samedi 28 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 28

Chapitre 28





Lorsque Pierre Cavalier referma la porte de la chambre de sa fille Philippine après l’avoir bordée, sa femme Isabelle le surprit des larmes aux yeux.
– Mais qu’est-ce qui t’arrive ? lui demanda-t-elle soudainement inquiète.
– Je crois que j’ai enfin trouvé ma famille, dit-il en souriant à sa femme interloquée. Viens, je vais t’expliquer, ajouta-t-il en lui prenant la main et en l’entraînant vers leur chambre
Puis il lui parla longuement de sa tante Jeanne Collieri et de ses amies. Toutes de parfaites et charmantes vieilles dames indignes.
Un peu moins de sa si gracieuse cousine corse.




« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue. »
Hugo, Victor.




© Alain Pecunia, 2009.
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vendredi 27 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 27

Chapitre 27





Quand le vol d’Air France AF7569 atterrit à Orly à dix-sept heures quinze, le lundi 8, le commandant Cavalier fut surpris qu’une voiture ait été envoyée par le grand patron pour le conduire immédiatement rue des Saussaies. Surtout qu’il n’avait téléphoné l’horaire de son vol qu’à sa femme.
Il se félicita que le commissaire Antoine et Lenoir eussent pris le premier vol. Mais il ne se faisait pas d’illusion sur leur séjour incognito sur l’île.
Il fut encore plus surpris d’apprendre par le commissaire qui était venu le chercher que le sous-directeur Tomasini avait été prié de prendre sa retraite le matin même. Mais sans que son interlocuteur ne lui en apprenne plus à ce sujet.
Pierre Cavalier se sentit dans ses petits souliers quand il pénétra dans le bureau du grand patron.
Dès que celui-ci l’eut accueilli en disant : « Cavalier, vous êtes vraiment un veinard ! », il comprit qu’il ne serait pas au bout de ses surprises.
Un grand patron, où que ce soit, c’est toujours fort occupé. Donc l’exposé fut succinct mais clair.
Ahuri, Cavalier apprit que le piège qui devait se refermer sur le divisionnaire Leprot se serait également refermé sur lui-même.
Qu’il n’était pas prévu, contrairement au dire de Bellou – mais celui-là avait joué le rôle de l’idiot utile manipulé par Tomasini et avait appris sa nouvelle affectation ce matin même – que le divisionnaire survive au massacre. Et que lui, le commandant Cavalier, en eût porté le chapeau.
Le sous-directeur Tomasini, qui devait son ascension à Pierre-Marie de Laneureuville, avait conçu le projet de se débarrasser à la fois de son « bienfaiteur » et de Cavalier.
Pour tirer les ficelles des basses œuvres de la République à la place de Laneureuville et mettre la main sur les laboratoires Crindos. Et c’est pour ce faire qu’il devait compromettre Cavalier.
– Excusez-moi, monsieur le directeur, mais, là, je ne comprends pas, intervint le commandant.
Le grand patron eut un léger sourire. Il semblait boire du petit-lait.
– Mon cher Cavalier, vous ignorez que Laneureuville détient trente pour cent de Crindos. La famille Crindos lui sert de prête-nom. Et il n’attendait que la mort de votre grand-père pour être seul maître à bord…
– Mon grand-père ?
– Oui, j’ai le regret de vous apprendre que votre grand-père est décédé le 25 novembre. Mais la nouvelle de son décès n’a pas été rendue publique. Volontairement. Mais, bien sûr, Laneureuville et Tomasini l’avaient appris, chacun de leur côté. Et le but de la manœuvre de Tomasini était de vous empêcher d’en hériter…
– Je ne comprends toujours pas, monsieur le directeur…
– Mon cher Cavalier, votre grand-père a fait de vous son légataire universel.
Pierre Cavalier était abasourdi.
– Oui, je sais, il était ce qu’il était, reprit le directeur. Mais il a vu en vous son digne successeur et vous a confié cet instrument utile à certaines choses délicates, si je puis m’exprimer ainsi.
– Mais je ne connaissais pas mon grand-père, je ne me souviens même pas de l’avoir jamais vu…
– Nous reparlerons, si vous voulez bien, plus tard de ce qu’ont pu être ses motivations. Je vous laisse d’abord vous habituer à cette nouvelle mission. Nous aurons, de toute façon, l’occasion de nous voir souvent. D’ailleurs, je pense que les coups fourrés seront moins nombreux avec vous. Et puis ne vous inquiétez pas trop de Laneureuville, il fera profil bas un certain temps…
– Mais mes fonctions ici, monsieur le directeur ?
– Il n’y a rien de changé. Vous êtes toujours le commandant Cavalier attaché à la section des affaires délicates. Ce sera votre couverture et les deux se conjuguent heureusement… À part ça, comment avez-vous trouvé votre tante ? Étonnante, cette Jeanne Collieri, non ? Et ses amies, de vieilles dames indignes !
Pierre Cavalier acquiesça niaisement.
Le directeur rit franchement et le prit par l’épaule.
– J’ai encore une confidence à vous faire. Ne m’en voulez pas. Mais Jeanne Collieri est une vieille connaissance de la famille. Mon père était le chef de son réseau. Votre tante a agi selon mes instructions. C’est une imaginative et elle a toujours eu l’art de l’improvisation dans les situations les plus inextricables. Avouez quand même qu’elle vous a tiré d’un sacré pétrin et vous a empêché de faire des conneries avec votre ami Antoine et Bellou…


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jeudi 26 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 26 (suite et fin)

Chapitre 26 (suite et fin)





Un grand silence se fit autour de la table.
À la fois sous le coup de la nouvelle et des effets des vapeurs d’alcool, les six policiers semblèrent sombrer dans de sombres méditations.
Jeanne Collieri se mit debout les mains sur les hanches et rejeta sa tête en arrière.
– Le Président de la République a été sauvé et vous faites la gueule ? tonitrua-t-elle. En plus, on a été aux petits soins avec vous et on vous a évité de faire des conneries… Vous, les hommes, vous n’avez jamais aucune reconnaissance devant le sacrifice des femmes !
Pierre Cavalier avait deviné qui était l’auteur du coup de fil anonyme et de l’embrouille.
Il regarda Antoine puis Gilbert en leur souriant. Puis ses yeux indiquèrent sa tante.
Antoine comprit l’allusion.
– Je t’expliquerai, dit-il à Gilbert qui n’avait pas suivi le fil.
Le commissaire Bellou maugréait dans son coin.
– J’aimerais quand même bien savoir quel est l’enfant de salaud qui a pu passer ce coup de fil anonyme… D’où peut bien venir la fuite ? Et pourquoi tout a foiré…
Puis il se tourna vers Cavalier.
– Je ne comprends pas ce qu’a voulu dire ta tante, dit-il à voix basse.
– Moi non plus, dit Cavalier en souriant. Tu sais comment elle est…
Mais déjà le commissaire René Bellou avait d’autres soucis en tête.
– Bon Dieu ! dit-il en sursautant, faut que je file à la préfecture. Le préfet doit me chercher partout…
Il se leva en titubant légèrement et fit signe à ses subalternes de le suivre. Ce qu’ils semblèrent faire à contrecœur.
– Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui raconter qui tienne la route…, l’entendit-on maugréer en prenant congé de Jeanne Collieri, de Laëtitia et des deux « cantinières ».
Il se retourna, le front sombre, en arrivant à la porte de la salle à manger, et s’adressa à Cavalier.
– Pierre, occupe-toi du sous-directeur, s’il te plaît. Je te demande ça comme un service…
Cavalier lui lança un : « Compte sur moi », tout en songeant qu’il n’y avait pas urgence. Que Tomasini ne tarderait pas à être au courant – s’il ne l’était déjà – et appellerait.
Jeanne Collieri trônait toute fiérote à son bout de table et échangeait avec ses copines de brefs regards qui en disaient long.
Son neveu ne se sentait pas le cœur de lui dévoiler que le Président n’avait jamais eu l’intention de mettre les pieds sur l’île de Beauté et qu’elles avaient empêché les mâchoires du piège de se refermer sur Leprot et, par voie de conséquence, sur Laneureuville.
Il songea que cela l’aurait attristée inutilement. Ainsi que ces vieilles dames pour lesquelles il éprouvait de plus en plus de tendresse.



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mercredi 25 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 26

Chapitre 26





À quinze heures cinquante, la sonnerie de son portable sortit le commissaire Bellou de sa douce torpeur.
– Ils sont tous morts…, lui disait la voix de son interlocuteur, le lieutenant de gendarmerie.
René Bellou ne comprenait rien. Il émettait des moues d’incompréhension destinées à ses collègues plus ou moins somnolents.
– Qui ? finit-il par demander d’une voix pâteuse. Quoi ! hurla-t-il à s’en décrocher les mâchoires quand il eut compris.
Le regard hagard, selon Cavalier, halluciné, pour Antoine, il répéta la nouvelle à ses collègues.
– Ils se sont entretués !
– Qui ? fit Lenoir.
– Il y a des survivants ? intervint Jeanne Collieri de façon anodine avant que Bellou n’ait répondu.
– Non, dit-il machinalement avant de réaliser que la question lui était posée par la maîtresse de maison. Mais comment savez-vous ? lui demanda-t-il soudain suspicieux.
– Vous venez de le dire vous-même, fit-elle en haussant les épaules, ils se sont entretués !
– Mais qui ? insistait Lenoir.
– Tous ! lâcha Bellou en semblant s’affaisser sur sa chaise.
Les cinq autres policiers n’avaient toujours pas tout compris.
– La brigade de gendarmerie, ânonna le Nantais d’une voix lasse, a reçu un coup de fil anonyme – comme d’hab dans ce bled –, à quinze heures, lui annonçant un règlement de comptes sur la route d’Appietto. Quand ils sont arrivés sur les lieux, ceux du commando et les nôtres étaient en train de s’entretuer allégrement. Des mobiles qui passaient par-là par hasard ont terminé le travail. Ils y sont tous passés. Pas un seul survivant. Même pas un blessé. Il y aurait une vingtaine de morts. Ils savent pas trop car il y a eu un groupe salement carbonisé au lance-flammes…
Pierre Cavalier jeta un bref regard à sa tante qu’il surprit en train de sourire.
– C’est la catastrophe, poursuivit un Bellou abattu. Tout est à refaire. Leprot n’était pas encore arrivé.
Antoine et Cavalier s’échangèrent un bref regard. Tous deux avaient tiqué au même moment à l’expression du Nantais : « Tout est à refaire »…



