mardi 30 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 30

Chapitre 30





Pierre Cavalier dormit jusqu’à quatre heures de l’après-midi d’un mauvais sommeil agité.
Quand il se réveilla, il resta un long moment allongé sur le lit, les mains croisées sous la tête, à contempler le plafond.
Il espérait ne pas s’être planté.
Il éprouvait surtout une crainte. Que ce dingue de Bangros, après la « disparition » des Berthon et la descente en fanfare de la DST chez lui, ne passe à l’action, n’ayant plus rien à perdre et se sachant dans le collimateur.
Il est loin d’être con, se dit Cavalier. Il a dû piger que Berthon a été se réfugier chez les flics et a tout révélé sur son groupe. C’est à présent une course contre la montre, pour lui. Ou alors il se dégonfle. Ce qui ne serait pas conforme avec le personnage puisque, s’il est pris, il aurait à répondre de cinq crimes. La perpète incompressible pour lui et ses complices. Et il le sait. Allah ne peut pas tout…
Isabelle l’appela vers dix-sept heures du Quai des Orfèvres.
Elle était crevée et accusait une baisse de morale.
Elle pataugeait dans l’hémoglobine en veux-tu en voilà sans obtenir la moindre piste.
– C’est Berthon la clé du problème. Ah ! si on pouvait mettre la main dessus…
– Tu sais, ma chérie, les Berthon doivent se planquer.
Il avait un ton convaincant. Et il ne mentait pas. Pas tout à fait. Ils étaient à l’abri. À la DST. Mais il ne pouvait pas tout lui dire. D’ailleurs, il ne lui dirait jamais tout.
En un sens, ça valait mieux. Elle lui aurait arraché les yeux de la tête après l’avoir traité d’infâme manipulateur.
– Et toi, tu as avancé ? demanda-t-elle d’une voix de petite fille désemparée.
– Pas le moins du monde, ma chérie. On patauge, tout comme vous.
– Tu me le dirais, si tu avais quelque chose ? dit-elle d’un ton soudain soupçonneux.
– Bien sûr, ma chérie. Nous avons tous intérêt à arrêter ces dingues.
– Excuse-moi. Je suis crevée et j’en arrive à douter même de toi et de ta boutique.
– Mais c’est normal, ma chérie. C’est la pression.
Pierre Cavalier fut soulagé qu’Isabelle mît fin à la communication. Mais le « gros bisou » qu’elle lui plaqua sur la joue par ondes interposées lui fit la sensation d’une morsure au fer rouge.
Il se comportait comme un salaud.
Professionnel.


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lundi 29 juin 2009

Chapitre 29





Une fois de retour à la direction des Renseignements généraux rue des Saussaies, Pierre Cavalier prit toutes les dispositions pour que Janine Bangros fût mise en lieu sûr jusqu’au dénouement.
Il s’entretint avec elle une partie du reste de la nuit.
Ce fut fort instructif. Il saisissait mieux la psychologie de Roger Bangros. Mais deux, trois choses lui mirent la puce à l’oreille. Juste un pressentiment pour l’instant.
Il lui renouvela sa promesse de protéger son Roger. Tout en sachant qu’il lui était impossible de la tenir.
Il prit quelques heures de sommeil et appela le divisionnaire de la DST qui l’avait reçu dans la nuit à dix heures du matin, lui communiquant trois nouvelles adresses où Roger Bangros était susceptible de s’être caché.
Ils étaient quitte.
L’équipe de surveillance de Montreuil avait été relevée.
Rien n’avait bougé cette nuit.
Mais la nouvelle équipe avait remarqué la sortie d’un des deux jeunes de l’immeuble condamné.
Il était revenu une heure plus tard avec des provisions. Deux grands sacs.
On était le samedi 27 décembre.
Pierre Cavalier prit un copieux déjeuner vers onze heures et songea à la fébrilité qui devait régner dans les équipes d’intervention de la DST.
Il sourit de satisfaction. Toute cette agitation allait lui rabattre son gibier.
La DST bossait pour lui.
Mais il ne se passerait rien avant la nuit et il décida de rentrer chez lui se reposer.



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dimanche 28 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 28

Chapitre 28





Le commandant Cavalier fut introduit auprès d’un principal et d’un divisionnaire.
Ils avaient l’air tendu mais firent ceux qui voulaient jouer franc-jeu. Lui révélant que le couple Berthon s’était décidé à se mettre sous leur protection après avoir entendu à la radio l’annonce du massacre des Lilas. Ils avaient débarqué vers dix-neuf heures trente. Affolés.
On le serait à moins, se dit Pierre Cavalier.
Bref, Alain Berthon était convaincu que Bangros avait décidé d’éliminer leur groupe. Mais il ne comprenait pas pourquoi. De ne pas être d’accord avec leurs projets terroristes n’était pas suffisant pour décider de les éliminer un à un.
– C’est évident, pourtant, intervint le divisionnaire. Ils en savaient trop. Ils représentaient une menace.
Alain Berthon leur avait dit tout ce qu’il savait sur le « Groupe de la Foi » et leur avait donné l’adresse de Roger Bangros porte de Bagnolet et fait une description de ses deux lieutenants, Mourad Boulaoua et Mohammed Bouchad.
Pierre Cavalier sourit intérieurement de leur cinéma.
Toutes ces informations qu’ils prétendaient tenir de Berthon, leur informateur Jérôme Cassard avait déjà dû les leur communiquer.
Cavalier s’abstint toutefois de le mentionner.
Le principal poursuivit en racontant qu’ils étaient intervenus peu après vingt-deux heures pour tenter d’interpeller Roger Bangros à son domicile.
Pourtant, se dit Cavalier, c’était la meilleure façon de le louper et de l’alerter. Bizarre pour de si grands professionnels.
Le divisionnaire prit ensuite la parole pour sous-entendre qu’il ne voyait pas d’inconvénient à relâcher la femme de Roger Bangros puisqu’elle était un informateur du commandant Cavalier, mais que, quand même, il fallait que les RG admettent que cette affaire était du ressort de la DST et qu’ils pourraient peut-être communiquer les informations en leur possession concernant le « Groupe de la Foi ».
Pierre Cavalier fit semblant d’hésiter. En fait, il était ravi.
– Écoutez, c’est entendu. Mais, de mémoire, je ne me souviens que d’une de leur planques, rue du Poteau. Dès demain, je vous communiquerai les autres lieux où ils seraient susceptibles de se réfugier.
– Pourquoi pas maintenant ? demanda le principal d’un ton mielleux.
– Je suis désolé, mais le dossier se trouve dans le coffre de mon directeur, répondit Cavalier d’un ton plein de bonne volonté.
Ils se séparèrent amis-amis et Pierre Cavalier put repartir en compagnie de Janine Bangros.
En se frottant les mains de satisfaction.



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samedi 27 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 27

Chapitre 27





Pierre Cavalier consultait souvent sa pendulette de bureau. Un cadeau d’Isabelle.
Elle l’avait appelé une heure plus tôt pour lui dire qu’elle était sur le chemin de leur domicile, rue du Commerce.
– Tu as encore du travail ? lui demanda-t-elle d’une voix radoucie.
– Oui, ne m’attends pas. Je dormirai ici.
– Ça avance de ton côté ?
– Oui, dit-il laconique.
– Je t’aime.
Elle avait raccroché avant qu’il eût pu répondre que lui aussi.
Nostalgique, il s’était laissé entraîner dans une rêverie amoureuse.
La sonnerie de son portable le ramena sur terre.
Il était minuit dix.
C’était une voix rogue.
– Commandant Cavalier ?
– Oui.
– Nous avons interpellé une certaine Janine Bangros. Cette personne prétend être sous votre protection.
Le ton d’interrogatoire de son interlocuteur commençait de lui déplaire.
– Elle est sous ma protection, c’est exact. Que lui reprochez-vous ?
– Elle est impliquée dans une affaire de terrorisme, répondit l’autre sur le même registre.
– Oh ! la la ! Comme vous y allez… Moi, je vous conseillerai de la relâcher. Elle n’a rien à faire là-dedans.
– Pas question ! C’est un témoin de première importance.
Ils ont marqué un point, se dit Cavalier. Ils savent que je suis obligé de venir négocier si je veux qu’ils la relâchent. Ça sera du donnant-donnant. Ils voudront que je leur lâche un max d’infos.
Le commandant Cavalier sourit. Il avait envie de leur faire plaisir.
Il avait également envie d’apprendre beaucoup d’eux.
Il prit les devants. Imaginant la surprise de son interlocuteur qui ne s’était toujours pas identifié.
– Vous voulez que je vienne ?
Il savait que son interlocuteur serait surpris de cette bonne volonté.
– Ça serait mieux pour tout le monde, finit par dire d’un ton embarrassé le policier de la DST.
Avant de quitter son bureau, Pierre Cavalier appela le responsable de l’équipe de Montreuil.
– Je vais rue Nélaton. Rien de changer. Autorisation accordée si ça bouge.
Le commandant Cavalier se fit accompagner par deux policiers de permanence. Par prudence.
Une demi-heure plus tard, il demanda à celui qui conduisait de stopper boulevard de Grenelle devant la grille d’entrée de la DST et leur demanda de l’attendre une heure. Jusqu’à deux heures du matin.
Au-delà, qu’ils réveillent le directeur.


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vendredi 26 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 26

Chapitre 26





La ligne spéciale du commandant Cavalier sonna discrètement à vingt-deux heures quinze.
– C’est fait, mais on a eu chaud, lui dit son interlocuteur. On était à peine remontés dans le sous-marin qu’on a aperçu deux jeunes de type maghrébin rentrer dans la ruine. À quelques minutes près, ils tombaient sur nous !
– Ils peuvent se rendre compte ?
– En principe, non. C’est indétectable.
Pierre Cavalier était soucieux. Qui pouvaient être ces deux types ? Des dealers ou des complices ?
Il n’eut pas le temps de retourner ses hypothèses dans tous les sens.
La ligne sonna à nouveau.
– Il y a les gus « d’en face » qui ont débarqué chez Bangros et qui viennent d’embarquer sa moitié. Qu’est-ce qu’on fait ?
– Vous les laissez faire. N’intervenez surtout pas pour la récupérer. C’est assez compliqué comme ça. Continuez la surveillance du domicile.
Et merde ! pensa le commandant après avoir raccroché. Il ne manquait plus que ça.
Il était étonné que ceux « d’en face », la DST, soient intervenus aussi rapidement.
D’accord, ils devaient être assez « énervés » après la mort de leur indic Jérôme Cassard. Ils connaissaient l’existence de Bangros et de son groupe par Cassard, mais quel sens cela avait-il que d’arrêter sa femme ?
On va encore se marcher sur les pieds, songea amèrement Pierre Cavalier. Et Bangros et ses deux acolytes risquent de se perdre dans la nature.
De toute façon, il n’avait pas l’intention de changer quoi que ce fût à son dispositif.
Il n’y avait pas d’autre solution et il ne lui restait qu’à espérer que ceux d’en face ne parviennent pas à mettre la main sur le « Groupe de la Foi ».
Surtout pas !



