jeudi 25 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 26

Chapitre 26





Il était près de dix-neuf heures trente quand il sortit du bar du Ritz. Alors que le pianiste entamait un Temps des cerises à la fois nostalgique et porteur d’espérance.
Le commissaire Antoine l’attendait dans sa voiture.
Ils filèrent rue Cler et firent des photocopies du texte signé et daté par Laneureuville. Une pour chacun des protagonistes.
Le résumé du dossier « Dutour » avait été envoyé le matin même à la juge. Antoine lui porterait demain matin son exemplaire des « aveux ». Elle aussi aurait besoin de sa « garantie sur la vie ».
Pierre Cavalier récupéra auprès du patron du Relais angevin l’enveloppe qu’il lui avait confiée peu de temps auparavant.
– Tu vois, je suis toujours là ! lui dit-il.
Elle contenait les documents subtilisés en début d’après-midi au divisionnaire Leprot.
L’intégralité du dossier « Dutour » classé « Top Secret ».
Ça, c’était pour son usage personnel. Et peut-être aussi pour Isabelle. Si elle se montrait très gentille. Très très gentille.
Et repentante.
Repentante ?
Non. Ça il ne fallait pas y compter.
Isabelle Cavalier ne reconnaissait jamais ses torts, puisqu’elle avait toujours désespérément raison…




« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue. »
Hugo, Victor.





© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 23 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 25

Chapitre 25





À seize heures trente, Pierre Cavalier s’était décidé à appeler Laneureuville sur sa ligne spéciale.
– Ah ! Pierre, le problème est résolu, n’est-ce pas ? C’est vrai, je suis plus expéditif que vous… Mais votre coup était pas mal. Alors ?
– Je souhaite vous rencontrer, monsieur.
– Moi aussi, mon petit Pierre… Dix-huit heures trente comme d’habitude ?
– Bien, monsieur.
Ton neutre pour Cavalier. Enjoué aristo pour Laneureuville qui, descendant d’un simple baron d’Empire, en rajoutait toujours un peu dans l’affectation.
Pierre appela aussitôt sa femme. Qui semblait toujours sous le coup de l’émotion – il préféra ne pas savoir ce qu’avait pu lui raconter Gilbert qui devait être arrivé à la ferme.
– Ce n’est pas un suicide. À ce soir, ma chérie.
Il raccrocha aussitôt et vérifia son arme de service.
Mais il ne se voyait pas abattre un ministre en exercice en plein Ritz. C’eût été suicidaire.
Non, l’arme, c’était pour avoir une petite chance de survie si Pierre-Marie de Laneureuville avait lâché ses fauves après lui.
À dix-sept heures trente, Pierre arriva au Relais angevin, rue Cler.
Il attira le patron, Gérard Langlot, vers le fond de la salle et lui remit une enveloppe Kraft.
– Tu remets ça au destinataire s’il m’arrive quelque chose d’ici cette nuit. Sinon, je repasse la prendre.
Gérard Langlot lui jeta un regard inquiet.
– T’inquiète, c’est pas grave ! dit Pierre en lui tapotant l’épaule.
Il était rassuré. Langlot était plus sûr qu’un coffre en banque.
Il trouva un taxi avenue de La Motte-Picquet et arriva au bar « Vendôme » avec un quart d’heure de retard.
Ce qui exaspérerait Laneureuville. Du moins il l’espérait.
Quand il pénétra dans le bar et l’aperçut, Pierre le connaissait suffisamment pour lire dans son regard une pointe d’inquiétude.
– Champagne ? lui proposa-t-il.
– Champagne.
Après que le serveur les eut servis, le ministre le regarda patelin.
– Alors ?
Pierre lui retourna son sourire mielleux. Ce qui eut pour effet de déstabiliser « Monsieur ». Surtout quand il vit Cavalier sortir de son porte-documents une feuille de papier imprimée. Avec un court texte.
– Je vous demanderai juste une signature et de dater, monsieur, dit-il en lui tendant la feuille.
Laneureuville se rejeta en arrière comme s’il allait être piqué par la feuille.
– C’est quoi ? lâcha-t-il d’un ton rogue.
– Un sauf-conduit, monsieur.
Pierre-Marie de Laneureuville daigna saisir la feuille mais la rejeta vivement sur la table après en avoir lu les premières lignes.
– Je ne peux pas signer ça ! Etes-vous devenu fou ?
– Non. Sage, monsieur.
– Mais c’est du chantage ?
– Le plus abject, monsieur, j’en conviens. Mais j’ai été à bonne école, avec vous…
Le ministre ne se contenait plus. Non seulement il avait été ferré, mais il se retrouvait en pleine nasse.
Pierre Cavalier lui tendit à nouveau la feuille.
Laneureuville la lut à contrecœur.
Il n’avait pas le choix. Il le savait s’il voulait continuer de survivre politiquement.
Il relut le texte :
« Moi, Pierre-Marie de Laneureuville, reconnaît avoir organisé l’assassinat de Pierre Tombre la nuit du 23 juillet 1965 et celui de mon frère Jean-Louis de Laneureuville le 19 juin 1966
*. »
Il se décomposait.
– Mais quel rapport avec l’affaire qui nous occupe… ? balbutia-t-il. Je ne vois pas…
– En ce qui concerne l’affaire en cours, monsieur, il y a suffisamment de monde au courant et en possession du scénario de votre machination. Mais cela n’offre pas suffisamment de garantie. Tandis que, là, c’est en béton, si je peux me permettre cette expression…
– Et en plus vous vous foutez de ma gueule…
– Non, monsieur, j’essaie simplement d’établir de nouvelles bases de coexistence entre nous et de rester en vie.
Laneureuville s’était repris.
– Et si je ne signe pas ?
Ce n’était toutefois pas un défi mais une simple question.
– Le Président aura un double de cette lettre et du dossier en cours… Ah ! et surtout n’essayez pas d’envoyer Leprot sur ce coup. Je lui ai subtilisé les empreintes soi-disant retrouvées sur les deux derniers couteaux et attribuées au jeune Patrice Dutour…
Laneureuville le dévisagea longuement, le visage impassible.
Pierre Cavalier remarqua une lueur au fond de son regard. Une lueur sauvage.
Il ignorait que Pierre-Marie de Laneureuville était précisément en train de regretter de ne pas avoir fait tuer « ce type incontrôlable ».
* Voir Un vague arrière-goût.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 22 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





Il était treize heures trente quand Gilbert Lenoir déposa Pierre Cavalier au métro « La Motte-Picquet ».
Il souhaitait marcher un peu.
Cavalier regarda la voiture remonter le boulevard de Grenelle et chercha un taxi dès qu’elle eut disparu de sa vue.
Il demanda à être conduit rue des Saussaies.
Le divisionnaire Leprot était absent du service ou n’était pas encore rentré d’un de ses longs déjeuners où il tentait de tisser des fils mystérieux.
Ses collègues présents ne lui prêtèrent pas attention et la secrétaire du divisionnaire se fit un plaisir de lui sortir le dossier « Dutour », que « notre cher M. de Laneureuville, cet homme si exquis », souhaitait examiner l’après-midi même.
Après avoir pris le métro, Pierre Cavalier rentra chez lui rue du Commerce.
Il était quinze heures trente.
Dix minutes plus tard, tout en se changeant, il alluma son poste de télé et se mit sur LCI.
Jetant, par habitude, un œil sur le bandeau défilant des dernières nouvelles, dans le bas.
Il sursauta.
« Suicide : mort tragique du député Lorrinval »…
Il brancha également sa radio sur RFI.
Le député Lorrinval, grand espoir de la politique nationale et européenne, s’était défenestré vers quinze heures quinze.
Pierre Cavalier accusa le choc et s’assit sur le bord du premier siège venu.
« C’est trop con, se dit-il. Il y avait quand même l’autre option. »
Pourtant, il ne voyait pas ce type en suicidaire.
Et puis, cette façon d’annoncer ça à la télé et sur les ondes sans avoir eu le temps de prévenir sa famille…
Son portable sonna.
C’était sa femme.
– Qu’avez-vous fait ? lâcha-t-elle la voix étouffée et limite agressive.
Il ne l’écoutait que d’une oreille car il sentait qu’il fallait réfléchir rapidement.
– Tu m’écoutes, ou quoi ?
– Oui. Je sais. Ne t’inquiète pas. Mais il y a de l’urgence. Gilbert sera là bientôt. Grande prudence ce soir.
– Mais…
Pierre avait déjà coupé la communication.
« Ce con, il a été suicidé », se répétait-il.
Il en était sûr. Lorrinval n’avait pas pu s’empêcher d’appeler Laneureuville peu après leur départ.
Que s’étaient-ils dit ? Pierre Cavalier n’en savait strictement rien – même s’il pouvait aisément l’imaginer.
En tout cas, Pierre-Marie de Laneureuville, grand maître des basses œuvres, avait envoyé ses « nettoyeurs ». Il avait choisi de faire disparaître le principal témoin. Le premier d’une longue liste, peut-être.
Au nom de SA « raison d’Etat ».


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

dimanche 21 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 23

Chapitre 23





Le commandant et le lieutenant n’échangèrent pas un seul regard jusqu’à leur voiture.
Le lieutenant était mal à l’aise devant cette mise à mort méthodique d’un homme politique à laquelle il aurait préféré n’avoir jamais assisté. « Je suis pas flic pour ça ! » se disait-il.
Il en voulait au commandant Cavalier.
– Vous y êtes allé un peu fort ! lui dit-il tout en bouclant sa ceinture de sécurité.
Cavalier se tourna vers lui et ne rencontra que son profil.
– Dis, petit, c’est pas moi qui ai kidnappé Euh-Euh… Moi, je ne fais que réparer tes conneries et celles d’Isa – surtout celles d’Isa, d’ailleurs ! Vous vouliez sauver Euh-Euh, eh bien, on le sauve, mais il y a de la casse… C’est pas tout à fait comme au cinéma… Après, ce sera à chacun de voir si ça en valait la peine.
Il lui tapota l’épaule. Le lieutenant voulut parler.
– Ne parle pas, le stoppa Cavalier, et ne t’excuse pas. Tu vas encore me dire des conneries… Tiens, tu me déposes chez moi rue du Commerce et tu files rejoindre nos « sept mercenaires » à Caorches… – tu feras le huitième !