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mardi 24 mars 2009

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 25

Chapitre 25





Les six hommes furent conviés à se mettre à table à treize heures trente.
Leur morosité s’était dissipée dans les effluves de l’apéritif que Jeanne Collieri leur avait servi dans le salon une heure plus tôt en leur demandant de patienter pour le repas gas-tro-no-mi-que qui les attendait. Ils avaient grand faim à présent et ils ne notèrent même pas l’absence de Laëtitia en bout de table.
Jeanne Collieri leur avait préparé un ragoût de sanglier de sa spécialité et avait prévu de nombreuses bouteilles de vin pour accompagner les agapes.
À quinze heures, ils attaquèrent le fromage en commençant de se raconter des histoires grivoises.
Jeanne Collieri n’avait cessé de regarder sa montre le plus discrètement possible. Seul son neveu s’en était rendu compte. Quelque chose l’avait intrigué dans l’attitude de sa tante au cours du repas. Il n’aurait su dire quoi, sinon qu’il ne l’avait jamais vue aussi enjouée, comme rajeunie. Surtout depuis le retour de Laëtitia un quart d’heure plus tôt. Avec laquelle elle avait échangé un bref regard de complicité.
Jeanne Collieri se leva de table et s’excusa.
– J’en ai pour un instant.
À peu près au même instant, la camionnette transportant huit des douze hommes de l’équipe des « bons » nationalistes commençait de se faire canarder alors qu’elle s’engageait sur le petit chemin menant cinquante mètres plus loin à la « ruine ». Les quatre autres dont le 4 x 4 venait juste de stopper devant le dépôt et qui avaient ouvert la route à ceux de la camionnette étaient en aussi mauvaise posture.
Mais leurs agresseurs, qui les croyaient moins nombreux, n’étaient qu’au nombre de quatre et les assaillis purent reprendre le dessus.
Les « bons » n’avaient perdu que trois hommes et les « mauvais » deux.
Ces deux survivants refluèrent vers la ferme.
Un seul y parvint, les neuf « traîtres » survivants sur les talons.
Dans le feu de l’action, ils s’aventurèrent trop près de la ferme et une rafale de fusil-mitrailleur en abattit trois.
Il y en avait à présent cinq d’un côté et six de l’autre.
L’avantage allant malgré tout à ceux de la ferme pour l’instant vu leur retranchement et leur puissance de feu.
Le trafiquant Botticelio étaient de ceux qui venaient de perdre la vie dans la dernière action.
L’instit fêlé, Radicali, demanda alors à ses hommes de se mettre à couvert. Il se rendait compte qu’ils avaient eu tort de foncer dans le tas sans réfléchir et sans même prendre le temps de récupérer les RPG et les fusils d’assaut du dépôt, sans parler des grenades incendiaires. Il avait cru qu’il pourrait se passer du soutien des six flics.
Radicali était fêlé mais, comme nombre de leaders nationalistes, il avait le sens de la survie. Et celle-ci dépendait à présent de l’arrivée imminente de l’équipe « policière ». Il décida donc d’envoyer le garagiste Pietromania et un de ses hommes au-devant d’eux.
Arrivés à une centaine de mètres du dépôt, ils aperçurent quelques uniformes de gendarmes et poussèrent des clameurs pour attirer leur attention. Croyant qu’il s’agissait des quelques hommes du lieutenant qui avait promis son soutien.
Ils n’avaient pas pu apercevoir, en raison du relief, le reste de l’escadron de gendarmerie en train de prendre position. Ni qu’il s’agissait de la « mobile ». Celle qui se déplace sans femmes ni enfants.
Quand le garagiste et son compère se mirent à danser sur place tout en continuant de beugler : « Par ici ! » en brandissant leurs fusils de chasse, ils se firent tirer comme des lapins.
Quasi simultanément, les cinq retranchés de la ferme, qui s’étaient rendu compte du départ de deux des « traîtres » et avaient attendu qu’ils se fussent suffisamment éloignés, réalisaient une sortie contre les quatre « traîtres » planqués autour mais, malheureusement pour ces derniers, trop regroupés derrière un boqueteau de genévriers.
Ils baissèrent la tête sous les premières rafales d’armes automatiques, ce qui leur évita d’apercevoir le départ du jet du lance-flammes qui carbonisa le tout.
Le camp des mauvais n’avait perdu qu’un homme dans l’assaut. Et, encore, c’était de sa faute. Il était trop avancé par rapport à ses camarades de jeu et n’avait pas remarqué le départ de la langue de feu.
Mais les quatre « traîtres » étaient partis en une seule flambée et les mauvais tirèrent des rafales de joie en l’air.
Puis, les quatre survivants, tout en continuant de tirer des rafales par bravade, décidèrent d’aller au-devant – s’ils étaient suicidaires – ou à la poursuite – si c’était des lâches – des deux « traîtres » qu’ils avaient vus partir.
Ils remontèrent leur piste, tirant au coup par coup, tandis que les gendarmes mobiles la descendaient, se guidant au son des détonations.
Les uns et les autres s’aperçurent simultanément.
Quand le capitaine leur demanda de rendre les armes, les quatre Corses les agonirent d’injures et préférèrent mourir les armes à la main que de se rendre à de faux gendarmes qui les eussent ensuite froidement exécutés.
Le détachement de la brigade de gendarmerie, à laquelle Jeanne Collieri avait téléphoné à la façon des hommes d’honneur corse – c’est-à-dire anonymement – pour leur signaler un affrontement entre deux « bandes » rivales, n’arriva sur les lieux qu’à la demie de trois heures. Juste pour le baisser de rideau.
Ils durent filer un coup de main aux mobiles pour la collecte du tableau de chasse.
En fait, l’escadron de mobiles, qui était en déplacement, était juste passé par-là par hasard et avait eu son attention attirée par des rafales de fusil-mitrailleur. Bruit caractéristique qui, même en Corse, peut surprendre.



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lundi 23 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





Pendant que les six policiers se livraient à des considérations frisant parfois ce que l’on pourrait nommer la métaphysique de l’action, Jeanne Collieri et ses amies, elles, s’activaient dans le concret.
À onze heures trente, elles tenaient un bref conseil de guerre dans la chambre d’Élisa, laissant Antoinette de faction dans la cuisine.
– Quinze heures, c’est l’idéal, disait Jeanne Collieri. Ils ne peuvent pas se louper et aucun ne pourra prendre la tangente. Le commando d’assassins est retranché là dans la ferme. Les autres ont leur dépôt ici dans cette ruine.
Elle pointait son doigt successivement sur les cercles tracés au feutre en indiquant l’emplacement sur la carte subtilisée durant la nuit à Bellou par Jeannette.
– Évidemment, poursuivit-elle dans un silence sépulcral, si l’on pouvait les faire se rencontrer à mi-chemin, ce serait le nec plus ultra. Mais ne rêvons pas. De toute façon, un maximum d’entre eux se seront entretués quand la cavalerie arrivera, et espérons qu’elle fasse le reste…
Jeanne Collieri consulta sa montre.
– Bon, toi, Jeannette, à quatorze heures trente, tu dois avoir prévenu ceux de la ferme que des « traîtres » ont projeté de les attaquer. Les « traîtres » sont douze, mais tu leur diras qu’ils ne sont que six. Ça leur donnera confiance à ces enflures et ils iront peut-être à leur rencontre… Tu leur diras également qu’ils descendront la route en partant de la ruine deux kilomètres plus haut. Et tu n’oublies surtout pas de leur dire que, s’ils apercevaient des gendarmes dans les parages, il s’agit de faux gendarmes. C’est important.
Jeannette acquiesça.
– Toi, Laëtitia, à quatorze heures tu auras prévenu Pietromania que le coup d’envoi est pour quinze heures. Avec lui, pas de problème, c’est le plus con de la bande. Tu lui diras que lui et les siens doivent partir immédiatement se mettre en position en vue de l’attaque. Que les six flics arriveront au dépôt une demi-heure plus tard question discrétion et qu’ils les rejoindront sur leurs positions.
Elle sourit à ses copines.
– Si tout marche bien, à quinze heures dix ou quinze ils devraient être en pleine bagarre. À quinze heures, j’appellerai la cavalerie d’ici. Exécution !


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samedi 21 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 23

Chapitre 23





Dès que le commissaire Bellou eut annoncé aux cinq autres policiers que l’opération était remise au lendemain – il n’osait envisager l’éventualité d’une annulation pure et simple toujours possible –, un étrange climat de relâchement s’instaura dans le salon. Les hommes se regroupèrent par paire. Bellou et Cavalier sur le canapé près de la porte. Antoine et Gilbert sur le canapé en vis-à-vis près de la fenêtre. Mathieu et Fabrice au bout du salon, assis à califourchon sur de petites chaises Louis XVI et jouant aux dames.
Les deux subalternes du Nantais donnaient le sentiment d’être à peine concernés par les aléas de l’opération.
En revanche, Antoine et Gilbert étaient nerveux. Ils ne comprenaient pas la raison de la nécessité du feu vert de Paris puisque la cible était logée et fixée.
Cavalier ne leur donnait pas tort et Bellou, bien à contrecœur, dut leur faire certaines révélations.
Le commando qui envisageait d’assassiner le président de la République était composé de huit hommes. Cinq étaient de l’île et les trois autres, non-corses, étaient venus exprès du continent. Mais il y aurait un neuvième homme. Et le « feu vert » de Paris serait également la confirmation de sa présence.
– Et c’est qui, celui-là ? demanda naïvement Lenoir.
Le commissaire Antoine se renfrogna.
– Tu ne nous cacherais rien, hein, Bellou ? fit-il.
René Bellou soupira.
– Au point où on en est…, l’encouragea Cavalier.
– Bon, d’accord ! dit le Nantais. Il s’agit d’un flic véreux de Paris. Pierre est au courant. Vous avez le droit de savoir aussi. Mais celui-là, il faudrait essayer de l’avoir vivant ou pas trop amoché. Il a beaucoup de choses à révéler sur les tenants et aboutissants du complot.
– Mais c’est qui ? insista Antoine.
– Leprot, répondit Cavalier.
– Quoi ! ton patron ?
Le commissaire Antoine n’en croyait pas ses oreilles. Mais il se rendait compte que leur affaire prenait une dimension nouvelle. Un vrai nid de guêpes.
Lenoir, lui, était sonné.
– Buter un divisionnaire…
– On ne le bute pas, on le ramène, rectifia Bellou.
– Mais à dix-huit contre huit, on va en faire de la charpie ! s’entêta-t-il.
Pierre Cavalier eut un mauvais pressentiment. Il se demanda si, par hasard, la mort du divisionnaire Leprot n’était pas souhaitée, voire même programmée, par le grand organisateur de ce merdier. Le sous-directeur Tomasini.



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vendredi 20 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 22

Chapitre 22





Jeanne Collieri s’éveilla de bonne humeur ce matin du 6 décembre. Il était déjà huit heures et elle alla entrouvrir la porte du salon.
C’était un capharnaüm et ça sentait le tabac froid. Aucun des six hommes n’était réveillé et quelques-uns ronflaient de façon cacophonique.
À neuf heures, les femmes avaient déjà déjeuné et étaient toutes habillées.
Gilbert Lenoir fut le premier à émerger. Suivi de Pierre Cavalier.
Il était neuf heures et demie.
René Bellou apparut dix minutes plus tard pour dire qu’il allait prendre une douche avant de déjeuner – « Je veux avoir les idées claires ! » dit-il –, mais qu’on n’oublie surtout pas de le prévenir si on le demandait au téléphone.
Les femmes, durant la nuit, avaient débranché les prises des postes de l’appartement. Celles de l’entrée, du salon, de la salle à manger, de la cuisine. Même celles de la chambre d’amis où avaient dormi Maria et Antoinette et celle de la chambre de Jeanne Collieri. Seule restait fichée la prise de la chambre d’Élisa Matocelli.
À dix heures la sonnerie retentit et Jeannette, l’infirmière, décrocha et répondit : « Ne quittez pas ! » S’empressant d’aller chercher Jeanne Collieri qui revint avec ses copines sur les talons.
– Allô ! fit la tante de sa voix emplie d’autorité dès qu’elle eut saisi le combiné.
– J’ai demandé à parler à René Bellou, dit l’interlocuteur étonné.
– Je sais, mais il a dû s’absenter et m’a demandé de prendre le message.
– En ce cas, je le rappellerai.
– Oh ! ne vous inquiétez pas. Je suis de son équipe locale. Alors, c’est oui ou c’est non ?
Le sous-directeur Tomasini sembla hésiter.
Jeanne Collieri se racla la gorge pour signifier qu’elle était là à attendre à l’autre bout du fil.
– Bon, se décida Tomasini comme à contrecœur. Dites-lui que c’est oui.
– Feu vert pour aujourd’hui, donc ?
– C’est cela. Mais je le rappellerai en fin de matinée sur son portable. Dites-le-lui.
– Ah ! je regrette, ce ne sera pas possible. Dès à présent, nous appliquons la procédure. Plus aucune communication.
– Bon, bon, ça va, répondit hâtivement le sous-directeur qui ne supportait pas qu’on lui rappelle les règles de sécurité élémentaires. Mais qu’il m’envoie un texto de confirmation de réception. Je compte sur vous.
Jeanne Collieri resta un moment perplexe après avoir reposé le combiné.
– Il veut un texto…, dit-elle.
Elle lut des « oh ! la la ! » dans le regard des trois vieilles dames.
Jeannette, la soixantaine, dit qu’elle connaissait mais qu’elle ne savait pas faire.
Élisa sourit.
– Empruntez le téléphone du commissaire Bellou et apportez-le-moi. Je vais vous l’envoyer, votre texto !
Jeanne Collieri désigna Laëtitia comme volontaire pour remplir la mission.
Son visage avait toujours exprimé une telle naïveté qu’on lui donnait le Bon Dieu sans confession. « Pourtant, songea Jeanne Collieri, qu’est-ce qu’elle a pu le tromper son homme ! »
Le commissaire Bellou était en train de s’habiller quand Laëtitia pénétra dans le salon et se dirigea vers lui.
– Pourrais-je vous emprunter votre téléphone portable cinq minutes ? demanda-t-elle avec un sourire angélique.
Alors qu’elle sortait du salon avec le portable du commissaire, celui-ci se demanda pourquoi le sien précisément. Puis il pensa à l’appel de Tomasini qu’il attendait.
– Il n’y a pas eu de coup de fil pour moi ? demanda-t-il à la ronde.
– Non, chef ! répondirent en chœur Mathieu et Fabrice, ses subalternes.
Le lieutenant Gilbert dit qu’il avait cru entendre une sonnerie de téléphone. Ce que confirmèrent Antoine et Cavalier.
Bellou, méfiant, se dirigea vers le poste du salon et en suivit le cordon.
Il était débranché.
Soudain empli de suspicion, il se précipita torse nu dans le couloir, les bretelles de son pantalon pendouillant de part et d’autre de ses jambes.
La prise du téléphone de l’entrée était, elle, branchée.
Il douta un moment puis se précipita vers la salle à manger.
Branchée.
La cuisine. Où Jeanne Collieri et les deux « cantinières » le virent se mettre à quatre pattes pour dénicher la prise dissimulée par un billot de boucher.
Branchée.
– Le café se sert à table chez moi, pas à terre, ne put s’empêcher de lui lâcher, goguenarde, Jeanne Collieri.
Tout en se relevant, le commissaire demanda s’il n’y avait pas eu de coup de fil pour lui tandis qu’il était dans la salle de bains.
– Si, répondit Jeanne Collieri. Mais j’attendais que vous soyez présentable pour vous l’annoncer. D’ailleurs, tout est remis à demain et la personne que j’ai eue a dit qu’elle vous rappellerait demain matin.
Perplexe, le Nantais se passa la main sur le menton rasé de frais.
– Je vais quand même rappeler, dit-il à mi-voix.
– Surtout pas. La personne m’a bien précisé de vous dire que vous deviez attendre son appel et de ne pas tenter de l’appeler, pour des raisons de sécurité… Ce monsieur a l’air très à cheval sur ce point.
– Oui, c’est vrai, fit le commissaire en pensant que le sous-directeur avait vraiment toujours été un maniaque des procédures de sécurité.