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jeudi 25 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 25

Chapitre 25





À dix-neuf heures, Pierre Cavalier avait paré au plus pressé. Dans une heure, il aurait confirmation de la présence ou non de Bangros et de ses deux lieutenants dans la planque de Montreuil. S’ils n’y étaient pas, il savait qu’à partir de vingt-deux heures, le dispositif serait paré.
Cyniquement, il se dit que rien ne servait de courir après Berthon et sa femme. Ils réapparaîtraient d’une façon ou d’une autre.
Alain Berthon avait apparemment choisi de disparaître au lieu de se présenter au Quai des Orfèvres. C’était son choix. À lui de l’assumer.
Le commandant Cavalier relégua le sort du couple Berthon au dernier rang de ses préoccupations.
Il ne servait à rien de courir non plus après Roger Bangros et ses deux inséparables.
Il fallait l’attendre. Le contraindre à venir se réfugier à la planque de Montreuil.
À vingt heures dix, après avoir été informé que la planque était vide, Pierre Cavalier se rendit chez le directeur pour lui annoncer que la solution du « problème » n’était plus qu’une question de temps.
– Ce sera long ? demanda le directeur.
Le commandant haussa les épaules.
C’était le type même de la question stupide.
– Je l’ignore, monsieur, mais ce sera fait.
– Vous ne pouvez pas être plus précis ? C’est pour « en haut », ajouta-t-il en levant les yeux au plafond. L’Élysée n’arrête pas de me téléphoner. Depuis l’hécatombe de la canicule, ils ont tendance à s’inquiéter facilement. Vous voyez ce que je veux dire. Et là, il ne faudrait pas que les vœux de fin d’année du Président soient gâchés. Il y tient particulièrement. Je l’ai eu personnellement au téléphone. Il m’a demandé qui pouvaient bien être ces « dingues qui ne respectent même pas la trêve des confiseurs ». Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, mais je n’ai pas été foutu de lui répondre.
– Vous pouvez toujours lui dire que ce n’est pas le Mossad.
– Ah ! ce n’est donc pas le Mossad, dit pensivement le directeur. En un sens, mon cher Cavalier, je crois que ça aurait été préférable. On aurait pu s’entendre… Mais alors, qui est-ce ? Non. Ne me le dites pas. Comme ça je ne serai pas tenté de le répéter « là-haut »… Allez-y, mon vieux, foncez !



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mercredi 24 juin 2009

Chapitre 24 (suite et fin)





Pierre Cavalier se dit que l’on était loin du Mossad. Qu’il s’agissait réellement de fous furieux. Mais il ne comprenait pas le pourquoi de l’élimination du « Comité révolutionnaire contre l’islamophobie » par ceux du « Groupe de la Foi ».
Seule la femme de Bangros pourrait peut-être lui fournir des éléments d’explication. Mais on n’en était plus au stade de la compréhension.
L’urgence était d’essayer de mettre la main sur Alain Berthon avant qu’il ne soit assassiné à son tour, et d’éliminer le « Groupe de la Foi ».
Pierre Cavalier retourna à son bureau.
Il croisa dans le couloir qui y menait la secrétaire du directeur qui l’attendait de pied ferme.
– Ah ! vous voilà enfin ! lui lança-t-elle sur un ton aigre.
– Pas le temps, excusez-moi, répondit Cavalier en la contournant.
– Mais M. le directeur vous attend !
Pierre Cavalier referma la porte de son bureau au nez de la secrétaire et s’y enferma.
Il était dix-huit heures cinq.
Il appela aussitôt sa femme sur son portable.
Elle était toujours sur les lieux du massacre.
Au timbre de sa voix, il comprit que le spectacle qui s’était offert à elle dans le pavillon n’était pas des plus réjouissants.
– Tu n’as pas trop l’air dans ton assiette, dit-il.
Sa réflexion irrita sa femme et les assiettes du réfrigérateur lui sautèrent à nouveau au visage. Surtout leur contenu.
– Je ne risque pas de finir dans une assiette, mais toi, si ! rétorqua-t-elle. Qu’est-ce que ça peut être con un mec, parfois…
– Cool, ma chérie. Je me doute bien que ce ne doit pas être terrible…
– Surtout pour une femme ? C’est ce que tu allais dire ou pensais, non ?
Pierre Cavalier préféra se taire car elle avait, comme si souvent, pénétré sa pensée.
– Je te rappelle que je suis flic à la Criminelle et que j’en vois un peu plus que toi et tes potes de la police politique en train de remplir des petites fiches à longueur de journée !
– Je t’appelle juste pour Berthon, la coupa-t-il. Tu as des nouvelles ?
– Aucune, répondit-elle sur le même ton acerbe.
– Son immeuble est toujours sous surveillance ?
– Qu’est-ce que tu crois !
– Excuse-moi.
– De toute façon, d’après le lieutenant sur place en planque, je n’ai pas l’impression que nous soyons les seuls à nous intéresser à son sort. Ça rôdaille, si tu vois ce que je veux dire. Et ça ressemble pas à des islamistes.
– S’il n’a pas encore réapparu sous forme de cadavre, c’est qu’il doit être toujours vivant.
– Bravo, mon cher Watson ! Tu tiens vraiment la forme, toi, aujourd’hui… Tu en as encore d’autres comme ça en réserve pour avancer dans le brouillard où on se trouve ?
– Arrête, Isa ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je pense qu’il a eu peur et qu’il s’est planqué.
– Ben retrouve-le. Ça t’occupera sainement. Ciao, moi j’ai du boulot !
Isabelle Cavalier avait mis fin à la communication sèchement.
Son mari soupira et pensa, avec un lâche soulagement, qu’avec un peu de chance il serait retenu assez tardivement par cette affaire. Il n’aurait pas à affronter une soirée familiale difficile.


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mardi 23 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





Pierre Cavalier renonça à tout tenter pour bloquer l’information du massacre du pavillon des Lilas.
Par son modus operandi, il ne pouvait être relié aux deux autres meurtres de Noël.
Personne n’avait été égorgé dans le pavillon.
Il serait aisé à l’Intérieur de dissocier ces meurtres des précédents.
Ils n’étaient reliés entre eux que pour les initiés. Personne d’autre ne savait, pour l’instant, que les victimes se connaissaient et appartenaient à un même groupuscule. À part leurs meurtriers.
Pour l’instant…
Mais cinq meurtres pour le réveillon et le jour de Noël, et tous concentrés sur Paris et sa proche banlieue, ça allait malgré tout faire désordre dans la crèche de la Nativité.
Son téléphone sonna à ce moment-là, mais Pierre Cavalier s’abstint de décrocher.
Ce devait être le directeur ou le ministre qui venaient d’apprendre le massacre de la famille Collin.
Il préféra s’éclipser discrètement des locaux de la Direction centrale des Renseignements généraux et aller chercher lui-même la clé de l’énigme.
Il se dirigea à pied vers le boulevard Malesherbes et rentra dans la première cabine venue après s’être éloigné d’une bonne centaine de mètres de la rue des Saussaies.
– Allô ?
Il reconnut immédiatement la voix de son informateur.
Janine Bangros l’avait également reconnu.
– Je suis seule, répondit-elle d’une voix angoissée. Il est sorti en début d’après-midi.
– Ce sont eux, n’est-ce pas ?
– Je crois, dit-elle d’une voix hésitante. Enfin, je veux dire que c’était dans leurs projets.
– Bien, je vous remercie. Je voulais être sûr.
– Vous m’avez promis, n’est-ce pas ?
– Oui, je ferai tout mon possible, mentit-il.
Il savait qu’il ne pourrait rien faire pour Roger Bangros. Il avait été trop loin dans le crime et l’horreur.
C’est le mardi 16 septembre que la femme de Roger Bangros s’était présentée spontanément rue des Saussaies.
L’informateur « spontané », comme la plupart, contrairement aux idées reçues.
C’était une jeune femme de trente-cinq ans, son mari en avait trente-huit, qui avait épousé Roger Bangros six ans auparavant. Deux ans avant sa conversion à l’islam, qu’elle avait prise pour une tocade. Elle, la politique, ça ne l’intéressait pas, mais, peu à peu, elle s’était rendu compte que son mari changeait. Ses nouveaux amis avaient une mauvaise influence sur lui. Alors elle voulait le protéger. En dénonçant ses « mauvais amis ».
Elle parla d’un certain Mohammed Bouchad, trente-quatre ans, informaticien, et d’un Mourad Boulaoua, vingt-sept ans, commercial, qui venaient souvent à la maison. Ainsi que de Gérard Collin.
Ils ne parlaient que de soutien à la cause palestinienne et de lutte contre le sionisme. Mais, après le 11 septembre 2001, ils étaient tous devenus comme enragés. Ne rêvant que de suivre les traces de leur héros Ben Laden. D’éliminer les Juifs de France et les incroyants. C’est à ce moment-là qu’ils avaient créé le « Groupe de la Foi » et commencé à parler de guerre sainte, de devoir sacré de tout musulman, etc. Même son mari disait maintenant « nous les Arabes », alors qu’il était de Dunkerque. Et puis il était devenu leur chef, leur « émir », comme disaient Mohammed et Mourad, et se faisait appeler « Oussama ».
Elle demandait seulement, en échange de ses informations, que son mari soit protégé au cas où ses amis le conduiraient à commettre des « bêtises ».
Pierre Cavalier lui avait alors demandé de l’informer régulièrement. C’est ainsi qu’il avait su que Gérard Collin et Roger Bangros avaient eu un différend, qu’ils s’étaient « fâchés », avait dit Janine Bangros.
Roger Bangros et ses acolytes avaient été mis « sous surveillance ». Une surveillance de routine qui ne donnait rien. Comme tant d’autres. Alors, puisque rien ne « bougeait », elle devint de plus en plus distante.
On avait juste repéré des lieux de réunion. Quelques planques. Dont une dans Montreuil. Une ancienne boutique à la devanture murée dans un petit immeuble de trois étages désaffecté et voué à la démolition. Elle avait attiré leur attention car Roger Bangros s’y rendait seul.