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 19 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 22 (suite et fin)

Chapitre 22 (suite et fin)





La voix sourde du député Lorrinval le sortit de sa rêverie.
– Qu’attendez-vous de moi, messieurs ? Que je fasse une déclaration annonçant que je renoncerai à me présenter…
– Non, non ! Vous n’y êtes pas du tout, le coupa Pierre Cavalier.
Le député marqua son étonnement.
– Je ne comprends pas…
– Si, monsieur. Vous allez annoncer, tout simplement, votre retrait définitif de la vie politique.
Le député sembla se réveiller.
– Mais vous êtes fou ! Vous n’y songez pas ! commença à hurler le présidentiable. Vous voulez me tuer…
– Politiquement, oui, monsieur, le coupa froidement le commandant. Je ne crois pas que vous ayez le choix, d’ailleurs.
Le député était un homme rondouillard, quoique ayant à peine dépassé la quarantaine. Son surplus pondéral se mit à tressaillir quand il se leva violemment de son fauteuil Louis XVI.
– Je ne saurais tolérer de pareils propos chez moi, messieurs ! Je vous ordonne de sortir d’ici ! cria-t-il d’une voix de fausset en se dirigeant vers le téléphone.
Du regard, Pierre Cavalier avait intimé l’ordre au lieutenant Lenoir de ne pas bouger. Ce qui était de toute façon inutile car Gilbert était figé de stupéfaction. Il se sentait dépassé par la situation et avait un mauvais pressentiment.
– Si c’est pour appeler Laneureuville, l’interpella d’une voix calme Cavalier, je me permets de vous signaler que c’est totalement inutile, monsieur. Je suis là avec son accord.
Le député se retourna légèrement, l’air hagard, et s’affaissa sur la chaise d’époque devant la console supportant le poste téléphonique.
– Mais… ce n’était pas prévu… comme ça…, finit-il par balbutier.
– Oh ! vous savez, lança d’un ton fataliste le commandant, les hommes qui détiennent le pouvoir peuvent être versatiles. Ils peuvent se laisser aller à l’humeur du moment… C’est d’ailleurs le principal agrément qu’offre le pouvoir.
Le député revint s’asseoir dans le fauteuil Louis XVI. Face au commandant et au lieutenant qui n’avaient pas bougé, comme attendant son retour inéluctable.
Il avait accusé le coup mais n’était pas anéanti. Il avait du ressort. À présent, il semblait réfléchir rapidement et chercher une ultime issue. Tout en sachant que le commandant avait été clair. Que rien n’était négociable.
Il fit néanmoins une dernière tentative. Celle du désespoir.
– Et si je ne faisais pas ce que vous exigez de moi…
Pierre fit une moue dubitative et écarta les mains devant lui.
– C’est au choix, monsieur le député. Mais si vous ne faites pas cette déclaration, le dossier sur votre fils « caché » sera remis à la presse.
Le député ne sembla pas démonté par cette option.
– Je sais, monsieur le député, notre presse aime taire les enfants adultérins de nos grands hommes d’Etat. Alors, si, en plus, par le plus pur des hasards, celui-ci était le fruit d’une relation incestueuse… Dans ces cas-là, elle a une « grande conscience » de sa mission journalistique… qui peut parfois lui faire défaut par ailleurs. Mais elle ne pourra pas se taire si la presse anglo-saxonne s’en empare et…
– J’ai compris, le coupa le député.
En se levant, comme pour mettre fin à l’entretien, il demanda :
– Quand ?
– Ce soir, monsieur. Ce serait le mieux.
Pierre avait donné le signal du départ à Gilbert Lenoir et ne regarda même pas le député Lorrinval en quittant le salon.
Celui-ci s’était affalé dans son fauteuil et s’était mis à sangloter le visage dans les mains.
– Pardon, disait-il, pardon…



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

jeudi 18 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 22

Chapitre 22





Le lundi matin, à neuf heures douze, alors que Pierre Cavalier et Gilbert Lenoir se trouvaient à la hauteur du triangle de Rocquencourt sur l’A 13, la sonnerie du portable de Pierre se fit entendre.
C’était Isabelle qui avait cherché à joindre le député Vert européen depuis leur départ de la ferme et qui annonçait qu’elle leur avait obtenu un rendez-vous avec lui pour onze heures trente. À son domicile. Avenue Bosquet. Paris 7e.
Par chance, il avait passé le week-end à Paris et se trouvait chez lui.
À dix heures et quart, Gilbert Lenoir gara la voiture d’Isabelle avenue Bouvard.
Ils déambulèrent dans les allées du Champ de Mars jusqu’à onze heures dix, puis se rendirent à pied au domicile du député.
Aucun élu du peuple n’aime accorder un rendez-vous à la police pour une « affaire vous concernant ».
C’était sibyllin, mais le député Lorrinval avait tout de suite compris que c’était en rapport avec la disparition de son « fils » la veille.
Coup de fil affolé de sa sœur aînée, « cette maudite garce ! » s’était-il dit. Puis – pas affolé mais plein de sous-entendus menaçants – celui de Laneureuville. « Le diable en personne. »
Alors que tous les sondages le donnaient régulièrement en meilleure position en cas d’affrontement avec le Président actuel…
C’est donc un homme soucieux et qui semblait avoir mal dormi que découvrirent Pierre Cavalier et Gilbert Lenoir quand il vint leur ouvrir en personne.
Il leur dit, en les invitant à s’asseoir une fois dans le salon, que sa femme et ses deux enfants étaient partis en Bretagne pour les vacances scolaires et qu’il était seul.
– Tant mieux, n’est-ce pas ? ajouta-t-il le regard triste.
Gilbert Lenoir resta figé sur le canapé où il s’était assis. Pierre Cavalier opina silencieusement.
– Vous venez pour Patrice.
Ce n’était même pas une interrogation.
Le commandant Cavalier prit son courage à deux mains.
– Ne vous inquiétez pas pour lui. Il est en lieu sûr à présent.
Pierre se trouva idiot. Il n’était pas sûr du tout que le député soit inquiet du sort de son fils. Trop « bête politique » pour éprouver un tel sentiment, se prit-il à penser. Autant abréger.
– Voilà, monsieur Lorrinval, nous sommes au courant des pressions – ou chantage, comme il vous plaira – dont vous êtes l’objet, attaqua-t-il. Pressions fondées sur l’existence de ce « fils caché »… Nous savons donc que, pour sauvegarder votre carrière politique au sein de votre parti – mais vous avez le droit d’en changer par la suite, ajouta Pierre Cavalier perfidement –, vous annoncerez, le moment opportun, alors que les choses seront déjà bien avancées, que vous retirez votre candidature à la présidence de la République. Ce qui fait que le candidat de la droite – peut-être même le Président actuel puisque les Français aiment les vieux, c’est le « syndrome Pétain-de Gaulle », si je puis me permettre – se retrouvera devant un second couteau de gauche ou pas de candidat du tout… sauf Arlette Laguiller, bien sûr, j’allais oublier, monsieur le député… Dans tous les cas de figure, ce sera donc une victoire de la droite, d’accord ?
Le député ne répondit pas.
Gilbert Lenoir trouvait que le commandant y allait un peu fort.
– Mes amis et moi, monsieur Lorrinval, nous aimons que les règles de la démocratie soient respectées – oh ! sans grande illusion ! Mais, si l’occasion se présente de casser une « tricherie », nous aimons ça… Par ailleurs, Euh… – excusez-moi –, Patrice, votre fils, est en danger et nous voulons le sortir de ce bourbier.
Puis Pierre se tut et balaya lentement la pièce du regard.
Gilbert Lenoir en fit de même.
Leurs regards se croisèrent.
Pensaient-ils la même chose ? se demanda le commandant.
En tout cas, il ne regrettait pas sa férocité. Ce n’est pas un candidat « d’en bas » que la gauche allait perdre. Les « petits » ne s’en porteraient ni mieux ni plus mal.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mercredi 17 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Pierre, Isabelle et Gilbert Lenoir s’isolèrent un peu après dix-huit heures dans la pièce qui servait de bureau à Michel Bauchère.
Tout leur parut simple. Surtout lorsque Isabelle se dit convaincue que Euh-Euh était le fruit d’une liaison incestueuse entre le député Lorrinval et sa sœur.
La solution pour casser la machination s’imposait d’elle-même, selon Pierre. Et paraissait presque un jeu d’enfant dans ces conditions. Du moins en théorie.
Si le député annonçait son retrait de la vie politique « pour raisons personnelles » ou « de santé », le chantage dont il était l’objet se retrouvait sans objet ipso facto.
– Et s’il refusait de mettre fin à sa carrière ? Il est jeune et semble accroc au pouvoir…, objecta Isabelle.
– Nous lui mettrons alors le marché en main. Il se retire ou nous organisons nous-mêmes une fuite dans la presse, répliqua Pierre.
Pierre Cavalier les vit soudain hésitants. Isabelle et Gilbert n’étaient visiblement pas des habitués de ce genre de pratique. C’étaient des idéalistes de la police.
– Ne vous inquiétez pas, le sale boulot c’est ma partie, ajouta-t-il l’air las.
Il avait envie de leur dire que toutes ces conséquences qu’ils jugeaient désagréables étaient en fait devenues inéluctables dès leur prise de décision initiale.
Il s’en abstint. Il y avait plus urgent, comme obtenir une « garantie à vie » sur leur propre existence et celle de tous ceux qui se trouvaient mêlés de près ou de loin à cette magouille et en avaient donc connaissance.
Aucun pouvoir n’aime laisser des témoins de ses turpitudes.
– Ensuite, reprit Pierre Cavalier, il va falloir négocier avec ceux « d’en haut » et obtenir une signature au bas d’un papier qui sera notre sauf-conduit. C’est également mon problème, mais ça ne peut se faire que dans le second temps. Après l’acceptation de Lorrinval.
– Et en attendant ? demanda Gilbert Lenoir.
– Isabelle reste ici. Toi, tu m’accompagnes chez Lorrinval et tu reviens ensuite à la ferme. Après, je me débrouille…
Isabelle opina du chef. Elle savait que seul Pierre pouvait mener à bien la seconde « négociation ».



