jeudi 31 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





Le mardi matin, Jean Ferniti reprit toutes ses habitudes dès six heures douze, l’heure de la chasse d’eau du quatrième.
À huit heures quinze précises, il était aux Établissements Legrand et Fils et se concentra sur ses tâches habituelles. D’abord le courrier concernant son service.
Il était redevenu un soldat secret du PPF en mission. Sa concentration augmentait au fil des quarts d’heure.
À onze heures quarante-cinq, il expédia les deux Marocains dans les ateliers pour qu’ils vérifient l’état d’avancement de la production pour les commandes de la fin de semaine.
– Mais on l’a jamais fait ça, chef ! protesta Ahmed, l’aîné.
– Ça fait rien. Comme ça vous apprendrez, lui répondit-il sèchement.
Ahmed et Momo haussèrent les épaules et se dirigèrent perplexes vers les ateliers.
Jean Ferniti savait qu’il était débarrassé d’eux jusqu’à la pause.
À midi, il sortit de sa cage de verre pour appeler Yvonnick qui s’approcha de lui en prenant tout son temps.
– Je te demande un service avant la pause, lui dit-il.
Le rouquin fut surpris de tant d’égards et en resta bouche bée.
– Il y a une pile de boîtes cartonnées au fond de la réserve. Quatre ou cinq. D’anciens bordereaux que M. Legrand souhaite consulter en début d’après-midi. Elles sont posées sur un vieux bureau. On va y aller ensemble les chercher avant la pause. C’est histoire de cinq minutes. Mais prend une torche électrique car l’interrupteur est naze.
Yvonnick maugréa pour le principe et, muni d’une torche, descendit à la réserve, éclairant le chemin à Ferniti.
Arrivé au fond de la réserve, celui-ci se retourna en éclairant le visage de Ferniti.
– Mais il n’y a rien ici ? dit-il.
Il était surpris mais n’eut pas le temps d’avoir peur. Sa lampe éclairant la face de Ferniti, il ne put percevoir le mouvement de son bras qui lui assena un terrible coup de barre de fonte.
Yvonnick s’affala comme une poupée de son. Ferniti ramassa la lampe tombée à terre et pu constater, vu les faibles râles et l’état de la boîte crânienne, que le rouquin avait son compte.
Il remonta après avoir essuyé la barre de fonte avec son mouchoir.
Midi dix.
Tout était dans le timing. Une véritable opération commando.
Il interpella Yvonne.
En contemplant sa crinière rousse et ses lignes quasi parfaites, il se dit qu’elle faisait vraiment une victime idéale. Et à peine plus de trente ans. Bien baisable. Mais il aurait pas le temps.
– Avec Yvonnick, on a besoin d’un coup de main dans la réserve.
Elle n’était pas du genre à renâcler au travail et, puisque ce n’était pas encore l’heure de la pause, elle suivit Ferniti qui la précéda pour lui éclairer le chemin.
Quand il sut qu’il n’était plus qu’à trois, quatre mètres du corps du Breton, il la fit passer devant. Éclairant alors brusquement le corps du rouquin. Elle se tourna terrifiée vers Jean Ferniti qui l’égorgea d’un balaiement de son poignard avant qu’elle ait eu le temps de crier.
Son corps s’affala à un ou deux mètres de celui du Breton. C’était parfait.
Puis il s’agenouilla et, prenant soin de ne pas se tacher de sang, arracha sa robe à hauteur du décolleté et de la taille et baissa ses collants et son slip jusqu’à mi-jambes en écartant légèrement celles-ci.
Il posa le poignard près du corps après en avoir essuyé le manche. Ce n’était qu’un poignard commando comme un autre, juste un peu plus affûté. De toute façon, ce n’était pas celui qui avait servi pour les deux autres meurtres.
Il était midi vingt quand il remonta et réajusta la ceinture et le col de sa blouse grise de travail.
À vingt-sept apparurent les deux Marocains revenant des ateliers.
Ferniti consulta sa montre.
– C’est pas encore la pause, mais tu peux y aller Mohammed.
– Merci, chef ! répondit-il machinalement, sachant par ses dix années d’expérience que c’était là le sésame qui lui permettait de ne pas être emmerdé par Ferniti le reste du temps.
– Et moi ? demanda Ahmed tandis que son collègue s’éloignait vers la porte.
Jean Ferniti sourit et attendit deux, trois secondes, le temps que Mohammed soit hors de portée, avant de répondre :
– Il y a Yvonne qui a besoin d’un coup de main dans la réserve. Tu déjeuneras en décalé.
Il savait que Momo, l’Arabo-Normand, était ferré à coup sûr. Se trouver seul avec Yvonne sa « pays » dans la réserve pendant l’heure de pause, le pied !
Momo sourit. Momo était content.
« Comme quoi tout le monde est content », se dit Ferniti en lui rendant son sourire.
Même que ce con de Marocain il lui a dit :
– Merci, monsieur Ferniti.
Mais Ferniti, il a continué de sourire, sans plus, tandis que Momo se dirigeait d’un pas allègre vers la réserve.
Il avait juste oublié de lui préciser que l’interrupteur ne fonctionnait pas.
Jean Ferniti traversa la rue à midi trente précis et pénétra dans le bar-restaurant Aux Amis deux minutes plus tard.
– Salut, mon brave Marcel !
Comme à l’accoutumée, sauf qu’il se savait toujours en mission.
– Bonjour, monsieur Jean.
Marcel trouva qu’il était nettement moins excité que la veille. Mais il lui trouva un drôle de regard. Celui qu’ont les commandos en mission. Quand ils sont en pleine concentration. Lui, il le connaissait bien ce regard. C’était comme un regard de tueur.
Ferniti s’assit à sa place habituelle, moins volubile que la veille. Tout en souriant machinalement aux habitués qui reprirent leurs sempiternelles discussions, lui continuait d’imaginer la progression du Marocain dans l’obscurité.
Il avait dû être surpris que l’interrupteur ne fonctionne pas. Il avait dû appeler : « Yvonne ! Yvonne ! » S’inquiéter qu’elle fût là dans le noir. Qu’elle ait peut-être eu un malaise. Mais, en faisant dix mètres de plus à tâtons pour trouver l’interrupteur suivant, il avait commencé à apercevoir la lueur de la torche que Ferniti avait laissée près du corps. Donc il se dirigeait vers la lueur. Il découvrait le corps d’Yvonne. Paniquait. Touchait le corps pour voir si elle respirait encore. Tu parles ! Se foutait plein de sang sur les mains et les vêtements. Prenait l’arme par réflexe. Puis la torche. Et découvrait l’autre corps. Panique complète. À en perdre la boule pour un innocent. Sentant la terreur l’envahir. Trop anesthésié pour comprendre le traquenard.
Il fallait bien qu’il ressorte à un moment.
Tiens, justement, v’là le Marcel qui se tourne vers le trottoir d’en face ! Il a pas l’air dans son assiette le vétéran d’Indo. Il croit voir un Viet !
« Rassure-toi, Marcel, ce n’est qu’un Arabe », se dit Ferniti sans se retourner vers la vitre encrassée.
Il ne voit donc pas ce que voit Marcel.
Le Momo hagard, un poignard à la main, du sang sur les mains et les vêtements, traversant comme un somnambule la rue et se dirigeant vers son commerce.
Marcel, il a le réflexe professionnel. Il s’empare, affolé, ignorant des intentions de Momo qui ne semble plus dans son assiette, du bigophone et appelle les flics.
Mais, pas de panique, le Momo il reste là planté devant la porte du rade-restau sans l’ouvrir. Tétanisé. Les bras ballants.
Quelques-uns se lèvent dans la salle et s’agglutinent autour de la porte. Ils sont de plus en plus nombreux. Tous muets de stupeur. Personne n’esquissant le moindre geste pour ouvrir la lourde.
Ferniti finit par se lever. Pour faire comme les autres. Mais comptez pas sur lui pour se mettre au premier rang et ouvrir au Momo.
Il a un couteau à la main, ce con. Ils sont tellement imprévisibles ces Arabes qu’il serait capable de se jeter sur lui.
Alors il reste au milieu des autres et prend un air aussi débile que le leur. L’air de ceux qui n’ont jamais vu un assassin en chair et en os.
Ça semble durer une plombe, mais, comme le commissariat n’est pas très loin, à peine quatre, cinq minutes. Ça fait quand même long vu l’état du Momo.
Mais la cavalerie finit par arriver.
Elle va pouvoir se saisir de l’assassin.