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jeudi 19 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Tandis que les hommes prenaient un dernier verre dans le salon
transformé en dortoir pour grands collégiens, les quatre femmes s’affairaient en silence entre la salle à manger et la cuisine.
On n’entendait que le cliquetis des couverts et des assiettes. Le bruit étouffé des placards de la cuisine.
Les deux « cantinières » étaient à la plonge. Jeanne et Laëtitia assuraient le rangement.
Un observateur extérieur eût pensé qu’elles s’empressaient d’expédier cette corvée ménagère par hâte d’aller se coucher enfin après une rude journée.
En fait, dès qu’elles eurent rangé le dernier verre et passé le dernier coup de torchon sur la table de la cuisine et sur l’évier, en catimini elles se rendirent toutes quatre dans la chambre d’Élisa Matocelli.
Élisa sommeillait et ouvrit les yeux quand elles pénétrèrent dans la pièce. Comme si elle s’était attendue à leur venue.
L’infirmière retraitée l’aida à se redresser légèrement dans son lit.
Élisa grimaça légèrement de douleur. Mais, mis à part ses deux côtes, elle ne ressentait plus qu’une raideur au niveau des cervicales.
La chambre de la nièce était spacieuse mais les quatre nouvelles venues se regroupèrent autour du lit.
– À nous, maintenant ! commença Jeanne Collieri après que les unes et les autres eurent prodigué des phrases et des gestes d’affection à Élisa.
Tous les regards convergèrent vers celle qui était leur « chef » naturel et dont l’autorité était réellement indiscutée et, de toute façon, indiscutable, à la fois par l’aura qui l’entourait et parce qu’elle ne supportait pas la moindre contradiction lorsqu’elle avait pris une décision, quelle qu’elle soit.
– Nous ne changerons rien à ce que nous avons prévu, enchaîna-t-elle quand elle se fut assurée de l’attention de chacune par un bref regard circulaire. Vous avez vu comme moi leurs alliés, soi-disant les « bons » nationalistes alors qu’ils sont tout autant traficoteurs et malfaisants que nos ayatollahs de l’explosif. Le garagiste Pietromania qui se fait son beurre avec le trafic d’armes « pour la cause », Botticelio qui est la tête de pont des cartels colombiens pour la Corse, et l’instit fêlé, Radicoli, qui se prend pour un Mussolini corse, précisa-t-elle à l’attention de l’infirmière et d’Élisa. En ce qui concerne les six petits soldats de la République qui doivent commencer de ronfler dans le salon, ils nous les ont bien choisis ! Et je n’exclus pas mon neveu du lot. Ce sont vraiment des naïfs, les gens de Paris, et ils nous envoient des « innocents ». Même le ministre de l’Intérieur s’est fait contaminer par nos extrémistes. Il n’arrête pas de parler de « spécificité corse »… Je ne sais pas qui a eu l’idée, mais m’est avis qu’ils sont en train de se faire manipuler comme des « bleus » par ceux qu’ils croient être les « bons » et qui sont aussi pourris que les autres. Alors nous allons rectifier tout ça, les filles, et laisser au Bon Dieu – pour celles qui y croient parmi nous – de faire lui-même le tri entre les « bons » et les « mauvais ». Et ça m’étonnerait qu’on en retrouve un au paradis ! (Maria et Laëtitia se signèrent.) Tous ces couillus encagoulés nous ont suffisamment emmerdés comme ça. Basta ! (Les femmes l’approuvèrent.) Ils ont pourri et continuent de pourrir notre jeunesse et ne rêvent que de transformer la Corse en un immense Rocher livré à toutes les mafias du monde. De devenir le carrefour de tous les trafics mondiaux. Et puis, ils ont fait assez de veuves et d’orphelins comme ça, laissé trop de mères éplorées…
Laëtitia, qui se tenait au côté de la maîtresse de maison, renifla et essuya furtivement ses yeux. Elle avait perdu un petits-fils dans un règlement de comptes « nationaliste ».
Jeanne Collieri lui passa un bras autour des épaules et la serra contre elle.
– Allez, ma grande, on va en finir avec tout ça…, lui dit-elle affectueusement. Nous connaissons la date de l’arrivée du Président, poursuivit-elle en se tournant vers les autres. Ce lundi. Le Bellou attend un appel de Paris qui lui donnera le feu vert. Il faut donc qu’on intercepte la communication. Mais, ça, ce devrait être facile car, le grand couillon, il a donné mon numéro de téléphone. Il nous manque seulement la carte où figurent le dépôt d’armes et la planque de leurs « mauvais ». C’est Bellou qui doit l’avoir sur lui. À mon avis, il doit avoir ça dans son portefeuille.
Elle se tourna vers l’infirmière.
– Toi, Jeannette, t’es la moins maladroite de nous toutes. Alors, t’attends une petite heure que ça roupille bien dans le salon et tu vas fouiller son veston qu’il a dû poser sur une chaise près du canapé à côté de l’entrée – c’est le « chef », alors il a dû prendre la meilleure place. Mais ne t’inquiète pas, avec ce qu’ils ont picolé avant et pendant le repas, m’étonnerait qu’il y ait un seul insomniaque parmi eux !


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mardi 17 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 20 (suite 2 et fin)

Chapitre 20 (suite 2 et fin)





À ce moment précis, la sonnerie de la porte retentit.
Une des deux « cantinières », Maria, se leva aussi vivement qu’elle pouvait à quatre-vingt-deux ans pour aller ouvrir.
Elle revint dans la pièce en précédant trois hommes.
Le commissaire Bellou se leva pour faire les présentations. C’étaient ses « contacts » corses. Les « bons » nationalistes.
Pierre Cavalier pria muettement pour que Bellou ne commette pas d’impairs en présence d’Antoine.
– Ce sont les braves citoyens corses dont je vous ai parlé et qui vous nous ont aider – que dis-je ? qui sont les garants de notre succès et du salut de…
Il s’interrompit brusquement pour toussoter. S’il commençait d’évoquer le salut de la République et donc de la France, il n’était pas assuré que la réaction des « bons » nationalistes corses soit tout à fait du goût du commissaire Antoine.
Il craignait un bras d’honneur et un toujours possible « Mort à la France ! ». Même prononcé en corse, Antoine serait capable d’effectuer la traduction simultanée rien qu’au ton.
D’ailleurs, il avait remarqué que le commissaire des Stups dévisageait un des nouveaux venus et qu’il plissait le front comme faisant un effort pour se remémorer quelque chose.
Maria et Antoinette reprirent leur rôle de « cantinières » en présentant un plateau de charcuterie et du vin aux trois nationalistes.
Bellou et Cavalier avaient craint qu’il n’y ait un problème avec les trois Corses à cause de la présence participative des femmes. Mais ça ne semblait pas être leur problème.
– Alors, chers amis, demanda Bellou aux invités de la dernière heure, avez-vous de bonnes nouvelles ?
– Pour leur planque, oui. Ça, c’est du sûr, répondit un des trois hommes qui semblait être leur chef ou leur porte-parole. C’est ce qu’on vous avait déjà dit. Sur la route d’Appietto et bien isolé. À l’endroit indiqué sur la carte que je vous ai remise avant-hier. Ils sont bien retranchés mais ne sont que huit.
– Et pour le matériel ?
– On confirme. Nous avons planqué à deux kilomètres du lieu, à l’endroit convenu, deux RPG, une caisse de grenades, du fumigène, des mines, le fusil-mitrailleur et les quatre fusils d’assaut que vous nous aviez demandés…
Cavalier observa la réaction des uns et des autres. Les femmes ne sourcillaient pas. Les deux hommes de Bellou, Fabrice et Mathieu ne réagissaient pas non plus.
Il n’y avait que Gilbert et Antoine qui semblaient faire un gros effort pour en croire leurs oreilles et jouer les indifférents.
– Nous ferons la jonction avec vous au dépôt d’armes à l’heure et au jour dits, reprit le nationaliste. Nous serons douze. Et vous ?
– Six, dit Bellou.
– Plus quatre, intervint Jeanne Collieri à la seule surprise du Nantais et des Parisiens.
– Et pour ce qui concerne la gendarmerie, ils marchent toujours ? enchaîna le Corse.
– Oui. Le lieutenant assurera nos arrières et les voies de retraite avec des hommes sûrs.
– Bon, ben tout me semble parfait, dit-il en se levant, imité par ses deux acolytes. À vous de nous fixer la date et l’heure…
Maria les raccompagna.
– Y en a un qui me dit quelque chose, fit Antoine après le retour de Maria. J’ai l’impression de l’avoir eu comme « client »…
– C’est pas possible, s’empressa de le couper Bellou. Ce sont de bons citoyens corses.
– Oui, tu te trompes, le soutint Cavalier. Tous les Corses ont des airs de famille.
– Mais non, je vous assure, c’est un trafiquant que j’ai arrêté il y a sept, huit ans. Attendez, je vais me souvenir…
– Hé ! les enfants, trancha habilement Jeanne Collieri, ce n’est pas le moment de vous perdre dans les détails. D’ailleurs, il est temps que vous alliez dormir si vous vous voulez être en forme pour la suite. Nous, on va ranger le fatras et faire la vaisselle. On essaiera de ne pas faire trop de bruit…



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lundi 16 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 20 (suite 1)

Chapitre 20 (suite 1)





