
Elle lut des « oh ! la la ! » dans le regard des trois vieilles dames.
Jeannette, la soixantaine, dit qu’elle connaissait mais qu’elle ne savait pas faire.
Élisa sourit.
– Empruntez le téléphone du commissaire Bellou et apportez-le-moi. Je vais vous l’envoyer, votre texto !
Jeanne Collieri désigna Laëtitia comme volontaire pour remplir la mission.
Son visage avait toujours exprimé une telle naïveté qu’on lui donnait le Bon Dieu sans confession. « Pourtant, songea Jeanne Collieri, qu’est-ce qu’elle a pu le tromper son homme ! »
Le commissaire Bellou était en train de s’habiller quand Laëtitia pénétra dans le salon et se dirigea vers lui.
– Pourrais-je vous emprunter votre téléphone portable cinq minutes ? demanda-t-elle avec un sourire angélique.
Alors qu’elle sortait du salon avec le portable du commissaire, celui-ci se demanda pourquoi le sien précisément. Puis il pensa à l’appel de Tomasini qu’il attendait.
– Il n’y a pas eu de coup de fil pour moi ? demanda-t-il à la ronde.
– Non, chef ! répondirent en chœur Mathieu et Fabrice, ses subalternes.
Le lieutenant Gilbert dit qu’il avait cru entendre une sonnerie de téléphone. Ce que confirmèrent Antoine et Cavalier.
Bellou, méfiant, se dirigea vers le poste du salon et en suivit le cordon.
Il était débranché.
Soudain empli de suspicion, il se précipita torse nu dans le couloir, les bretelles de son pantalon pendouillant de part et d’autre de ses jambes.
La prise du téléphone de l’entrée était, elle, branchée.
Il douta un moment puis se précipita vers la salle à manger.
Branchée.
La cuisine. Où Jeanne Collieri et les deux « cantinières » le virent se mettre à quatre pattes pour dénicher la prise dissimulée par un billot de boucher.
Branchée.
– Le café se sert à table chez moi, pas à terre, ne put s’empêcher de lui lâcher, goguenarde, Jeanne Collieri.
Tout en se relevant, le commissaire demanda s’il n’y avait pas eu de coup de fil pour lui tandis qu’il était dans la salle de bains.
– Si, répondit Jeanne Collieri. Mais j’attendais que vous soyez présentable pour vous l’annoncer. D’ailleurs, tout est remis à demain et la personne que j’ai eue a dit qu’elle vous rappellerait demain matin.
Perplexe, le Nantais se passa la main sur le menton rasé de frais.
– Je vais quand même rappeler, dit-il à mi-voix.
– Surtout pas. La personne m’a bien précisé de vous dire que vous deviez attendre son appel et de ne pas tenter de l’appeler, pour des raisons de sécurité… Ce monsieur a l’air très à cheval sur ce point.
– Oui, c’est vrai, fit le commissaire en pensant que le sous-directeur avait vraiment toujours été un maniaque des procédures de sécurité.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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