© Alain Pecunia, 2008.
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mercredi 30 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Le lundi matin, Jean Ferniti ne grogna pas quand il entendit la chasse d’eau du quatrième et en oublia même de se masturber quand la baignoire se remplit. Comme il oublia de nourrir le Titi et de guetter le passage de l’aînée des Kamil sur le palier tellement il était pressé et excité par son plan.
Il conserva un sourire béat durant son trajet en bus et proposa sa place assise à une Noire enceinte jusqu’aux yeux. Ce qu’il n’aurait jamais fait en toute autre circonstance.
Il flâna jusqu’aux Établissements Legrand et Fils et n’arriva qu’à huit heures vingt, soit avec cinq minutes de retard. Ce qui ne lui était jamais arrivé en vingt ans de maison.
Ce qui surprit ses trois magasiniers-expéditionnaires et Yvonne, la secrétaire aux expéditions, qui était en train de bavarder avec Momo.
Le bonjour de Ferniti à la cantonade fut presque cordial. Puis il alla s’enfermer dans sa cage en verre d’où il surveillait tout son petit monde. Ce qu’il fit toute la matinée avec plus d’attention encore, cherchant dans les habitudes des uns et des autres le petit détail qui lui serait propice.
Enfin il lui sauta à la figure. Mais bien sûr !
Momo allait plus souvent que les autres voir la secrétaire. S’attardant aussi auprès d’elle plus longuement. Ce qui l’énervait.
Ils étaient « pays », disaient-ils. Yvonne était née à Pont-Audemer et Mohammed à Lisieux.
Quand on demandait à Momo d’où il était originaire, il répondait fièrement : « Je suis normand ! » Le comble avec sa gueule de plus que basané et ses cheveux frisés.
Voilà où ça menait l’immigration, se disait Ferniti. À la deuxième génération à peine, ils se croient français et même natifs de nos vieilles provinces !
Il avait souvent eu envie de lui dire : « T’es pas normand, t’es crouille. »
Mais le Momo était un gaillard solidement bâti et amateur de boxe thaï. Sa réaction pouvait être imprévisible.
Justement, qu’il soit si costaud, ça allait le servir. Enfin, servir lui, Jean Ferniti, parce que l’autre, il irait pas loin.
« Roucoule, mon grand, roucoule. Profites-en ! »
À la stupéfaction générale, il annonça la pause à midi vingt-cinq et se précipita chez Marcel.
– Vous êtes en avance, aujourd’hui, monsieur Jean, le salua le patron.
Marcel ne l’avait jamais trouvé aussi excité. Il fut jovial avec les habitués de sa tablée et parla de choses et d’autres le verbe haut. Tout en avalant ses merguez-frites et son quart de brie, extra qu’il s’autorisait aujourd’hui exceptionnellement avec un second quart de rouge.
À une heure dix, il était déjà de retour aux Établissements Legrand. Ce qui surprit Yvonne qui n’avait pas encore terminé son deuxième sandwich.
« Pour ce que ça va lui servir de vouloir conserver la ligne, c’te conne ! » se dit-il en se dirigeant vers la réserve du sous-sol qui ne servait plus guère depuis qu’on commençait à travailler à flux tendu.
Un quart d’heure lui suffit pour ce qu’il avait à faire.
Il venait de remonter quand Ahmed arriva le premier.
Que l’Yvonnick arrive en retard, il s’en foutait cette fois-ci.
Jean Ferniti passa l’après-midi à jouer les affairés. Il ne cessait de faire des aller et retour vers les ateliers, monta trois fois voir le fils Legrand pour des histoires de planning d’expéditions.
L’autre commençait à en être excédé.
– Mais démerdez-vous, c’est votre boulot, à la fin ! lui balança-t-il à la troisième visite.
Il ne comprenait pas tout cet affairement alors que l’on commençait à aborder la saison creuse.
À dix-huit heures quinze, Ferniti fut le premier à partir.
Il avait hâte de retrouver Albert Papinski qu’il rejoignit Chez P’tit Louis à dix-neuf heures quinze.
Ils s’attablèrent à la table du fond. « La table des conspirateurs », disait Louis pour les taquiner.
Mais ni Jean Ferniti ni Albert Papinski n’appréciaient ce genre d’humour, surtout de la part d’un presque socialiste.
Simone apporta d’office la première tournée de double pastis en chaloupant sur ses éternelles charentaises.
Ferniti ne lui tapota même pas la fesse et elle ne sentit pas son regard s’attarder sur sa croupe avec la même insistance que les autres soirs d’apéro lorsqu’elle reprit la direction du comptoir.
Pourtant Ferniti lui avait jeté un bref regard, ponctué d’un jugement définitif : « Dommage qu’elle soit pas baisable la boursouflée. J’aurais eu plaisir à en faire une victime. »
– T’as toujours la même idée ? demanda Albert à Ferniti quand elle se fut suffisamment éloignée.
Jean Ferniti sursauta. Il était concentré sur le lendemain et ne savait plus de quelle idée voulait parler le Bébert.
Celui-ci s’en rendit compte et l’aida sans le savoir.
– Ben pour vendredi soir ?
Concentré qu’il était sur le Momo, le rouquin et la secrétaire, il en avait oublié l’aînée des Kamil.
– Chaque chose en son temps, répondit Ferniti à Albert Papinski qui n’y comprenait plus rien et préféra se taire durant la méditation qui semblait habiter le cerveau de son copain.
Jean Ferniti hésitait surtout à lui dévoiler le message du Titi pour le lendemain. C’était du trop complexe pour le cerveau de son ami. Et puisqu’il n’y participerait pas, ça ne servait à rien qu’il soit au courant.
En même temps, il aurait bien aimé lui en parler. Mais non, décidément non.
– Tu seras libre ? finit par demander Fertniti à Albert.
– Ben oui ! répondit ce dernier surpris en haussant les épaules. J’t’ai dit que j’étais du matin en ce moment.
Albert Papinski était machiniste à la RATP et ses horaires n’avaient rien de fixe. D’ailleurs, le prochain coup ne pouvait être que pour le vendredi car il travaillerait de soirée le samedi et le dimanche à venir. Un arrangement entre collègues.
– Alors ce sera vendredi. On se retrouve ici chaque soir pour préparer le coup, reprit Ferniti.
– Cinq sur cinq, lui répondit Papinski en clignant de l’œil gauche.
Mais c’était un tic.
– Vu la tension qu’il y a déjà, ce sera peut-être le dernier, poursuivit Jean Ferniti en se refermant sur lui-même, toute excitation retombée et se sentant soudain las.
C’était pas facile d’être un soldat de l’ombre, avec toute cette charge de responsabilité à porter incognito.
Albert Papinski était plutôt contrarié d’avoir à envisager la fin de cette opération où il prenait tellement son pied. Il y avait pris goût et ça avait un autre charme que sa Germaine qui avait doublé de volume en quinze ans de petits plats ou que les putes des boulevards qu’ils s’offraient parfois ensemble avec son compère. Lui sautant la fille et le Jeannot se branlant comme un furieux en les regardant à leur affaire. Oui, il avait pris goût à la chair fraîche.
Simone arriva à ce moment avec la deuxième tournée.
– Non, pas ce soir, lui jeta Jean Ferniti. On lève le camp, ajouta-t-il en s’adressant à Albert.
Elle en resta sur le flanc, un verre dans chaque main. Jetant un regard de baleine échouée à Louis derrière son comptoir tandis que les deux amis se levaient ensemble et prenaient le chemin de la sortie.
P’tit Louis haussa les épaules mais trouvait bizarre qu’ils s’arrêtent à la première tournée. Y en avait toujours une seconde d’habitude. Au moins !



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mardi 29 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





Jean Ferniti fit part de sa décision à Albert Papinski en cheminant ce samedi midi jusqu’à Chez P’tit Louis pour l’apéro.
Albert sembla désappointé sur le moment, mais le lendemain matin, empruntant le même chemin que la veille, il dut convenir que Jean avait bien senti les choses. Comme toujours.
La surveillance policière était voyante à l’extérieur de la cité avec son car de CRS à chacune des trois entrées et on repérait vite les fouineurs qui flânaient dans ses allées l’air de rien alors qu’il n’y avait que des flics pour flâner ici.
Jean pensait, lui, au vendredi à venir. Se demandant s’il ne faudrait pas mieux choisir une autre victime. Car peut-être que les flics iraient interroger les voisins de la famille, et, lui, il était juste celui d’en dessous.
Bien sûr, ils avaient repéré, depuis trois mois qu’ils étaient engagés dans leur mission rédemptrice, d’autres victimes possibles. Mais les conditions n’étaient pas aussi idéales que pour celles qu’ils avaient choisies d’exécuter en premier. Il y avait des risques et des aléas.
« Dommage que le rouquin n’habite pas la cité ! » se dit-il. Mais il dut convenir que c’était stupide. Pour frapper les esprits, il fallait que ce soit des femmes, et plutôt des jeunes et des mignonnes que des vieilles et plus baisables.
Mais il n’arrivait pas à se sortir ce maudit Breton des méninges. C’était sûr qu’il attendait pour lui piquer sa place. Alors pourquoi ne pas profiter de l’élan pris pour s’en débarrasser ? Ça pourrait occuper la police ailleurs.
Il fallait qu’il en parle à son Titi sur-le-champ.
S’il pensait comme ça au Breton, que ça en virait quasiment à l’obsession, il devait y avoir une raison, un sens caché. Et seul le Titi savait dévoiler les sens cachés.
– J’ai des choses à voir, dit-il mystérieusement à son compère. On se voit demain soir Chez P’tit Louis.
Et il le planta là, remontant vite les allées de la cité du Bonheur et grimpant les escaliers quatre à quatre jusqu’à son deux-pièces cuisine du troisième étage.
Il tapota la paroi du bocal pour attirer l’attention du Titi.
– Faut que je te parle ! lui dit-il péremptoire.
Pour Titi, poisson rouge boulimique, tapotage sur son bocal équivalait bouffe. Sûr qu’il allait écouter !
– J’ai un problème…, commença Jean Ferniti.
L’exposé fut un peu long et il s’emmêla parfois dans l’écheveau des options possibles.
Mais la réponse du Titi lui parut évidente. Ça resterait un crime d’Arabes. Il se l’appropria même en s’écriant : « Eurêka ! »
Tout à son excitation, il en oublia de nourrir le poisson rouge qui, dépité, se mit à tourner furieusement dans son bocal.