Un lourd silence s’établit après ses paroles. Seules les femmes souriaient.
Gilbert Lenoir semblait se livrer à de sombres réflexions.
– Attendez, fit-il tout à coup, les yeux exorbités, ne me dîtes pas qu’on est là pour une opération terroriste…
– Personne n’a parlé de ça ! lâcha Antoine qui, malgré tout, semblait s’interroger à son tour.
– Parce que moi, insista Lenoir, je suis aux Stups, pas dans l’anti-terrorisme…
– Si tu continues à débiter des conneries, le coupa Antoine d’une voix mal assurée vu ses propres doutes, tu te vas te retrouver à la circulation avec les « Rivoire et Carret », crois-moi !
Lenoir fixa son patron dans les yeux.
– Eh bien, moi, je préfère ça plutôt que de finir mes jours en taule ! lui rétorqua-t-il sans se démonter.
– On se calme ! jeta la voix à nouveau tonitruante de Jeanne Collieri.
– J’allais le dire, chère madame, intervint Bellou.
– Ah ! vous, ne me coupez pas sans cesse la parole ! le rabroua-t-elle. D’ailleurs, le petit à raison. Ce que vous dites n’est pas très clair et vous tournez trop autour du pot. Nous, hein ! les filles, poursuivit-elle en s’adressant à ses copines, dans la Résistance on appelait un chat à chat et « à la balle et au couteau », commença-t-elle de chantonner sous le regard effaré des policiers. Donc, je reprends : qui, quand, où et comment ?
– Mais je ne veux pas devenir un assassin ! clama Lenoir.
– C’est ça, gueule plus fort ! hurla Antoine.
– Y en a marre ! beugla Bellou.
– Léo Ferré, maintenant. Et chanté par des flics ! J’aurai tout vu, ricana Jeanne Collieri.
Tous les flics restèrent cois. Que venait faire Léo Ferré dans ce foutoir ?
Jeanne Collieri en profita pour reprendre l’initiative.
– Ne t’inquiète pas, mon petit Gilbert – tu permets que je t’appelle Gilbert ? –, tu ne vas pas devenir un assassin, dit-elle doucement, mais un justicier.
– Moi, je ne vois pas la différence au regard du code pénal, objecta poliment Lenoir.
– Moi non plus ! surenchérit Antoine.
Que cloua Jeanne Collieri.
– C’est pas à vous que je cause. C’est au petit !
Elle ficha son regard dans celui du commissaire des Stups qui baissa rapidement les yeux et entreprit de jouer avec son couteau. Puis elle revint au lieutenant Lenoir.
– Ah ! où j’en étais ?… Ah oui ! la différence entre le crime et la justice… Donc, je voulais te dire que nous aussi, les vieilles que tu vois ici, dans la Résistance, on a dû arracher des mauvaises herbes pour se débarrasser des envahisseurs et recouvrer la liberté. Eh bien, toi, et tes amis aussi, c’est pareil, vous allez devoir en arracher, mais, cette fois-ci, pour ne pas la perdre cette bon Dieu de liberté chérie… Du moins, et je l’espère, si nous sommes toutes et tous d’accord autour de cette table. Nous, les vieilles de l’hospice, comme a dit ce monsieur de la capitale qui fait dans la drogue, la bête immonde, on connaît, mais peut-être que quelqu’un, ici, autour de cette table (ce disant, elle balaya du regard, un à un, les six hommes assis autour de la table), sous mon propre toit, a des états d’âme et refuserait d’aller au secours de la République et de la démocratie… même si pour ça il faut sauver Chirac ? conclut-elle avec une moue entendue.
S’il y avait un hésitant, il n’osa se manifester et affronter les foudres de la tante.
Le commissaire Antoine, qui avait été vexé par la pique de la vieille dame, se leva.
– Sachez, madame, déclara-t-il pompeusement, que cette mission est un honneur pour nous tous ici réunis !
Pierre Cavalier trouva que son ami en faisait un peu trop. Mais Jeanne Collieri fit une légère inclination de tête en jetant un regard enjôleur au commissaire parisien.
– Alors, nous ne pouvons que nous entendre, cher commissaire.



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dimanche 15 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 20

Chapitre 20





Le même soir, peu avant vingt heures, après que celles et ceux qui avaient passé une nuit blanche se furent reposés, ils se retrouvèrent toutes et tous autour de la grande table de la salle à manger.
Jeanne Collieri et la vieille dame au cabas – Laëtitia – occupaient les hauts bouts.
Les six hommes – le lieutenant Gilbert Lenoir était arrivé comme prévu vers quinze heures – étaient répartis de part et d’autre de la table. Trois de chaque côté.
Les deux « cantinières » – Maria et Antoinette – assuraient le service de la tablée et, entre deux plats, s’asseyaient sur leurs chaises qu’elles avaient installées très légèrement en retrait de la table pour ne pas perdre une miette de la conversation.
C’était d’ailleurs la condition que Jeanne Collieri avait imposée – sans que cela puisse être discutable – à leur « collaboration ». Que les femmes présentes dans l’appartement soient pleinement associées à ce qui se tramait vu qu’elles partageaient, de par leur seule présence dans l’appartement transformé en PC opérationnel, les mêmes risques que ces « messieurs ».
Jeanne Collieri avait même été jusqu’à l’ultimatum lorsque Pierre Cavalier et René Bellou avaient tenté de lui faire entendre raison en lui expliquant le caractère ultra-secret de leurs projets et – là en usant d’un grand déploiement de diplomatie – qu’ils ne sollicitaient pas leur « collaboration ».
– Si c’est sans nous, vous pouvez remballer vos affaires et déménager ! De toute façon, vous aurez besoin de notre collaboration, avait-elle tranché.
Seule l’infirmière retraitée, qui était la fille de Maria, fut écartée du « conseil de guerre ». Sous prétexte qu’elle devait prendre soin d’Élisa et qu’elle était « trop jeune ».
C’était aussi une décision de Jeanne Collieri.
Le dîner-réunion débuta par des considérations diverses et qui avaient toutes peu de rapport avec la « mission ».
D’ailleurs, Bellou et Cavalier furent vite rappelés à l’ordre par la tante.
– Assez tourné autour du pot. Venons-en aux faits ! jeta-t-elle d’une voix tonitruante en recevant l’approbation immédiate des trois autres femmes.
Les hommes, eux, avaient baissé le nez sur leur assiette de polenta aux châtaignes. Excepté le lieutenant Gilbert Lenoir, qui, toujours tenu dans l’ignorance du projet, cru bon de dire :
– C’est vrai, ça. Il s’agit de quoi, au juste ?
Ignorant le regard en coulisse lourd de reproches que lui lança le commissaire Antoine.
Les femmes félicitèrent Lenoir de hochements de tête chenue approbateurs.
Il se sentit encouragé.
– On est là pour quoi exactement ? insista-t-il.
Les hommes avaient redressé la tête et tous les regards convergèrent vers le commissaire Bellou.
– Voilà, commença-t-il après quelques bougonnements inaudibles et raclements de gorge pour s’éclaircir la voix. Eh bien, il s’agit tout simplement de stopper une tentative d’attentat contre le chef de l’Etat qui doit se rendre en Corse le 8 décembre, ce lundi…
– « Stopper », ça veut dire quoi exactement ? le coupa le lieutenant Lenoir. Moi je ne comprends pas…
Son supérieur, Antoine, le fusillait du regard et lui faisait des mimiques qu’il espérait le plus discrètes possible pour qu’il ferme sa gueule. Cavalier contemplait le plafond et Mathieu et Fabrice leur assiette.
Seules Jeanne Collieri et Laëtitia ne quittèrent pas du regard le commissaire Bellou. Qui s’énerva.
– Merde, à la fin ! « Stopper », ça veut dire ce que ça veut dire, lieutenant ! On stoppe, c’est tout !
– Il n’a pas tort le petit jeune, intervint Jeanne Collieri. « Stopper » peut avoir plusieurs significations. Par exemple, « stopper » des malfaisants peut signifier les neutraliser…
Cavalier discerna un petit pétillement dans les prunelles de sa tante.
– Vous avez entièrement raison, chère madame, dit René Bellou en inclinant la tête.
– Oui, mais, poursuivit Jeanne Collieri avec un léger sourire, on peut neutraliser des malfaisants soit en les arrêtant avant qu’ils ne commettent leur forfait… (Elle ménagea son suspense avant d’ajouter :) soit en les élimsssssssinant… et par éliminer, j’entends définitivement, c’est-à-dire en les faisant concrètement disparaître…
Le commissaire Bellou toussota pour dissimuler sa gêne.
– Bref, conclut, royale, Jeanne Collieri, on les tue ! Alors, qui, quand, où et comment ?


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samedi 14 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 19


Chapitre 19





Quelques heures plus tard, peu avant midi ce même vendredi 5 décembre, le commissaire Antoine des Stups débarqua dans l’appartement de Jeanne Collieri.
– C’est quoi ce bordel ! furent ses premières paroles.
Il se heurta aux ambulanciers qui venaient de transférer Élisa Matocelli de sa chambre d’hôpital à l’appartement.
La tante et son amie au cabas s’occupaient de son installation avec la fille d’une de leurs amies, qui était infirmière et venait de prendre sa retraite.
Deux autres vieilles dames s’affairaient dans la cuisine autour de la table jonchée de provisions.
– C’est un hôpital de campagne ou un PC opérationnel ? demanda-t-il, l’air ahuri, à Cavalier qui le conduisait jusqu’au salon.
– Un peu les deux, lui répondit celui-ci en haussant les épaules et en lui souriant.
Il lui expliqua brièvement les événements de la nuit à l’hôpital.
Dans la matinée, Bellou avait décidé le transfert d’Élisa. Il avait estimé que sa sécurité serait plus facile à assurer chez elle et, ainsi, par la même occasion, il récupérait son équipe de surveillance de nuit.
Les deux hommes n’avaient pas été efficaces pour stopper Fernandi, mais Bellou savait qu’il pouvait compter sur eux.
Les deux hommes, âgés d’une trentaine d’années, se levèrent du canapé du salon sur lequel ils étaient assis lorsque Cavalier les présenta au commissaire Antoine.
Celui-ci ne comprit pas pourquoi ils affichaient un air penaud.
– Je m’installe où ? demanda Antoine en posant le sac de voyage qu’il portait en bandoulière.
Cavalier lui expliqua que les hommes occuperaient le salon.
– Mais on sera combien ? s’inquiéta Antoine.
– Toi, Gilbert qu’on attend, Mathieu et Fabrice (il désigna les deux hommes du canapé), Bellou et moi. Six en tout.
Antoine lui jeta un regard résigné en laissant tomber son sac à ses pieds.
– Tu verras Bellou tout à l’heure. Il est en train de se reposer dans la chambre que nous occupions. Mais il faut la libérer pour les deux vieilles que tu as vues dans la cuisine. Ce sont nos cantinières ! lança joyeusement Pierre Cavalier.
Mais sans l’effet escompté.
– Et en plus c’est l’hospice ! jeta Antoine sur un ton désabusé.
– Qui parle d’hospice ?
Antoine se tourna vers la double porte du salon d’où avait jailli la question acerbe.
Il se sentit confus en découvrant la présence d’une vieille dame qui le fusillait du regard.
Antoine essaya de se faire le plus petit possible. Il sembla d’ailleurs rapetisser.
– Excusez-moi, madame, ce n’est pas ce que je voulais dire…
Jeanne Collieri l’ignora et s’adressa à son neveu.
– Il serait pas un peu faux cul, ton ami ?
Antoine se mit à rougir.
Elle se tourna vers lui tout en continuant de le fusiller du regard et prit une pose hautaine en rejetant la tête en arrière.
– Sachez, monsieur je ne sais encore qui, que les petites vieilles ont déjà un ennemi au tapis à leur actif. J’espère pour vous que vous saurez être à la hauteur ! lui jeta-t-elle superbement dédaigneuse et en tournant les talons avant que le commissaire Antoine ait pu balbutier quoi que ce soit.
Celui-ci jeta un regard désespéré à Cavalier.
– C’est rien. Je veux dire, c’est ma tante et tu viens de faire sa connaissance…, fit ce dernier, goguenard.




