lundi 16 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 20 (suite 1)

Chapitre 20 (suite 1)





Un lourd silence s’établit après ses paroles. Seules les femmes souriaient.
Gilbert Lenoir semblait se livrer à de sombres réflexions.
– Attendez, fit-il tout à coup, les yeux exorbités, ne me dîtes pas qu’on est là pour une opération terroriste…
– Personne n’a parlé de ça ! lâcha Antoine qui, malgré tout, semblait s’interroger à son tour.
– Parce que moi, insista Lenoir, je suis aux Stups, pas dans l’anti-terrorisme…
– Si tu continues à débiter des conneries, le coupa Antoine d’une voix mal assurée vu ses propres doutes, tu te vas te retrouver à la circulation avec les « Rivoire et Carret », crois-moi !
Lenoir fixa son patron dans les yeux.
– Eh bien, moi, je préfère ça plutôt que de finir mes jours en taule ! lui rétorqua-t-il sans se démonter.
– On se calme ! jeta la voix à nouveau tonitruante de Jeanne Collieri.
– J’allais le dire, chère madame, intervint Bellou.
– Ah ! vous, ne me coupez pas sans cesse la parole ! le rabroua-t-elle. D’ailleurs, le petit à raison. Ce que vous dites n’est pas très clair et vous tournez trop autour du pot. Nous, hein ! les filles, poursuivit-elle en s’adressant à ses copines, dans la Résistance on appelait un chat à chat et « à la balle et au couteau », commença-t-elle de chantonner sous le regard effaré des policiers. Donc, je reprends : qui, quand, où et comment ?
– Mais je ne veux pas devenir un assassin ! clama Lenoir.
– C’est ça, gueule plus fort ! hurla Antoine.
– Y en a marre ! beugla Bellou.
– Léo Ferré, maintenant. Et chanté par des flics ! J’aurai tout vu, ricana Jeanne Collieri.
Tous les flics restèrent cois. Que venait faire Léo Ferré dans ce foutoir ?
Jeanne Collieri en profita pour reprendre l’initiative.
– Ne t’inquiète pas, mon petit Gilbert – tu permets que je t’appelle Gilbert ? –, tu ne vas pas devenir un assassin, dit-elle doucement, mais un justicier.
– Moi, je ne vois pas la différence au regard du code pénal, objecta poliment Lenoir.
– Moi non plus ! surenchérit Antoine.
Que cloua Jeanne Collieri.
– C’est pas à vous que je cause. C’est au petit !
Elle ficha son regard dans celui du commissaire des Stups qui baissa rapidement les yeux et entreprit de jouer avec son couteau. Puis elle revint au lieutenant Lenoir.
– Ah ! où j’en étais ?… Ah oui ! la différence entre le crime et la justice… Donc, je voulais te dire que nous aussi, les vieilles que tu vois ici, dans la Résistance, on a dû arracher des mauvaises herbes pour se débarrasser des envahisseurs et recouvrer la liberté. Eh bien, toi, et tes amis aussi, c’est pareil, vous allez devoir en arracher, mais, cette fois-ci, pour ne pas la perdre cette bon Dieu de liberté chérie… Du moins, et je l’espère, si nous sommes toutes et tous d’accord autour de cette table. Nous, les vieilles de l’hospice, comme a dit ce monsieur de la capitale qui fait dans la drogue, la bête immonde, on connaît, mais peut-être que quelqu’un, ici, autour de cette table (ce disant, elle balaya du regard, un à un, les six hommes assis autour de la table), sous mon propre toit, a des états d’âme et refuserait d’aller au secours de la République et de la démocratie… même si pour ça il faut sauver Chirac ? conclut-elle avec une moue entendue.
S’il y avait un hésitant, il n’osa se manifester et affronter les foudres de la tante.
Le commissaire Antoine, qui avait été vexé par la pique de la vieille dame, se leva.
– Sachez, madame, déclara-t-il pompeusement, que cette mission est un honneur pour nous tous ici réunis !
Pierre Cavalier trouva que son ami en faisait un peu trop. Mais Jeanne Collieri fit une légère inclination de tête en jetant un regard enjôleur au commissaire parisien.
– Alors, nous ne pouvons que nous entendre, cher commissaire.



© Alain Pecunia, 2009.
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