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lundi 28 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





Jean Ferniti ne travaillait pas ce samedi-ci. Mais son voisin du dessus, lui, travaillait et les mômes avaient école. Il fut donc réveillé par la chasse d’eau à six heures douze précises. Il grogna à mi-voix, se roula dans ses couvertures, tentant de retrouver son rêve.
À présent il entendait la baignoire qui se remplissait. Et, comme à chaque fois, c’est à ce moment précis qu’il retrouvait son rêve, en imaginant l’aînée des Kamil à poil dans la baignoire en train de se caresser.
Comme à chaque fois, il se masturba furieusement pour que ça vienne avant d’entendre l’eau du bain s’écouler par les canalisations.
– Salope ! grogna-t-il.
C’était son petit plaisir matinal. Sa seule vie sexuelle et sentimentale. Exception faite de ces deux salopes de la quinzaine écoulée. Deux dimanches de suite. En fin de matinée.
Pourquoi à ce moment-là et pas à un autre ? Par facilité. Avec le va-et-vient des gens qui partaient ou revenaient du marché, c’était le plus propice.
Il avait repéré par hasard, dans cette cité de trois mille habitants, la gamine qui revenait régulièrement de chez le boulanger à onze heures précises. Rien qu’à voir la façon dont elle s’habillait, c’était une petite salope précoce, une allumeuse. De toute façon, elle aurait fini dans une cave avec des bougnouls. Donc, pas de regret.
Ça avait été facile de la surprendre par-derrière, d’enserrer sa gorge d’une main tellement elle était frêle et de la bousculer jusqu’à la porte de la cave avec Albert sur les talons qui avait récupéré les deux pains tombés par terre.
Pas eu le temps de pousser un cri. Se laissant aller comme une poupée de chiffon. Deux bonnes baffes après pour l’allonger. Se défendait même pas la conne. C’est vrai qu’elle avait peur de mon poignard commando sur sa gorge et qu’elle avait pas tellement le choix. Albert y était passé le premier. « Une vierge ! » s’extasia-t-il en l’enfournant. Moi, c’est son visage tout crispé et mouillé de larmes qui m’excita quand elle a juste dit : « Me faites pas de mal. » Je me masturbai pendant que Bébert était à son affaire. « C’est ton tour », me dit-il en se redressant le falzard sur ses mollets glabres. Mais je supportais pas son regard suppliant et je n’étais pas là que pour m’amuser. J’étais en mission. Alors je me suis agenouillé comme si j’allais m’y mettre et je l’ai égorgé fissa pour ne plus voir ce regard.
En tout cas, on avait chacun notre pain, Bébert et moi. Pas besoin d’aller chez le boulanger.
Le dimanche suivant, même topo dans un autre bâtiment avec l’institutrice arménienne. Onze heures trente, c’était l’heure à laquelle elle partait en courses. Elle me connaissait et n’a donc pas trouvé curieux de me croiser. Je lui ai même souri et dit bonjour comme elle arrivait au bas de l’escalier. J’ai fait mine de monter et je me suis retourné pour l’estourbir d’un coup de manchette bien porté. Je l’ai prise sous les aisselles avant qu’elle s’écroule. Bébert a surgi alors et a ouvert la porte de la cave pour m’aider à l’entraîner. Elle gémissait un peu mais, quand elle a repris ses esprits, on était déjà en train d’essayer de lui retirer son futal. Et le poignard fut encore dissuasif. Mais ce devait pas être une sainte car, quand elle nous a vus nous énerver à tirer son pantalon trop moulant, elle a soulevé son bassin comme pour nous aider. Donc il n’y avait pas de regret à avoir là non plus. « Faites vite ! » qu’elle a même dit méchamment. Alors on a fait vite. Le Bébert en premier que ça avait excité drôlement. Mais pas moi, que j’ai même pas pu me masturber tellement son regard me glaçait. C’est dingue, mais je supportais pas. Elle avait pas à me défier cette putain. Alors je me suis baissé et, zip, la gorge. Mais son regard il ne me quittait pas, la vache. Alors je lui ai balancé un coup de latte dans la tronche. Ça allait mieux. Merde ! on était en mission quand même !
Albert, j’avais pas eu trop de mal à le convaincre. Bien sûr, c’était mon idée. Jeter le trouble dans la cité pour que ça pète et que ça retombe sur les bicots. Parce que ça avait tout de crimes d’Arabes. Même qu’Albert il avait tout de suite marché, comme si l’idée l’excitait même. « T’inquiète, m’avait-il dit, j’avais beau être cuistot, ça m’a pas empêché d’être volontaire pour des interrogatoires. » Ça m’avait un peu surpris car il ne m’en avait jamais parlé jusqu’alors, moi son pote. Mais je savais que je pouvais lui faire confiance.
Demain, nous allions être dimanche, toute la question était de savoir si nous allions remettre ça aussitôt ou s’il fallait attendre pour que la surveillance policière se relâche.
Pour Jean Ferniti, il y avait le pour et le contre. La provocation avait bien marché et la tension était montée suffisamment pour que l’annonce d’un troisième crime d’Arabes mette la cité en émeute. Mais les flics seraient peut-être là planqués à attendre vu que les deux premières exécutions s’étaient succédé deux dimanches de suite.
D’un autre côté, attendre, c’était laissé retomber la pression.
– Qu’en penses-tu, mon Titi ? demanda-t-il à son poisson rouge en fixant ses yeux globuleux après avoir remémoré à haute voix devant lui les événements passés.
Son Titi, c’était un peu sa Pythie à lui. Quand il lui exposait un problème à haute voix, il l’écoutait et semblait lui répondre en énonçant muettement la solution. Heureusement que lui, Jean Ferniti, savait lire sur les lèvres du Titi.
Mais la réponse ne le satisfaisait pas pleinement cette fois-ci. Se faire l’aînée des Kamil, oui, ce serait bien. Même qu’il était sûr qu’il pourrait lui passer dessus cette fois. Le premier, comme Bébert avec les autres.
Ce qui le turlupinait, c’est que ce serait moins facile à mettre sur le compte des Arabes. Mais il y avait un avantage. On sautait le dimanche et on ferait ça le vendredi soir quand elle revenait du conservatoire municipal. Là où il y a des fourrés à l’entrée de la cité de ce côté-ci.
– Oui, mais après, est-ce que je pourrai encore me branler en pensant à elle chaque matin ?


© Alain Pecunia, 2008.
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dimanche 27 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 7

Chapitre 7





Fallait éviter les provocations inutiles, lui avait dit le chef encore la semaine dernière. « Posons-nous en bons Français, avait-il précisé. Intervenons dans les discussions lorsque nous sommes sûrs d’être entre vrais Français. Mais sans se dévoiler. Quand il y a un crime odieux, disons : ah ! s’il y avait la peine de mort ! ou : ça mérite la mort, ça. Ou encore : je te parie que c’est encore un étranger. À vous de voir jusqu’où vous pouvez aller selon votre auditoire. Ou intervenir lorsque de braves gens tiennent ces propos. Mais jamais en trop grand comité, au cas où il y aurait des marxistes ou des Juifs. C’est à nous de les repérer et de les ficher, pas à eux ! Nous, nous devons nous préserver. Nous ne sommes entourés que d’ennemis. Nous ne devons compter que sur nos propres forces et notre solidarité.
« Intervenez également, avait-il poursuivi, lorsqu’il y a des grèves. Râlez avec les usagers mécontents. Mais attendez qu’un autre ait commencé à rouspéter. Toutefois, dans ce cas-là, vous pouvez prendre l’initiative, du genre : nous sommes pris en otage, ou : ils ne pensent même pas au chômeur qui cherche du travail. Ou bien : ils sont privilégiés et ils se plaignent !
« Défendez toujours les forces de l’ordre. Quand un représentant de l’ordre est agressé ou assassiné, écrivez des lettres de protestation à votre député ou au ministre de l’Intérieur, mais anonymement. Intervenez là aussi. Peine de mort. Sécurité. Ordre. Laxisme de la justice qui relâche les délinquants.
« Sur votre lieu de travail, repérez les agitateurs anti-Français. Tous ceux qui sont contre nous. Ne dites pas que vous êtes du Parti patriote français. Mais dites bien que vous êtes pour la liberté du travail et qu’une grève porte toujours atteinte à l’économie nationale.
« Sur votre lieu de résidence, surveillez vos voisins et les agitateurs gauchistes ou islamistes de votre quartier. Mais ne vous dévoilez pas.
« Si l’on sait ou si le bruit court que vous allez aux réunions du Parti patriote français, dites que c’est par curiosité, que vous rencontrez des amis, mais que vous n’épousez pas ses thèses, bien que, à bien y réfléchir, ils n’ont pas toujours tort lorsqu’ils parlent de France aux Français, d’ordre, de justice, de liberté, de sécurité, etc.
« Seuls devront être connus, obligatoirement, ceux qui sont nos porte-parole, nos élus et nos militants qui vendent La France patriote. Les autres, vous êtes la réserve, l’armée de la France nouvelle de demain lorsque nous aurons pris démocratiquement le pouvoir. Cette armée doit être préservée. Et pour cela rester secrète. »
Jean était un soldat secret. D’appartenir à cette armée de l’ombre était sa grande satisfaction, sa fierté. « Les grognards, aimait-il à se répéter, nous les vétérans, nous attendons d’être appelés. Mais quand on ira, on ira. Y verront. Y z’en chieront, les salauds ! »
Mais ils en chiaient déjà, selon l’expression de Jean Ferniti, car là encore il avait su devancer l’appel face au rendez-vous de l’Histoire, entraînant dans son sillage son jusqu’alors indéfectible compère Albert Papinski.
– Hein, mon Titi ? reprit-il à haute voix en tapotant le bocal du poisson rouge, y z’en chient déjà !
Et plus bas, pointant l’index vers le plafond tout en regardant droit dans les yeux globuleux de Titi qui ouvrait la bouche comme en cadence :
– Eux les premiers !
Il prit le bocal entre ses mains, comme voulant arrêter la ronde du Titi.
– Par bateaux entiers, y retourneront chez eux de l’autre côté. Je sais pas ce qu’ils boufferont là-bas, dit-il en riant à voix basse comme un écolier derrière le dos de l’instituteur, mais ce qui est sûr c’est qu’ils boufferont plus notre pain et contamineront plus nos femmes.
Il se redressa et poursuivit :
– Ils comprendront alors qu’ils n’avaient pas à jouer les fiers ici, ces bicots et ces bamboulas. Que s’ils avaient su rester à leur place, bien polis et tout et respectueux de nos usages, on les aurait peut-être tolérés et filé à bouffer bien volontiers, comme à des invités. Mais pas leurs feignants, seulement les quelques qui acceptent de bosser sans emmerder le monde.
Le poisson rouge se transforma en piranha quand il lui versa sa nourriture à la fin de la tirade.
Jean se redressa et conclut, toujours à voix basse :
– Vivement que la France soit nettoyée ! Prussiens ou pas Prussiens, ajouta-t-il pensant à sa soirée gâchée par ce con de Bébert avec ses Polonais de malheur.