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 16 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 20

Chapitre 20





À seize heures, Pierre Cavalier arriva à la ferme des frères Bauchère au volant de la Twingo de sa femme.
Quand il descendit de voiture, il fallut l’intervention d’Isabelle pour que les deux gendarmes le relâchent.
– Il est avec nous ! lança-t-elle joyeusement.
Elle n’était pas réellement surprise de son arrivée. Isabelle savait qu’il fallait toutefois violenter Pierre de temps à autre. Ça accélérait son processus de prise de décision.
Pierre vit la « fine » équipe de sa femme sortir un à un de la ferme et se regrouper sur le devant.
Ils étaient bien tous là. Avec cet ahuri à la mine réjouie au milieu qu’il ne connaissait pas mais qui les avait tous mis dans ce beau merdier.
Sa fille se précipita dans ses bras et voulut immédiatement lui présenter son nouvel ami, Euh-Euh.
Tous le congratulèrent et le félicitèrent d’être là.
Il les trouva un peu exaltés et jugea préférable de s’entretenir au préalable avec Isabelle seule. Qui tint absolument à la présence de Lenoir et de Phil. Ce dernier trouvant grossier de tenir conciliabule sans le maître des lieux et ses deux frères.
Pour les deux retraités agricoles, pas besoin d’y penser.
Comme chaque fois qu’il y avait des potins à glaner, ils s’invitèrent d’office. – Ils étaient les « anciens », non !
Ce fut donc une assemblée générale.
Pierre Cavalier approuva tout d’abord le dispositif de sécurité mis en place par sa femme.
Il expliqua qu’il était là pour transmettre des propositions aux « méchants ».
Euh-Euh applaudit. Il devait donc comprendre, pensa Isabelle.
Qu’il fallait obtenir d’eux un pacte de paix.
Euh-Euh parut déçu que l’on parlât de paix.
Ce qui n’était pas gagner d’avance.
Au grand espoir de Euh-Euh.
Qu’il établirait les termes du pacte avec Isabelle et Gilbert – il fallait des professionnels du droit – et qu’il leur en ferait part ensuite.
Euh-Euh pria longuement le vieux monsieur de la Bible pour qu’il n’y ait pas de pacte du tout.
Surtout qu’il y avait là plein de grands couteaux avec de très longs manches.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 15 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 19

Chapitre 19





Quelques heures plus tôt, une demi-heure après le départ de sa femme et de sa fille, le commandant Cavalier ne fut pas surpris d’entendre sonner à la porte de son appartement.
Ni d’ouvrir à deux de ses collègues de la rue des Saussaies, dont l’un était son supérieur direct. Des « fidèles » de Pierre-Marie de Laneureuville, ancien pilier de la maison, grand manitou des basses œuvres de la République et actuel ministre de la Justice
*.
– Il me semble qu’il y a un problème, jeta le commissaire divisionnaire Leprot, son supérieur, à peine la porte refermée.
Pierre s’y attendait et savait qu’il n’était pas aussi brillant que sa femme dans l’improvisation.
– Il me semble aussi que vous me devez des explications, ajouta le commissaire devant le silence de Cavalier. Pas sur leur destination, car nous avons intercepté une communication téléphonique de votre femme qui nous a informés sur ce point. Mais sur son objectif et votre rôle dans ce merdier.
Si Pierre Cavalier n’avait pu empêcher sa femme de mettre son projet à exécution, il en avait au moins deviner les grandes lignes après leur discussion de l’avant-veille au soir.
En ayant les principaux protagonistes sous la main – Patrice Dutour pour être le « fils de » et Phil parce qu’il en savait trop, ainsi que sa fille, ce qui empêchait toute menace de rétorsion –, Isabelle avait les principaux atouts en main. « Surtout, se dit-il, si elle a pris des garanties par ailleurs. »
Elle voulait ouvrir une négociation. C’était l’évidence même.
Le divisionnaire Leprot s’impatientait.
Le commandant Cavalier décida de jouer son va-tout.
– Je n’en parlerai qu’au ministre, dit-il calmement. Mais c’est mon idée et non celle de ma femme, et je crois qu’elle lui plaira.
Le commissaire lui jeta un regard mauvais.
– Mon petit vieux, vous avez vraiment intérêt à ce qu’elle lui plaise ! dit-il rageusement avant de composer un numéro de téléphone.
Ce fut une brève suite de « Oui, monsieur », « Non, monsieur », « Bien sûr, monsieur », dès que la communication fut établie.
Pierre Cavalier se moquait en lui-même de la servilité de son divisionnaire.
Celui-ci regarda sa montre.
– Nous avons rendez-vous dans une heure place Vendôme.
Place Vendôme, c’est le ministère de la Justice.
Tout à côté, c’est le Ritz. Dont le bar « Vendôme » est bien pratique pour les rendez-vous discrets.
Trois quarts d’heure plus tard, Pierre Cavalier se retrouva donc confortablement assis dans un fauteuil-club en cuir luxueux du bar « Vendôme ». Dans le coin non-fumeurs. En la seule compagnie du divisionnaire, l’autre « collègue » ayant pris place dans un des fauteuils de la galerie à la droite de l’entrée du bar.
Noblesse oblige – vraie ou usurpée –, Laneureuville se présenta ponctuellement un quart d’heure plus tard.
D’un geste impatient, il congédia le divisionnaire et attendit fort civilement que son champagne habituel lui fût servi avant d’engager le fer.
– Alors, Pierre ? fit-il avec morgue.
Le commandant Cavalier s’était juré promis de baiser cet enfoiré d’éminence grise barbouzarde. Seule manière, à ses yeux, de retrouver grâce auprès de sa femme.
– Monsieur, commença-t-il d’un ton ferme mais assourdi pour n’être entendu que de Laneureuville, j’ai pris sur moi de mettre qui vous savez sous protection rapprochée…
Le ministre restait de marbre et attendait la suite impatiemment, contrôlant son étonnement.
– En effet, des informations me sont parvenues en temps utile qui m’ont fait craindre pour la vie de notre protégé…
Un sourcil du barbouzard s’arqua derrière ses lunettes de myope qui lui dévoraient le visage et lui donnaient le faux air d’un paisible professeur Tournesol.
– Un groupe incontrôlé semble vouloir s’en prendre à lui et aux témoins de son existence pour annuler le bénéfice que vous souhaitez en retirer.
– Je les connais ? demanda sèchement Laneureuville par vieux réflexe « professionnel ».
– Non, monsieur. Ni moi non plus, d’ailleurs. Mais les informations qui me sont parvenues m’ont fait craindre le pire et j’ai pris sur moi de demander au capitaine Cavalier…
Pierre se rendait compte que Pierre-Marie de Laneureuville ne croyait pas un traître mot de ce qu’il disait. Mais il existe des jeux où la règle veut que l’on fasse semblant.
Pour ne pas perdre la face.
Le regard de Laneureuville lançait des lueurs mortelles. Totalement impuissantes. Pour l’instant, du moins.
– Si vous me le permettez, monsieur, reprit le commandant Cavalier posément, sur le ton du subalterne prêt à rendre un immense service et à consentir un gros sacrifice, je vais régler ce problème dans les plus brefs délais. Afin d’assainir la donne, si vous voyez ce que je veux dire…
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, se sentait près d’exploser de fureur devant ce petit con prétentieux et incontrôlable qu’il aurait peut-être dû éliminer au lieu d’essayer de l’utiliser.
– Rapidement, alors ! jeta le ministre tout en se levant.
Et sans avoir toucher sa flûte de champagne.
Pierre Cavalier s’offrit le luxe de la vider. Il adorait le Dom Pérignon. Isabelle aussi, d’ailleurs. Mais il ne pouvait tout de même pas quitter le bar la bouteille à la main pour aller la rejoindre.
On peut commander du Coca au Ritz. On ne « chourave » pas une bouteille de champ.
* Voir Un vague arrière-goût.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

