Chapitre 21
Tandis que les hommes prenaient un dernier verre dans le salon
transformé en dortoir pour grands collégiens, les quatre femmes s’affairaient en silence entre la salle à manger et la cuisine.
On n’entendait que le cliquetis des couverts et des assiettes. Le bruit étouffé des placards de la cuisine.
Les deux « cantinières » étaient à la plonge. Jeanne et Laëtitia assuraient le rangement.
Un observateur extérieur eût pensé qu’elles s’empressaient d’expédier cette corvée ménagère par hâte d’aller se coucher enfin après une rude journée.
En fait, dès qu’elles eurent rangé le dernier verre et passé le dernier coup de torchon sur la table de la cuisine et sur l’évier, en catimini elles se rendirent toutes quatre dans la chambre d’Élisa Matocelli.
Élisa sommeillait et ouvrit les yeux quand elles pénétrèrent dans la pièce. Comme si elle s’était attendue à leur venue.
L’infirmière retraitée l’aida à se redresser légèrement dans son lit.
Élisa grimaça légèrement de douleur. Mais, mis à part ses deux côtes, elle ne ressentait plus qu’une raideur au niveau des cervicales.
La chambre de la nièce était spacieuse mais les quatre nouvelles venues se regroupèrent autour du lit.
– À nous, maintenant ! commença Jeanne Collieri après que les unes et les autres eurent prodigué des phrases et des gestes d’affection à Élisa.
Tous les regards convergèrent vers celle qui était leur « chef » naturel et dont l’autorité était réellement indiscutée et, de toute façon, indiscutable, à la fois par l’aura qui l’entourait et parce qu’elle ne supportait pas la moindre contradiction lorsqu’elle avait pris une décision, quelle qu’elle soit.
– Nous ne changerons rien à ce que nous avons prévu, enchaîna-t-elle quand elle se fut assurée de l’attention de chacune par un bref regard circulaire. Vous avez vu comme moi leurs alliés, soi-disant les « bons » nationalistes alors qu’ils sont tout autant traficoteurs et malfaisants que nos ayatollahs de l’explosif. Le garagiste Pietromania qui se fait son beurre avec le trafic d’armes « pour la cause », Botticelio qui est la tête de pont des cartels colombiens pour la Corse, et l’instit fêlé, Radicoli, qui se prend pour un Mussolini corse, précisa-t-elle à l’attention de l’infirmière et d’Élisa. En ce qui concerne les six petits soldats de la République qui doivent commencer de ronfler dans le salon, ils nous les ont bien choisis ! Et je n’exclus pas mon neveu du lot. Ce sont vraiment des naïfs, les gens de Paris, et ils nous envoient des « innocents ». Même le ministre de l’Intérieur s’est fait contaminer par nos extrémistes. Il n’arrête pas de parler de « spécificité corse »… Je ne sais pas qui a eu l’idée, mais m’est avis qu’ils sont en train de se faire manipuler comme des « bleus » par ceux qu’ils croient être les « bons » et qui sont aussi pourris que les autres. Alors nous allons rectifier tout ça, les filles, et laisser au Bon Dieu – pour celles qui y croient parmi nous – de faire lui-même le tri entre les « bons » et les « mauvais ». Et ça m’étonnerait qu’on en retrouve un au paradis ! (Maria et Laëtitia se signèrent.) Tous ces couillus encagoulés nous ont suffisamment emmerdés comme ça. Basta ! (Les femmes l’approuvèrent.) Ils ont pourri et continuent de pourrir notre jeunesse et ne rêvent que de transformer la Corse en un immense Rocher livré à toutes les mafias du monde. De devenir le carrefour de tous les trafics mondiaux. Et puis, ils ont fait assez de veuves et d’orphelins comme ça, laissé trop de mères éplorées…
Laëtitia, qui se tenait au côté de la maîtresse de maison, renifla et essuya furtivement ses yeux. Elle avait perdu un petits-fils dans un règlement de comptes « nationaliste ».
Jeanne Collieri lui passa un bras autour des épaules et la serra contre elle.
– Allez, ma grande, on va en finir avec tout ça…, lui dit-elle affectueusement. Nous connaissons la date de l’arrivée du Président, poursuivit-elle en se tournant vers les autres. Ce lundi. Le Bellou attend un appel de Paris qui lui donnera le feu vert. Il faut donc qu’on intercepte la communication. Mais, ça, ce devrait être facile car, le grand couillon, il a donné mon numéro de téléphone. Il nous manque seulement la carte où figurent le dépôt d’armes et la planque de leurs « mauvais ». C’est Bellou qui doit l’avoir sur lui. À mon avis, il doit avoir ça dans son portefeuille.
Elle se tourna vers l’infirmière.
– Toi, Jeannette, t’es la moins maladroite de nous toutes. Alors, t’attends une petite heure que ça roupille bien dans le salon et tu vas fouiller son veston qu’il a dû poser sur une chaise près du canapé à côté de l’entrée – c’est le « chef », alors il a dû prendre la meilleure place. Mais ne t’inquiète pas, avec ce qu’ils ont picolé avant et pendant le repas, m’étonnerait qu’il y ait un seul insomniaque parmi eux !