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vendredi 13 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Une fois rentrés à l’appartement, Jeanne Collieri proposa à son neveu de lui faire du café.
Elle était toujours aussi calme et ne montrait aucun signe de fatigue à cinq heures du matin.
Pierre Cavalier avait l’impression qu’elle était très satisfaite d’elle-même. En un sens, elle n’avait pas tort puisqu’elle avait sauvé sa nièce.
Ils n’avaient pas échangé un seul mot depuis leur départ de l’hôpital. Ça valait mieux, pensait-il. Sinon, il aurait eu droit à coup sûr à toute une avalanche de reproches sur la nullité de la police.
Il préféra la jouer cool lorsqu’elle lui versa le café.
– Pas mal le coup du cabas, ma tante, lui dit-il en souriant.
Elle haussa les épaules et se servit du café.
Le cabas était posé sur la table de la cuisine.
– Vous pourriez peut-être me montrer maintenant ce qu’il y a dedans.
Elle plongea la main dans le sac et en ressortit un petit pistolet qu’elle posa sur la table.
Pierre s’en saisit.
C’était un 7,65. Un MAB.
– C’est pas tout jeune, fit-il en vérifiant si le cran de sûreté était mis.
Il ne l’était pas et le remit discrètement. Ce n’était pas le moment de faire quelque reproche que ce soit à sa tante qui pût la vexer.
– Il a fait la guerre d’Espagne, dit-elle. Comme ton oncle. En 36, il avait vingt-trois ans. On se connaissait déjà. Moi j’avais dix-huit ans. Je suis de 18 et lui était de 13. Il était métallo et tout fougueux. Il s’est retrouvé du côté de Barcelone avec une colonne anarchiste. Il a été blessé sur le front d’Aragon. Après, on a fait la Résistance ensemble puis, en 44, il est parti avec un régiment FFI sur l’Alsace. Il était lieutenant. Ensuite, il a accepté un engagement dans la coloniale. Il ne savait plus rien faire d’autre, qu’il disait. Il a quand même fini chef de bataillon mais ses derniers combats étaient bien loin des idéaux de la Résistance. Alors il s’est mis à boire, de plus en plus. Il est mort ici en 70. On s’était installé en 62 dans cet appartement quand il en a hérité d’un oncle de sa mère… Il s’est suicidé avec ce 7,65.
Jeanne Collieri se tut et s’essuya les yeux d’un revers de la main.
– Mais je n’ai pas voulu me débarrasser de cette arme, reprit-elle. Maudite pour moi mais qui représentait tant pour lui. Alors je l’ai confiée à l’époque à une amie, à une ancienne résistante corse, au cas où. Celle que tu as vue cet après-midi dans la chambre d’Élisa.
– Et des amies comme ça, vous en avez beaucoup, ma tante ?
– Oh ! on n’est bien plus nombreuses. Mais nous entretenons tout un petit réseau d’anciennes à travers toute la Corse. Mais rien que des femmes. Nous suivons les événements, nous échangeons des informations, et puis, parfois, tu l’as vu, on peut encore se rendre utiles. Alors, si avec ton Bellou vous avez besoin de nos services !… En attendant, je vais me coucher.
Cavalier la regardait tendrement, mais il n’osa pas lui dire qu’elle était une sacrée bonne femme.


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jeudi 12 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 17 (suite et fin)


Chapitre 17 (suite et fin)





Trois coups de feu, ça ne passe pas vraiment inaperçu en pleine nuit dans un hôpital, mais, grâce au sous-effectif chronique, la majorité du personnel soignant présent était largement occupée par les malades affolés.
Un des deux policiers en civil de garde se tenait à l’entrée du couloir du service, et l’autre, celui qui avait téléphoné, se tenait devant la porte de la chambre d’Élisa.
Jeanne Cavalier, elle, était tranquillement assise dans son fauteuil en plastique, le cabas sur les genoux. Attendant calmement la suite.
Jean Fernandi avait pas mal saigné du ventre, mais Cavalier et Bellou eurent surtout leur attention attirée par l’orifice de la balle au milieu du front. Ils se regardèrent sans avoir besoin de paroles pour se comprendre.
Ça ressemblait plus à une exécution qu’à de la légitime défense.
– Tant mieux ! conclut Bellou à qui ça donnait une idée.
Il se tourna vers le policier qui se tenait tout penaud devant la porte.
– Toi, tu me trouves une chambre vide.
Puis il demanda à Jeanne Collieri de réunir les affaires de sa nièce.
– On va la transférer dans une autre chambre, dit-il à Cavalier en guise d’explication.
Le policier parti à la recherche d’une chambre vide revint en s’excusant de n’en avoir pas trouvé. Mais il y avait un lit de libre dans une chambre de deux occupée par une vieille quasiment à l’agonie.
– Ça ira, fit le commissaire.
Pierre aida sa cousine à se mettre debout et Bellou vint à la rescousse pour la soutenir.
– On y va ! dit-il.
La surveillante de nuit survint à ce moment-là.
Le commissaire ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.
– Il y a eu un règlement de comptes entre nationalistes et nous assurons la protection de notre témoin, dit-il avec autorité. Laissez-nous faire notre travail, s’il vous plaît.
– Ah ! fit la surveillante qui se hâta de se retirer.
Alors qu’ils s’engageaient dans le couloir, Bellou dit :
– Ici, dès que tu parles de règlement de comptes, t’es assuré de n’avoir aucun témoin. Tu verras, dès que la nouvelle va en courir dans l’hôpital, personne n’aura entendu de coups de feu. Généralement c’est chiant pour bosser, mais là c’est plutôt utile.
Ils installèrent la cousine dans sa nouvelle chambre.
Une infirmière se précipita même pour dresser un paravent entre les deux lits.
Au même moment, une explosion sourde se fit entendre.
– Ça, c’est du côté de la gare ferroviaire, commenta le commissaire.
Puis une autre quelques minutes plus tard.
– Là, c’est du côté du palais des congrès.
Il regarda sa montre.
– Ça nous laisse un bon quart d’heure.
Jeanne Collieri, Cavalier, Bellou et le policier se tenaient de part et d’autre du lit d’Élisa.
– Voilà le topo. Toi, dit-il en s’adressant au policer toujours aussi penaud, tu as entendu trois coups de feu et tu as vu un homme s’enfuir par le couloir. Ton collègue dira comme toi. Et il a intérêt, vu ? Vous (il s’adressait à Jeanne Collieri à présent), vous étiez chez vous. Vous n’étiez pas ici et vous n’êtes pas ici en ce moment. Compris ? fit-il d’un ton sans réplique.
La tante acquiesça d’un hochement de tête.
– Donc, pour résumer, je reste ici avec les deux abrutis (il parlait des deux policiers de surveillance) et j’explique à la PJ qu’un inconnu est venu abattre Jean Fernandi qui était recherché par mes services et qui devait se dissimuler dans l’hôpital.
– Mais il s’est fait buter dans la chambre d’Élisa ? objecta Cavalier.
– Pas de problème. Fernandi, poursuivi par son tueur qui l’avait débusqué sous son déguisement d’infirmier, est venu se réfugier dans cette chambre par hasard en tentant de lui échapper. L’autre l’a suivi et lui a tiré deux balles dans le ventre. Puis il l’a tranquillement achevé d’une balle au milieu du front. D’ailleurs, Élisa confirmera. Et, comme ça s’est produit, par le plus grand des hasards, dans la chambre d’un témoin sous la protection de mon service, mes hommes m’ont immédiatement appelé pour prendre les mesures nécessaires à la protection de ce témoin. Voilà, ça devrait aller.
Il consulta sa montre.
– Bon, Pierre, toi tu n’étais pas là non plus. Tu ramènes ta tante chez elle et on se voit plus tard. Je vous laisse cinq minutes et j’appelle les flics, dit-il en souriant. Avec les deux explosions qui les occupent, la permanence va m’envoyer ceux qui restent. Avec un peu de chance, ce sera les plus tocards et on leur déballera notre salade.
En sortant de la chambre avec sa tante, Cavalier entendit Bellou dire au policier :
– Toi et ton pote, vous avez intérêt à être à la hauteur, hein ! Sinon, je vous accuserai de vous faire sucer gratos par les putes d’Ajaccio et d’en recevoir des enveloppes. Dans le meilleur des cas, vous seriez mutés dans une banlieue parisienne pourrie qui vous ferait regretter le paradis corse. Vu ?… Alors va me le briefer pendant que j’appelle les collègues !



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mercredi 11 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





À trois heures vingt du matin, le portable du commissaire Bellou émit les premières notes du Boléro de Ravel sans le moindre effet sur le sommeil du Nantais. À peine si ses ronflements s’atténuèrent.
Au deuxième appel, Cavalier grommela et se retourna sur le sommier aux ressorts devenus irréguliers avec le temps.
– René, téléphone…
Cavalier se leva au troisième appel et secoua un Bellou toujours ronflant.
Le commissaire répondit au quatrième appel. La voix empâtée.
– Ouais…, grommela-t-il
C’était le flic de surveillance à l’hôpital.
Il semblait affolé et ses propos parurent incohérents au commissaire.
Il fallait qu’il vienne de toute urgence. Une merde concernant Fernandi et Jeanne Collieri.
Bellou ne comprenait pas ce que venait faire Fernandi là-dedans puisqu’on l’avait perdu.
– Je ne comprends rien à ce que tu me racontes, finit-il par dire à son interlocuteur. Recommence depuis le début.
Il écouta en fronçant de plus en plus les sourcils.
– Quoi ! Vous l’avez laissé passer ?
Cavalier était de plus en plus inquiet. Il avait tout de suite compris qu’une catastrophe était survenue et était déjà en train de s’habiller.
– Faut qu’on y aille fissa ! dit le commissaire après avoir mis fin à la conversation.
– Qu’est-ce qui se passe, bordel ? Fernandi les a butées toutes les deux ?
– Pire… non, excuse-moi, mais c’est ta tante qui l’a buté. Une sacrée merde. Faut qu’on y soit au plus vite.
Ils dévalèrent l’escalier une fois Bellou habillé et se précipitèrent dans la 2 CV.
Le commissaire téléphona pendant le trajet à un de ses « contacts » corses.
– J’ai besoin d’une diversion dans l’heure sur Ajaccio. Deux trois pétards dans des lieux les plus éloignés possible de l’hosto. Je t’expliquerai plus tard.
Pierre Cavalier n’en croyait pas ses oreilles et se tourna vers Bellou alors qu’il tournait à droite pour s’engager sur le cours Napoléon.
– C’est quoi, ça ?
– Pour que les flics soient occupés ailleurs et nous laissent le temps de nettoyer.
Cavalier choisit de se concentrer sur sa conduite.


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mardi 10 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 16

Chapitre 16





Alors que Bellou et Cavalier avaient fini par s’endormir d’épuisement, Jeanne Collieri, elle, veillait sur sa nièce avec vigilance, attentive au moindre bruit.
Malgré ses quatre-vingt-cinq ans, si ses yeux lui jouaient des tours, comme elle disait, elle avait l’ouïe aussi fine que dans son jeune temps. Ce dont elle était très fière.
Justement, ce pas traînant dans le couloir la contrariait.
Il était passé une fois devant la porte et repassait maintenant une deuxième fois.
Elle regarda sa montre. Il était un peu plus de trois heures mais elle ne parvenait pas à lire les minutes.
Le pas s’éloigna. Puis revint quelques minutes plus tard. Stoppant derrière la porte. Comme hésitant.
Jeanne Collieri, elle, n’hésita pas en plongeant sa main droite dans le cabas posé sur ses genoux.
Sa nièce était éveillée depuis un quart d’heure et elle tourna son regard – la tête, elle ne le pouvait pas encore – vers sa tante.
Celle-ci lui fit signe de se taire en mettant son doigt devant la bouche. Puis elle prit l’attitude de la personne assoupie tout en gardant la main dans le cabas.
Elle entendit la porte s’ouvrir.
La personne au pas traînant avait pénétré dans la pièce.
Jeanne Collieri fit semblant de s’éveiller.
– Excusez-moi, madame, dit l’homme au teint blafard et revêtu d’une blouse médicale qui s’exprimait d’une voix quasiment inaudible. Je vous demanderai de sortir pendant que j’effectue les soins de Mlle Matocelli.
Il avait les deux mains enfoncées dans les poches de sa blouse, attendant que la vieille dame sorte de la chambre.
Sa nièce roulait désespérément les yeux depuis qu’elle avait reconnu la voix qui l’avait appelée au téléphone pour l’attirer dans le guet-apens.
Mais sa tante ne jeta aucun regard vers elle.
Jeanne Collieri était en train de se concentrer intensément sur un point imaginaire situé à hauteur de nombril du faux infirmier.
Puis, tout en se levant de son siège, elle sortit sa main droite du cabas et tira deux fois en direction de ce point imaginaire.
L’homme s’écroula en se tenant le ventre à deux mains et en ouvrant un regard de stupeur sur la vieille dame qui s’approchait de lui.
Elle put y lire de la frayeur animale lorsqu’elle se tint au-dessus de lui et s’appliqua à viser la tête.
Après, elle ne sut pas. Elle avait fermé les yeux pour tirer sa troisième balle.