dimanche 14 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Ils atteignirent l’entrée de l’autoroute A 13, celle de Normandie, en étant presque assurés de ne pas être suivis.
Au péage de Mantes-la-Jolie, un gendarme se dirigea vers leur véhicule et sembla lire le numéro de la plaque.
De toute façon, « ils » ne pouvaient rien contre elle et Gilbert. Ils agissaient dans le respect d’un mandat judiciaire et les enfoirés d’en face n’étaient plus maîtres du jeu.
À dix heures, ils s’engagèrent sur la rocade de contournement de Bernay et Isabelle fit le chemin à Gilbert Lenoir jusqu’à Caorches-Saint-Nicolas et la ferme des frères Bauchère. Qui les attendaient, « artillerie » à proximité, au cas où.
Quand Isabelle leur avait téléphoné le jeudi soir, ils avaient immédiatement accepté de les héberger, sans poser de question. Se transformer en auxiliaires de la justice était un plaisir pour eux.
– Ne vous inquiétez pas, leur dit Michel Bauchère, l’aîné, en les accueillant. Si des malfaisants se pointent par ici, on leur refera le coup de l’Assomption
* !
Ils rirent de bon cœur avec Phil à l’évocation de ce « bon moment ». Sans se rendre compte immédiatement qu’Isabelle, elle, ne riait pas du tout et tentait de faire comprendre par des regards désespérés que son collègue, le lieutenant Lenoir, lui, n’était pas au courant.
L’arrivée des voisins, Marcel et Georges Lebrige, ne fut pas pour la rassurer.
Au premier verre d’apéritif, ils allaient évoquer leurs souvenirs d’anciens combattants avec Phil. Un instant, elle se demanda si elle avait vraiment eu une bonne idée.
Elle accusa le choc lorsque Gilbert Lenoir se tourna vers elle tout sourire.
– Je suis au courant. Le professeur m’a raconté. Justice expéditive, mais justice quand même !
Les autres opinèrent par des hochements de tête entendus et de larges sourires.
Le lieutenant Lenoir venait de réussir son examen d’entrée dans leur petite confrérie.
Puisque tout le monde était réuni et que le temps pressait, Isabelle Cavalier préféra leur expliquer l’« affaire » avant le déjeuner.
Tous assis autour de la grande table de ferme, elle seule debout, ils l’écoutèrent avec la plus grande attention. Le visage grave.
– Comprenez bien, conclut-elle, que le lieutenant Lenoir et moi nous agissons dans le cadre d’un mandat judiciaire, qu’il s’agit d’une protection de témoin et que nous ne devons pas quitter le cadre de la loi. J’espère que je me fais bien comprendre ?
Son regard alla de l’un à l’autre.
En commençant par Phil, puis Michel et ses deux frères jumeaux, pour finir par les deux retraités agricoles.
Ils acquiescèrent en silence.
Chacun pensant à son rôle.
Phil veillant sur Philippine – et vice versa, comme toujours.
Georges et Marcelle faisant le guet depuis leur maison sur la route.
Michel et ses frères assurant la protection de la ferme et de Euh-Euh en cas de coup dur. Sous les ordres du lieutenant Lenoir.
Elle, Isabelle, coordonnant le tout et menant les tractations.
Euh-Euh, lui, semblait aux anges.
Isabelle se demanda s’il saisissait quelque chose de toute cette situation. S’il se rendait compte qu’il était assis au cœur du volcan.
Alors qu’elle s’apprêtait à téléphoner à la juge d’instruction pour l’informer comme promis, Georges la prévint que l’estafette de la gendarmerie de Bernay arrivait dans la cour.
Le brigadier descendit seul et se dirigea vers Isabelle qui marcha au-devant de lui avec Gilbert Lenoir.
Le brigadier semblait mal à l’aise.
– J’ai reçu un fax bizarre il y a une demi-heure, commença-t-il. Il paraît qu’un individu serait retenu ici contre sa volonté et que, s’il est ici, je dois l’emmener à la brigade et attendre les ordres.
Isabelle sourit. Elle avait appris à connaître le brigadier au cours du mois d’août, et savait qu’il ne marcherait jamais dans un coup tordu.
– Nous agissons, le lieutenant Lenoir et moi-même, dans le cadre d’un mandat judiciaire. Il s’agit d’une protection de témoin, dit-elle en lui tendant le mandat de la juge.
Le brigadier le parcourut attentivement et se mit presque au garde-à-vous pour lui dire qu’il était à sa disposition.
– Remarquez, ajouta-t-il avec un petit sourire sur les lèvres et un hochement de menton en direction de la ferme, avec cette équipe-là, je ne me fais pas de souci pour le témoin. Mais je vous envoie quand même une voiture avec deux gendarmes dès que j’aurai rendu compte que tout est normal ici.
Isabelle Cavalier le remercia.
Si ceux « d’en haut » envoyaient leurs hommes de main pour une opération musclée de récupération, le soutien de la gendarmerie n’était pas de trop.
– Mais comment ont-ils su que vous seriez là ? demanda le brigadier avant de prendre congé.
Elle haussa les épaules en songeant que Pierre avait peut-être choisi le mauvais camp ou que la conversation qu’elle avait eue avec Michel Bauchère le jeudi soir avait été interceptée.
– Ils ont de gros moyens, finit-elle par répondre, de très gros moyens…
Il était treize heures quinze.
* Voir Sans se salir les mains.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

samedi 13 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





À sept heures trente précises, le dimanche 26 octobre, Isabelle Cavalier sonna à la porte de Philippe-Henri.
Gilbert Lenoir lui ouvrit après s’être assuré de son identité.
Phil se tenait dans le couloir avec ses deux valises.
Ils descendirent ensemble et mirent les valises dans le coffre de la familiale.
C’était maintenant le moment le plus délicat.
La rue Amélie, cinquante mètres plus loin, devait être sous surveillance et il n’était pas question de laisser seul Phil dans la voiture.
« Ils » seraient capables de leur jouer le coup à l’envers en kidnappant Philippe-Henri – ou pire.
Phil les accompagnerait donc. Mais une course de vitesse allait débuter dès qu’ils seraient repérés.
Ils ne le furent pas avant d’arriver à huit heures moins cinq précises au bas de l’immeuble des Dutour.
Normal, le « sous-marin » était garé le long du trottoir opposé.
À présent, ils allaient demander des consignes et peut-être réclamer du renfort. Le chrono était enclenché.
Gilbert Lenoir resta en bas. Isabelle Cavalier monta jusqu’à l’appartement avec Phil et elle lui demanda de rester en retrait.
Elle jouait le tout pour le tout. Elle le savait. Si les Dutour n’ouvraient pas, tout était perdu. Pour tout le monde. Avec pas mal de dégâts collatéraux.
Elle sonna avec insistance.
Par bonheur, Louis Dutour ouvrit.
« Il a dû croire que ce sont ses anges gardiens du “sous-marin”… », pensa Isabelle avec soulagement.
En fait, sa Paulette était partie chercher du pain et il crut qu’elle avait oublié ses clés.
Par chance, Louis Dutour semblait être le maillon faible.
Isabelle n’eut pas à brandir le sésame du juge. L’effet magique fut obtenu par la simple carte de police du capitaine Cavalier et son brassard marqué « police » qu’elle venait juste d’avoir l’idée d’enfiler.
– Je viens chercher Patrice pour le mettre en lieu sûr ! dit-elle d’un ton sans réplique en se dirigeant vers la chambre du jeune homme dont elle tourna la clé.
Euh-Euh bondit de joie en la voyant pénétrer dans sa chambre.
Il avait eu raison d’espérer. Il savait que « la dame de la police » viendrait le délivrer. Que sonnerait alors l’heure de la punition des méchants comme dans la Bible. Elle était l’envoyée du vieux monsieur.
Isabelle repéra un sac de voyage dans un coin de la pièce et aida un Euh-Euh tout excité à le remplir de quelques vêtements.
Ils atteignirent la porte palière ouverte, où se tenait toujours Louis Dutour, au moment où Paulette allait débouler avec perte et fracas.
Mais le fracas fut pour elle grâce à un astucieux croche-pied de Philippe-Henri sortit au bon moment de la pénombre du couloir où il s’était tenu dissimulé jusqu’à présent.
Paulette Dutour se mit alors à hurler à l’aide tandis que Phil, Euh-Euh et Isabelle descendaient quatre à quatre l’escalier, Isabelle traînant le sac de Patrice.
Gilbert Lenoir avait eu l’idée lui aussi de passer son brassard de police et il tenait les deux occupants du « sous-marin » en respect avec son arme de service devant la porte d’entrée de l’immeuble, en criant régulièrement : « Police ! personne ne bouge ! » À quelques mètres du commissariat de la rue Amélie, au numéro 6, fermé le week-end.
Il couvrit en position de tir la sortie du trio qui rejoignit au plus vite la rue Saint-Dominique et s’engouffra dans la familiale de Pierre au milieu de quelques badauds.
Le lieutenant Lenoir les rejoignit au dernier moment, suivi des deux « gorilles » qu’il tenait toujours en respect et qui notèrent consciencieusement le numéro d’immatriculation du véhicule.
Il était à peine huit heure dix. Le tout n’avait pas pris un quart d’heure.
Isabelle avait démarré sur les chapeaux de roue et elle fila, gyrophare en folie, jusqu’au boulevard de La Tour-Maubourg qu’elle remonta à contresens jusqu’à l’avenue de La Motte-Picquet, qu’elle suivit jusqu’à la rue du Commerce où elle se gara en double file, passant le volant à Gilbert Lenoir le temps d’aller chercher Philippine.
Il était huit heures vingt-trois.
Elle remarqua un individu dans un véhicule garé dix mètres plus haut qui s’était retourné vers elle tout en téléphonant.
Elle bondit les marches jusque chez elle. Pénétra en trombe jusqu’à la chambre de Philippine en passant devant un Pierre médusé.
Repassa dans l’autre sens en tirant Philippine d’une main, un sac de voyage de l’autre, en jetant :
– T’as fais ton choix ?
Sans même ralentir son allure.
Elle entendit un « Oui » mais ne sut pas quel était son choix.
Elle était déjà en train de descendre l’escalier, Philippine blottie dans un bras et traînant le sac de voyage de marche en marche de l’autre.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 12 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecuia, Chapitre 16