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lundi 22 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 23

Chapitre 23





Pierre Cavalier passa le début d’après-midi de ce 26 décembre à relire pour l’énième fois les fiches de Jean Partot, Dimitri Bertov, Gérard Collin, Alain Berthon et celle, établie post mortem, de Jérôme Cassard.
Dans l’ordre, ils avaient trente-deux, quarante-deux, cinquante-cinq, quarante-neuf et quarante-trois ans.
Célibataire, divorcé, marié deux enfants, marié sans enfants et séparé avec deux jeunes enfants.
Postier féru d’informatique, bouquiniste, imprimeur de ville, chercheur au CNRS et prof de lycée.
Tiens ! prof de quoi, Cassard ? Personne ne l’a noté, s’étonna le commandant Cavalier.
Il appela un de ses adjoints qui avait établi la fiche à la hâte.
Celui-ci n’avait pas trouvé utile d’être plus précis – mauvais point pour lui, se dit Cavalier, la précision étant une des manies de la boutique. Par chance, il se souvenait de la matière qu’enseignait Cassard. La chimie.
Le commandant Cavalier engueula l’adjoint.
– Vous êtes con ou quoi ! Un chimiste dans un groupe d’extrémistes, à vous, ça ne vous dit rien ?
Le lieutenant fila sans demander son reste.
Pierre Cavalier reprit sa réflexion.
Un bricolo en informatique, un bouquiniste qui écoule la propagande, un imprimeur qui imprime, un chercheur qui pense et un chimiste…
Un prof de chimie, ça sait comment bricoler un explosif. Mais il ne parvenait pas à les imaginer comme constituant un groupe potentiellement terroriste.
Le parcours de chacun d’eux – excepté Cassard – était précis.
Deux étaient anarchisants – Partot et Collin –, deux marxisants – Bertov et Berthon.
Et deux avaient navigué dans les eaux perturbées de la mouvance d’Action directe, Collin et Berthon. Berthon avait également séjourné deux étés en Palestine.
Quand même bizarre que l’on n’ait rien sur Cassard, songeait le commandant Cavalier. Il vient de quelque part à droite ou à gauche. Et si l’on n’a rien sur lui, c’est peut-être parce qu’il est protégé. Qu’il sert d’indic à un service. Et si ce n’est pas chez nous, c’est peut-être en face.
« En face », c’était la DST.
Inutile de le leur demander officiellement, se dit Cavalier.
Il appela un de ses contacts de la rue Nélaton, le siège de la DST.
– J’ai besoin d’un certain Jérôme Cassard, né le 16 août 1960 à Carrières-sous-Poissy, dit-il laconiquement à son interlocuteur.
L’autre le rappela vingt minutes plus tard.
– C’est en boutique mais accès impossible.
S’il n’avait pu en apprendre plus sur le passé politique de Cassard, il avait au moins confirmation qu’il était un indic de la DST.
Ce qui n’arrangeait en rien son affaire car la boutique d’en face allait se mettre en mouvement et enquêter de son côté. Interférant avec sa propre enquête au risque de brouiller les pistes et de foutre le bordel.
Le commandant Pierre Cavalier n’avait pas le choix.
Quitte à le griller, il lui fallait prendre contact au plus vite avec son informateur auprès du « Groupe de la Foi » de Roger Bangros.
Il consulta sa montre. Il était déjà seize heures.
Avant de lui téléphoner, il composa le numéro de sa femme pour savoir si elle avait du nouveau à propos d’Alain Berthon.
– Toujours introuvable ainsi que sa femme. Mais il y a pire ! dit-elle d’une voix blanche. Un massacre chez les Collin. Nous avons été prévenus par les flics des Lilas il y a une demi-heure.
Un voisin qui promenait son chien s’était étonné que le lampadaire du jardinet des Collin ainsi que la lanterne au-dessus du perron soient restés allumés en plein jour.
Il avait sonné à leur porte et son chien s’était mis à aboyer « bizarrement ».
– Ce sont ses propres termes, précisa Isabelle Cavalier.
Il a alors constaté que la porte n’était pas fermée à clé et il est entré.
– Il en est resté tétanisé, le petit vieux. Il n’a pas pu dépasser le salon. Il a mis un bon quart d’heure avant de recouvrer ses esprits et d’être capables d’appeler la police. Et je me demande si les flics qui sont intervenus ne vont pas avoir besoin d’une cellule de soutien psychologique !
Pierre Cavalier avait hâte d’en savoir plus mais il préféra ne pas brusquer sa femme. Quand elle maniait l’humour noir, c’était généralement le signe qu’elle était sous le coup d’une vive émotion.
– Dans le salon, ils ont découvert la mère Collin massacrée – viol et éventration. Ensuite, dans la cuisine, le corps du père au pied du réfrigérateur – foudroyé par une crise cardiaque, semble-t-il. Faut dire qu’à l’intérieur du frigo, dont la porte était restée entrouverte, il y avait deux paires d’attributs…
– Des attributs ? la coupa Pierre Cavalier qui ne saisit pas immédiatement.
– Ben oui, des attributs ! Le truc vachement important qui pendouille sous le ventre des mecs, tu vois ? Bon, il paraît que c’était pas ragoûtant. T’imagine la suite, non ?
– Raconte toujours, s’impatienta Pierre Cavalier.
– Ben, ils se sont mis à chercher à qui ça manquait. Et ils ont trouvé les anciens propriétaires dans le sous-sol. Les fils Collin. Étranglés et émasculés. Il y en a même un qui a eu droit à une décharge de fusil de chasse en prime…
Pierre Cavalier en restait abasourdi.
– Bon, je te laisse, faut que j’aille sur place, conclut Isabelle.
– Attends ! J’espère que tu leur as demandé de ne pas faire de commentaire à la presse. Il faut absolument que nous contrôlions cette information…
– Tu parles ! Le voisin d’en face s’est mis à filmer avec son caméscope dès l’arrivée des flics…
– Mais, il faut le lui confisquer !
– Ah oui ! Vous êtes marrants dans ta police politique. Le mec il est journaliste à FR 3 et il a déjà balancé l’info à l’AFP… Ciao, mon chéri !


© Alain Pecunia, 2009.
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samedi 20 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 22

Chapitre 22





Le capitaine Isabelle Cavalier commençait de s’énerver.
Il était onze heures trente et Alain Berthon ne s’était toujours pas présenté.
Elle avait appelé plusieurs fois son numéro et, à chaque fois, était tombée sur le répondeur.
Elle s’apprêtait à téléphoner une nouvelle fois quand elle vit son mari débouler dans son bureau.
Il fallait que ce soit du sérieux pour qu’il ait pris la peine de venir de la rue des Saussaies.
Il avait sa tête des mauvais jours. Pas à prendre avec des pincettes.
Il jeta rageusement un dossier sur son bureau.
– Tu aurais peut-être pu m’en dire un peu plus ce matin pendant que nous rangions la vaisselle, non ?
– Monsieur vient jouer les machos dans mon bureau ! répliqua-t-elle d’un ton placide. Monsieur rentre sans frapper ! Mais monsieur n’appartient même pas au Quai des Orfèvres…
– Oh ! arrête, je t’en prie ! Je suis chargé de cette merde tout comme toi, dit-il en tapotant le dossier qu’il avait jeté sur le bureau. Alors tu pourrais peut-être m’en dire un peu plus sur ces nazillons ?
– D’abord, ce ne sont pas des nazillons. Il ne s’agit pas de l’extrême droite mais d’un groupe d’ultra-gauche.
– Pour moi, c’est du pareil au même. J’ai feuilleté leur littérature. Ils sont à la fois anticapitalistes, anti-impérialistes et antisionistes. Ça ne te rappelle rien dans l’histoire du XXe siècle ? Moi, si !
– Oh ! tu te calmes ! C’est mon enquête et j’ignorais qu’elle intéresserait ta boutique.
– Ils veulent du résultat et de la discrétion. Pour ma « boutique », comme tu dis, ce serait un coup du Mossad. Une manip ou un solde de tout compte. Mais ça me paraît tordu. J’en aurais eu des échos d’une façon ou d’une autre.
Isabelle Cavalier haussa les épaules.
– Derosier est dans tous ces états car il craint des fuites vers la presse. Il m’a encore sermonnée ce matin pour que je ne communique mes informations à aucun service extérieur. Pour lui, les fuites viennent toujours de la DST ou des RG.
– C’est un faux cul. C’est lui qui a fait parvenir ce matin un double du dossier aux RG. Il a dû faire pareil avec la DST. Mais qu’est-ce qu’il en pense de ces crimes ?
– Qu’il y a « des fous furieux en liberté ». Texto.
– Oui, et comme ça il ne se mouille pas. Mais tu as du nouveau, ce matin ?
– Non. J’attends un ami des victimes. Un membre de leur « Comité révolutionnaire contre l’islamophobie ». Ça doit être leur penseur. Il est chercheur au CNRS.
– Le fameux Alain Berthon ?
– Tu le connais ? demanda Isabelle, surprise.
– Non. Mais nous avons une fiche sur lui. D’ailleurs, à part Jérôme Cassard, nous avons une fiche sur chacun d’eux.
– Et vous avez quelque chose sur leur comité ?
– Non. Sa création doit être récente. Mais nous savons que Gérard Collin, l’imprimeur, a eu des contacts avec un certain Roger Bangros, dit Samir depuis sa conversion à l’islam.
– C’est qui, ce type ?
– L’émir du « Groupe de la Foi ». Des foldingues. Mais ils n’ont plus de contacts entre eux depuis début novembre. Ils auraient eu un différend. Mais je n’en sais pas plus.
– Et tu sais ça comment ? fit Isabelle en regrettant aussitôt sa question.
– Ça, ma chérie, c’est mon secret, dit-il en lui jetant un regard d’enfant malicieux.
« L’enfoiré ! pensa le capitaine Isabelle Cavalier. Qu’est-ce qu’il peut me faire craquer avec ce regard, et il le sait… »