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lundi 9 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15






Pierre Cavalier et René Bellou furent de retour à l’appartement de Jeanne Collieri vers vingt-deux heures quinze.
Les « renforts » étaient attendus pour le lendemain matin.
Le commissaire des Stups Antoine arriverait par le vol d’Air France de onze heures quinze et Gilbert Lenoir par celui de quatorze heures vingt.
Antoine, vieux routier de quarante-sept ans, avait réagi au quart de tour quand Cavalier lui avait annoncé qu’il avait besoin de lui. Au ton de la voix de son ami, Antoine avait tout de suite compris qu’il s’agissait de choses sérieuses.
Par ses indics, il avait d’ailleurs sa petite idée depuis quelque temps sur ce qui se tramait en Corse.
– Il faut trier le bon grain de l’ivraie, lui avait dit Cavalier.
C’était le genre de chose qu’aimait faire – ou croyait faire – le commissaire Antoine.
– Sans toi, nous n’y arriverons pas, avait ajouté le commandant.
Antoine était une grande gueule, mais, quand on avait besoin de lui, il ne se défilait jamais. C’était sa réputation et il y tenait.
Mais il détestait les nationalistes de tout poil – même les non-terroristes. D’ailleurs, ce serait le principal problème avec lui. Lui apprendre à faire le distinguo entre les « bons » et les « mauvais » nationalistes.
Cavalier avait fait la leçon à René Bellou pour qu’il marche sur des œufs avec Antoine sur ce sujet. Et surtout qu’il n’aille pas se vanter auprès de lui de sa collaboration avec les « bons » terroristes, même repentis. Antoine, il était totalement incapable de comprendre ce genre de choses. Mais, lorsqu’on lui demandait un coup de main, il le rendait sans poser de question s’il avait confiance en celui qui le lui demandait.
– Alors, tu me le gardes en confiance et tu fais en sorte qu’il ne se pose pas de questions, avait conclu Cavalier.
En ce qui concerne le lieutenant Gilbert Lenoir, un des hommes d’Antoine, il n’y avait pas eu de problème non plus. Mais, jeune flic de vingt-cinq ans, il n’était pas encore tout à fait déniaisé sur la réalité du travail de policier,
– Il viendra. Tu n’as pas besoin de lui demander toi-même. Je m’en charge. Il est sous mes ordres et il a intérêt à m’obéir, ce petit con ! avait dit affectueusement le commissaire.
Cavalier aurait malgré tout préféré avoir l’intéressé en personne au téléphone.
Mais Antoine l’amènerait, c’est sûr.
Les deux vols différents étaient une simple procédure de sécurité et chacun d’eux aurait le numéro d’immatriculation du taxi – le même pour les deux fois – qui les attendrait à l’aéroport d’Ajaccio et les conduirait directement à l’appartement de Jeanne Collieri.
Dès l’arrivée de leurs renforts, Cavalier et Bellou savaient que les choses iraient en s’accélérant.
Un déplacement du commissaire Antoine en Corse, ça ne passerait pas inaperçu.
René Bellou avait mis ses hommes sûrs – quelques fonctionnaires de police et ses contacts corses – en état d’alerte.
Le lieutenant de gendarmerie, un Bordelais, répondait toujours présent.
Les deux flics des RG finirent par s’endormir vers deux heures du matin après avoir établi diverses hypothèses de « travail ». L’une haute : tout marchait comme prévu. Une basse : c’était la cata et les « bons » nationalistes les aidaient à prendre le maquis. L’horreur rien que d’y penser pour des flics. Mais, heureusement, il restait toute la palette des hypothèses intermédiaires.
– De toute façon, avait dit Bellou fataliste en s’allongeant sur le matelas posé à même le sol dans la chambre qu’occupait Pierre Cavalier, ça ne se passe jamais comme prévu…



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vendredi 6 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 14

Chapitre 14






À vingt et une heures, Pierre Cavalier accompagna sa tante jusqu’à l’hôpital en compagnie du commissaire.
Pierre insista pour aller voir sa cousine.
Jeanne Collieri sembla accepter à contrecœur. Ce qui le surprit.
Élisa dormait.
La vieille dame était toujours là avec son cabas.
Les deux femmes échangèrent quelques phrases à voix basse en tournant le dos à Cavalier. Il eut l’impression qu’elles s’exprimaient en corse.
La vieille dame sortit de la chambre et Jeanne Collieri s’installa dans le fauteuil au pied du lit en posant le cabas sur ses genoux après en avoir vérifié le contenu en y jetant un bref coup d’œil.
– C’est bon, dit-elle. Tu peux me laisser.
Pierre Cavalier sortit de la chambre toujours aussi perplexe devant le manège des vieilles dames.
« Mais qu’est-ce qu’elles peuvent bien foutre avec leur cabas ! »
Il rejoignit René Bellou à l’accueil.
– Je ne comprends pas l’entêtement de ma tante à vouloir veiller sa nièce, lui dit-il en sortant de l’hôpital. Elle est tirée d’affaire et la protection mise en place suffit largement à la sécurité d’Élisa. C’est plus de son âge et cette histoire de tour de garde avec ses vieilles copines est débile. C’est bien une idée de vieux !
Le commissaire avait un point de vue plus pragmatique.
– Pendant qu’elle est ici, ta grand-tante on ne l’a pas dans les pattes à son appartement et ça l’empêche de faire des conneries avec ses copines. Et puis ici, elle aussi est en sûreté, crois-moi ! On va pouvoir s’atteler tranquillement à notre affaire toi et moi.



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Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 13

Chapitre 13






Le commissaire René Bellou rejoignit, comme convenu, Cavalier au domicile de sa tante à dix-huit heures.
Il portait un sac de voyage.
Ils attendirent dans le salon le réveil de Jeanne Collieri.
Elle apparut sur le coup de dix-neuf heures toutes pimpantes et son chignon impeccable. Donnant l’impression aux deux hommes d’être sur le pied de guerre.
– Bon, dit-elle, je vais faire réchauffer le rôti et après tu m’accompagnes à l’hôpital.
Pierre prit un air de petit garçon s’apprêtant à demander le droit d’aller jouer avec ses petits camarades et se racla la gorge.
– Avant, ma tante, j’ai… euh, nous avons quelque chose à vous demander…
– Dis-moi ! dit la tante en jetant un regard au sac de voyage de René Bellou. J’ai déjà ma petite idée.
– Ben voilà, nous aurions besoin de nous installer ici…
– Pas de problème si c’est pour la bonne cause !
– Mais nous attendons aussi deux autres collègues…
Jeanne Collieri réfléchit un instant.
– Bon, c’est réglé, dit-elle. Ton ami dormira avec toi et on installera les deux autres ici dans le salon. À la guerre comme à la guerre…
Le commissaire la remercia.
– Ne me remerciez pas. J’espère seulement que vous ne ferez pas trop de conneries et que, pour une fois, vous saurez être efficaces, hein !



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Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12






À quinze heures trente, Pierre Cavalier pénétra dans la chambre d’hôpital de sa cousine.
Elle avait repris quelques couleurs.
Il n’avait pas remarqué la surveillance installée par le commissaire et le lieutenant de gendarmerie. Ce qui l’avait satisfait, car les « autres » ne la remarqueraient pas plus que lui.
Mais il fut surpris de découvrir dans la chambre d’Élisa Matocelli une des deux vieilles dames qu’il avait aperçues le matin même dans le hall en compagnie de sa tante.
La vieille dame lui sourit mais ne desserra pas les dents.
Elle tenait le cabas sur ses genoux.
Un quart d’heure plus tard, Élisa s’était assoupie et il éprouva la désagréable impression d’être devenu de trop dans la pièce.
D’ailleurs la vieille dame lui sourit et sembla l’en remercier muettement quand il sortit.
« Mais qu’est-ce qu’elles peuvent bien foutre avec leur cabas ! » se dit-il une fois dans le couloir en haussant les épaules.



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jeudi 5 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 11 (suite et fin)

11 (suite et fin)






– Oh ! à l’origine c’est un truc de fachos et de néo-nazis et ç’a été lancé sur Internet en février 2003, le 21 exactement. « Il faut abattre Ben Shirak ! » Tu vois le topo. Évidemment, dans ces filières-là, il y a les débiles et les pas débiles. En apparence, il s’agit de l’extrême droite anti-musulmane. Dans les faits, c’est l’extrême droite tout court. D’ailleurs, en juillet, le procureur de Paris a ouvert une information contre X pour « association de malfaiteurs et menaces de mort sur le président de la République ». Et ils ont mis cent cinquante flics sur l’affaire depuis.
– Oui, ça je sais.
– Oui, mais ce que tu ne sais pas, c’est qu’il y a un petit génie du mal qui a repris l’affaire à son compte, toujours avec de la main-d’œuvre facho, mais en voulant faire porter le chapeau aux nationalistes corses. Enfin, à ceux, parmi eux, qui veulent décrocher du cycle de la violence. Car il a monté son opération avec les fachos nationalistes.
– Et Laneureuville est donc derrière tout ça.
– Comme toujours, mon vieux.
– Mais je ne vois pas un commando corse monter un coup pareil sur le continent.
– Tu as raison. Et c’est là qu’intervient Tomasini avec une idée géniale. Il a lâché en confidence à Laneureuville que le chef de l’Etat avait l’intention de se rendre en Corse à la mi-décembre.
– Comme ça, il faisait donc d’une pierre deux coups, dit Cavalier.
– Tu as tout compris. Ainsi il éloignait un danger d’attentat contre Chichi en France en faisant gamberger Laneureuville sur une combinaison corse et, dans le même temps, il le piégeait.
Cavalier se rembrunit.
– Et moi, qu’est-ce que je viens faire là-dedans, exactement ? demanda-t-il avec amertume.
Pour le commissaire Bellou, c’était un moment difficile.
Il prit le temps de mâcher sa tranche de jambon avant de répondre.
– Ben, ce que tu as deviné, dit-il gêné. L’appât nécessaire pour amorcer la phase finale…
– Et je dois remercier qui ? le coupa un Cavalier boudeur.
– Écoute, avec Tomasini, on n’avait pas le choix. Il nous fallait le top pour faire sortir le loup de sa tanière et, vu tes rapports avec Laneureuville, c’était toi le top.
– Et je dois m’en sentir flatté, peut-être ?
– Oui, car dès que Laneureuville a su que tu partais incognito en Corse, il s’est mis en branle.
– Ah ! Parce qu’il savait !
– Bien sûr, c’était nécessaire qu’il le sache…
– Alors c’est Tomasini qui le lui a appris ?
– Ah non ! Là, c’est moi, dit le commissaire en esquissant un sourire de contrition.
Cavalier plongea son regard dans le sien.
– T’es vraiment un enfoiré, René !
– Mais nous sommes tous des enfoirés, Pierre !
Les deux hommes se mirent à rire comme deux collégiens après une bonne farce.
Lorsque les deux hommes reprirent leur sérieux, Cavalier posa la dernière question qui le turlupinait.
– Et la mort de Ferlatti, le cousin du sous-directeur, c’est les Corses ?
– Oui, mais les bons cette fois, dit-il en accompagnant sa phrase d’une mimique de gêne qui annonçait le coup tordu.
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que son sacrifice était devenu nécessaire. Il jouait double jeu et devenait gênant. Il pouvait tout faire capoter. D’ailleurs, on le soupçonnait d’avoir prévu ton élimination à votre prochain rendez-vous. Ta mission est prioritaire et tu as droit à la protection absolue, je te l’ai dit. Alors dis-toi qu’un salaud a été éliminé…
– Je vois, dit Cavalier en reposant son verre vide. Et la suite des réjouissances, c’est quoi au juste ?
– Ben, on est là toi et moi pour l’organiser. Mais il nous faut du renfort.
– Ah bon ! Parce qu’on est combien de petits soldats exactement sur le coup ?
– Ben, il y a toi et moi, quelques-uns de mes hommes. Il y a aussi le lieutenant de gendarmerie pour la logistique. Et puis quelques Corses de bonne volonté…
Un silence pesant s’instaura. Que finit par rompre Cavalier.
– Dis, rassure-moi, René. On n’est pas reparti avec la méthode Bonnet et le coup des paillotes ?
– Non, non. Pas du tout, s’empressa de répondre le commissaire. L’idée de départ de Bonnet était bonne, mais il a eu le tort de voir les choses en petit. Il a été trop timide, si tu veux mon avis. Tu comprends, dans ces coups-là, il faut voir tout en grand. Comme ça, ça passe…
– Ou ça casse, le coupa Cavalier.
– Oui, évidemment, dit le commissaire en hochant la tête. C’est pour ça justement qu’il nous faudrait du renfort de la maison. Deux trois collègues sûrs du continent, tu vois. Mais moi j’ai pas. Peut-être que toi…
Il était plus de quatorze heures et leur conseil de guerre fut interrompu par l’arrivée de Jeanne Collieri.
– La petite va bien, dit-elle en débarquant dans la cuisine et sans montrer de surprise à la présence de René Bellou. Moi, je vais me reposer. Je retourne veiller Élisa cette nuit et j’ai besoin de dormir. Mais vous me rangez votre désordre quand vous en aurez fini avec vos conciliabules, hein ! ajouta-t-elle du ton de la maîtresse de maternelle qui demande à ses élèves de ranger leurs jouets.