Chapitre 16






Le vendredi midi, le lieutenant Lenoir et le capitaine Cavalier se retrouvèrent comme convenu au Relais angevin, rue Cler. Avec, bien sûr, Philippe-Henri qui était en vacances depuis la veille.
Les deux hommes n’avaient pas quitté l’appartement depuis la veille et Lenoir n’avait rien noté d’anormal sur le chemin du restaurant.
Assis tous trois dans le fond de la salle à une table isolée, Isabelle expliqua l’essentiel de son plan.
– Nous agirons dimanche matin à huit heures. Gilbert, je passe te prendre à sept heures trente chez Phil. Je prendrai la voiture de Pierre pour qu’on tienne à cinq, conclut-elle. Tu vois quelque chose qui cloche ?
Gilbert Lenoir dit que non. Que tout semblait OK.
Isabelle revint chez elle vers dix-neuf heures. Auparavant, elle était repassée au service sous le prétexte d’une autre affaire en cours sur laquelle elle détenait quelques informations qui pouvaient intéresser le commandant en charge du dossier. En fait, pour vérifier quelques éléments essentiels et après avoir promis au patron de boucler définitivement en début de semaine le dossier des cinq meurtres non élucidés. Au grand soulagement du commissaire principal Derosier qui l’en félicita.
Elle trouva un Pierre des plus moroses. Qui attaqua avant même qu’elle eût retiré son blouson et ôté son holster.
– C’est quoi cette histoire de protection de Phil ?
Elle était étonnée de la question. Phil était-il « filé » ? Ou elle-même ?
– Je ne vois pas ce que tu veux dire, lança-t-elle d’un air faussement détaché.
– Ne fais pas l’idiote ! Tu sais très bien de quoi je parle. Le petit Lenoir qui ne le lâche pas et qui loge chez lui… C’est quoi comme embrouille ?
Isabelle poussa un gros soupir.
– Primo, je suis ta femme. Secundo, tu continues sur ce ton-là et je demande le divorce…
– Excuse-moi, mais c’est l’affolement « en haut ». Ils ne comprennent plus ton jeu. Je les ai eus sur le dos tout l’après-midi. Je les avais assurés de ta coopération…
– C’est très bien, mon chéri, tu as bien fait, lui dit-elle tout en commençant de mettre la table.
Le commandant Pierre Cavalier se sentait déstabilisé.
Sa femme le menait en bateau et elle fonçait droit dans le mur.
Qu’avait-elle mijoté ?
– Dis, Isa, lui demanda-t-il tendrement, tu ne vas pas faire de bêtise ?
– Bien sûr que non, mon chéri. J’ai charge d’âmes et je n’ai pas envie de voir ma fille mourir…
Pierre sursauta.
– De quoi parles-tu ?
– Tiens, tu ne connais pas cette histoire, toi qui navigues dans la flicaille politique !
– Celle du Président ?
– Oui, celle du Président au-dessus de tout soupçon et qui se retrouve mis un jour devant de très anciens souvenirs par un maître chanteur indélicat et surtout imprudent. Le maître chanteur détient des preuves de ce qu’il avance. Il demande – normal – une forte somme pour prix de son silence. Un service inconnu à l’organigramme de la République lui demande la restitution immédiate des preuves en échange de rester en vie. Le maître chanteur rit. Si on le tue, les preuves seront remises à la presse. Tu te souviens du reste ?
– C’est une légende qui court, dit Pierre en haussant les épaules.
– Comme tu voudras… Donc, notre maître chanteur a une femme et deux enfants. Un petit garçon de sept ans et une petite fille de trois ou quatre ans – l’âge de notre fille. Alors, la petite fille a un accident. Elle meurt. Un homme du service inconnu appelle le maître chanteur. « Tu nous remets les preuves, sinon, la prochaine fois, c’est ton fils. Ensuite ta femme… » Le maître chanteur leur a remis immédiatement les preuves.
– Mais pourquoi me racontes-tu ça ? demanda Pierre en s’énervant.
Isabelle haussa les épaules et fit une moue désabusée.
– Pour que tu comprennes que je sais parfaitement de quoi sont capables tes gugusses « d’en haut ». Et que tu comprennes aussi qu’on ne touchera pas un cheveu de Phil et que je ne laisserai pas assassiner ma môme.
Pierre était accablé. Il s’attendait à présent au pire.
Elle le regarda avec son air pitoyable. Elle en éprouvait de la pitié. « Reprends-toi, la pitié, en amour, c’est comme le glas qui sonne. »
Elle voulait lui donner encore une dernière chance.
– Maintenant, on n’en parle plus. Tu sais que je t’aime, que je tiens à toi. Alors, choisis ton camp.
Pierre Cavalier opina silencieusement.
Le message était passé.
– Au fait, ajouta Isabelle d’un ton détaché en retournant prendre un plat dans la cuisine, dimanche j’ai besoin de ta voiture. Je te laisserai la mienne.
– Pour quoi faire ?
– Tu es de service, moi pas. Alors j’ai envie de m’aérer, de changer d’atmosphère… J’emmène la petite.
– Mais, Isa…, commença-t-il
– T’occupe ! le coupa-t-elle. Tu as jusqu’à dimanche matin pour faire ton choix. En attendant, tu dors sur le canapé et moi dans le lit avec ma fille.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

jeudi 11 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Gilbert Lenoir fut étonné que le capitaine ne se rende pas immédiatement à l’appartement de la famille Dutour et qu’Isabelle lui demande de veiller sur Philippe-Henri Dumontar.
– Le temps de trouver une planque sûre pour notre témoin, expliqua-t-elle.
– Oui, mais je ne vois pas le rapport entre la protection de M. Dumontar et celle de Euh-Euh…
– C’est lié, lieutenant lui dit-elle en lui faisant un sourire enjôleur. Ils s’en prendront au professeur avant de s’en prendre à Euh-Euh… Je n’ai pas le temps de vous expliquer maintenant, mais vous comprendrez plus tard.
Isabelle s’aperçut que le lieutenant mourait de lui poser une question mais semblait hésiter.
– Qu’y a-t-il, lieutenant ? Quelque chose vous préoccupe ?
Le jeune lieutenant se demanda un bref instant s’il ne devait pas plutôt se taire. Sa curiosité fut la plus forte.
– Pourquoi n’a-t-on pas confié cette mission de protection au service, justement, chargé habituellement de la protection des personnalités ?
Isabelle Cavalier fut interloquée. Elle lui jeta un regard interrogateur que le jeune lieutenant prit pour une rebuffade.
– Pourquoi me posez-vous précisément cette question, lieutenant ? reprit-elle intriguée.
– Ben, parce que Euh-Euh est le neveu du principal présidentiable de la gauche, le député Vert européen Lorrinval…
Gilbert Lenoir ne savait plus où se mettre. Quand il vit un large sourire s’épanouir sur le visage du capitaine, le lieutenant pensa qu’elle allait se moquer de sa stupidité.
Il fut surpris quand elle poussa un « Oh ! oh ! » admiratif et le prit par le bras en le tutoyant.
– Gilbert, nous sommes faits pour nous entendre ! Explique-moi ça…
Le lieutenant se rengorgea.
– Eh ben, dans le cadre de notre enquête, j’ai voulu savoir qui étaient les Dutour, Louis et Paulette Dutour…
– Ça aurait pu être dangereux vu la tournure qu’ont prise les événements dernièrement, le coupa-t-elle.
– Oh ! ne vous inquiétez pas. C’était juste après le premier meurtre.
– Et qu’as-tu découvert ?
– Eh ben, que Paulette Dutour, de son nom de jeune fille Lorrinval, était la sœur aînée du député Lorrinval…
Un ange incestueux passa devant Isabelle Cavalier. « Oh ! la la ! ça se corse », se dit-elle.
– Qu’as-tu découvert d’autre ? demanda-t-elle non sans une certaine appréhension et en cachant son trouble.
– Eh ben, la principale source de revenu de la famille Dutour provient de versements trimestriels importants dont l’origine semble être un compte luxembourgeois au nom de Lorrinval…
– Et tu en as parlé à quelqu’un de cette découverte ? Au commissaire Antoine ou ta petite amie ? demanda-t-elle en ne pouvant réprimer un frisson en songeant au danger que courait Gilbert Lenoir.
– Oh non ! capitaine. C’est avec vous que je mène l’enquête…
– Alors pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ? le coupa-t-elle sèchement.
– Ne m’en voulez pas, capitaine, mais j’attendais d’être sûr de pouvoir vous faire confiance. Il y a trop de choses bizarres dans cette affaire. Ça sent le danger.
– Je ne te le fais pas dire, lui dit-elle en adoucissant son ton.
Elle sentit au regard jeté par le lieutenant qu’il n’avait pas tout dit. Elle l’encouragea muettement.
– J’ai recherché l’acte de naissance de Patrice Dutour à la mairie du 15e. Introuvable…
Ils étaient arrivés au bas de l’immeuble de Philippe-Henri.
– Maintenant, on se tutoie, lui dit-elle. Nous sommes dans le même bain. Mais ne raconte rien de tout ça à Phil. Je monte juste avec toi récupérer ma fille et on se retrouve demain midi au Relais angevin.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mercredi 10 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 14

Chapitre 14





À midi, le capitaine Isabelle Cavalier se trouvait dans le bureau du commissaire Antoine des Stups.
Elle lui présenta l’affaire à sa manière. De façon qu’elle puisse cadrer avec la personnalité flicarde d’Antoine.
Grosso modo, elle lui expliqua que la DST semblait ne pas avoir digéré la mort d’Ahmed Larbi, un de ses indics, devant ses locaux. Qu’elle préparait un coup tordu en se servant de Patrice Dutour. Le seul témoin. Que sa vie était peut-être même en danger.
– Les enfoirés ! explosa le commissaire ainsi que l’avait anticipé Isabelle Cavalier. Ça m’étonne pas d’eux ! C’est vraiment pas des flics comme les autres ! On va les niquer, fais-moi confiance !
Isabelle, assise confortablement dans le fauteuil des visiteurs, opinait du chef, un léger sourire flottant sur les lèvres.
– Qu’est-ce que tu attends de moi, Isabelle ? Je suppose que tu as une idée ?
Le capitaine Cavalier exposa rapidement son idée.
– Tu veux le lieutenant Lenoir ?
– Ça peut aider.
Le commissaire appela le poste de Gilbert Lenoir.
– Tu rappliques fissa ! hurla-t-il.
Il se mit à faire les cent pas derrière son bureau, les mains enfoncées rageusement dans les poches du pantalon. Jetant de furtifs regards sur les jambes croisées haut du capitaine Cavalier qui avait prévu une jupe courte pour cette entrevue amicale.
Quand le lieutenant arriva trois minutes plus tard, il lui jeta un hypocrite : « Enfin ! », avant de lui ordonner de se mettre à la disposition du capitaine Cavalier et de lui obéir en toute chose.
– Considère-toi en mission spéciale. Ça prendra le temps que ça prendra, alors prends tes dispositions. Pour le reste, le capitaine t’expliquera. Et tu lui obéis au doigt et à l’œil si tu ne veux pas te retrouver à la circulation !
Isabelle Cavalier remercia vivement le commissaire et prit congé en lui jurant de le tenir au courant du déroulement de leur plan.
Isabelle expliqua à Gilbert Lenoir qu’il s’agissait de protéger Euh-Euh, victime d’une sombre machination, le temps d’en venir à bout.
À quinze heures trente, la juge chargée du dossier des cinq meurtres signait une ordonnance qui plaçait le témoin Patrice Dutour sous protection policière rapprochée. Avec carte blanche au capitaine Isabelle Cavalier pour prendre toutes les dispositions qu’elle jugerait nécessaires pour le bon déroulement de sa mission.
– S’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on s’en prenne aux témoins, dit la juge d’instruction en lui tendant la feuille magique. Mais vous me tenez au courant, n’est-ce pas ?
– Évidemment, madame la juge, répondit Isabelle d’un ton respectueux.
En sortant du Palais de Justice, le lieutenant Lenoir félicita le capitaine pour avoir convaincu aussi rapidement le juge.
– Mais pourquoi lui avez-vous parlé d’une combine des RG alors qu’à mon patron vous avez parlé d’une machination de la DST ?
– Elle n’aime pas les RG. C’était donc plus simple comme ça, lieutenant, répondit gaiement Isabelle Cavalier.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 9 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 13