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vendredi 19 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Le commandant Pierre Cavalier arriva ce matin-là en retard rue des Saussaies, le siège de la Direction centrale des Renseignements généraux.
Le directeur lui demanda ce qu’il faisait. Ça faisait plus d’une heure qu’il l’attendait pour l’entretenir d’un « gros souci ».
– Un problème, monsieur le directeur, s’excusa le commandant.
– Rien de grave, j’espère ?
– Non. Juste une broutille d’ordre familial. La petite avait de la fièvre.
Pierre Cavalier n’aimait pas user du mensonge outre mesure. Mais il ne se voyait pas avouer au directeur qu’Isabelle avait exigé qu’il l’aide à ranger la vaisselle de la veille et passât l’aspirateur avant de partir. Avec ce ton si particulier qu’elle usait parfois, lorsqu’elle était fortement contrariée ou sous le coup de mouvements hormonaux, pour faire comprendre qu’il n’y avait pas de dérobade possible.
– Tant mieux ! Mais vous devez déjà être au courant par votre femme, puisqu’elle est chargée de l’enquête, de ces deux horribles crimes de Noël et de la personnalité des victimes. Donc, je ne vous expliquerai pas…
Le commandant Cavalier eut quand même souhaité une plus ample information de la part du directeur.
Les deux crimes, Isa lui en avait parlé. Mais pas du reste. Qui semblait aller avec.
Le commandant prit un air entendu.
Oui, bien sûr, il était au courant. Comment ne pouvait-il pas l’être ?
– Mais je tenais à vous dire qu’en « haut lieu », on souhaiterait que cette affaire soit traitée discrètement, si vous voyez ce que je veux dire… Ça relève donc de votre compétence et c’est tout à fait dans les cordes du « Service ». Ils ont été très précis, « de la discrétion et du doigté ». Vous ne le savez pas encore, mais nos analystes sont formels, ça sent le Mossad…
Le commandant Cavalier s’étonna.
– Mais que viendraient faire les services israéliens dans cette affaire ?
– Mais voyons, mon cher Cavalier, la personnalité des victimes. Leur appartenance à l’ultra-gauche négationniste… Vous n’avez pas tiré la même conclusion que les analystes ? Pourtant, ça semble évident au vu des éléments que votre épouse a réunis hier soir…
Pierre Cavalier se surprit à maudire sa chère et tendre épouse.
– En tout cas, poursuivait le directeur, je n’ai pas à dire ce que le « Service » a à faire, puisque vous en êtes le nouveau patron
*, mais je crois pouvoir vous dire qu’on attend beaucoup de vous en « haut-lieu »…, conclut le directeur en levant les yeux au plafond.
Pierre Cavalier se retint de sourire de la mimique du directeur et fut soulagé que ce dernier lui remette un double du dossier à la fin de l’entretien.
Il allait peut-être pouvoir sortir du brouillard dans lequel il nageait et comprendre de quoi il retournait.

* Voir Corses toujours.



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jeudi 18 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 20

Chapitre 20





Isabelle Cavalier n’était rentrée chez elle qu’à deux heures et demie après avoir fait le point sur les meurtres avec le commissaire principal Derosier.
La vaisselle du repas de Noël avait été faite mais restait empilée sur la table et le plan de travail de la cuisine. En attente de rangement. Les bouteilles vides, elles, étaient sagement alignées sur le côté du réfrigérateur, mais personne n’avait songé à les descendre à la poubelle.
Une odeur de cigare froid persistait dans l’appartement. Signe incontestable que Gilbert Lenoir et son mari avaient profité de son absence pour se livrer à ce qu’elle appelait leur « vice ». Et ils avaient dû en fumer plus d’un au vu de l’odeur de sent-bon à la lavande qu’ils avaient généreusement vaporisé et qui se mêlait de façon infecte à celle du cigare.
Isabelle maugréa et n’eut aucune mauvaise conscience de réveiller son mari lorsqu’elle se coucha en le repoussant de son côté d’un coup de coude.
Elle s’endormit en pensant à son entretien avec Derosier.
Les consignes étaient claires.
Rien ne devait filtrer sur la personnalité des victimes qui permît à la presse de se lancer dans des « élucubrations ».
Des meurtres isolés concernant des individus sans histoire.
Point barre.
Une malheureuse coïncidence dans le modus operandi.
Mais pas plus inquiétant que cette curieuse manie des jeunes de certains quartiers, qui tournait en rituel anodin lors de festivités, de brûler des véhicules par dizaines.
– D’ailleurs, avait ajouté Derosier, il faut leur reconnaître leur prudence et leur délicatesse à ces jeunes. Ils n’ont encore jamais brûlé leurs propriétaires avec.
Isabelle Cavalier ne supportait pas l’humour du commissaire principal Derosier.


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mercredi 17 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 19

Chapitre 19





Dans son studio de la place de Stalingrad, Mourad se remémorait les événements de cette soirée qu’il trouvait digne des glorieux faits d’armes des frères du GIA en Algérie.
Le frère chargé de surveiller les allées et venues au bas de l’immeuble de Saint-Ouen après la découverte du corps de Jérôme Cassard l’avait appelé dès qu’il avait vu arriver Gérard Collin. Vers vingt heures trente.
Le même frère qui avait passé un coup de fil anonyme à la police pour les prévenir peu après dix-neuf heures qu’un crime venait d’être commis. Et qu’il venait de commettre.
Mourad s’était tourné vers Samir-Oussama.
– Tu avais raison, Oussama, il est là-bas, avait-il jubilé.
Mourad était empli d’admiration pour son émir.
Il avait prévu que Gérard Collin serait entendu par les keufs et qu’ils auraient la voie libre.
Mourad était ensuite parti aussitôt pour le pavillon des Lilas en passant par Montreuil pour prendre deux frères dont c’était la première mission un peu spéciale.
À vingt-deux heures, il avait garé leur véhicule à une cinquantaine de mètres du pavillon des Collin.
Mourad voulait agir au plus vite.
Il envoya un des deux jeunes frères en reconnaissance.
Celui-ci revint un quart d’heure plus tard.
Tout semblait calme mais il n’avait pas pu apercevoir combien de personnes se trouvaient dans le pavillon étant donné que tous les volets étaient clos.
Mourad était contrarié. Il pensa composer le numéro du pavillon et se faire passer pour un ami des deux frères Collin. C’était la meilleure façon de savoir s’ils étaient là.
Mais la chance vint au-devant de lui.
Deux jeunes hommes remontaient la rue et pénétrèrent dans le pavillon des Collin.
– On y va ! dit-il.
Mourad et ses deux acolytes se séparèrent momentanément.
Mourad se présenta seul et c’est Josy qui vint lui ouvrir.
Elle connaissait bien Mourad. Il venait souvent à la maison avec Roger et Momo.
Elle était même soulagée de le voir là.
– Je suis contente que tu sois venu, Mourad ! Rentre.
– Je suis venu avec mes neveux, dit-il en indiquant les deux hommes qui se tenaient à mi-distance du perron et du portail.
– Mais qu’ils viennent, Mourad. C’est Noël !
Mourad appela les deux hommes en arabe.
Josy les fit entrer dans le salon où se trouvaient ses deux fils qui venaient juste d’arriver.
Un film sans son défilait sur l’écran du téléviseur. Un truc sur la guerre des Américains entre eux au XIXe siècle.
– Je regardais le film que mes fils m’ont offert en attendant leur retour, dit-elle en guise d’explication. Mais il y a plus important. Deux de nos amis viennent de mourir dans d’étranges circonstances…
Les mots se bloquèrent dans sa gorge.
Les deux accompagnateurs de Mourad avaient sorti de sous leur imperméable deux fusils à canon et crosse sciés et les pointaient sur ses fils.
– Je ne comprends pas, Mourad, dit Josy d’une voix blanche et les yeux grands ouverts de surprise.
Mourad eut un sourire triste.
– Excuse-nous, Josy, mais c’est pour la Cause.
Il se tourna vers ses deux hommes de main.
– Emmenez-les dans la chambre du bas, ordonna-t-il.
Josy esquissa un pas, mais Mourad lui barra le passage en brandissant un couteau de chasse.
– Tu restes tranquille, tu fais ce que je t’ordonne et ils resteront en vie ! Si tu te défends ou si tu cries, on vous tue tous !
Paniquée, Josy acquiesça.
– Allonge-toi ! lui ordonna-t-il en indiquant le tapis entre le téléviseur et le sofa.
Josy s’exécuta en lui lançant des regards inquiets.
Mourad poussa le son du téléviseur.
Il se mit à genoux à côté d’elle et arracha sa jupe.
Josy frissonna et le supplia du regard.
Mourad se plaça à genoux entre ses cuisses et coupa le slip avec le couteau.
Il s’allongea sur elle et la viola.
Josy pleurait.
Il se releva et lui intima l’ordre de ne pas bouger.
Il se dirigea vers la chambre sans se retourner et ordonna à ses hommes « d’y aller ».
L’un des deux hommes lui remit son fusil.
Quelques gémissements et des cris étouffés parvinrent jusque dans la chambre malgré le son du téléviseur.
Mourad contempla avec mépris les deux fils assis sur le bord du lit côte à côte et qui n’esquissaient pas le moindre mouvement.
Un quart d’heure plus tard, un des deux hommes revint.
– C’est terminé, dit-il en arabe.
Il avait une large griffure d’ongle sur la joue.
– Bien, dit Mourad en français. On descend à la cave ! dit-il en pointant son fusil sur les deux frères Collin. Ne craignez rien, on va juste vous attacher.
L’escalier descendant à la cave et au garage se trouvait à gauche de la chambre d’ami au fond du couloir. Les frères Collin ne pouvaient apercevoir le corps martyrisé de leur mère.
Les deux frères s’affolèrent quand l’un des hommes de main voulut les attacher ensemble.
L’aîné tenta de s’enfuir vers l’escalier.
Une décharge de 12 lui fracassa le dos.
Le cadet avait choisi la porte du garage.
Il s’acharnait sur la fermeture en pleurant.
Mourad marcha lentement jusqu’à sa hauteur et l’assomma d’un coup de crosse.
Puis il se dirigea vers celui qui avait tiré et le gifla violemment.
– Faites ce que vous avez à faire ! ordonna-t-il.
Les deux jeunes à peine sortis de l’adolescence semblaient hésiter.
– Si vous ne le faites pas, c’est moi qui vous le ferai, leur dit-il d’une voix posée.
Les deux jeunes se dirigèrent vers le cadet des Collin et l’étranglèrent avant de lui baisser le pantalon.
Ils pratiquèrent de même avec l’aîné.
Les hommes de main étaient livides et près de vomir.
Mourad monta chercher deux assiettes dans la cuisine.
– Mettez ça dessus, leur dit-il en leur tendant les assiettes quand il fut redescendu.
Il était vingt-trois heures quarante-cinq lorsqu’ils ressortirent avec mille précautions du pavillon. Après que Mourad eut pris le temps de rouvrir les volets du salon.
Samir-Oussama, Momo et lui-même avaient décidé la mort de Josy Collin et des deux fils à l’unanimité.
Josy savait trop de choses sur eux et les deux fils auraient pu les identifier aisément pour les avoir souvent vus se réunir chez eux avec leur père et ses amis du Comité.