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Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





À midi et quart, le commissaire des RG sonna à la porte de l’appartement.
Aux deuxièmes whiskies, l’un et l’autre surent qu’ils étaient dans le même « bon » camp. Ce qui constituait une grande avancée.
L’évocation de quelques faits divers anciens et récents survenus dans le pays de Retz avait suffi à lever tout malentendu. Leur opinion partagée sur les agissements de Pierre-Marie de Laneureuville fit le reste.
Pierre Cavalier n’évoqua pas pour autant sa mission, même si, aux yeux du commissaire, il était évident que trop d’événements se succédaient depuis l’arrivée du commandant à Ajaccio pour qu’il soit là en simple touriste. Le Nantais semblait d’ailleurs s’en amuser.
Mais, quand le commissaire lui dit, sur le ton de la conversation badine : « Au fait, vous avez su pour Jean Peligrini ? », Cavalier se rétracta dans sa coquille.
– Ne faites pas cette tête-là, mon vieux ! lança le commandant en souriant. C’était un des hommes de mon prédécesseur et je l’avais chargé de veiller sur vous dès votre descente d’avion.
Cavalier leva un sourcil interrogateur.
– Mais il n’a pas su se protéger lui-même. Dommage. D’ailleurs, c’est vous qui étiez visé ce jour-là. Mais l’adversaire a agi dans la précipitation et il y a eu de la confusion… Tant mieux pour vous, non ?… Vous deviez d’ailleurs vous en douter un peu... Ensuite, nous avons attendu que vous veniez récupérer vos affaires dans votre chambre pour intervenir et faire le nettoyage. Eh oui, mon vieux, vous avez le droit à la protection absolue ! Votre mission est prioritaire… N’empêche, vous avez eu la bonne réaction sur le coup.
Pierre Cavalier était littéralement soufflé.
– En ce qui concerne l’accident de votre cousine, poursuivit le commissaire satisfait de l’effet produit par ses révélations, nous n’avons pas identifié le conducteur du 4 x 4. En ce qui concerne celui de la voiture « suiveuse » – c’était une Toyota –, nous avons notre petite idée. Par contre, celui qui a téléphoné pour attirer votre cousine dans le guet-apens et était le passager de la voiture « suiveuse », nous l’avons parfaitement identifié, mais, pour l’instant, il s’est perdu dans la nature. Il est arrivé lundi par le vol d’Air France de vingt heures dix. C’est un tueur, celui-là. Avec de grosses protections. Jean Fernandi, ça vous dit quelque chose ?
– Je connais, dit Cavalier en choisissant de ne pas s’étendre sur le personnage et en maudissant Philippe-Henri de l’avoir introduit dans le cercle familial
*. Vu le contexte, d’ailleurs, je m’inquiète pour ma cousine. Je crains qu’elle ne soit pas en sécurité à l’hôpital.
– Ne vous inquiétez pas pour ça. Avec le lieutenant de gendarmerie chargé de l’enquête sur l’accident, nous avons organisé une surveillance jour et nuit. Elle a deux anges gardiens en ce moment… Au fait, j’aimerais bien manger un bout avant d’aborder les choses sérieuses.
– Ici, c’est polenta aux châtaignes et charcuterie corse. Mais ma tante a fait cuire un rôti de marcassin hier soir, auquel nous n’avons pas touché. Si ça vous dit ?
– La charcuterie, ça ira pour moi.
Les deux flics se rendirent dans la cuisine.
– Au fait, je m’appelle René Bellou, dit le commissaire tandis que Cavalier se lançait dans l’exploration des placards. On pourrait d’ailleurs se tutoyer puisque nous sommes dans la même galère.
Cavalier finit par dénicher du prisuttu, du lonzu et de la coppa qu’il déposa dans un plat unique sur la table avec une bouteille entamée de vin de Figari.
– Et cette histoire d’assassinat de Chichi, dit le commandant en servant le vin, c’est quoi exactement ?
* Voir Pleurez, petites filles...


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mercredi 4 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 10 (suite 2 et fin)


Chapitre 10 (suite 2 et fin)





– Eh ben, Cavalier, on planque même dans les hôpitaux !
Il se retourna et, éberlué, reconnut le commissaire qui l’avait reçu aux RG de Nantes quand il avait entrepris, quelques mois plus tôt, d’en savoir plus sur la mort de son oncle
*.
C’était un homme à la cinquantaine rondouillarde, à la calvitie bien avancée, qui faisait songer immanquablement à un moine défroqué et bon vivant. Pas le genre à angoisse existentielle.
– Mais qu’est-ce que vous faites là ? demanda Pierre Cavalier après s’être ressaisi de sa surprise, tout en essayant de dissimuler son inquiétude.
– Le boulot, mon vieux, le boulot !
Il lui expliqua brièvement que, lorsque le sous-préfet de Saint-Nazaire avait accepté la préfecture de Corse, celui-ci avait souhaité s’entourer d’hommes de confiance.
– Alors vous êtes dans le bon camp ? le coupa Cavalier avec aplomb.
– Tout comme vous, mon vieux ! lui répondit le commissaire. De toute façon, il faut qu’on se voie, surtout que j’enquête sur l’accident mystérieux de votre cousine.
– Vous en savez des choses !
– Eh ! je suis le patron ici ! De toute façon, je vous retrouve vers midi chez votre tante… Ne me donnez pas l’adresse, je sais où c’est ! ajouta-t-il en laissant en plan un Cavalier des plus perplexes.
Qui finit par se mettre en quête d’une cabine téléphonique pour appeler Paris.
Comme on était mercredi, il était à peu près assuré de trouver Philippe-Henri chez lui à cette heure matinale.
Il préférait l’appeler directement vu l’urgence. Surtout, il voulait éviter d’inquiéter inutilement sa femme.
– Que me vaut ce coup de fil, mon gendre ? demanda le professeur dès qu’il eut reconnut la voix du mari d’Isabelle.
Pierre Cavalier avait eut beaucoup de mal à s’habituer à ce « mon gendre » dont usait parfois la pièce rapportée de la famille en prenant un ton pince-sans-rire pour le titiller.
– Je n’ai pas beaucoup de temps, Phil. Je voudrais savoir où se trouve actuellement votre ami Fernandi.
– Ah ! ça, je ne peux pas vraiment vous le dire. Tout ce que je sais, c’est qu’il est parti en province lundi pour une affaire urgente et qu’il m’a demandé de garder ses deux poissons rouges. Mais je n’en sais pas plus… Mais vous m’appelez d’où ? Élisa m’a dit que vous étiez parti en province vous aussi et qu’elle ne savait même pas si vous repasseriez par Paris avant d’aller en Corse la semaine prochaine…
Pierre Cavalier avait déjà raccroché et rejoignit le domicile de sa grand-tante sans plus traîner mais sans espoir que la 2 CV de couleur bleu horizon puisse réellement passer inaperçue.
* Voir Un vague arrière-goût.

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mardi 3 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 10 (suite 1)

Chapitre 10 (suite 1)