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Tandis que les hommes prenaient un dernier verre dans le salon
transformé en dortoir pour grands collégiens, les quatre femmes s’affairaient en silence entre la salle à manger et la cuisine.
On n’entendait que le cliquetis des couverts et des assiettes. Le bruit étouffé des placards de la cuisine.
Les deux « cantinières » étaient à la plonge. Jeanne et Laëtitia assuraient le rangement.
Un observateur extérieur eût pensé qu’elles s’empressaient d’expédier cette corvée ménagère par hâte d’aller se coucher enfin après une rude journée.
En fait, dès qu’elles eurent rangé le dernier verre et passé le dernier coup de torchon sur la table de la cuisine et sur l’évier, en catimini elles se rendirent toutes quatre dans la chambre d’Élisa Matocelli.
Élisa sommeillait et ouvrit les yeux quand elles pénétrèrent dans la pièce. Comme si elle s’était attendue à leur venue.
L’infirmière retraitée l’aida à se redresser légèrement dans son lit.
Élisa grimaça légèrement de douleur. Mais, mis à part ses deux côtes, elle ne ressentait plus qu’une raideur au niveau des cervicales.
La chambre de la nièce était spacieuse mais les quatre nouvelles venues se regroupèrent autour du lit.
– À nous, maintenant ! commença Jeanne Collieri après que les unes et les autres eurent prodigué des phrases et des gestes d’affection à Élisa.
Tous les regards convergèrent vers celle qui était leur « chef » naturel et dont l’autorité était réellement indiscutée et, de toute façon, indiscutable, à la fois par l’aura qui l’entourait et parce qu’elle ne supportait pas la moindre contradiction lorsqu’elle avait pris une décision, quelle qu’elle soit.
– Nous ne changerons rien à ce que nous avons prévu, enchaîna-t-elle quand elle se fut assurée de l’attention de chacune par un bref regard circulaire. Vous avez vu comme moi leurs alliés, soi-disant les « bons » nationalistes alors qu’ils sont tout autant traficoteurs et malfaisants que nos ayatollahs de l’explosif. Le garagiste Pietromania qui se fait son beurre avec le trafic d’armes « pour la cause », Botticelio qui est la tête de pont des cartels colombiens pour la Corse, et l’instit fêlé, Radicoli, qui se prend pour un Mussolini corse, précisa-t-elle à l’attention de l’infirmière et d’Élisa. En ce qui concerne les six petits soldats de la République qui doivent commencer de ronfler dans le salon, ils nous les ont bien choisis ! Et je n’exclus pas mon neveu du lot. Ce sont vraiment des naïfs, les gens de Paris, et ils nous envoient des « innocents ». Même le ministre de l’Intérieur s’est fait contaminer par nos extrémistes. Il n’arrête pas de parler de « spécificité corse »… Je ne sais pas qui a eu l’idée, mais m’est avis qu’ils sont en train de se faire manipuler comme des « bleus » par ceux qu’ils croient être les « bons » et qui sont aussi pourris que les autres. Alors nous allons rectifier tout ça, les filles, et laisser au Bon Dieu – pour celles qui y croient parmi nous – de faire lui-même le tri entre les « bons » et les « mauvais ». Et ça m’étonnerait qu’on en retrouve un au paradis ! (Maria et Laëtitia se signèrent.) Tous ces couillus encagoulés nous ont suffisamment emmerdés comme ça. Basta ! (Les femmes l’approuvèrent.) Ils ont pourri et continuent de pourrir notre jeunesse et ne rêvent que de transformer la Corse en un immense Rocher livré à toutes les mafias du monde. De devenir le carrefour de tous les trafics mondiaux. Et puis, ils ont fait assez de veuves et d’orphelins comme ça, laissé trop de mères éplorées…
Laëtitia, qui se tenait au côté de la maîtresse de maison, renifla et essuya furtivement ses yeux. Elle avait perdu un petits-fils dans un règlement de comptes « nationaliste ».
Jeanne Collieri lui passa un bras autour des épaules et la serra contre elle.
– Allez, ma grande, on va en finir avec tout ça…, lui dit-elle affectueusement. Nous connaissons la date de l’arrivée du Président, poursuivit-elle en se tournant vers les autres. Ce lundi. Le Bellou attend un appel de Paris qui lui donnera le feu vert. Il faut donc qu’on intercepte la communication. Mais, ça, ce devrait être facile car, le grand couillon, il a donné mon numéro de téléphone. Il nous manque seulement la carte où figurent le dépôt d’armes et la planque de leurs « mauvais ». C’est Bellou qui doit l’avoir sur lui. À mon avis, il doit avoir ça dans son portefeuille.
Elle se tourna vers l’infirmière.
– Toi, Jeannette, t’es la moins maladroite de nous toutes. Alors, t’attends une petite heure que ça roupille bien dans le salon et tu vas fouiller son veston qu’il a dû poser sur une chaise près du canapé à côté de l’entrée – c’est le « chef », alors il a dû prendre la meilleure place. Mais ne t’inquiète pas, avec ce qu’ils ont picolé avant et pendant le repas, m’étonnerait qu’il y ait un seul insomniaque parmi eux !
© Alain Pecunia, 2009.
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