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mardi 16 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Gérard Collin resta un long moment à genoux devant le corps de sa femme éventrée qu’il avait découvert allongé entre le sofa et le téléviseur.
Sa jupe avait était arrachée, son corsage déchiré et rabattu sur son visage.
Il y avait des meurtrissures sur ses cuisses et des salissures sur les poils de son sexe.
Gérard Collin vomit une seconde fois en tentant de se traîner à quatre pattes vers le sofa.
Pour prendre le plaid et recouvrir le ventre béant de viscères obscènes et dégueulasses de sa femme.
Il n’y parvint pas.
Il resta prostré et sanglotant contre le sofa.
Quand Gérard Collin émergea, il avait le regard halluciné.
Il eut envie de vomir à nouveau. À cause de l’odeur, cette fois. Une odeur indéfinissable de merde et de mort.
Le film était terminé depuis il ne savait combien de temps.
La pendule de la chambre du bas sonna les deux coups de deux heures.
Gérard Collin pensa aux « petits » et se traîna en titubant vers l’escalier.
Leurs chambres étaient à l’étage.
Il gravit péniblement les marches de l’escalier de chêne.
Une douleur lui enserrait la poitrine comme un étau diabolique quand il parvint à la chambre de l’aîné des « Collinots ».
Rien.
Il poussa la porte de la chambre en vis-à-vis dans le couloir. Celle du cadet.
Rien.
Il explora la salle de bains, les WC, la grande pièce qui lui servait de bureau-bibliothèque et les divers rangements.
Toujours rien.
Il redescendit l’escalier en se tenant à la rampe.
Il sentait ses jambes fléchir sous son poids.
Gérard Collin évita le salon et se dirigea vers les autres pièces du rez-de-chaussée.
– Mes petits, où êtes-vous ? miaulait-il. Pourvu que vous ne soyez pas rentrés, mes enfants…
Cuisine. Rien.
Chambre d’ami. Rien.
Salle de bains et WC du bas. Rien.
Petite salon du bas. Rien.
Gérard Collin se mit à reprendre espoir.
L’étau sur sa poitrine relâcha son étreinte.
Il retourna dans la cuisine et se servit un grand verre d’eau fraîche au robinet.
Il prit l’essuie-mains et l’humecta pour le passer sur son visage. Ce qui lui provoqua une passagère sensation de bien-être.
Le reste ne suivait pas. Gérard Collin se sentait la tête cotonneuse et ne se raccrochait qu’à l’espérance de savoir ses « petits Collinots » en vie. Il était une boule d’instinct de vie meurtrie.
Il avait besoin d’un remontant.
Il prit dans un placard une bouteille de scotch et s’en servit une bonne rasade.
Il en but une gorgée et fit la grimace.
C’était trop chaud. Il avait besoin de fraîcheur.
Gérard Collin ouvrit machinalement le réfrigérateur pour se servir de glaçons dans la réserve.
Ses yeux s’exorbitèrent et sa bouche s’entrebâilla de terreur.
Deux appareils génitaux dégouttant de sang reposaient côte à côte, chacun dans son assiette, sur la clayette du haut.
– Nooooon…, hurla-t-il en portant la main à la poitrine avant de s’effondrer au pied du réfrigérateur.



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lundi 15 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





Gérard Collin sortit du bureau du capitaine Cavalier aux environs de minuit et quart.
Le lieutenant envoyé au domicile des Berthon avait téléphoné vers vingt-trois heures cinquante.
Le couple Berthon était chez lui et tout allait bien.
Alain Berthon refusait toute protection pour la nuit.
Isabelle Cavalier demanda au lieutenant de convoquer M. Berthon au Quai des Orfèvre pour la fin de matinée.
Elle n’avait plus rien à tirer de l’imprimeur et elle lui proposa de le faire raccompagner chez lui.
Collin avait accepté. Il passerait chercher sa voiture à Saint-Ouen dans la journée.
Dans la voiture banalisée qui le ramenait chez lui après une nuit blanche et une journée qui s’était terminée en épouvante, il tenta d’appeler chez lui pour rassurer sa femme et demander des nouvelles des « petits ». Mais la ligne du poste fixe était occupée et il était tombé sur le répondeur quand il essaya de joindre Josy sur son portable.
Gérard Collin avait hâte de se retrouver à l’abri du cocon familial et de pouvoir se barricader dans son pavillon en attendant de joindre Alain.
Il fut rassuré quand il arriva devant chez lui.
Tous les volets étaient fermés, excepté ceux du salon qui donnait sur le devant. Mais il était éclairé et l’on voyait les reflets du téléviseur qui fonctionnait.
Josy avait laissé allumés le lampadaire du jardinet et la lanterne au-dessus de la porte d’entrée.
– Je vous accompagne, dit le policier qui était sorti de la voiture en même temps que lui.
– Non, non. Ce n’est pas la peine. Tout va bien, protesta Gérard Collin.
Le policier haussa les épaules.
– Comme vous voudrez. Mais j’attends que vous soyez rentré dans votre pavillon avant de repartir.
Gérard Collin poussa le portail qui était resté entrouvert et se propulsa le ventre en avant à travers le jardinet.
Arrivé en haut des trois marches du perron, il appuya sur la sonnette et tourna aussitôt la poignée de la porte qui n’était pas fermée à clé.
Le son du téléviseur le rassura définitivement.
Josy était en train de regarder Autant en emporte le vent. Il en reconnaissait la musique.
Ils s’étaient acheté un lecteur de DVD pour leur Noël et les « petits » avaient offert à leur mère son film culte.
Gérard Collin entrouvrit la porte et se retourna vers le policier en lui faisant un signe de la main.
Tout allait bien.
Il referma la porte derrière lui et s’avança en souriant vers le salon.
Josy allait être surprise !
Il sentit comme une drôle d’odeur.
Le policier avait redémarré. Le hurlement terrifié de Gérard Collin ne pouvait pas lui parvenir.


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samedi 13 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 16 (suite et fin)

Chapitre 16 (suite et fin)





Il était vingt-trois heures passé.
– Avez-vous une idée de l’identité de la personne qui a pris cette photo, qui semble relativement récente ? Je crains qu’elle ne soit également en danger.
Le capitaine essayait de saisir le regard de Gérard Collin qui se dérobait en se dandinant sur sa chaise inconfortable.
– Serait-ce vous ou une autre personne ?
Gérard Collin persistait dans son silence en semblant hésiter.
– De toute façon, M. Alain Berthon s’en souviendra peut-être…
– C’est moi qui l’ai prise au printemps dernier, dit-il à contrecœur.
– Je vous remercie, monsieur Collin… Quelle est la profession de M. Berthon ?
– Il est sociologue. Chercheur au CNRS.
Isabelle Cavalier fit une moue admirative.
– Votre ami Jean Partot était postier et Dimitri Bertov était libraire…
– Bouquiniste, précisa Gérard Collin spontanément.
– C’est un peu pareil, non ?
Elle comprenait mieux la raison de tous ces empilements de livres chez la victime.
– Et quelle est votre profession, monsieur Collin ?
– Imprimeur.
– Vous imprimez quoi ?
– Oh ! c’est une petite imprimerie de ville. Cartes de visite, faire-part, photocopies, thèses ou scénarios…
– Qui vous permet également d’imprimer des brochures de ce genre, n’est-ce pas ? Et je ne parle pas de ces tracts…, dit Cavalier avec une moue de dégoût qui n’échappa pas à Gérard Collin.
– Nous sommes en démocratie, madame…, objecta-t-il en reprenant un semblant d’assurance.
– Capitaine, s’il vous plaît ! le coupa-t-elle sèchement. Et je sais que nous sommes en démocratie, et que la démocratie permet à chacun de s’exprimer librement, même à ses ennemis. Merci de me le rappeler opportunément. Mais là n’est pas mon propos, monsieur Collin. Je vous l’ai déjà dit. Je voulais seulement suggérer que cette littérature puisse vous attirer des ennemis. J’ai retrouvé les mêmes brochures et les mêmes tracts chez vos trois amis assassinés. J’imagine que M. Berthon et vous-même possédez les mêmes, non ?
Le capitaine Cavalier n’attendait pas de réponse.
– Arrêtez-moi si je me trompe, monsieur Collin. Il me semble que vous êtes un groupe d’amis et que vous partagez les mêmes idées – celles qui sont exprimées là-dedans, dit-elle en tapotant les brochures qu’elle avait réunies en une pile. Et vous les propagez…
– C’est notre droit !
– Bien sûr, la démocratie, etc., mais j’ai la nette impression que ça ne doit pas plaire à tout le monde puisque vous disparaissez les uns après les autres. À mon avis, vous vous êtes fait des ennemis…
Le capitaine Cavalier croisa ses mains sur le bureau. Gérard Collin s’efforçait de rester impassible.
– Mais assassine-t-on pour cela, monsieur Collin ? En tout cas, j’en doute. Peut-être y a-t-il une autre raison. Qu’en pensez-vous ?
Gérard Collin haussa les épaules.
Évidemment, il était impossible que ces meurtres soient d’horribles coïncidences. Un ennemi non identifié leur en voulait au point de les éliminer un par un.
Il était partagé entre le désir de confier ses craintes à ce policier et la hâte de sortir au plus tôt pour contacter Roger Bangros et se mettre sous sa protection.
Sûr ! C’était un coup des sionistes extrémistes français. Des services israéliens, même.
Qui d’autre pouvait avoir intérêt à éliminer les membres directeurs du Comité révolutionnaire contre l’islamophobie ?
Et, en plus, ces enfoirés, en les égorgeant, faisaient porter les soupçons sur les islamistes !
C’était la preuve que sa propagande était bien plus dangereuse que les projets terroristes de Roger « Samir-Oussama ». Les Juifs avaient choisi de s’attaquer au Comité et non pas au groupe de Roger !
Soudain, un doute s’insinua.
Et si un service antiterroriste français cherchait à les éliminer ?
Mais ça ne tenait pas. Le gouvernement français ne souhaitait pas jeter de l’huile sur le feu. Tout au contraire.
À ce point de ses réflexions, Gérard Collin estima qu’il serait préférable qu’il s’entretienne avec Alain avant de prendre contact avec Roger.
Alain l’avait toujours aidé à voir clair. D’ailleurs, il devait l’admettre, c’était toujours Alain qui avait les meilleures idées. Lui était le stratège, mais c’était Alain le penseur. Il n’y avait qu’à voir la qualité de ses brochures, dont il lui abandonnait la paternité pour ne pas se faire repérer au CNRS comme négationniste.
Alain, c’était le véritable ami. Trente ans de complicité.
Oui. Faire d’abord le point avec Alain et voir Roger ensuite.
Cette fliquette arrogante pouvait toujours courir après ses réponses ! Il fermerait sa gueule et Alain en ferait autant.
Ils étaient des révolutionnaires en guerre contre le sionisme et l’impérialisme.