À huit heures précises, Pierre Cavalier se retrouva au volant de la 2 CV de sa tante, une antiquité brinquebalante, avec laquelle il avait eu tant de mal à se familiariser la veille – « Trop simple comme mécanique pour des jeunes de maintenant ! » lui avait-elle lâché d’un ton railleur. Jeanne Collieri, sur son trente et un, à ses côtés.
Mais ils ne purent voir Élisa avant neuf heures et demie.
Le lieutenant de gendarmerie chargé de l’enquête avait été plus matinal qu’eux.
Quand celui-ci sortit de la chambre, Jeanne s’y engouffra. Pierre Cavalier, lui, préféra s’entretenir avec le lieutenant après s’être présenté à lui comme le cousin de la victime et un humble policier du continent.
– C’est pas bien clair, lui dit d’emblée le gendarme. Un grand 4 x 4 avec pare-buffle, du style Land-Rover équipée pour le safari, aurait surgi sur sa droite à l’embranchement et n’aurait pu l’éviter. Mais, un, le chauffeur a pris la fuite et, deux, hier j’avais un témoin et ce matin je n’en ai plus…
– Comment ça ?
– Ce type a été témoin de l’accident. C’est d’ailleurs lui qui a alerté les secours. Bref, il était sur la même route que le chauffard, mais il l’a vu surgir sur la route, malgré la pluie, seulement une centaine de mètres devant lui juste avant l’embranchement et foncer tous feux éteints sur la 206 de votre cousine, comme s’il avait attendu son arrivée sur le bas-côté pour démarrer. Donc, hier soir, il témoignait que le conducteur du 4 x 4 avait foncé volontairement sur la 206 et, ce matin, à sept heures et demie, il téléphonait à la brigade pour se rétracter, dire qu’il avait réfléchi et qu’en fait la 206 avait fait un refus de priorité.
– À votre avis ? demanda Cavalier.
– Oh ! comme d’habitude ici. Mais c’est comme ça même pour un vol de poule. C’est simple, mon témoin a reçu un coup de fil ou une visite entre-temps. Moi, je pense que sa première version est la bonne et que votre cousine devait être suivie par un type en moto ou en voiture qui a donné le top départ par portable au conducteur du 4 x 4 dès qu’elle a été en approche de l’embranchement.
– Et elle ne se souvient de rien de particulier ?
– Non, rien, fit le lieutenant en haussant les épaules. Mais ça lui reviendra peut-être. Ou peut-être qu’elle vous le dira à vous…
Cavalier regarda le lieutenant s’éloigner dans le couloir en se faisant des reproches sur son comportement de la veille.
Quand il pénétra dans la chambre, Élisa lui adressa un maigre sourire sans bouger la tête, mais, déjà, la grand-tante s’attaquait à lui.
– J’avais raison, c’était un guet-apens !
– Je sais, dit tristement son neveu.
– Ah ! tu en conviens enfin ! Mieux vaut tard que jamais, lâcha-t-elle d’un ton acerbe. Mais elle est trop fatiguée pour te raconter elle-même. Alors je vais te répéter ce qu’elle m’a dit. Écoute bien !
Il l’écouta. Plus attentivement encore qu’elle ne pouvait le supposer.
Une voix masculine, presque inaudible, avait appelé Élisa à son cabinet à dix-huit heures trente. Pour une consultation à Alata chez un vieux bonhomme qu’elle suit. Elle s’est donc retrouvée là-bas un peu avant vingt heures. Mais son patient ne l’avait pas appelée. Elle a alors pensé que c’était une mauvaise plaisanterie – surtout que le coin est loin d’être plaisant par une nuit d’hiver. Bref, elle a pris le chemin du retour et n’a même pas vu surgir le 4 x 4 à l’embranchement. Mais la tante n’avait pas encore eu le temps de demander à Élisa pour le « visiteur médical » marseillais.
Pierre ne l’écoutait plus. Un détail l’avait fait tiquer.
Il se tourna vers Élisa.
– Elle était inaudible comment, cette voix qui t’a appelée ? lui demanda-t-il.
– Quelle importance ! fit la tante.
– C’est important, insista Pierre en l’ignorant.
Le visage d’Élisa était devenu douloureux.
– Une voix très basse, mais voilée naturellement. Et sans accent corse… Et je me souviens d’autre chose maintenant…, ajouta-t-elle en semblant faire un effort qui lui était douloureux.
– Quoi ? (C’était la tante.)
– Quand je me suis dirigée vers ma voiture, j’ai vu un type s’en éloigner et, quand je suis montée dedans et que j’ai allumé mes phares, je l’ai aperçu monter dans une voiture une trentaine de mètres plus bas… du côté passager…
– Il était comment ?
– Un type d’allure malingre, de taille moyenne… les épaules voûtées et un visage très pâle… inquiétant…
Pierre Cavalier hocha la tête en se concentrant sur une image qui devenait de plus en plus nette dans son esprit.
Il lui fallait d’abord effectuer une vérification.
La tante avait décidé de rester auprès de sa nièce, mais, quand il se retira un quart d’heure plus tard, il vit sa tante regarder sa montre pour l’énième fois et l’entendit dire à Élisa, alors qu’il refermait la porte :
– Je reviens dans cinq minutes, ma chérie.
Il se dissimula derrière un pilier près de la sortie et vit Jeanne Collieri se diriger vers deux femmes dans ses âges qui semblaient l’attendre, debout près du bureau d’accueil.
L’une tenait un cabas qu’elle ouvrit à bout de bras et il vit sa tante y plonger le regard en acquiesçant d’un hochement de tête silencieux.
Puis elle prit le cabas et s’en retourna vers la direction de la chambre de sa nièce.
Pierre Cavalier était intrigué. Mais il fut interpellé au même moment et sursauta comme pris en faute.


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lundi 2 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Jeanne Collieri vint réveiller Pierre Cavalier, ce matin du jeudi 4 décembre, à six heures trente précises – pour être au plus tôt au chevet de sa nièce. Elle donnait l’impression d’avoir mieux récupéré que son neveu malgré cette courte nuit de sommeil.
Après l’avoir secoué énergiquement en lui disant : « C’est l’heure ! », elle lui laissa à peine le temps de mettre un pied hors du lit avant d’attaquer par surprise.
– T’as peut-être des choses à m’expliquer, non ?
Pierre Cavalier s’était assis sur le bord du lit et se passait la main dans sa tignasse ébouriffée.
Il la regarda à travers ses yeux mi-clos puis opina silencieusement.
– Je pourrais peut-être prendre une douche avant ? fit-il en se levant et en s’étirant. Pour m’éclaircir les idées.
– Ne traîne pas. Je t’attends dans la cuisine !
Il se le tint pour dit et fit l’impasse sur son rasage matinal.
Le café était trop serré pour lui et sa tante, en robe de chambre mais le chignon parfaitement tiré, entreprenait de rouler sa première cigarette de la journée.
Pierre détestait l’odeur du tabac au petit déjeuner. Surtout celle du gros gris.
Il lui parla d’abord de sa découverte macabre de la veille.
– T’aurais pu en parler à ta cousine ! le rabroua-t-elle.
Il lui dit que l’exécution du Marseillais était peut-être une erreur. Qu’à son avis il était lui-même la cible et qu’il n’avait pas voulu inquiéter sa cousine inutilement.
– T’aurais peut-être dû. Elle n’en serait pas là, la petiote !
Mal à l’aise, Pierre Cavalier s’empressa alors d’aborder la thèse d’un complot visant à éliminer le chef de l’Etat, pour essayer de lui faire sortir de la tête l’idée que l’accident de sa nièce n’en était pas un.
Peine perdue.
– Les abords de l’hôtel devaient être surveillés. Élisa a été repérée et on t’a envoyé un avertissement en s’en prenant à elle.
Pierre simplifia son exposé et il la vit se concentrer intensément et tirer plus nerveusement sur son mégot informe.
– Pourquoi chercher ici, alors que ça ne peut se passer que sur le continent ? le coupa-t-elle.
Il lui expliqua que Jérôme Ferlatti, le leader nationaliste assassiné, devait lui révéler les modalités de neutralisation et de livraison des brebis galeuses. Mais il tut le rôle du Corse en tant qu’indicateur.
Il tenta de lui faire part de ses diverses conjectures mais il s’aperçut qu’elle ne l’écoutait plus.
– Bon, le coupa-t-elle de nouveau, on se prépare et on va voir la petite. Elle aura sûrement des choses à nous apprendre. Mais, avant, j’ai quelques coups de téléphone à passer et, toi, tu te rases pour être présentable…



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Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





Dès qu’ils arrivèrent aux urgences, Pierre Cavalier et Jeanne Collieri apprirent avec soulagement que les jours d’Élisa n’étaient pas en danger et qu’elle n’avait pas de traumatisme crânien. Elle s’en tirait avec une belle entaille au cuir chevelu, un léger tassement cervical et deux côtes enfoncées.
– Selon les pompiers, ç’aurait pu être pire, dit l’interne de garde, vu l’état dans lequel s’est retrouvée la voiture après le choc. Ils ont dû la désincarcérer et c’est une miraculée !
Ils ne purent la voir qu’une heure plus tard.
Elle avait la tête enturbannée et les cervicales avaient été mises en extension.
Son teint était blafard avec de grands cernes sous les yeux. Les côtes lui faisaient mal quand elle respirait.
Elle était sonnée mais vivante.
À minuit et demi, Pierre Cavalier dut faire appel à tout le savoir-faire de l’infirmière-chef, qui, par chance, connaissait bien la vieille dame, pour persuader sa tante de rentrer chez elle.
Pour la convaincre de se coucher, une fois de retour à l’appartement, ce fut une autre paire de manches.
Jeanne Collieri s’était mise en tête que sa nièce n’avait pas été victime d’un accident ordinaire. Elle n’accepta d’aller dormir que lorsque son neveu finit par admettre – de guerre lasse – qu’elle avait raison.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

dimanche 1 mars 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





La chambre était spacieuse et haute de plafond comme tout le reste de l’appartement. Le lit douillet et le grog de la grand-tante carabiné.
Pierre Cavalier s’endormit en pensant à sa femme et à sa fille.
Quand il se réveilla à dix-huit heures trente, il découvrit Jeanne Collieri assise sur une chaise à côté du lit.
– Hein qu’il est efficace, mon grog ? dit-elle en souriant. Tu as bien dormi, tu sais, et tu vas te régaler ce soir avec un rôti de marcassin que j’ai mis à mariner, avec de bonnes châtaignes !
Pierre Cavalier la remercia d’un sourire mais n’osa pas lui dire que les châtaignes, sous quelque forme que ce fût, ce n’était pas vraiment son truc.
La vieille dame ne lui posa aucune question et se retira pour préparer le repas.
Cavalier alluma son transistor pendant qu’il se rafraîchissait dans la salle d’eau attenante à la chambre, mais il n’y eut aucune information concernant le meurtre de Jean Peligrini au flash de dix-neuf heures. Ce qui lui mit immédiatement la puce à l’oreille.
Si le meurtre du responsable nationaliste et indicateur – mais il n’était pas le seul honorable correspondant ou indicateur à la solde d’un service quelconque parmi les responsables de la mouvance nationaliste, à tel point que, si un groupe « vertueux » eût entrepris de les éliminer, il ne serait plus resté grand monde – était, par son mode opératoire tout du moins, dans le droit-fil de la pure « tradition » corse, celui de Jean Peligrini était tout différent.
Ça sentait les basses œuvres.
Et si on ne mentionnait même pas le meurtre ni la disparition du « visiteur médical », c’est que personne ne risquait de faire de vague à son sujet. Donc qu’il appartenait à un service ou à un autre et – erreur de cible ou non – que c’était une affaire de « famille ».
Mais, si le Marseillais était la cible, quel avait été son rôle et quelle « équipe » avait eu intérêt à l’éliminer ?
Quelle officine voulait la mort du Président et quelle autre voulait l’empêcher ?
Dans l’univers du crime politique – et du crime d’Etat, c’est d’ailleurs souvent la même chose –, il est toujours difficile de discerner les bons des mauvais.
La seule chose dont pouvait être assuré le commandant Cavalier, c’est que le « gros » coup, quel qu’il soit, était en route et que les obstacles étaient éliminés un à un. Au bulldozer.
À dix-neuf heures quarante, Jeanne Collieri invita son neveu à venir prendre l’apéritif dans le salon aux tentures cramoisi en attendant le retour d’Élisa.
– Avec ses consultations, elle n’a pas d’heure fixe pour rentrer, dit-elle en commençant de se rouler une énième cigarette.
À vingt heures, aucune chaîne n’évoqua la mort de Jean Peligrini, et celle de Jérôme Ferlatti n’était qu’un fait divers corse suscitant les interventions habituelles des leaders nationalistes et des autorités, sur lesquelles venaient se greffer les commentaires convenus des présentateurs.
L’atmosphère de ce salon faiblement éclairé et aux sombres tentures l’avait d’abord apaisé. À présent, elle commençait à l’oppresser.
Pierre Cavalier regrettait de ne pas avoir demandé à Élisa si elle connaissait le visiteur médical. Également de ne pas lui avoir parlé de sa découverte macabre. Il avait cru la préserver ainsi, mais quelqu’un l’avait peut-être aperçu lorsqu’il était descendu ou avait rejoint la 206 d’Élisa.
Il sursauta quand le téléphone sonna à vingt heures vingt.
– Tout va bien, lui dit la vieille dame après avoir raccroché le combiné. C’est Élisa. Elle revient d’Alata et sera là dans une demi-heure.
Cavalier fut rassuré et se servit un deuxième whisky.
Vers vingt et une heures, Jeanne Collieri commença de regarder la pendule.
– Mon marcassin va être trop cuit. Je vais réduire le gaz.
En revenant de la cuisine dix minutes plus tard, elle se planta devant le fauteuil de Pierre.
– Elle devrait être là. Ça m’inquiète, surtout avec cette pluie…
– C’est loin, Alata ?
– Non. C’est un village à une dizaine de kilomètres. Je vais l’appeler sur son téléphone de voiture…
La vieille dame laissa sonner longuement.
– Il lui est arrivé quelque chose, dit-elle d’une voix angoissée.
Pierre tenta de la rassurer.
Le téléphone sonna.
– C’est elle, sûrement ! dit Jeanne Collieri en se précipitant vers le poste.
Son visage se décomposa dès qu’elle eut décroché.
C’était la gendarmerie.
Élisa Matocelli venait d’être transportée à l’hôpital d’Ajaccio.
Un accident de la circulation à l’embranchement de la départementale 461, la route venant d’Alata, et la D 261.


© Alain Pecunia, 2009.
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