Chapitre 10 (suite 1)
À huit heures précises, Pierre Cavalier se retrouva au volant de la 2 CV de sa tante, une antiquité brinquebalante, avec laquelle il avait eu tant de mal à se familiariser la veille – « Trop simple comme mécanique pour des jeunes de maintenant ! » lui avait-elle lâché d’un ton railleur. Jeanne Collieri, sur son trente et un, à ses côtés.
Mais ils ne purent voir Élisa avant neuf heures et demie.
Le lieutenant de gendarmerie chargé de l’enquête avait été plus matinal qu’eux.
Quand celui-ci sortit de la chambre, Jeanne s’y engouffra. Pierre Cavalier, lui, préféra s’entretenir avec le lieutenant après s’être présenté à lui comme le cousin de la victime et un humble policier du continent.
– C’est pas bien clair, lui dit d’emblée le gendarme. Un grand 4 x 4 avec pare-buffle, du style Land-Rover équipée pour le safari, aurait surgi sur sa droite à l’embranchement et n’aurait pu l’éviter. Mais, un, le chauffeur a pris la fuite et, deux, hier j’avais un témoin et ce matin je n’en ai plus…
– Comment ça ?
– Ce type a été témoin de l’accident. C’est d’ailleurs lui qui a alerté les secours. Bref, il était sur la même route que le chauffard, mais il l’a vu surgir sur la route, malgré la pluie, seulement une centaine de mètres devant lui juste avant l’embranchement et foncer tous feux éteints sur la 206 de votre cousine, comme s’il avait attendu son arrivée sur le bas-côté pour démarrer. Donc, hier soir, il témoignait que le conducteur du 4 x 4 avait foncé volontairement sur la 206 et, ce matin, à sept heures et demie, il téléphonait à la brigade pour se rétracter, dire qu’il avait réfléchi et qu’en fait la 206 avait fait un refus de priorité.
– À votre avis ? demanda Cavalier.
– Oh ! comme d’habitude ici. Mais c’est comme ça même pour un vol de poule. C’est simple, mon témoin a reçu un coup de fil ou une visite entre-temps. Moi, je pense que sa première version est la bonne et que votre cousine devait être suivie par un type en moto ou en voiture qui a donné le top départ par portable au conducteur du 4 x 4 dès qu’elle a été en approche de l’embranchement.
– Et elle ne se souvient de rien de particulier ?
– Non, rien, fit le lieutenant en haussant les épaules. Mais ça lui reviendra peut-être. Ou peut-être qu’elle vous le dira à vous…
Cavalier regarda le lieutenant s’éloigner dans le couloir en se faisant des reproches sur son comportement de la veille.
Quand il pénétra dans la chambre, Élisa lui adressa un maigre sourire sans bouger la tête, mais, déjà, la grand-tante s’attaquait à lui.
– J’avais raison, c’était un guet-apens !
– Je sais, dit tristement son neveu.
– Ah ! tu en conviens enfin ! Mieux vaut tard que jamais, lâcha-t-elle d’un ton acerbe. Mais elle est trop fatiguée pour te raconter elle-même. Alors je vais te répéter ce qu’elle m’a dit. Écoute bien !
Il l’écouta. Plus attentivement encore qu’elle ne pouvait le supposer.
Une voix masculine, presque inaudible, avait appelé Élisa à son cabinet à dix-huit heures trente. Pour une consultation à Alata chez un vieux bonhomme qu’elle suit. Elle s’est donc retrouvée là-bas un peu avant vingt heures. Mais son patient ne l’avait pas appelée. Elle a alors pensé que c’était une mauvaise plaisanterie – surtout que le coin est loin d’être plaisant par une nuit d’hiver. Bref, elle a pris le chemin du retour et n’a même pas vu surgir le 4 x 4 à l’embranchement. Mais la tante n’avait pas encore eu le temps de demander à Élisa pour le « visiteur médical » marseillais.