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vendredi 12 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 16

Chapitre 16





Isabelle Cavalier avait fait raccompagner l’ex-femme de Cassard chez elle.
Elle n’était pas en état de témoigner et s’inquiétait d’avoir laissé ses deux enfants seuls.
Le capitaine Cavalier demanda à un agent d’introduire M. Collin dans son bureau.
Elle avait hâte de l’entendre en tant qu’ami de la victime.
Quand elle lui avait demandé de les accompagner jusqu’au quai des Orfèvres, il avait commencé par protester.
– Mais je n’ai rien à voir avec tout ça !
Lorsqu’elle était arrivée sur les lieux peu après vingt et une heures, elle l’avait trouvé décomposé et balbutiant. À présent il se montrait véhément. Mais c’était un homme qui avait peur.
– Il faut que je rentre chez moi ! Ma femme va s’inquiéter.
Isabelle Cavalier lui avait permis d’appeler son domicile.
Elle l’entendit dire que Jérôme était mort et qu’on lui demandait de témoigner. Peut-être ne disait-il pas qu’il avait été sauvagement égorgé pour ne pas l’inquiéter inutilement.
Il demanda également des nouvelles des petits. Étaient-ils rentrés ? Non. Cela sembla l’inquiéter.
– Vous avez de jeunes enfants ? lui avait-elle demandé après qu’il eut mis fin à la communication.
Une façon comme une autre d’entamer le dialogue et de le mettre en confiance.
– Oui et non, avait-il répondu.
Isabelle Cavalier s’était étonnée de la réponse. Elle traduisit que ce devaient être de jeunes ados frôlant l’âge d’homme.
Au domicile de Cassard, elle avait trouvé les mêmes brochures et tracts que chez les deux autres victimes.
Elle les avait étalés en éventail sur son bureau avec un exemplaire de chaque tract et avait posé dessus la photo trouvée dans l’appartement de Bertov.
Elle la prit en main tandis qu’elle faisait un signe de tête à Collin pour l’inviter à s’asseoir.
Isabelle Cavalier barra mentalement Jérôme Cassard. Il ne restait que le deuxième en partant de la droite. Le petit brun aux yeux rieurs qui lui faisait penser à Laurel.
Elle avait justement son alter ego, Hardy, devant elle.
« Nilloc », anagramme de Collin, se dit-elle tout en lui souriant malgré elle car l’individu lui avait été immédiatement antipathique.
Il lui rappelait trop son propre père.
Il émanait de lui quelque chose de malsain.
– Monsieur Collin…, commença-t-elle tout en continuant de sourire, cette fois sciemment, …ou monsieur Nilloc, n’est-ce pas ?
Gérard Collin se dandina sur son siège. Il eut un rictus d’acquiescement mais se tut.
– Belle littérature, enchaîna le capitaine Cavalier. Mais, rassurez-vous, ce n’est pas là mon propos.
Elle lui tendit la photo.
– Prenez-la, insista-t-elle devant sa réticence à la prendre, et dites-moi qui est la deuxième personne en partant de la droite.
Il haussa les épaules sans répondre.
Isabelle Cavalier soupira. La journée avait été foutue à cause de sa belle-mère et elle n’était pas d’humeur à perdre son temps à jouer au chat et à la souris.
– Monsieur Collin, j’ai de bonnes raisons pour penser que cette personne est en danger de mort puisque les trois autres qui figurent à ses côtés ont été assassinées. La première le 11 novembre, la deuxième le soir du réveillon et la troisième tout à l’heure. On peut même en déduire qu’il y a une sorte d’accélération dans la cadence des meurtres, vous ne croyez pas ? Et vous-même êtes peut-être sur la liste…
Gérard Collin lui rendit la photo en soupirant.
– Vous vous décidez à me donner son nom ou vous préférezqu’on la retrouve morte ?
Elle vit son double menton tressaillir.
Ce type lui donnait le sentiment de se trouver devant une motte de saindoux.
– C’est Alain Berthon, balbutia-t-il à contrecœur. Un ami…
– Où habite-t-il ?
– Rue Blanche.
Le capitaine Cavalier griffonna l’adresse et appela un de ses collègues.
– Allez au plus vite chez Alain Berthon à cette adresse, une équipe, et faites vite ! ordonna-t-elle en se reprochant d’avoir traîné à interroger Collin.

jeudi 11 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Francine ignorait les causes de la mort.
Ils arrivèrent sur place peu après vingt-heures trente et ils furent vite fixés.
Pas besoin de laïus.
Large entaille d’une oreille à l’autre.
Du spectaculaire, car Jérôme Cassard avait un petit coup replet et avait dû le tasser instinctivement.
Ce qui ne lui avait servi à rien, mais ça lui avait quand même pris un bon bout de menton, entre autres. L’assassin ayant dû s’y reprendre à plusieurs reprises.
Un lifting sauvage, quoi ! sans reprise possible.
Gérard Collin crut se trouver mal.
Il tituba et se raccrocha à une fliquette compréhensive qui l’aida à s’asseoir sur les marches de l’escalier.
Tandis que Francine virait folle hystéro dans un ululement strident de terreur.
Gérard Collin en frissonna de trouille.
Pas tant à cause du trémolo strident de Francine que de ce qu’il venait de réaliser.
Il savait à présent comment Dimitri Bertov était mort la llveille.
La main droite de Gérard Collin se porta instinctivement sur son double menton.
Ils n’étaient plus que deux, lui et Alain.


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mercredi 10 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 14

Chapitre 14





Gérard Collin s’était assoupi sur le sofa après le départ des Berthon.
Vers dix-neuf heures trente, le bruit de l’aspirateur que sa femme venait de brancher dans le salon le fit sursauter.
Il s’étira, bâilla longuement tout en se grattant l’entrejambe et consulta sa montre.
– Déjà ! fit-il.
Gérard Collin se leva péniblement en maudissant ces saloperies de varices qu’il n’osait pas faire opérer. Il ne supportait pas la moindre piqûre. Alors ça, une « o-pé-ra-tion »…
Il alla pisser dans le lavabo rien que pour le plaisir. Un plaisir d’homme à jamais incompréhensible pour une femme.
Mais, avec ses deux garçons, Josy avait dû s’y faire même si elle trouvait ça « dégueulasse ».
« Et les règles ? » se dit Gérard Collin en remballant sa fierté.
Il revint dans le salon en tiraillant sa fermeture Éclair qui refusait obstinément de dépasser la mi-hauteur.
Il avait bien essayé les braguettes à boutons, mais c’était encore pire. Il n’arrivait jamais à fermer les deux derniers et Josy gueulait.
Elle n’était d’ailleurs pas la seule. Même la proviseure l’avait réprimandé à plusieurs reprises.
– Vous croyez que c’est une tenue descente pour un professeur de mon établissement ? avait-elle couiné.
Gérard Collin haussa les épaules et sourit pour lui-même.
Il l’avait quand même bien fait chier en prenant systématiquement la défense des « voilées » au nom de la tolérance.
Il revint dans le salon et regarda sa femme s’escrimer avec l’enrouleur de l’aspi.
– Je m’inquiète, dit-il, les petits ne sont pas rentrés.
Josy haussa les épaules. À vingt-six et vingt-neuf ans, les « petits », elle aurait bien aimé les voir décamper. Elle en avait ras-le-bol d’être la bonniche de ces trois loches.
Le téléphone sonna.
– Ah ! ça doit être eux ! dit Gérard en affichant un sourire béat de papa-poule.
– Ben décroche !
Le sourire de son mari se figea après qu’il eut dit « Allô ! ».
Quelque chose serait-il arrivé aux petits ? s’inquiéta Josy.
– Ah ! fit Gérard et elle le vit devenir blanc comme un linge.
Elle vint se planter devant lui et le questionna d’un regard empli d’anxiété.
– J’arrive, dit-il.
Il raccrocha le combiné et porta la main à sa poitrine.
Il avait du mal à respirer. Son asthme le reprenait.
Il sortit sa Ventoline de la poche gauche de son pantalon et l’aspira profondément.
Sa femme le secouait par le bras, morte d’angoisse.
– Alors ? s’impatientait-elle se sentant proche de défaillir.
Gérard Collin secoua la tête.
– C’est pas les petits, dit-il.
Sa femme poussa un immense soupir de soulagement.
– Qu’est-ce que j’ai eu peur !
Elle s’essuya machinalement les larmes qui auraient pu couler. Simple réflexe.
Josy avait à présent hâte que les petits « Collinots » regagnent leur nid.
– Mais c’était qui, alors ? finit-elle par demander quand un peu de couleur fut revenu sur les joues de son mari.
Gérard Collin inspira et expira longuement.
– L’ex de Jérôme. Francine.
– Elle a un problème ?
– Pas elle. Mais les flics de Saint-Ouen viennent de l’appeler. Jérôme a été retrouvé mort sur son palier.
– Oh !
– Il arrivait juste chez lui, semble-t-il, après avoir ramené les mômes chez Francine. Elle veut que je l’accompagne.
– Je vais venir avec toi, dit-elle avec empressement.
– Non. Occupe-toi des petits. Essaie de les joindre par téléphone. Moi, je passe la prendre en voiture.


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mardi 9 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 13

Chapitre 13





Agacée par sa belle-mère qui ne cessait de minauder avec Phil et énervée par les « euh-euh… » sonores de Patrice qui avait exigé de boire du vin alors qu’il ne buvait jamais d’alcool, Isabelle Cavalier se retira dans la cuisine pour échapper au brouhaha de fin de repas un peu trop arrosé à son goût.
Elle regarda pour l’énième fois de la journée la photo trouvée chez la dernière victime.
Lequel des quatre pouvait être ce fameux « Jérôme » ?
Elle se reprit. Des deux, puisque Bertov et Partot étaient décédés de mort violente.
Donc, « Jérôme » ne pouvait être que celui qui ressemblait à Laurel, le petit brun aux yeux rieurs, le troisième en partant de la gauche, ou celui à la calvitie prononcée, le premier à gauche.
Ou celui qui avait pris la photo, songea-t-elle.
Et qui était « Nilloc » ?
Sont-ils tous menacés ou le tueur est-il l’un d’eux ?
Et cette histoire de « Comité révolutionnaire contre l’islamophobie » ? Qu’est-ce que ça pouvait bien venir faire là-dedans ? Y avait-il un rapport ?
– Chérie, Gilbert souhaite tous nous prendre en photo. On n’attend plus que toi. Tu viens ?
Isabelle Cavalier ne parvint pas à sourire « au petit oiseau qui va sortir ».