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samedi 26 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 6 (suite et fin)

Chapitre 6 (suite et fin)





Totalement abasourdi, il était. Il ne pouvait rien rétorquer à l’Albert. Rien ! C’était imparable. Sans les Polonais pas de guerre, sans guerre pas de défaite, sans défaite pas de Pétain… « Merde alors, c’est si important que ça les Polonais ? se dit-il pour lui-même, ruminant sa rage. Et je n’y avais jamais pensé. Un fait capital dont je m’étais pas rendu compte… »
– Mais alors, dit-il tentant de reprendre son ascendant de chef naturel sur l’Albert, si les Polonais ont été capables de déclencher la guerre avec les Allemands, ils sont peut-être capables de la déclencher avec les Russes maintenant ?
Albert écoutait à nouveau Jean attentivement, tout heureux du bien-fondé de son raisonnement.
– Oui, répondit-il. Bien sûr. Mais…
– Mais quoi ?… fit Jean, impatiemment.
– Mais il faudrait que les Russes veuillent la guerre, eux.
– T’es devenu idiot ou coco, ou quoi ? rétorqua Jean agressif. Tu sais bien que les Russes ont toujours voulu se bouffer l’Europe. Ils attendent seulement l’occasion.
– Vu comme ça…, concéda Albert.
– Alors, reprit Jean poursuivant son idée, imagine qu’on perde encore grâce aux Polonais et que notre chef du Parti patriote français prenne le pouvoir…
Enhardi par sa démonstration précédente, Albert le coupa, une audace dont il ne se saurait jamais cru capable.
– D’abord, dit-il imitant Jean dans ses grands jours, d’abord, c’est pas les Allemands qui gagneront ni les Prussiens, mais les Russes. Vu ! Deuxièmement, notre Chef, malgré le respect qu’on lui doit, il est pas maréchal. Troisièmement, et c’est un fils de Polonais qui te parle, les Polonais, à mon avis, m’étonnerait qu’ils se sacrifient encore pour sauver la France !
Là, vu l’état du Jeannot, Simone leur apporta de son propre chef deux nouveaux pastis.
Elle resta plantée là et, à sa grande surprise, Jean ne pensa même pas à lui tapoter la fesse.
Vexée, elle s’en repartit dodelinant de la tête, se demandant pourquoi le Jeannot se trouvait dans un tel état d’hébétude, lui qui tenait si bien le pastis d’habitude.
Hébété, il l’était. Il croyait avoir discuté avec un Juif, tellement l’Albert avait été vicieux dans son raisonnement. D’ailleurs, il ne discutait jamais avec un Juif car ils avaient toujours le dernier mot ces gens-là.
Il se demanda si les Polonais avaient pas été un peu contaminés par les Juifs, vu que ceux-ci étaient si nombreux là-bas avant, et vu que la démonstration de l’Albert était imparable.
Du coup, Jean en conçut à la fois une certaine admiration pour l’Albert et une réelle inquiétude face à ce rival qu’il se découvrait dans l’art du raisonnement politique. Il décida de n’en rien montrer mais d’éviter à l’avenir avec lui toute discussion quelque peu complexe. Mieux valait en rester aux choses simples avec un tel type qu’il avait cru son ami indéfectible. Peut-être même avait-il eu le tort de se l’adjoindre dans son action régénératrice de la cité du Bonheur.
Tout à coup, Jean Ferniti décida qu’il était temps de lever le camp.
Il se redressa en tanguant et donna une tape sur l’épaule d’Albert qui, en train de prendre appui des deux mains sur la table pour commencer de déplier son long corps maigre, se retrouva du coup assis. Semblant s’interroger sur l’effet de la pesanteur.
– Alors, tu te magnes ! lui dit Jean, mauvais. Bientôt, il n’y aura plus que les macaques dans la rue. Il est plus de vingt et une heures.
– J’arrive, parvint à marmonner Albert la voix pâteuse, j’arrive… Faut que je prenne l’air sinon ma Germaine va encore penser que j’ai bu un coup de trop…
– T’inquiète pas, j’lui dirai que j’étais avec toi, dit Jean pour le rassurer.
– Ça l’a jamais rassuré quand on sort ensemble pour picoler…
– Pas pour picoler, le reprit Jean, pour parler de choses fon-da-men-ta-les !
Il le précéda en chaloupant comme la Simone, mais pas pour les mêmes raisons.
Dehors, la fraîcheur de la nuit tombée les saisit. Ils marchèrent les quelque trois cents mètres qui séparaient la cité du Bonheur de Chez P’tit Louis l’un derrière l’autre. Jean fermait la marche, l’air sombre, tête baissée. Albert se retournait de temps à autre comme voulant reprendre la discussion. Sa bouche restant entrouverte sur les premiers mots devant l’air maussade du Jeannot.
L’aînée des Kamil, qui rentrait du cours de musique municipal les dépassa de son pas vif.
– B’soir, leur lança-t-elle en les dépassant.
– Ouais, b’soir, fit Albert.
Jean resta tête basse, sans rien dire. Seuls ses yeux se hissèrent à hauteur de la silhouette élancée qui les devançait et s’attardèrent aux formes que moulait le jean serré.
– Comment qu’elles peuvent s’enfiler ça ? marmonna-t-il pour lui-même. Et pas facile non plus à retirer. Mais quel beau cul, et ses cuisses fuselées. Doit pas avoir de slip, ma parole !
Albert atteignit le bâtiment C, le sien. Il attendit Jean qui s’était arrêté pour pisser contre un des rares arbres de la cité, à une dizaine de mètres de là.
Il revint en se rebraguettant.
– Tu montes chez moi en boire un dernier ? dit-il à Albert.
– T’es fou ! Germaine m’attend pour dîner depuis une heure. Ça va être la gueulante ! Viens plutôt dîner avec nous.
– Non, pas question, pas ce soir. Le Titi m’attend depuis une plombe lui aussi. Il a faim.
– Ben à demain alors ?
– Oui, à demain, c’est ça.
Puis, regardant Albert et faisant effort pour lui sourire, il lui dit, repensant à leur discussion :
– Tes un drôle de loustic, Bébert Papinski !
– Toi aussi, Jeannot Ferniti ! dit Albert, ragaillardi de voir son ami de meilleure humeur, ne se doutant pas à quel point il était la cause de la contrariété de Jean Ferniti.
– Nous sommes de vrais Français, quoi ! conclut à forte voix ce dernier.
Mais il n’alla pas jusqu’à crier : « Vive le Parti patriote français ! » Il y avait un groupe de jeunes assemblés pas très loin et qui les considéraient rigolards, habitués qu’ils étaient à leurs bitures.