Pierre ne l’écoutait plus. Un détail l’avait fait tiquer.
Il se tourna vers Élisa.
– Elle était inaudible comment, cette voix qui t’a appelée ? lui demanda-t-il.
– Quelle importance ! fit la tante.
– C’est important, insista Pierre en l’ignorant.
Le visage d’Élisa était devenu douloureux.
– Une voix très basse, mais voilée naturellement. Et sans accent corse… Et je me souviens d’autre chose maintenant…, ajouta-t-elle en semblant faire un effort qui lui était douloureux.
– Quoi ? (C’était la tante.)
– Quand je me suis dirigée vers ma voiture, j’ai vu un type s’en éloigner et, quand je suis montée dedans et que j’ai allumé mes phares, je l’ai aperçu monter dans une voiture une trentaine de mètres plus bas… du côté passager…
– Il était comment ?
– Un type d’allure malingre, de taille moyenne… les épaules voûtées et un visage très pâle… inquiétant…
Pierre Cavalier hocha la tête en se concentrant sur une image qui devenait de plus en plus nette dans son esprit.
Il lui fallait d’abord effectuer une vérification.
La tante avait décidé de rester auprès de sa nièce, mais, quand il se retira un quart d’heure plus tard, il vit sa tante regarder sa montre pour l’énième fois et l’entendit dire à Élisa, alors qu’il refermait la porte :
– Je reviens dans cinq minutes, ma chérie.
Il se dissimula derrière un pilier près de la sortie et vit Jeanne Collieri se diriger vers deux femmes dans ses âges qui semblaient l’attendre, debout près du bureau d’accueil.
L’une tenait un cabas qu’elle ouvrit à bout de bras et il vit sa tante y plonger le regard en acquiesçant d’un hochement de tête silencieux.
Puis elle prit le cabas et s’en retourna vers la direction de la chambre de sa nièce.
Pierre Cavalier était intrigué. Mais il fut interpellé au même moment et sursauta comme pris en faute.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
À huit heures précises, Pierre Cavalier se retrouva au volant de la 2 CV de sa tante, une antiquité brinquebalante, avec laquelle il avait eu tant de mal à se familiariser la veille – « Trop simple comme mécanique pour des jeunes de maintenant ! » lui avait-elle lâché d’un ton railleur. Jeanne Collieri, sur son trente et un, à ses côtés.
Mais ils ne purent voir Élisa avant neuf heures et demie.
Le lieutenant de gendarmerie chargé de l’enquête avait été plus matinal qu’eux.
Quand celui-ci sortit de la chambre, Jeanne s’y engouffra. Pierre Cavalier, lui, préféra s’entretenir avec le lieutenant après s’être présenté à lui comme le cousin de la victime et un humble policier du continent.
– C’est pas bien clair, lui dit d’emblée le gendarme. Un grand 4 x 4 avec pare-buffle, du style Land-Rover équipée pour le safari, aurait surgi sur sa droite à l’embranchement et n’aurait pu l’éviter. Mais, un, le chauffeur a pris la fuite et, deux, hier j’avais un témoin et ce matin je n’en ai plus…
– Comment ça ?
– Ce type a été témoin de l’accident. C’est d’ailleurs lui qui a alerté les secours. Bref, il était sur la même route que le chauffard, mais il l’a vu surgir sur la route, malgré la pluie, seulement une centaine de mètres devant lui juste avant l’embranchement et foncer tous feux éteints sur la 206 de votre cousine, comme s’il avait attendu son arrivée sur le bas-côté pour démarrer. Donc, hier soir, il témoignait que le conducteur du 4 x 4 avait foncé volontairement sur la 206 et, ce matin, à sept heures et demie, il téléphonait à la brigade pour se rétracter, dire qu’il avait réfléchi et qu’en fait la 206 avait fait un refus de priorité.
– À votre avis ? demanda Cavalier.