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samedi 6 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12





À la même heure, à peu de chose près, dans son deux-pièces de la porte de Bagnolet, près de la place Édith-Piaf, Samir-Oussama achevait de déjeuner d’un copieux cassoulet en compagnie de ses lieutenants Mohammed et Mourad.
Sa femme était originaire du Sud-Ouest et son cassoulet était succulent. De toute façon, elle n’avait jamais réussi à se mettre au couscous et son Roger en mangeait suffisamment comme ça chez ses « frères ».
– Dites, les saucisses, c’était bien du mouton ? demanda Momo, suspicieux, mais il l’était toujours, après avoir saucé son assiette.
– Mais bien sûr, Momo ! le rassura-t-elle tout en pensant qu’ils étaient bien chichiteux avec leur porc puisqu’ils n’étaient pas capables de faire la différence entre du mouton et du porc avec sa façon de le cuisiner.
Comme si on pouvait mettre des saucisses de mouton ou d’agneau dans le cassoulet !
Une hérésie !
Janine Bangros débarrassa la table et apporta le thé à la menthe.
Elle laissa les hommes entre eux et retourna dans sa cuisine pour faire la vaisselle.
– Alors, qu’est-ce que vous en pensez de mon idée, maintenant qu’on a commencé à la mettre en œuvre ?
– Génial, Oussama ! déclara Mourad, enthousiaste. Tu œuvres pour la gloire d’Allah et de Mahomet qui est son prophète !
Samir-Oussama se rengorgea.
Mais le silence persistant de Mohammed le contrariait.
– Et toi, Momo, qu’en penses-tu ? finit-il par lui demander.
– Oussama, tu es notre émir dans ce glorieux combat, et tu sais combien je te respecte. Mais je pense que ça ne fait pas assez de bruit. Avec une bonne bombe ou une voiture piégée, on parle de nous. Là, non !
Samir-Oussama mit des formes dans sa réponse. Mohammed était influent parmi les frères. Et lui seul osait parfois contester ses décisions.
– Je te comprends, Momo. Mais, aux bombes, on finit par s’y habituer. Le malheur collectif ne terrorise pas nos adversaires tant que ça. Regarde l’exemple des Twin Towers et de nos frères kamikazes palestiniens…
Mohammed n’était pas convaincu. Il dodelina de la tête en affichant une moue sceptique.
– Tandis que là, poursuivit Samir-Oussama, avec cette méthode on distille une peur individuelle, qu’on ne peut exorciser d’aucune façon. Et des petites peurs individuelles feront de grandes terreurs qui engendreront à leur tour de grands ralliements.
– Mais on ne parle pas de nous, contesta à nouveau Mohammed. Alors ça ne peut pas faire peur à nos ennemis…
– Mais c’est normal, le coupa Samir-Oussama. On n’en a sacrifié que deux à la gloire d’Allah. Crois-moi, quand on en aura égorgé un certain nombre, ça fera du bruit ! Et ça fera peur !
Mourad vint le soutenir.
– Momo, notre émir Oussama a raison. Et c’est génial, j’insiste. Quand on tue des Juifs en France ou en Europe, on se fait mal voir. C’est pas politique. Mais, là, sacrifier des athées et des mécréants à la gloire d’Allah, qui pourra nous le reprocher ? Nous avons le Coran pour nous ! Et même la Bible ! C’est le juste combat des croyants contre la Bête et l’Antéchrist, notre Infidèle, celui qui est l’ennemi de toutes les religions du Livre, les suppôts de cette maudite laïcité qui nous empêche de vivre notre religion au grand jour…
– Alors, faisons un communiqué pour revendiquer notre action, insista Mohammed.
– Non, Momo, ne revenons pas sur ce point. Sans communiqué de revendication, ça fera encore plus peur. Et demain, ils seront obligés d’en parler…



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Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





À peu près à la même heure ce 25 décembre, aux Lilas, les couples Berthon et Collin, abrutis par leur nuit blanche et sonnés par la nouvelle de la mort violente de Dimitri Bertov, étaient affalés sur leurs sièges autour de la table du salon.
Ils terminaient les restes du repas de la veille auquel ils n’avaient guère touché. Sans échanger une parole.
Ce n’était pas nécessaire. Tout ce qui pouvait être dit avait été dit durant la nuit. Sans aboutir à quoi que ce soit puisqu’on ne savait pas « comment » Dimitri avait été tué.
Jérôme Cassard avait soutenu qu’on voulait les éliminer un à un.
– Encore un coup tordu des sionistes ! avait-il prétendu. Pour faire porter le chapeau aux Arabes et salir la cause palestinienne…
Alain s’était montré dubitatif, mais Gégé avait estimé que ce n’était pas si con que ça en avait l’air.
– Ils ont bien fait sauter les Twin Towers et poussé les Yankees à intervenir en Irak, alors !
Les deux femmes tentaient de se rassurer en soutenant qu’il s’agissait sûrement de coïncidences malheureuses.
– Si c’est les sionistes, avait poursuivi Cassard, il faut leur faire payer ça au centuple. Faut qu’on se paie une synagogue ou une de leurs écoles. Mais pour de vrai, pour leur donner une bonne leçon !
Jamais il n’avait tant était excité.
– Y’en a marre de les intimider. Faut en tuer !
Gégé avait soupiré et tranché.
– Arrête de déconner ! Tu sais que ce n’est pas politique. C’est ce qu’a fait Hitler et ça les a rendus intouchables. Et ils le seront tant qu’Israël existera, on le sait tous. C’est pourquoi le soutien à la cause palestinienne et le harcèlement d’Israël jusqu’à sa destruction est nécessaire. C’est même la condition sine qua non avant toute action sérieuse en Europe. Après, mais seulement après, on pourra se les faire. Avec les Arabes qui feront le boulot pour nous. Mais pas maintenant, c’est trop tôt. C’est aussi pourquoi Samir a tort de vouloir se lancer dans sa campagne terroriste en France. C’est un converti et il a l’impatience des néophytes. Il faut laisser le prolétariat des pays arabes en finir avec l’existence arrogante d’Israël.
– T’as peut-être raison, avait concédé mollement Jérôme.
– Souviens-toi de ce que disait Jean. Il faut en finir avec cette injustice de quatre millions de Juifs qui oppriment quatre cents millions d’Arabes et les empêchent de se développer.
– Mais qu’est-ce qu’on va faire en attendant ?
– Continuer à défendre le droit légitime au port du voile, continuer à soutenir les revendications des musulmans à des lieux ou des horaires distincts pour les activités physiques des hommes et des femmes, créer des jours fériés pour marquer les grands moments de la vie religieuse musulmane.
– Mais sur les cinq millions qui proviennent de pays de culture musulmane, il y en a à peine cinq cent mille qui pratiquent, avait objecté Alain.
– On s’en fout ! Le gouvernement et les médias parlent toujours de cinq millions et les cathos soutiennent les brèches que créent les islamistes dans la laïcité pour s’y engouffrer à leur tour. C’est l’ironie de l’histoire, les religions vont foutre en l’air cette société pourrie, tout comme le pape a foutu en l’air le communisme.
– J’ai quand même l’impression que la société française résiste à l’islamisme, objecta Alain à nouveau.
– Pour un temps, crois-moi. Il faut marteler notre équation magique : refuser sa place à l’islam en France, c’est être islamophobe, donc anti-arabe, donc raciste. Les derniers arrivés n’ont pas à se laisser dicter leur mode de vie par les plus anciens ni à subir des lois à l’élaboration desquelles ils n’ont pas participé. Nos ennemis baisseront les bras, crois-moi ! On va les bouffer !
– Ça c’est sûr, surenchérit Jérôme Cassard, et c’est les masses musulmanes qui vont faire notre révolution anti-impérialiste et anticapitaliste. On va revenir à la solidarité du communisme primitif qui protégeait l’homme et respectait la nature grâce à l’islam ! Ah ! vivement la fin du yankee-sionisme !
Sur ces bonnes paroles, qui en faisaient, sinon les héritiers de Bakounine te de Kropotkine, du moins les dignes émules d’autres « révolutionnaires », les nazis et les fascistes qui luttèrent contre le judéo-bolchevisme et l’impérialisme ploutocratique anglo-saxon avec le succès et les méthodes que l’on sait, Jérôme Cassard avait pris congé des deux couples.
Il devait se rendre au déjeuner traditionnel de Noël chez sa vieille mère et il craignait d’être en retard, car il devait d’abord passer chez son ex, avenue Simon-Bolivar, dans le XIXe, pour récupérer ses deux pré-ados.


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jeudi 4 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Isabelle Cavalier était crevée.
Couchée à deux heures du matin, Philippine était venue les réveiller à sept heures, tout excitée, pour leur dire que le « papa Noël » était venu déposer ses cadeaux au pied du sapin.
Mais il y eut vite des pleurs car le « papa Noël » n’avait rien prévu pour Titi, le chat.
– Méchant, papa Noël.
Pierre Cavalier eut droit à un regard courroucé de sa femme.
– Tu aurais pu y penser, non ? T’avais que ça à faire ! siffla-t-elle entre ses dents.
Pour Isabelle, le boulot était une chose, la famille une autre.
Pierre fit profil bas. Il savait qu’il n’aurait pas le dernier mot chez lui et que ses nouvelles responsabilités semi-clandestines ou officieuses*
à la tête du « Service » pesaient guère eu égard au chagrin de la petite et du cadeau de Noël du chat.
Il tenta de se rattraper en dressant la table mais dut demander de l’aide pour placer le septième couvert. Le regrettant immédiatement car sa femme le rejeta dans les cordes en lui rappelant que le septième couvert étant celui de sa mère à lui, ce n’était nullement son problème.
– Débrouille-toi. Sois grand garçon, pour une fois ! lui jeta-t-elle goguenarde.
Il lui dit que, quand même, elle était de mauvaise foi.
– Écoute, lui rétorqua-t-elle sèchement. J’ai deux meurtres merdiques sur les bras, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, ta mère s’est invitée au dernier moment et, en plus, je vais avoir mes règles – alors, tu te tiens à carreau. OK ?
Pierre Cavalier battit sagement en retraite dans le salon-salle à manger et, comme par miracle, il trouva immédiatement la solution pour son septième couvert.
Lorsque la sonnette retentit, Isabelle était au comble de l’énervement.
Pierre alla ouvrir au lieutenant Gilbert Lenoir des Stups et à sa fiancée.
Il était douze heures quarante-cinq.
Quelques minutes plus tard, ce furent Philippe Dumontar et Patrice Dutour, dit « Euh-Euh ». Les deux pièces rapportées de la famille, en quelque sorte.
« Phil » Dumontar, agrégé de lettres et prof en fin de carrière dans une institution privée prestigieuse, ex-serial killer – mais c’était son petit secret – et éminent spécialiste de Racine et Corneille, occasionnellement « auxiliaire » de police, était le père de substitution d’Isabelle et, par voie de conséquence, le « grand-père » adoré de Philippine
**.
Quant à Patrice Dutour, vingt-trois ans, dit « Euh-Euh » car c’était là son seul vocabulaire qu’il déclinait néanmoins savamment, ex-meurtrier par amour et sens de la justice immanente – mais c’était également son petit secret, partagé avec un connaisseur, Philippe Dumontar –, son statut « familial » oscillait entre celui de neveu pour le couple Cavalier et celui de tonton pour Philippine
***.
En tous les cas, quoique pièces rapportées, Isabelle et Pierre Cavalier les considéraient comme membres à part entière de cette famille singulière qu’ils formaient et dans laquelle Nicole Puytrac, la mère de Pierre, faisait, elle, figure d’intruse.
Elle arriva la dernière, à une heure quinze, alors qu’Isabelle se débattait avec trois bouquets de fleurs pour deux vases.
– Ça tombe bien, ma chérie, dit d’emblée sa belle-mère d’un ton acidulé en la voyant se débattre. Heureusement que je n’ai pas apporté de fleurs !
Une brusque impulsion meurtrière saisit Isabelle quand Nicole Puytrac se précipita sur sa petite-fille en lui tendant un sachet de chocolats pralinés.
– Et toi, ma chérie, heureusement que ta mammie a pensé aux chocolats, sinon personne n’y aurait pensé !
Évidemment, les autres avaient pensé à des jeux pour enfant de trois-quatre ans et à des peluches.
* Voir Corses toujours.
** Voir Sous le signe du rosaire.
*** Voir Euh-Euh !