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vendredi 25 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





Ce vendredi soir, Jean Ferniti retrouva Albert Papinski Chez P’tit Louis, un rade à trois cents mètres de la cité. Avec Albert, ils se comprenaient. Comme devaient se comprendre de vrais anciens d’Algérie qui n’avaient pas honte d’avoir défendu la France. Hélas ! la majorité des anciens étaient des foireux, mais pas eux, ça non ! Ils l’avaient encore prouvé récemment.
Jean Ferniti exerçait une certaine influence sur Albert Papinski. Cela lui semblait naturel : lui avait servi dans un régiment parachutiste. Il avait crapahuté et baroudé dans le djebel. Volontaire qu’il avait été. Tandis qu’Albert, quoique son aîné d’un an, était un rappelé. Cuistot. Mais pas un foireux. C’est ce qui comptait aux yeux de Jean Ferniti. Il était d’ailleurs un bon adjoint.
Pour l’énième fois, Jean était reparti pour un nouveau panégyrique du père Legrand. Son idole.
Certains malfaisants racontaient que, petit artisan en mécanique de précision, il avait fricoté avec les frisés et que c’était grâce à un juteux marché de la Kriegsmarine que les Établissements Legrand se développèrent en PME prospère au cours de l’Occupation.
– Mais, premièrement, c’est pas lui qui a été les chercher les frisés, expliquait Jean à Albert qui n’écoutait que d’une oreille ce discours cent fois ressassé. Deuxièmement, il fallait bien que les Français bouffent et que les entreprises tournent. Troisièmement, il fallait profiter de la présence des Teutons pour remettre de l’ordre et construire une France rénovée.
Et, baissant la voix pour n’être pas entendu des autres consommateurs qui avaient suivi le début de sa tirade :
– Comme en 70 avec la Commune et les Prussos. Pétain, il a essayé de faire avec les Allemands, obligé qu’il était par la défaite des autres, comme Thiers avec les Prussiens : mater l’anarchie et rétablir l’ordre. Thiers, lui, il a réussi parce qu’il n’avait pas les Amerloques, les cosaques, les Juifs et les cocos tous réunis contre les frisés. Les Prussiens, ils étaient vraiment vainqueurs et personne pour les emmerder. La France a pu se relever grâce à eux.
Albert l’écoutait l’air entendu. Comme si cela était également pour lui d’évidence. En fait, il admirait son Jeannot. Lui n’avait pas autant de connaissances.
– Mais Pétain, poursuivit Jean, le pauvre vieux, si au moins il était un grand chef militaire, le plus grand maréchal de France, celui de Verdun – plus grand que ceux de Napoléon et d’après –, ce que n’était pas Thiers, eh bien, il a pas eu de chance : les Prussiens de 40, y z’avaient tout le monde contre eux, même les Ricains !
Jean avala d’un trait son troisième double pastis et commanda une quatrième tournée.
La grosse Simone, la serveuse de P’tit Louis, vint les servir, de sa démarche chaloupée, comme glissant sur ses charentaises élimées dont la gauche laissait apparaître le gros orteil.
– Et voilà, ces messieurs sont servis ! dit-elle avec son sourire mi-michetonneuse, mi-Simone Signoret.
Pour Casque d’Or qu’elle se prenait la Simone, mais elle faisait plutôt penser à la Signoret de la fin, sans la classe.
Elle resta là, à regarder les deux verres, comme attendant la reprise de la conversation.
Jean la regarda et lui tapota la fesse en lui disant doucement:
– Allez, ma grosse, laisse les hommes entre eux !
Ils la suivirent du regard, plutôt son postérieur qui accompagnait la glissade des charentaises hors d’âge. Ils se sourirent d’un air convenu et redevinrent graves.
Jean se racla la gorge avant de reprendre d’une voix de conspirateur :
– Alors, je te disais qu’avec Pétain les Allemands ils étaient pas les plus forts. Mais, Albert, écoute-moi bien ! dit-il pointant son index droit sous le nez d’Albert qui eut un geste de recul. Écoute-moi bien, renchérit-il quasiment inaudible, écoute-moi bien Albert, et imagine, imagine vraiment ce que Pétain aurait pu faire si les Prussiens de 40 avaient été vainqueurs partout, et des Juifs, et des Ricains, et des Ruscofs, et des cocos, et des Rosbifs et toute la smala… Imagine, Albert !
Albert s’efforça d’imaginer. Vainement.
– Dis-le-moi, Jean, toi qui sais, finit-il par dire d’une voix hésitante.
– Eh bien, Pétain, il aurait encore mieux fait que Thiers ! La France aurait été propre définitivement et elle aurait conservé son Empire et peut-être même agrandi tellement Hitler il admirait Pétain. Hitler, il aurait donné de nouvelles colonies à la France.
– T’es sûr, Jean ? fit Albert incrédule.
– Bien sûr ! En échange de tous nos Juifs, rétorqua Jean péremptoire.
Albert sembla frappé de l’argument. Il balança la tête de gauche et de droite comme cherchant ses idées et demanda, après une longue, très longue hésitation :
– Mais, Jean, pourquoi Hitler, alors, il a pas donné de colonies aux Polonais ?
Jean Ferniti resta un moment abasourdi. Que venaient faire les Polacks là-dedans ? Il n’en connaissait que deux de vraiment honorables : Jean-Paul II parce qu’il s’était débarrassé des curés rouges et Walesa parce qu’il emmerdait les Russes.
– Des colonies aux Polonais ? fit-il, hagard.
– Ben oui ! s’enhardit Albert. C’est là qu’il y avait le plus de Youpins et c’est là qu’on s’en est tous débarrassés. Même que ma sainte mère disait qu’il n’y avait pas à pleurer pour eux ; ils n’avaient qu’à être catholiques comme tout le monde en Pologne.
– Et alors ? demanda Albert, toujours sonné.
– Eh ben alors, répondit Albert fier de sa démonstration et du désarroi inhabituel du Jeannot, eh ben alors, Hitler il aurait dû leur donner des colonies – même plus qu’à la France vu qu’il y avait plus de Youpins en Pologne…
Jean finit par reprendre ses esprits.
– Tu te fous de ma gueule ! hurla-t-il. Des colonies aux Polonais ! La France aurait partagé les colonies piquées à l’Angleterre avec les Polonais ? Alors qu’elle se trouvait dans cette merde pour avoir défendu dans l’honneur la Pologne incapable de repousser l’armée allemande ! Mais tu te fous de ma gueule, Albert ! lui postillonna-t-il visage contre visage. Sans les Polacks, il y aurait jamais eu de guerre avec Hitler et la France aurait pas été battue ! Merde alors ! fit-il en se retournant vers les quelques habitués des tables alentour, les uns goguenards, les autres indifférents ou exprimant du regard une profonde lassitude en regardant P’tit Louis.
Celui-ci comprit le message.
– Eh ! les anciens combattants, intervint-il, calmez-vous, l’ennemi vous écoute !
Certains rirent de bon cœur.
Albert reprit mezza voce, osant dévisager Jeannot, sûr de son argumentation :
– Mais, Jean, sans les Polonais, s’il n’y avait pas eu la guerre et la défaite, comment la France elle aurait pu être redressée par Pétain ?
Jean Ferniti croyait entendre son vieil instit tenter de lui exposer l’évidence d’un énoncé de problème de robinet d’eau.



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jeudi 24 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 5 (suite et fin)

Chapitre 5 (suite et fin)





C’est alors qu’Yvonnick entra dans le restaurant et se dirigea d’un pas ferme vers le fond après avoir jeté un « Salut ! » enjoué à la cantonade et avoir commandé un café en passant devant Marcel. Il s’assit au côté de Momo après lui avoir donné une tape sur l’épaule.
Ferniti n’aimait pas les voir fricoter ensemble. « Qu’est-ce qu’ils peuvent bien avoir à se dire ! »
Du haut bout de sa première classe, il les considérait avec le plus profond mépris, le visage pincé.
Marcel, qui desservait la table à sa gauche, le remarqua à la dérobée et s’inquiéta à voix basse :
– Quelque chose qui ne va pas, monsieur Jean ?
Il baissa son regard sur l’assiette inachevée de Ferniti.
– La cuisine, mon brave Marcel, la cuisine…
Penché sur sa jambe valide, Marcel en resta interloqué un instant. Puis se ressaisit.
– Comment ça, la cuisine ?
– Ben oui, la cuisine !
– Ben quoi, la cuisine ? s’entêta Marcel.
À son tour, Jean ne comprenait plus.
De la tête, il désigna la cuisine et précisa :
– Ceux de la cuisine !
Marcel enchaîna vivement :
– Mais, monsieur Jean, c’est Paulette, ma brave femme, qui fait la cuisine.
Commençant à comprendre, Ferniti s’énerva.
– Je ne te parle pas de ta femme, je te parle de ceux-là.
Il avait appuyé le « ceux-là » d’un mouvement de menton énergique en leur direction.
– Ah !… fit Marcel, à la fois tout éberlué par la remarque et rassuré qu’il ne s’agisse pas de la qualité de sa cuisine.
– Oui, reprit Ferniti, ceux-là !
– Ah ! bien sûr…, dit Marcel prudent. Bien sûr, répéta-t-il en hochant la tête.
Ferniti avait le sentiment de recevoir l’approbation de Marcel.
– Tu me comprends, mon brave Marcel ? fit-il assuré et d’un air entendu.
– Oui, oui, se hâta de répondre Marcel, s’éloignant dès qu’il vit Ferniti attaquer allégrement de sa fourchette le reste de ragoût dont la sauce se gélifiait.
Marcel claudiqua lentement jusqu’au comptoir, comme réfléchissant. Il se disait que son métier n’était pas évident. Ménager Pierre, ménager Paul. Pour lui, c’étaient tous des clients. Ses clients. Il était revenu de toutes ses aventures, même s’il prenait plaisir à les conter à sa façon entre initiés. Et puis, lui, c’était l’Indo et les Viets. C’était autre chose que leurs fellaghas à ces branleurs d’Algérie. « D’accord, on a eu Diên Biên Phu. Mais au moins ça avait de la gueule et c’était plus exotique. Qu’ils continuent de se démerder avec leurs Arabes ! C’est pas mes clous. J’ai donné. »
Mais il ne comprenait pas ce que M. Jean reprochait à « ceux de la cuisine ». Ils étaient jeunes et un peu bruyants, c’est tout. « Heureusement que je n’ai jamais marché avec leur Parti patriote à la con. J’aurais dû fermer mon établissement aux Maghrébins et basanés. C’est les deux tiers de mes clients ! »
Il essuya machinalement un verre.
« Darnand et sa grande gueule ! se dit-il en lui-même. Ou Doriot. Voilà ce qu’il me rappelle leur grand chef ! »
Pour Marcel, ce n’était pas un compliment. Il leur en voulait, au fond de lui-même, pour sa jeunesse perdue et son mauvais choix.
Il savait qu’il n’avait jamais été vraiment courageux. S’il avait choisi la Milice, c’était pour échapper au STO. Ça lui paraissait plus sûr et moins emmerdant que de rejoindre un maquis. C’était organisé officiellement et il était sûr d’être nourri logé blanchi. Il en avait rien à foutre de la chasse au terroriste. Il avait simplement choisi ce qui lui paraissait être le moindre risque. Mais c’était le mauvais choix. Comme il avait fait le mauvais choix en s’engageant « volontaire ». Il aurait mieux fait de tirer sa taule peinard plutôt que de crapahuter chez les Viets et de revenir blessé et secoué. Mais là aussi il avait cru choisir le moindre risque. Il craignait d’être condamné à mort et fusillé s’il passait en jugement. Tu parles ! Il avait plutôt failli crever en Indo ! « Mes citations ! se disait-il. Une pour mes deux blessures, une autre parce que j’ai couru plus vite que les copains tellement j’avais la trouille. Mais, au lieu de courir vers nos lignes, j’étais tellement paniqué que j’ai couru sur les Viets avec ma saloperie de mitraillette qui s’est mise à péter toute seule. Quelle gloire ! La troisième parce que le souffle d’une explosion de mortier m’a projeté sur mon adjudant et que ce con a tellement eu peur qu’il a cru que je m’étais précipité sur lui pour le protéger ! Ce qu’ils peuvent être cons quand même… »
Mais, médaillé militaire entre autres et pensionné, il devait bien tenir sa place d’anciens combattants glorieux parmi ses pairs.
« Et puis quoi, conclut-il pour lui-même, c’est-y pas l’armée française qui a formé les premiers cadres militaires du FLN ! »
Il se souvenait d’anciens camarades algériens d’Indo, quelques sous-offs et des hommes de troupe, dont il avait retrouvé les noms dans les « palmarès » de chasse de l’armée française qui avait remis ça contre les fells. Ce qui l’avait secoué à l’époque et mené au plus parfait relativisme politique.
« Pour le même résultat, pensa-t-il en souriant amèrement. Heureusement, se marrait-il intérieurement, que j’ai eu mes blessures. Y m’auraient envoyé en Algérie sans ça, ces cons. “ Volontaire d’élite ” qu’on m’aurait encore dit ! »
Ferniti se leva et alla payer au comptoir.
– À demain, mon brave Marcel !
– C’est ça, à demain, monsieur Jean, lança-t-il machinalement, souriant à lui-même.