– Oh ! comme d’habitude ici. Mais c’est comme ça même pour un vol de poule. C’est simple, mon témoin a reçu un coup de fil ou une visite entre-temps. Moi, je pense que sa première version est la bonne et que votre cousine devait être suivie par un type en moto ou en voiture qui a donné le top départ par portable au conducteur du 4 x 4 dès qu’elle a été en approche de l’embranchement.
– Et elle ne se souvient de rien de particulier ?
– Non, rien, fit le lieutenant en haussant les épaules. Mais ça lui reviendra peut-être. Ou peut-être qu’elle vous le dira à vous…
Cavalier regarda le lieutenant s’éloigner dans le couloir en se faisant des reproches sur son comportement de la veille.
Quand il pénétra dans la chambre, Élisa lui adressa un maigre sourire sans bouger la tête, mais, déjà, la grand-tante s’attaquait à lui.
– J’avais raison, c’était un guet-apens !
– Je sais, dit tristement son neveu.
– Ah ! tu en conviens enfin ! Mieux vaut tard que jamais, lâcha-t-elle d’un ton acerbe. Mais elle est trop fatiguée pour te raconter elle-même. Alors je vais te répéter ce qu’elle m’a dit. Écoute bien !
Il l’écouta. Plus attentivement encore qu’elle ne pouvait le supposer.
Une voix masculine, presque inaudible, avait appelé Élisa à son cabinet à dix-huit heures trente. Pour une consultation à Alata chez un vieux bonhomme qu’elle suit. Elle s’est donc retrouvée là-bas un peu avant vingt heures. Mais son patient ne l’avait pas appelée. Elle a alors pensé que c’était une mauvaise plaisanterie – surtout que le coin est loin d’être plaisant par une nuit d’hiver. Bref, elle a pris le chemin du retour et n’a même pas vu surgir le 4 x 4 à l’embranchement. Mais la tante n’avait pas encore eu le temps de demander à Élisa pour le « visiteur médical » marseillais.
Pierre ne l’écoutait plus. Un détail l’avait fait tiquer.
Il se tourna vers Élisa.
– Elle était inaudible comment, cette voix qui t’a appelée ? lui demanda-t-il.
– Quelle importance ! fit la tante.
– C’est important, insista Pierre en l’ignorant.
Le visage d’Élisa était devenu douloureux.
– Une voix très basse, mais voilée naturellement. Et sans accent corse… Et je me souviens d’autre chose maintenant…, ajouta-t-elle en semblant faire un effort qui lui était douloureux.
– Quoi ? (C’était la tante.)
– Quand je me suis dirigée vers ma voiture, j’ai vu un type s’en éloigner et, quand je suis montée dedans et que j’ai allumé mes phares, je l’ai aperçu monter dans une voiture une trentaine de mètres plus bas… du côté passager…
– Il était comment ?
– Un type d’allure malingre, de taille moyenne… les épaules voûtées et un visage très pâle… inquiétant…
Pierre Cavalier hocha la tête en se concentrant sur une image qui devenait de plus en plus nette dans son esprit.
Il lui fallait d’abord effectuer une vérification.
La tante avait décidé de rester auprès de sa nièce, mais, quand il se retira un quart d’heure plus tard, il vit sa tante regarder sa montre pour l’énième fois et l’entendit dire à Élisa, alors qu’il refermait la porte :
– Je reviens dans cinq minutes, ma chérie.
Il se dissimula derrière un pilier près de la sortie et vit Jeanne Collieri se diriger vers deux femmes dans ses âges qui semblaient l’attendre, debout près du bureau d’accueil.
L’une tenait un cabas qu’elle ouvrit à bout de bras et il vit sa tante y plonger le regard en acquiesçant d’un hochement de tête silencieux.
Puis elle prit le cabas et s’en retourna vers la direction de la chambre de sa nièce.
Pierre Cavalier était intrigué. Mais il fut interpellé au même moment et sursauta comme pris en faute.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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