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mercredi 3 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





Isabelle Cavalier quitta l’appartement la dernière avec le lieutenant.
L’agent en tenue envoyé par le commissariat pour monter la faction devant l’appartement venait d’arriver et elle lui donna les consignes d’usage.
Dans le hall, ils découvrirent les autres policiers de la BAC qui les avaient précédés en grande conversation avec deux jeunes femmes.
– C’est pas le moment de draguer ! leur jeta le lieutenant.
La conversation prit fin immédiatement.
Les deux jeunes femmes baissèrent les yeux comme prises en faute.
– C’est pas ce que tu crois, dit un de ses hommes à voix basse. Ce sont des témoins.
Le capitaine Cavalier n’en croyait pas ses oreilles. La chance venait-elle au-devant d’elle ?
– Elles ont vu quelque chose ?
– Non, répondit le même policier avec une moue de déception, mais elles devaient dîner avec la victime et un de ses amis.
Le capitaine Cavalier hocha la tête. C’était toujours ça.
– Elles sont là depuis longtemps ? demanda-t-elle au policier tout en détaillant les deux jeunes femmes qui lui parurent un peu nunuches.
– Elles sont arrivées un peu avant vingt heures et elles sont restées là à attendre sans se décider si elles devaient témoigner ou non. Elles sont parties prendre une boisson au café sur la place et elles sont revenues il y a un peu plus d’une demi-heure. On les a trouvées devant la porte et on leur a demandé ce qu’elles voulaient.
Les deux jeunes femmes hochèrent la tête de concert comme pour acquiescer au bref récit du policier.
– Vous connaissiez la victime depuis longtemps ?
– Non, depuis ce matin seulement, répondit la moins timide. Mais nous sommes du quartier et nous avions déjà croisé M. Bertov. Nous savions que c’était quelqu’un de très bien. Libraire, vous pensez !
Non, Isabelle Cavalier ne pensait rien du tout et les gens « très bien » ne lui avaient jamais guère inspiré confiance.
– Et son ami qui devait dîner avec vous, vous le connaissez ?
– Ah non, pas du tout !
– M. Bertov ne vous a pas dit son nom… ou son prénom ?
Les deux jeunes femmes eurent une mimique d’ignorance et échangèrent un regard interrogateur.
– Tu te souviens, toi ? dit l’une à l’autre.
Isabelle Cavalier était contrariée.
– Essayez de faire un effort, c’est important…
Les deux jeunes femmes se consultèrent à nouveau du regard.
– Peut-être Jérôme, se lança la plus timide des deux, mais je ne suis pas sûre.
– Si, c’est ça ! J’en suis sûre maintenant que tu l’as dit. Jérôme, madame, c’est Jérôme, j’en suis sûre et certaine ! dit l’autre fièrement.



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mardi 2 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





Il leur fallut attendre que la vodka eût fait son effet avant d’obtenir une explication à peu près cohérente de la part de Jérôme Cassard.
Il devait effectivement passer la soirée avec Dimitri et deux copines.
– C’était qui ? demanda Gégé circonspect.
– Des frangines.
– Je ne te demande pas si ce sont des bonnes sœurs ou des jumelles. Je te demande d’où elles sortent, ces copines, s’énerva Gégé.
– T’énerve pas comme ça. Tu me stresses, protesta Jérôme qui n’était pas habitué aux alcools forts. C’est juste deux thons dans la trentaine que Dimitri avait levés au café du coin dans la matinée. Mais moi je les connais pas.
– Il aura encore dragué n’importe quoi n’importe où ! jeta Gégé méchamment. Ce con, il a jamais été capable de respecter les règles élémentaires de la clandestinité en ramenant n’importe quelle pouffe chez lui…
– Hé ! tu te calmes…, le coupa sa femme. D’ailleurs c’est pas le problème et tu as toujours été jaloux de son charme, à Dimitri. Laisse Jérôme s’expliquer !
Jérôme avait rendez-vous avec Dimitri à dix-neuf heures trente et les « copines » devaient arriver une heure plus tard.
Dimitri leur avait promis qu’elles auraient juste à se mettre les pieds sous la table.
– Vous me connaissez, je suis toujours à l’heure… Quand je suis arrivé dans sa rue, il y avait tout un attroupement au bas de son immeuble avec les flics et les pompiers. J’ai demandé à une petite vieille ce qui se passait – c’est toujours les mieux informées, les petites vieilles. Par chance, c’était la concierge de l’immeuble d’à côté et elle savait qui avait été tué. « C’est le libraire du premier », qu’elle m’a dit. Moi, j’ai tout de suite compris qu’il s’agissait de Dimitri. Alors j’ai pas traîné. Je suis tout de suite venu vous prévenir. Mais il m’a fallu presque une heure et demie pour venir du fin fond du XVe…
– Mais il a été tué comment ? l’interrogea Alain.
– Ah ! ça je ne sais pas…
– Comment ça, tu ne sais pas ? demanda Gégé à son tour d’une voix agressive. Tu nous as dit tout à l’heure qu’il avait été tué comme Jean…
– Ben non, je vous ai dit qu’il était mort comme ce pauvre Jean, mais comment, ça je ne sais pas…
– Tu aurais pu te renseigner avant de filer ! le réprimanda Gégé.
– J’allais quand même pas demander ça aux flics ! opposa Jérôme en haussant les épaules.
– C’est vrai, ça, dit Claudine en s’asseyant à la droite de Jérôme.
Calé entre les deux femmes qui lui tapotaient chacune une mimine, Jérôme Cassard semblait reprendre des couleurs.
– Il n’y aura qu’à lire les journaux, conclut Alain Berthon.


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lundi 1 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 7

Chapitre 7





– Qui ça peut être ? dit Gérard quand la sonnette de son pavillon des Lilas résonna vers vingt et une heures.
Une pointe d’inquiétude dans la voix.
Josy, sa femme, haussa les épaules.
Mais elle aussi était inquiète.
Le meurtre non élucidé de leur ami et copain Jean Partot les avait tous très choqués. Tous, excepté Gégé qui était surtout préoccupé par le carnet d’adresses de Jean. Est-ce que la police les convoquerait un à un pour les interroger ?
Pourtant, aucun d’entre eux n’avait rien à y voir de près ou de loin. Sûrement qu’il s’agissait juste d’un crime de camé en manque qui avait perdu la boule. Comme avait dit la presse.
– Peut-être un quêteur ou le pauvre de Noël, lança jovialement Alain, manière de détendre l’atmosphère, tandis que Gérard Collin se levait pour aller ouvrir.
Alain Berthon et sa femme Claudine – la deuxième Mme Berthon, copie conforme de la première avec dix ans de moins – étaient venus réveillonner chez le couple Collin.
Leurs deux plus jeunes enfants, surnommés les « Collinots » par les intimes, qui vivaient encore chez papa-maman en temps ordinaire, avaient ripé leurs baskets sur coussin d’air pour échapper à la cette soirée de « vieux ». – Deux garçons. Vingt-neuf et vingt-six ans.
Des parasites ou des débrouillards, au choix. Mais sympathiques au demeurant.
Gégé ouvrit la porte avec mille précautions.
Une brève bousculade et des exclamations se firent entendre dans le corridor.
Jérôme Cassard, le Gégé sur les talons, déboula dans la pièce et se laissa tomber hors d’haleine sur le sofa.
Jérôme était livide, le visage perlant d’une sueur malsaine.
Les épouses firent « Oh ! » et se levèrent dans le même mouvement. Puis restèrent figées sur place.
– Qu’est-ce qui se passe ? dit Alain en tournant sa chaise vers le sofa.
Gégé haussa les épaules avec une moue d’incompréhension.
Puis il poussa son appendice ventral en avant et celui-ci sembla se gonfler. Méthode poisson-lune pour conjurer son angoisse et peser de tout le poids de son autorité sur la situation qui lui échappait.
Claudine apporta un verre d’eau à Jérôme et dut l’aider à boire.
La tête rejetée en arrière, les yeux affolés dans leurs orbites, de l’eau lui dégoulinant sur le menton, Jérôme Cassard s’efforçait de faire comprendre par mimiques et soupirs interposés qu’il y avait un problème.
Ce qui semblait évident aux quatre observateurs.
– Tu t’expliques ou il te faut le Samu ? lança Alain pour tenter de débloquer la situation.
Josy et Claudine lui lancèrent un regard mauvais.
– T’es inhumain, ou quoi ?
Josy ne l’avait pas loupé.
Façon, de lui faire comprendre qu’elle n’appréciait guère sa nouvelle femme, plus jeune qu’elle.
Alain haussa les épaules et se leva pour se porter à la hauteur de Gégé qui avait la ride soucieuse et avait atteint la limite maximale de poussée en avant de sa panse. La chemise entrebâillée sur quelques rares poils au-dessus de la ceinture du pantalon, qui, supportant le haut et soutenant le bas, marquait cette limite indépassable.
– Dmi… dmi…, marmonnait Jérôme.
Claudine s’était assise à son côté et lui tapotait la main pour l’encourager.
– Dmi… reil Jean…
Jérôme s’énervait de ne pas parvenir à se faire comprendre.
– Dimitri est mort ? demanda Alain qui s’était souvenu que Jérôme et Dimitri avaient vaguement parlé de passer la soirée de Noël entre eux avec des copines.
Jérôme ferma les yeux et hocha la tête en signe d’acquiescement. Il semblait soulagé de bénéficier enfin d’un début de compréhension.
– Apporte la bouteille de vodka, ordonna Gégé à Josy. Il faut le déchoquer !


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