À treize heures vingt-sept, Ferniti se tenait sur le seuil de sa cage de verre, les mains dans le dos, se balançant imperceptiblement, énervé, d’un pied sur l’autre.
Ahmed s’affairait déjà, ou faisait semblant, à l’autre bout du magasin.
Il fixa la pendule. Treize heures vingt-huit, vingt-neuf…
Momo survint, décontracté, et se dirigea vers Ahmed.
« Rien à dire cette fois, se dit Ferniti. Attendons voir le rouquin. »
L’interphone grésilla et la secrétaire du fils Legrand l’interpella.
– Monsieur Ferniti, M. Legrand veut vous voir tout de suite.
Il maugréa et se dirigea vers l’escalier à gauche de la cage de verre qui menait au premier.
Quand il redescendit, toujours en maugréant, il était treize heures quarante-cinq et Yvonnick était au travail.
« Il n’a pas dû être là avant treize heures quarante », se dit-il. Et dire que le fils Legrand l’avait demandé pour vérifier un bordereau d’expédition qui était tout ce qu’on ne peut plus en règle.
Mais lundi, il guetterait le rouquin, comme il le faisait chaque jour. Et il lui dirait peut-être ce qu’il pense.


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mercredi 23 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 5

Chapitre 5





Perdu dans ses pensées, il ouvrit la porte du bar-restaurant Aux Amis, situé juste en face des Établissements Legrand. Ça sentait le ragoût de mouton et la merguez-frites à vous couper l’appétit la première fois que vous y pénétriez. Les vitres de la devanture semblaient opaques, mais la crasse et la graisse accumulées en étaient la cause. C’était pas cher, ça c’est sûr. Vingt-sept francs le plat du jour et le quart de vin. Brouhaha et fumée. Un véritable atelier de chaudronnerie.
Le patron interpella Ferniti.
– Alors, monsieur Jean, on est en retard aujourd’hui ?
Levant instinctivement le regard, Ferniti lut douze heures quarante à la pendule derrière le comptoir. « Ce petit con de Breton m’a fait perdre sept minutes de bouffe. Me le paiera. »
Puis il se tourna vers le bistroquet.
– Des papiers à classer, mon brave Marcel, dit-il d’un air entendu.
Marcel, il l’aimait bien. « Monsieur Jean », ça sonnait comme il faut. Tout au moins quand c’était un Français qui s’adressait à lui en ces termes. Il trouvait que ça faisait révérencieux et familier à la fois. On se sentait membre de la même famille, la France. Mais il voulait que ses trois subalternes l’appellent « monsieur Ferniti ». Ils n’étaient pas ses égaux.
Marcel, c’est vrai qu’il l’aimait bien. Un ancien caporal-chef de la coloniale. Engagé volontaire pour l’Indo comme lui pour l’Algérie. Un dur à deux blessures, une au genou gauche, la seconde au biceps du bras droit. Deux citations au bataillon, une au régiment. Un brave. Un vrai marsouin.
– Et cette jambe, Marcel ?
– Humide, aujourd’hui, répondit l’autre.
Le Marcel, une météo ambulante avec ses douleurs.
Entre amis sûrs, Marcel racontait aisément ses faits d’armes. Il omettait simplement de dire qu’il avait commencé par la Milice et qu’à la Libération ça avait été soit la taule, soit l’engagement « volontaire » pour réimporter la démocratie et la civilisation à la péninsule indochinoise. Il préférait se présenter comme un FFI dont l’élan patriotique l’avait propulsé de la libération du territoire à celle de l’Empire.
Claudiquant de la jambe gauche, Marcel lui apporta le plat du jour : ragoût de mouton.
C’était simple : un jour le ragoût, le lendemain merguez-frites. Une alternance élémentaire qui mettait à l’épreuve les estomacs. Quoiqu’ils fussent blindés par son « petit vin de pays ».
Le vendredi, c’était Byzance : couscous royal. Mais on retrouvait le mouton et les merguez. Ça permettait de terminer les restes de la semaine.
Et le samedi – Jean le savait pour y venir lorsqu’il devait préparer des expéditions urgentes pour le lundi première heure –, on terminait le couscous du vendredi. Avec un peu moins de mouton et une merguez au lieu de deux, et parfois pas de pois chiches. Mais ça s’appelait toujours le couscous royal.
Seuls des habitués déjeunaient là de toute façon. S’ils revenaient, c’est qu’ils en avaient pris leur parti et n’en tenaient pas rigueur au patron.
Les douze tables de six couverts chacune, disposées en damier, mais en longueur, se partageaient en trois clans quasiment immuables, tant géographiquement que numériquement.
Près de l’entrée, les Français « de bonne souche et de bonne éducation », comme aimait à dire Yvonnick le Breton qui n’y mettait guère les pieds – « Et tant mieux ! pensait Ferniti, m’emmerderait encore ». Mais il ne comprenait pas pourquoi le rouquin ironisait avec ces « Français de bonne souche et de bonne éducation ». C’étaient effectivement de vrais Français, qui se tenaient correctement à table, venaient là pour déjeuner paisiblement. Ils avaient de la retenue et n’étaient pas à tu et à toi même s’ils déjeunaient à la même table depuis des années. De la discrétion, de la distance, de la classe, quoi ! Des employés de bureau pour la plupart. Et Ferniti aimait à reconnaître qu’il était le seul chef de service.
Ensuite, le deuxième tiers était occupé par des ouvriers maghrébins et quelques Portugais, de moins en moins nombreux. Et là, Ferniti le disait, « ils sont pas comme nous mais ils sont de bonne éducation et ils respectent nos usages ». Même discrétion que dans la première classe du premier tiers. La seconde classe en quelque sorte. Reproduction par mimétisme, mais un cran au-dessous, du comportement précédent. En général des pères de famille.
Venait enfin la troisième classe, coupée en deux tronçons par la porte des toilettes et dont ceux du fond encadraient la porte de la cuisine aux vives et prégnantes odeurs. Si vous étiez assis là, on devinait tout de suite, de retour chez vous, votre menu du midi. On le sentait.
La dernière classe, pensait Ferniti. « Amalgame », le mot était de lui, d’ouvriers français et d’ouvriers maghrébins. Braillards et à tu et à toi, potes et camarades. Tous syndiqués ou peu s’en faut, si ce n’est cocos ou gauchistes.
La dernière classe était également la plus jeune. Moins de trente ans.
Ferniti aperçut Momo qui se levait et se dirigeait vers la troisième classe.
Il venait régulièrement s’y asseoir pour prendre son café, après avoir déjeuné en deuxième classe avec Ahmed.
« Au moins Ahmed sait se tenir, il reste à sa place, se dit Ferniti. Un faux-cul ce Momo, il bouffe en seconde et il sirote en troisième. Peut pas se tenir. »


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mardi 22 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 4

Chapitre 4





À douze heures trente précises, le regard programmé de Ferniti se leva vers la pendule qui lui faisait face. Un léger regard à droite, hors la cage de verre qui lui servait de bureau, pour constater avec satisfaction que les deux Marocains s’affairaient toujours.
Yvonnick, le Breton, lui, se roulait une cigarette, tranquillement, attendant la pause officielle de « M. le chef des expéditions ». Ce pouvait être midi trente et une ou trente six, mais jamais midi vingt-neuf ou vingt-sept.
Il aperçut le regard courroucé de Ferniti.
– Va te faire foutre, p’tit chef ! dit-il à voix basse.
Jean Ferniti sortit de sa cage de verre, se campant sur le seuil, les mains derrière le dos, ce qui lui semblait être l’attitude naturelle d’un chef.
– C’est la pause, les gars, dit-il, fixant le Breton.
– Oui, chef, dit Ahmed, le Marocain le plus âgé, la cinquantaine bien rembourrée.
Mohammed, dit « Momo », l’autre Marocain, était plus jeune. La trentaine.
Il attendit que ses trois hommes se dispersent. Un capitaine se doit de quitter son navire en dernier, aimait-il à se répéter.
Il garda la même attitude, mains derrière le dos, le regard au-delà de la crinière fauve d’Yvonne, la secrétaire aux expéditions, qui s’était déjà installée dans le coin du magasin lui servant de bureau et était en train de déballer cérémonieusement ses deux sandwiches quotidiens au pain de mie.
« M’fait chier, ce rouquin, se dit jean Ferniti. Il faut qu’il se singularise. Peut pas attendre que j’annonce la pause ! »
Ce point le contrariait suprêmement. Ses fonctions de chef magasinier et de responsable des expéditions lui semblaient remises en cause par le comportement anarchique du Breton. Et il fallait pas compter sur le fils Legrand pour remettre le Breton à sa place et le raffermir lui, Jean Ferniti, dans son autorité.
– Il travaille bien ce petit gars, avait seulement dit le fils Legrand lorsque Jean avait voulu lui faire remarquer que ce type-là devait être syndiqué.
Le rejeton Legrand avait même haussé les épaules.
– Je dis ça comme ça, avait simplement bougonné Ferniti, sur la défensive.
– Donc il n’y a pas de problème, avait conclu ce faux cul.
ssC’est pas le vieux qui aurait toléré ça. Avec lui, il suffisait qu’il dise qu’un gars ne convenait pas pour que le vieux lui donne son compte. Pas besoin d’explications en long et en large. Il se fiait à son intuition, le vieux. C’était pas un raisonneur.
Jean ne pouvait quand même pas dire au fils : « parce qu’il ne respecte pas l’autorité » ou « qu’il n’a pas le sens de la hiérarchie ». Le fils, il ne semblait pas avoir de vraies notions de ces choses-là. Il considérait Ferniti, pourtant chef magasinier et responsable des expéditions, comme du petit personnel, un vague subalterne, tout juste un caporal qui n’avait pas à l’emmerder avec des problèmes de chambrée de secondes classes.
Il planait le fiston, avec ses méthodes de gestion modernes et tutti quanti. Même qu’il voulait mettre les expéditions et tout le stock sur ordinateur. Comme si ça n’avait pas marché jusqu’à maintenant sans ces engins-là ! Comme si c’était indispensable ! Et quoi encore !
Il voulait installer un truc qui avait un nom comme une bouteille de whisky, un « Mac quelque chose ».
Mais Ferniti avait sa petite idée là-dessus. Si le fils Legrand avait à la bonne le rouquin, c’est peut-être parce qu’il voulait le placer et lui confier l’engin. Parce qu’il ne voyait pas les deux manutentionnaires marocains se servir d’un tel monstre. Faut au moins être futé. Lui, Jean, il l’était pour deux, mais il ne se voyait pas se coltiner cette bécane. Et puis, c’est pas un chef qui va travailler sur une machine. Même électronique. Tout dans la tête, il avait. Tout le magasin, tout le stock et les clients et les fournisseurs. C’est pas cet ordinateur whisky qui lui apprendrait son métier et pourrait savoir tout ce qu’il savait. Grand bien fasse au rouquin ! Mais il ferait tout pour l’avoir au tournant ce monsieur qui jouait l’intellectuel. Et vlan ! je vais lui sortir celle-là. Parce que quand on lit Libération – pas sur le lieu de travail, bien sûr, mais dans le bus il l’avait vu, ça oui –, quand on lit Libération, ce torchon gauchiste, c’est qu’on veut jouer les intellectuels. Au moins, L’Huma, c’est pas pour ça. Ça reste ouvrier même s’ils sont cocos.
« Ouais, conclut pour lui-même Ferniti. C’est pas sain tout ça. Ni le fils ni le rouquin. Quand l’autorité n’est pas respectée à tous les échelons, ça part à vau-l’eau. Et les échelons du dessous sont ceux qui soutiennent ceux du dessus. S’ils pètent, c’est l’anarchie. On le sait, nous, au Parti patriote français, le PPF. C’est même pour ça qu’on existe. Pour sauver l’autorité et le respect qui lui est dû, fondement de l’ordre. »


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dimanche 20 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 3

Chapitre 3





À huit heures quinze, il arriva aux Établissements Legrand et Fils, à Issy-les-Moulineaux. De la petite mécanique. Une quarantaine d’employés. Quarante-neuf exactement, pour éviter un comité d’entreprise à partir de cinquante. Un de plus, et ç’aurait été la chienlit rouge assurée.
Jean Ferniti y était chef magasinier et responsable des expéditions. Il avait trois types sous ses ordres. Deux Marocains et un jeune Breton.
Question boulot, il préférait travailler avec des étrangers. Les Français, ils rouspètent toujours, ne savent pas rester à leur place. Les Maghrébins, eux, pas de problème. « Chef » par-ci, « chef » par-là. Sûr que c’est pas eux qui maniganceraient pour essayer de lui piquer son poste. Et, en plus, arrangeant question salaire. D’ailleurs, il les prévenait toujours :
– Si vous n’avez pas de papiers en règle, je veux bien vous prendre quand même, mais je ne peux pas vous payer comme des Français.
Normal, quoi. Ça convenait à tout le monde. D’accord, ils n’avaient pas la sécurité sociale, mais ils ne payaient pas d’impôt. Ça compensait.
Il le reconnaissait. Pour ça, ils étaient réguliers. Si l’un d’eux tombait malade, il ne faisait pas d’ennui. Un cousin de cousin venait travailler à sa place.
Même que lorsque le Porto s’était fait tuer en se trouvant dans la trajectoire d’un palan, tous, comme un seul homme, ils avaient déclaré que c’était de sa faute.
Il était pas con le fils Legrand d’être à la bonne avec l’inspecteur du travail, de lui faire un cadeau de temps à autre ou de lui envoyer parfois un gars le week-end pour bricoler sa baraque.
Ç’avait drôlement été utile. Surtout que ce n’était pas le premier accident de ce type.
Ça aussi, il savait le reconnaître, il n’était pas sectaire Jean. D’ailleurs, il le disait souvent : « Quand il y a du bon, je le dis. » Les inspecteurs du travail n’étaient pas tous des gauchistes qui ne pensaient qu’à emmerder les patrons.
Puis, il faudrait savoir ce qu’ils veulent les socialo-cocos. Ce n’est pas en s’occupant de sécurité et des droits des travailleurs qu’on faisait tourner une entreprise. C’est en produisant.
Pour Jean, c’était clair. Les syndicats et les lois sociales, c’était fait pour les feignants. Pour ceux qui s’entassent dans l’administration ou à la SNCF, pas pour ceux qui veulent travailler.
Lui, par exemple, il en avait bavé avant de devenir chef magasinier et responsable des expéditions. Depuis le djebel, il avait crapahuté rien qu’avec son certif. Et il en était fier. Son boulot, il le connaissait. La baraque, il savait comment elle tournait.
Directeur des ventes, il en aurait été capable. Il en avait même été question. Mais, en 81, la mauvaise année, le fils Legrand, qui prenait de plus en plus de place dans la maison, lui avait préféré un jeunot. Il avait prétendu qu’un diplômé était nécessaire pour la fonction.
D’ailleurs, Jean Ferniti, ça ne l’avait pas trop surpris. Distant et jouant aisément au « monsieur », hypocrite comme pas un, le fils Legrand ne l’avait jamais considéré que comme un subalterne. Quand il mettait les pieds dans son secteur, c’était toujours pour râler à propos d’une expédition mal faite ou n’importe quoi. Et sans le regarder qu’il lui parlait à Jean Ferniti. Ça, il détestait. Ce petit cul pincé, il aurait bien aimé le voir dans le djebel, face aux fellouzes. Il avait trois ans de plus que lui. Ferniti était né en 42, le fils Legrand en 39. De l’Algérie, le fils Legrand n’en parlait jamais. Réformé qu’il avait dû être.
Heureusement que le père Legrand n’était pas de la même trempe. Ah ! c’était autre chose. À croire que le fils n’était pas le fruit du père. Toujours un mot gentil. De la distance, certes, mais juste ce qu’il faut pour un patron. Pas plus. Le père, il lui faisait confiance les yeux fermés. Jamais il se serait permis des remarques comme son connard de fils. Hélas ! ce dernier avait pris totalement la gestion de la baraque en main depuis six ans. 81. Toujours cette année de poisse.
Actionnaire majoritaire, le père, à près de soixante-dix-sept ans, passait encore une fois ou deux par semaine un après-midi dans son ancien bureau. Mais on ne le voyait plus guère dans les ateliers ou au magasin.
Depuis le décès de sa femme en 1984, il s’était rapetissé rapidement. Il n’était plus tout à fait le même. Et le fils semblait en profiter pour imposer ses vues à son vieux.
Ah ! avant, il filait quinze nœuds le fiston quand le père tenait encore les rênes. Combien de fois Jean Ferniti n’avait-il pas assisté à des engueulades du jeune par le vieux. La queue basse qu’il en sortait, le fils.
Le père, ç’avait été un chef. Il faisait pas dans l’ambiguïté et les manières, lui. Il était franc. Et savait se faire respecter – avant qu’il ne commence de perdre la boule, bien sûr.
C’est pas avec lui qu’on aurait vu un syndiqué dans la cabane, ni même à la porte pour distribuer des tracts coco. Avec son taré de fils, sûr, si ça continuait comme ça, avec ses façons, c’est pas un syndiqué qu’on verrait, mais tout un syndicat.
Le vieux, lui, aucun, même pas FO où qu’il y a du RPR. Faut dire que le vieux, le RPR, il ne l’avait jamais aimé. Une petite aide par-ci, par-là pour les élections. Faut bien que les affaires tournent. Quand on est patron, on est bien obligé de fréquenter les gens du pouvoir. Mais le gaullisme d’avant, de pendant et d’après, c’était pas son truc. Le sien, au père Legrand, c’était l’ordre moral, le vrai, celui de Pétain, le Maréchal.



© Alain Pecunia, 2008.
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samedi 19 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (Chroniques croisées II) par Alain Pecunia, Chapitre 2

Chapitre 2





Assis à l’arrière de l’autobus bondé au fil des stations, il ne pouvait s’empêcher, comme lors de chaque trajet, de se demander lesquels étaient de vrais Français parmi les passagers. Pas derche, se répondait-il chaque fois. Un chouïa.
Lorsqu’il ne trouvait pas de place assise, il se plantait devant une Noire ou une Arabe et ne cessait de la fixer répétant en lui-même : « Laisse ta place à un Blanc. » Il devait toutefois convenir que son pouvoir télépathique était minime. Ça marchait rarement. À vrai dire de moins en moins. Excepté lorsque la femme était arrivée à destination.
Parfois, il avait pensé essayer le truc sur un mec. Mais il avait préféré y renoncer. Ces mecs-là, ils fonctionnaient pas comme des Français, ils pouvaient avoir des réactions imprévisibles. C’est plein de violence sauvage, les Noirs et les Arabes. Même pas le mépris qu’il leur faut. L’indifférence tranquille. C’est tout. Comme s’ils n’avaient pas existé. Surtout qu’à cette heure-là ils sont toujours plus nombreux que les Blancs. Évidemment, si c’était l’inverse, il gerberait, le fellagha !
Sans s’en rendre compte, il hocha la tête et se marra tout seul en se souvenant qu’un jour il était tombé sur un gauchard qui lui avait soutenu que les Arabes appartenaient à la race blanche. Et le gars, il prétendait même le lui prouver scientifiquement !
Alors là, ni une ni deux, surtout qu’il était avec Albert, son pote. Il lui avait foutu son poing sur la gueule à cette feignasse d’intellectuel.
– Tiens ! la v’là ma démonstration scientifique à moi !
Il revoyait encore la gueule du mec. Sidéré qu’il était. Et tout con avec son nez qui pissait le sang.
Pour se marrer, ils s’étaient marrés avec Albert. Pour fêter ce bon coup, ils s’étaient même payé une pute avec Albert. À deux qu’ils y étaient passés. Une jeune Noire qu’ils avaient choisie. Ah ! il fallait pas lui en promettre. Elle jouissait la salope. Comme quoi c’est pas vrai que les négros et les bicots ils ont de meilleures bites que les Blancs !
À vrai dire, il ne se souvenait plus très bien de ce qui s’était passé. Ni Albert quand ils avaient tenté de reconstituer la séance pour la raconter aux copains de Chez P’tit Louis à l’heure de l’apéro du soir.
Quelle biture ils tenaient ce jour-là. Pire que des légionnaires.


Soudain, il s’aperçut qu’on le dévisageait avec curiosité. Il cessa de se marrer aussitôt, se ressaisit et s’excusa muettement en souriant.




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vendredi 18 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (Chroniques croisées II) par Alain Pecunia, Chapitre 1

Dans une banlieue HLM parisienne des années 80, deux crimes sexuels viennent jeter le trouble dans une paisible résidence et font monter la tension. Jean Ferniti et Albert Papinski ont décidé de frapper un grand coup et d’exécuter les ordres du « chef ». Bientôt leur « grand soir ». Et on ne voit pas ce qui pourrait les arrêter en si bon chemin. Mais qui est leur mystérieux« chef » ?

C’est l’histoire de beaufs quelque peu extrémistes tels qu’on en trouvait dans les cités HLM. L’épilogue a lieu en avril 2002 et Jean Ferniti réapparaîtra dans les Chroniques croisées 9 et 10. A lire au second degré !






Chapitre 1





Comme chaque matin, à six heures douze précises, Jean fut réveillé par la chasse d’eau du quatrième.
Il grogna et dit à mi-voix :
– Merde, ce con, il est réglé comme un coucou suisse.
Il se roula dans ses couvertures, tentant de retrouver son rêve.
À présent, il entendait la baignoire qui se remplissait. Puis des voix étouffées, le pleur d’un enfant.
En semaine, il ne pouvait jamais dormir au-delà de six heures douze. Pourtant, lui, il n’avait à se réveiller qu’à six heures trente.
– Bande de bougnouls ! dit-il à haute voix en se levant.
Un rire étouffé de femme lui parvint. Il résonnait en lui comme un écho moqueur. Jean lança un regard rageur au plafond.
– J’en ai pas buté assez en Algérie, de ces coupeurs de couilles, murmura-t-il à lui-même. Ils ont voulu leur indépendance mais il faut qu’ils bouffent sur le Français, ces minables.
Comme chaque matin, il se lançait dans son monologue.
Il se dirigea vers le bocal du poisson rouge planté au milieu du buffet sur une assiette.
– Ça va, mon Titi ? dit-il en tapotant de petits coups secs de son index droit contre la paroi de verre. Ils seraient capables de te bouffer, tu sais, les bicots ! ajouta-t-il en montrant du doigt à Titi le plafond.
Il grignota une pomme tandis que le café passait et revint donner à manger au poisson.
Comme chaque matin, il dialoguait avec Titi, faisant les questions-réponses.
Puis il prit son café et alla se laver.
Quand il sortit sur le palier, les piaillements des enfants partant pour l’école emplissaient la cage d’escalier.
Comme chaque jour, il prenait son temps pour s’assurer de la fermeture de son verrou. L’aînée des Kamil descendait l’escalier et arriverait bientôt à sa hauteur.
– Bonjour, dit-elle en souriant. Ça va ?
– B’jour, répondit-il renfrogné sans la regarder.
Quand elle l’eut dépassé, il jeta un regard à la dérobée.
Il ne put s’empêcher de penser qu’elle était belle pour une Arabe. « C’est comme les Juives, se dit-il, elles sont précoces et salopes. »
Arabes et Juifs, pour lui, étaient à mettre dans le même charter. Direction la Palestine pour faire simple et qu’ils puissent s’y exploser la gueule joyeusement.
« Chacun chez soi, se disait-il en franchissant le hall défraîchi et couvert de graffitis du HLM. La France aux Français et toute cette lie d’étrangers chez eux. »
Le gardien de la cité interrompit le cours de ses pensées.
– Alors, monsieur Ferniti, ça va ?
– Ça ira mieux un jour ! dit-il en redressant la tête et en indiquant du menton un jeune Français au teint basané qui tentait de faire démarrer son vélomoteur.
– Oui, mais quand ? Ma femme, elle en a de plus en plus peur avec ce qui se raconte partout. Ça ne peut plus durer, monsieur Ferniti, surtout depuis ce deuxième meurtre.
– Ça ne durera pas, Georges. Patience ! répondit fermement Jean Ferniti. Patience, c’est pour bientôt.
Puis il baissa la voix.
– Quand on sera au pouvoir, les socialo-communistes n’auront qu’à bien se tenir ! Les marxistes à genoux et les étrangers chez eux. Ils perdront leur arrogance, vous verrez !
Tout en marchant vers l’arrêt d’autobus, il rêva de la France de demain. Une France forte et qui saurait se faire respecter. Dont il serait un des artisans. La preuve que ça avançait, c’était l’état dans lequel se trouvait la cité depuis ce deuxième meurtre.
État de choc au premier, tension depuis le deuxième. Au troisième, ça péterait. Sûrement.
La presse parlait de crime à caractère raciste ou racial. Selon.
La première victime était une jeune adolescente française retrouvée la gorge tranchée après avoir été violée dans une des caves labyrinthes de la cité. Au moins deux personnes se seraient trouvées avec elle sur les lieux selon les indices et les prélèvements divers. « On » soupçonnait de jeunes désœuvrés d’origine maghrébine.
La deuxième victime, une Arménienne d’une trentaine d’années. Dans les mêmes conditions. Mais dans une autre cave de la cité. Et comme il n’y avait pas de Turcs dans la cité, « on » soupçonnait encore de jeunes Arabes.


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