Chapitre 13





Le lendemain jeudi 23 octobre, premier jour des vacances scolaires de « novembre », Isabelle Cavalier sonnait à la porte de l’appartement de Philippe-Henri Dumontar, rue Saint-Dominique, près de l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou. Elle avait amené sa fille avec elle. Il était neuf heures et demie.
Elle ne savait trop comment aborder le problème.
Phil la sentait nerveuse, inquiète.
– Toi, tu t’es disputée avec Pierre, dit-il sur le ton de la constatation la plus anodine.
Elle lui sourit tendrement.
– À ton propos, Phil.
– À mon propos. Ah ! fit-il en se grattant la joue droite.
Elle lui prit la main.
– À ton propos et aussi à propos de Euh-Euh.
Phil ne parut pas surpris. Il se mit à marcher de long en large dans la salle à manger, avant de lâcher :
– Alors, il est au courant ?
– Mais au courant de quoi ?
– De la vérité sur Euh-Euh.
Isabelle était interloquée. Phil était-il parvenu de son côté aux mêmes conclusions qu’elle ?
Elle lui expliqua ce qu’elle savait. Que Euh-Euh devait être l’objet d’une affreuse machination pour pouvoir faire pression sur son père, le vrai, pas le Louis Dutour qui faisait fonction de père officiel.
Phil l’écouta longuement sans l’interrompre.
Il préféra lui taire le rôle de justicier de Euh-Euh.
Euh-Euh pensait que « la dame de la police » le comprenait et l’approuvait. Lui, Phil, il connaissait bien son Isabelle et il croyait plutôt le contraire. Donc, inutile de lui parler du Euh-Euh justicier.
Ce qu’il pouvait lui révéler, en revanche, c’est que Euh-Euh était persuadé que ses parents n’étaient pas ses vrais parents. Du moins Louis Dutour. Car, il semblait, que Paulette Dutour soit bien sa mère biologique. Une aventure de jeunesse de notre fringant candidat qui s’était empressé de passer à une autre amourette.
– À présent, nous sommes deux à être en danger, Phil. Toi et moi, dit-elle tristement. Tu te trouves dans leur collimateur, Phil. Il faut que nous fassions quelque chose.
Phil réfléchissait. Il entrapercevait le début d’une solution possible.
– Si je comprends bien, dit-il, Euh-Euh leur est infiniment précieux. Sans lui, tout leur plan tombe à l’eau à ces pourris ?
– En quelque sorte.
Phil replongea dans ses pensées et fit un clin d’œil à Isabelle.
– Est-ce que tu ne serais pas arriver à la même conclusion que moi, ma fille ?
– Si.
– Alors ?
– Si on enlève Euh-Euh et qu’on le met en lieu sûr, ça peut les faire réfléchir…
– Et nous le restituerons contre une garantie écrite en bonne et due forme, conclut-il.
Isabelle demanda à Philippe-Henri de s’occuper de sa filleule et petite-fille le reste de la journée. Pour la plus grande joie de Philippine qui avait toujours eu plein de secrets à partager avec son Papy. – L’inverse étant également vrai, hélas !
– J’ai à faire ! lui dit-elle mystérieusement.
– Suis ton idée ! Nous faisons une sacrée équipe, ma fille…



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 8 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12





Pierre Cavalier paniqua lorsque sa femme lui révéla le soir, au moment d’attaquer le fromage, le fruit de ses cogitations.
– Mon chéri, je sais tout !
– Tout quoi ?
– Tout ce que tu voulais me cacher, mon amour…
Isabelle le vit devenir blême et ouvrir la bouche comme à la recherche d’air.
– Excuse-moi de t’avoir fait parler la bouche pleine, mon chéri. Tu étouffes ?
De blême, elle vit curieusement virer son mari au vert.
Puis ce fut un rouge congestionné quand il toussa longuement.
Elle s’était accoudée sur la nappe, son menton reposant sur ses mains croisées, et attendait que ça se passe.
Elle l’aida un peu car il tardait à recouvrer l’usage de la parole.
– Toute la combine. Les tenants et aboutissants… Pourquoi, en fin de compte, il faut sauver le fils du présidentiable le mieux placé à gauche…
– Ne parle surtout pas de ça à quiconque…, hoqueta-t-il entre deux quintes de toux.
– Je sais, mon chéri, ceux qui savent sont en danger… Toi, moi…
– Et Phil, ajouta-t-il après une légère hésitation.
– Mais que vient faire Phil là-dedans ?
– On l’a vu avec ton Euh-Euh.
– Et alors ?
– Eh bien, il est soupçonné d’être au courant de tout.
Isabelle était abasourdie. Qu’est-ce que ces tordus de flics politiques avaient encore trouvé ?
– Serait-il en danger ? demanda-t-elle en cachant difficilement son anxiété.
– Oui.
– Et c’est tout ce que ça te fait ! hurla-t-elle au risque de réveiller Philippine qui dormait deux pièces plus loin. Phil – mon quasi-père, le grand-père et le parrain de ta fille, je te le rappelle au passage, au cas où tu aurais pu l’oublier – est en danger et tu dis : « Oui », comme ça, négligemment !
Elle en avait le souffle court, haletant de colère.
– Tu l’as prévenu, j’ose espérer ?
Pierre baissa les yeux.
– Tu vas laisser assassiner le grand-père de ta fille par ta « raison d’Etat » à la noix ? Réponds-moi !… ou, plutôt, attends, je vais chercher ta fille et tu vas lui dire toi-même que tu vas participer à l’assassinat légal de son grand-père…
Isabelle s’apprêtait à sortir du salon quand il parvint à la bloquer in extremis.
– Je ne veux pas ça, je te le jure ! lui dit-il pathétiquement.
– Alors trouve une solution à vos conneries ! lui jeta-t-elle tout en se débattant.
Ils retournèrent s’asseoir autour de la table. En chiens de faïence.
– Je sauverai Phil, je te le jure ! lâcha-t-elle après avoir ruminé sa rage. Je trouverai une idée, moi !
Pierre Cavalier était abattu. Il sentait confusément que tout aller foirer lamentablement. Que rien ne peut s’opposer au rouleau compresseur de la raison d’État une fois en marche.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

dimanche 7 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





Dès le lendemain matin, en arrivant dans le service, la première impulsion d’Isabelle fut de se plonger dans les divers fichiers auxquels elle avait accès. Mais elle craignit de se faire identifier. Et il n’était pas question de confier cette recherche à quiconque. Elle était persuadée que tout fonctionnaire de police qui se mettrait à pianoter « Dutour » serait immédiatement repéré, identifié et mis en danger.
De toute façon, se dit-elle, « raison d’État » équivaut toujours à « secret d’État », gros ou petit. Et elle se jura de percer ce secret.
Quel rapport peut-il exister entre Euh-Euh et l’État ?
Il n’est ni un espion à la solde d’une puissance étrangère – c’est l’évidence même – ni un trublion menaçant l’ordre public – nouvelle évidence.
Il s’agit donc d’un rapport quelconque existant entre Euh-Euh et un de nos princes qui nous gouvernent.
Mais que venait faire Euh-Euh dans le dossier d’enquête ?
Simple témoin muet, il ne gênait personne.
D’ailleurs, il n’existait aucun Dutour en politique, que ce soit sur le devant de la scène ou en coulisse.
Meurtrier, se surprit-elle à penser, ce serait déjà différent.
Cette idée lui était désagréable, aussi désagréable que celle qu’elle avait éprouvée lors de l’enquête – alors qu’elle n’était encore que lieutenant – sur le tueur « au collier de perles », le « Père Noël tueur », et que Philippe-Henri Dumontar avait été faussement suspecté par ses supérieurs, lui le meilleur des hommes
*.
Mais elle était payée pour avoir des idées désagréables.
De toute façon, s’il existait un lien quelconque entre Euh-Euh et un homme politique, ça sentait la grosse – et même grossière – machination pour perdre cet homme.
Dans les faits, si elle faisait le tri parmi toutes les infos que lui avaient livrées Pierre volontairement ou inconsciemment, tout donnait à penser qu’une officine quelconque avait projeté de transformer Euh-Euh en principal suspect – qui ne pourrait d’ailleurs jamais se défendre – pour exercer une pression sur cet homme politique.
C’était un coup foireux.
Mais quel lien peut-il exister entre un jeune homme de vingt-trois ans et un homme politique de premier plan.
De droite ou de gauche ?
« Les deux », lui avait dit Pierre hier soir.
La droite est au pouvoir, se dit Isabelle Cavalier. S’il y a eu accord au sommet entre la droite et la gauche, c’est que ça concerne un homme de gauche.
– Touché ! dit-elle à haute voix. C’est une affaire Mazarine !
Elle était consternée par sa propre conclusion. Elle aurait même aimé l’oublier aussitôt.
La « fille cachée » du Président Mitterrand n’était plus qu’une lointaine anecdote estompée par d’autres scandales et quelques guerres.
Et, si elle pensait juste, ce n’était pas Euh-Euh qui se trouvait en danger immédiat. Mais quiconque pourrait révéler ce lien caché.
Isabelle Cavalier était persuadée que ce lien occulté liait Euh-Euh et le nouveau présidentiable qui émergeait à gauche des rangs des Verts. Il était le plus jeune des concurrents et semblait avoir la faveur des sondages à gauche.
Le « pouvoir » passe un marché avec le candidat.
Il fait tout pour disparaître au bon moment de la course présidentielle et laisser sa place à un second couteau, permettant ainsi à la France de s’offrir un Président du quatrième âge – le rêve de tout pays de vieux.
Sinon, on le détruit en révélant son « fils caché ».
« Le candidat de la gauche a abandonné son fils mongolien »… Cela pouvait être décliné à l’infini. « La gauche gogole » – pour l’extrême droite –, « La gauche trisomique » – pour la droite.
La gauche, elle, elle se tairait. Les plus suicidaires dans ses rangs essayant de rattraper le coup pour mieux enfoncer leur camp.
Évidemment, dans tout ce bon plan à l’allure classique, il y avait un hic.
Il était absolument fondamental que personne – flic, juge ou journaleux – ne révèle ce lien. Sinon, plus de plan.
Et il ne fallait pas qu’il meure. Du moins avant les élections présidentielles.
Elle comprenait mieux le sens de la pression des gens « d’en haut » à son égard. Le pouvoir en place allait tout faire pour protéger Euh-Euh, à la fois son anonymat et sa vie.
À défaut d’idées neuves, il tenait là la machination parfaite.
La gauche, elle, avait intérêt à sa « disparition ».
Plus de Euh-Euh, plus d’épée de Damoclès.
Mais faire disparaître Euh-Euh, cela revenait pour elle à se jeter pieds et poings liés dans les bras du pouvoir. Surtout si ça manquait de discrétion.
C’était le nœud coulant parfait pour étrangler le candidat de gauche ayant le plus de chances de succès.
Isabelle Cavalier était très satisfaite d’elle.
* Voir Sous le signe du rosaire.

© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

samedi 6 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 10 (suite et fin)

Chapitre 10 (suite et fin)





Isabelle dissimula sa surprise.
– Ah ! mon chéri, mais je pense que ça peut intéresser fortement le juge d’instruction. Recel d’information, obstruction au déroulement de l’enquête – je t’en passe…
– Mais, Isa, c’est du sérieux ! la supplia-t-il.
– Je te crois ! C’est un délit réprimé par le code pénal, qui va chercher dans les…
– Merde ! Arrête tes conneries, Isa ! C’est trop grave ! Il peut y aller de ta vie. Rien ne les arrêtera s’ils veulent étouffer cette affaire…
Isabelle constata avec plaisir que son mari avait abandonné son rôle de petit garçon. Elle savait qu’il ne s’exprimait pas à la légère en lui assenant ces vérités concernant les « gens du pouvoir », qui n’étaient pas toujours – et rarement – des élus. Elle réprima un frisson désagréable.
Isabelle brisa le long silence qui s’était instauré.
– Si je comprends bien, certains détiennent des preuves absentes du dossier que je gère… qui ont été sciemment occultées ?
– Oui.
– Peux-tu me dire le nom du criminel ?
– Non.
– Le commissaire Antoine et mon patron sont-ils au courant ?
– Non.
– Seront-ils mis au courant à un moment quelconque ?
– Non. Mais ils connaissent la musique, eux. À leur niveau, la « raison d’Etat » signifie quelque chose pour leur carrière.
Le capitaine Isabelle Cavalier s’était plongée dans une longue réflexion. Elle parcourait mentalement les nombreux feuillets du dossier concernant les cinq crimes.
– Ce que je ne comprends pas, finit-elle par dire, c’est pourquoi on me demande ça, puisque je n’ai rien qui me mène à un quelconque suspect… Le dossier est bouclé de lui-même puisque je n’ai pas la moindre trace de suspect. C’est idiot, votre truc !
Pierre écarquilla les yeux.
– En fait, poursuivit Isabelle, tu ne m’aurais rien dit, personne n’aurait jamais rien su de votre combine… C’est bien ce que je pensais, ils sont totalement débiles, ceux « d’en haut »…
Quand sa femme se mettait à réfléchir de cette façon, Pierre Cavalier s’inquiétait toujours. Sa logique particulière n’était pas très cohérente, mais Isabelle avait parfois des intuitions fulgurantes. Des associations d’idées ou de faits qui la mettaient sur une piste – la bonne – alors qu’elle ne possédait aucun élément matériel l’étayant.
Ce côté-là d’Isabelle, un peu sorcière ou devin, le troublait toujours un peu même s’il en était admiratif.
Lui, il n’avait guère d’intuition.
– Mais, dis donc, tes enfoirés, reprit-elle avec un regard aussi dur que de l’acier, tes débiles ne veulent quand même pas faire porter le chapeau à Euh-Euh… ?
Elle sut qu’elle avait touché pas trop loin en voyant le regard éperdu de son mari.
– Il est le seul témoin – direct ou indirect – de la plupart des cinq crimes. Et comme il ne peut pas se défendre, et pour cause… – Je t’en supplie, Pierre, dis quelque chose, dis-moi que je me trompe…
Elle se tut en attendant qu’il se décide à parler.
Ce qui prit un certain temps.
– Tu n’es pas loin de la vérité, mais ce n’est pas tout à fait ça, dit-il d’une voix sombre.
– Touché ! alors.
– C’est l’inverse… Il ne faut qu’en aucun cas le nom de Euh… – de Patrice Dutour, se reprit Pierre, n’apparaisse dans le dossier.
– Coulé ! conclut-elle avec un sourire amer.
Ils en étaient restés là pour le moment. Isabelle se tut durant le repas et rumina ses sombres pensées pendant une partie de la nuit.
Sans cesse, elle en revenait à la même question : « Qui est Patrice Dutour ? »
Elle n’avait pas de réponse. Mais une certitude se fit jour peu à peu. Euh-Euh pouvait être en danger.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

vendredi 5 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Le lendemain de cette entrevue mystérieuse dans l’appartement des Dutour, le mardi 21 octobre, dans la soirée, le commandant Pierre Cavalier, de la Direction centrale des Renseignements généraux, tournait en rond dans l’appartement.
Isa allait rentrait d’un instant à l’autre et il ne savait toujours pas comment il allait s’acquitter de sa mission auprès de sa femme.
Il avait déjà couché leur fille Philippine pour être plus serein quand Isabelle arriverait.
Évidemment, la hiérarchie « parallèle » qui s’occupait de cette sale histoire lui avait refilé le bébé.
– Ce sera simple pour vous de briefer votre femme. Vous aurez plus facilement barre sur elle que n’importe qui d’autre. De toute façon, nous n’avons pas le choix… Et vous non plus, puisque vous appartenez à la section des « affaires spéciales »…
Il ne se voyait pas mentir à sa femme.
De toute façon, elle lisait en lui comme à livre ouvert et le connaissait mieux qu’il ne pourrait jamais se connaître.
Pourtant, il ne devait pas tout lui dire. Seulement le nécessaire pour qu’elle referme ce putain de dossier et oublie y avoir fourré son nez.
Quand elle rentra et se précipita pour se blottir dans ses bras, il crut qu’il n’y parviendrait jamais. Mais, comme il tirait sa tronche des mauvais jours, elle devina qu’il avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer ou qu’il avait passé une journée pourrie.
Elle stoppa son élan amoureux et lui lança :
– Vas-y, annonce !
Il n’aimait pas du tout quand les explications avec Isa débutaient de cette façon. Cela n’augurait rien de bon pour la suite. Surtout pour lui.
Il avala sa salive.
– Voilà, ça concerne le service, et c’est très sérieux…, commença-t-il.
– T’es déjà viré ou muté dans une de nos belles provinces ? le coupa-t-elle, amère.
Il grimaça.
– Non. Ça te concerne.
Isabelle était interloquée. Elle ne comprenait pas.
– Je suis sanctionnée pour mon boulot désastreux, cette saloperie d’enquête où je ne suis parvenue à rien ?
Il sourit légèrement.
– Non. Disons que cet aspect-là a plutôt été vu favorablement…
Elle se demanda un instant si son mari se moquait d’elle. Pourtant, ce n’était pas son genre. Il savait combien elle pouvait être susceptible.
Elle suspecta soudain le coup fourré.
Il n’était pas normal que l’on confie une enquête aussi lourde à un simple capitaine de la Crim.
Si on l’avait fait, c’était dans l’espoir qu’elle n’aboutisse pas, qu’elle se plante royalement.
Le capitaine Isabelle Cavalier détestait par-dessus tout être manipulée.
Elle s’assit dans son fauteuil préféré. Posa ses mains bien à plat sur les accoudoirs de cuir et défia son mari du regard.
– Alors, c’est quoi comme saloperie ? Quel type de manip, cette fois ? Quel coup tordu ou embrouille pourrie ?
Ce que Pierre Cavalier supportait le moins chez sa femme, c’était cette façon bien particulière à elle de sentir et de deviner les choses.
À voir l’air confus et penaud de son mari, Isabelle sut qu’elle avait touché juste.
– Coulé ! lâcha-t-elle sarcastiquement.
« Oh ! et puis merde ! » se dit Pierre Cavalier avant de se lancer dans son explication confuse.
– Il s’agit de la raison d’État…, commença-t-il.
– On connaît ! le coupa-t-elle sèchement. On donne même souvent, que ce soit à droite ou à gauche. Alors, de quel côté cette fois ?
– Les deux, répondit Pierre en fermant les yeux.
Quand il les rouvrit, Isabelle était tout sourire. Ce qui l’inquiéta.
Il se sentait dans ses petits souliers pour la suite.
– Voilà, poursuivit-il la gorge sèche. Il faut que tu boucles ton dossier en cours et que tu l’oublies… L’affaire est enterrée… Ordre d’en haut…
Il n’aimait pas cette lueur d’ironie sarcastique dans son regard.
– D’en haut ? Et c’est qui « d’en haut » ?
– Écoute, Isa, tu sais bien que…
– Non ! le coupa-t-elle rageusement. « D’en haut », moi je ne connais pas ! Je suis au service de la justice, pas « d’en haut »… Il existe un code de procédure pénale, etc. Alors, ton « d’en haut », rien à foutre !
– Écoute…
– Non !
– Ça vient de très haut… de très très haut…
– De Dieu le Père, peut-être ?
– Presque.
Un long silence s’instaura entre eux. Isabelle croisant et décroisant ses jambes nerveusement. Pierre contemplant la pointe de ses chaussures.
– Écoute, Pierre. Il existe une voie hiérarchique. Moi, je transmets. Après, ils décideront. Par ailleurs, tu es au RG, affecté aux affaires sensibles, d’accord. Mais ça ne te donne pas le droit d’exercer une pression quelconque sur un officier de police judiciaire qui fait son boulot.
– Mais c’est un ordre, Isa, tenta-t-il piteusement.
– Alors, qu’il soit écrit et signé !
Pierre se sentait épuisé.
– Mais tu sais que c’est impossible. Il y a trop d’enjeux…
– Vos combines de police politique ne m’intéressent pas. Vous en avez le cerveau embrumé. Vous virez parano aux RG. Bientôt ce sera pire qu’à la DST. Il faut le faire !
Isabelle s’était levée et tournait autour de la table du salon en défiant son mari du regard. En vain, car le sien ne quittait pas la pointe de ses chaussures.
– Alors, tu m’expliques comme à une grande fille ou tu vas te faire foutre ! Je n’ai pas envie que mon mari suive les pas de son géniteur et de ton salopard de Laneureuville
*, d’accord ?
– C’est impossible, Isa, dit-il sans lever la tête de crainte de croiser son regard. Je ne peux t’en dire plus… je n’en ai pas le droit. C’est vraiment explosif comme truc… C’est pour te protéger…
– Me protéger ? Tu me fais des menaces, maintenant ? Mon mari joue les petits commissionnaires « d’en haut » et me fait des menaces sous notre propre toit ! Mais tu déconnes, Pierre !… Et pourquoi, d’ailleurs, n’ont-ils pas pris quelqu’un d’autre pour faire cette petite commission ?
– Ils ont pensé que j’étais le mieux à même…
– Qu’est-ce qu’ils peuvent être cons !
Isabelle arrêta son mouvement tournant et se figea les bras croisés sur la poitrine devant son mari.
– Ne me rends pas la tâche plus difficile, lui dit-il en levant vers elle un regard suppliant.
– Alors explique-toi vraiment, concéda-t-elle, son pied droit tapotant nerveusement le sol.
Le commandant Pierre Cavalier avala plusieurs fois sa salive et soupira.
– Voilà. Il ne faut pas qu’on puisse remonter à une certaine personne… le criminel, si tu veux…
– De mieux en mieux, mon chéri. Continue !
– C’est tout.
– Parce que « vous », vous connaissez le criminel ?
– Oui.
* Voir Un vague arrière-goût.

© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mercredi 3 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 9 (suite et fin)

Chapitre 9 (suite et fin)





Depuis un an, elle était méconnaissable Mercedes.
Elle était devenue négligée et avait souvent un regard vide. Comme mort.
Mercedes faisait peur à Euh-Euh.
Le Clément, il avait de nouveaux amis qu’il retrouvait souvent autour du jardin Nicole-de-Hauteclocque.
Euh-Euh avait commencé de suivre leurs habitudes dans le quartier entre le boulevard de Grenelle et l’avenue de La Tour-Maubourg.
C’étaient les « rabatteurs » et les « livreurs » de Clément.
Quand ils faisaient la fête entre eux, ils jouaient tous les cinq avec Mercedes. C’était pas beau mais Mercedes elle semblait pas se rendre compte.
Euh-Euh, il regardait pas vraiment. Il voulait juste être là pour protéger Mercedes.
Puis, un jour, ils ont tout fait pour que Euh-Euh joue lui aussi avec Mercedes.
Euh-Euh il a pas voulu. Mais le Clément il a sorti un couteau et l’a donné à Samy Dupuis pour qu’il oblige Euh-Euh à le faire.
Euh-Euh il a eu peur.
Il s’est approché tout nu de Mercedes pour faire comme eux.
Mais Mercedes elle s’est mise à crier et à se débattre.
– Nooon ! pas toi ! Vous êtes des ordures ! Pitié…
Alors ils l’ont tenue et giflée et donné des coups de pied.
Euh-Euh il a été obligé avec le couteau.
Mercedes pleurait et suppliait.
Euh-Euh aussi.
Ils ont beaucoup ri et moqué de Euh-Euh qui pouvait pas.
Parfois, ils obligeaient aussi Mercedes à faire la même chose avec des hommes qui payaient pour ça.
Depuis quelque temps, ils faisaient des piqûres à Mercedes.
Elle faisait tout ça pour ses piqûres qu’elle devait payer.
Pour eux, elle en faisait jamais assez des choses sales avec des hommes qu’elle connaissait même pas.
Pour la punir, ils la déshabillaient et lui faisaient pipi dans la bouche ou dans les fesses.
Mercedes elle était morte depuis longtemps quand ils lui ont fait, sous les yeux de Euh-Euh, dans l’appartement de Clément, la piqûre qui l’a tuée.
Ils ont été la mettre dans le local à ordures de l’immeuble de Mercedes. C’était tout près.
Cette nuit-là, le 13 mai, Euh-Euh a décidé de les tuer tous.
Par justice et pour que Mercedes pardonne à Euh-Euh.
En prenant son temps et en observant bien.
Comme ils connaissaient tous Euh-Euh, c’était très facile.
Ils avaient pas la méfiance.
Euh-Euh, il s’est servi de leurs habitudes. Avec la patience d’un loup.
Aucun n’a eu peur quand il a vu Euh-Euh s’approcher.
Après Euh-Euh sait pas. Il fermait toujours les yeux quand il frappait pour pas voir les leurs.
Ça, Euh-Euh, il pouvait pas.
La dame de la police, elle a beaucoup aidé Euh-Euh après la mort d’Ahmed Larbi.
Elle a été gentille. La dame elle a dit que la police était un grand danger. De pas sortir.
Elle avait l’air d’aimer la vengeance de Euh-Euh. Elle a pas arrêté Euh-Euh quand il lui a dit que c’était lui.
Elle faisait comme si elle comprenait pas.
Le professeur aussi il a été gentil. Surtout quand Euh-Euh lui a dit qu’il y en avait déjà eu trois et qu’il en restait plus que deux.
– C’est bien. Termine ce que tu as commencé, il a dit le jour où ils se sont promenés dans les Invalides. Sois très prudent et prends tout ton temps. Mais après, tu arrêtes. Tu ne fais plus rien. Tu me le promets ?
Euh-Euh il a promis.
Normal. Euh-Euh est pas un assassin.
Euh-Euh, il a fait justice comme dans la Bible le vieux monsieur il a dit de faire avec les méchants.
Euh-Euh très fier de lui.
Mais maman Euh-Euh semble très soucieuse depuis la punition de Samuel Jançon.
Un monsieur inconnu mais important pour maman Euh-Euh est venu lui parler quelques jours plus tard. À la maison.
Euh-Euh entend tout.
Le monsieur parle de Euh-Euh.
Il fait pleurer maman Euh-Euh.
Euh-Euh il a envie chercher autre couteau à la cave pour punir le monsieur.
Mais Euh-Euh préfère écouter pour l’instant.
Le monsieur méchant dit à maman Euh-Euh qu’on a retrouvé des empreintes sur les couteaux qui ont tué Samy Dupuis et Samuel Jançon. Il dit que ce sont les empreintes de son fils.
Euh-Euh trouve normal pas avoir mis de gants puisque la dame gentille de la police a protégé Euh-Euh.
Le monsieur dit que c’est grave, très grave.
Le monsieur dit qu’il a eu toutes les peines du monde à dissimuler ces preuves.
Qu’il faut enfermer Euh-Euh dans la maison. Qu’il ne sorte pas.
Que c’est la raison d’État.
Empêcher un immense scandale.
Que maman Euh-Euh doit bien comprendre qu’on ne souhaite pas en arriver à des mesures extrêmes…
Là, maman Euh-Euh repleurait beaucoup.
Euh-Euh veut chercher un couteau.
Mais le méchant monsieur empêche Euh-Euh de passer.
Il aide maman Euh-Euh à l’enfermer à clé dans sa chambre.
Après Euh-Euh entend plus.
Il comprend plus non plus.
Euh-Euh doit parler au professeur…


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





Euh-Euh, il est très content de lui. Il a fait une grande chose. Il a vengé son amie Mercedes. Mais Euh-Euh ne comprend pas pourquoi la dame de la police elle ne le félicite pas quand il lui dit que c’est lui qui a fait ça.
Pourtant, comme lui, elle semble ne pas aimer les méchants.
Il n’y a que le professeur qui comprend Euh-Euh.
Sans lui, il aurait eu du mal à réaliser les deux derniers meurtres.
Le professeur lui a donné de bons conseils.
Il a fait comprendre à Euh-Euh qu’il valait mieux que ça reste un secret. Que les gens ils ne pouvaient pas comprendre son esprit de justice. Qu’ils aimaient pas en fait qu’on fasse justice soi-même. Qu’il valait mieux pour eux qu’il n’y ait pas de justice du tout que celle qu’il exerçait.
Mais Euh-Euh il a tué tous ceux qui ont fait du mal à Mercedes. Et il est heureux Euh-Euh.
Mercedes, maintenant, elle ne va plus pleurer ni supplier.
Mercedes elle est heureuse et elle a dû voir tout ce que Euh-Euh a fait pour elle.
Mercedes, elle a toujours été gentille avec Euh-Euh. Elle s’est toujours occupée de lui. Elle le voyait. Il existait pour elle.
Mercedes, elle avait dix-neuf ans quand elle est morte. Quand ils l’ont tuée, ces cinq-là. Les plus méchants des méchants.
Euh-Euh, c’est dans la Bible qu’il a vu que les méchants ils doivent être punis.
La Bible, Euh-Euh, il aime bien.
Il y a beaucoup de méchants.
Bien sûr, ils ne sont pas toujours punis comme il faut. Le monsieur de la Bible il a parfois des oublis ou des comportements bizarres avec les méchants.
Il y a des punitions qu’il donne qui ne ressemblent pas toujours à des punitions. Plutôt le contraire. Là, Euh-Euh, il aime pas.
Mais quand il châtie bien, le monsieur de la Bible dont on parle toujours tout le temps, Euh-Euh il aime beaucoup.
C’est de la vraie justice.
Parfois, c’est compliqué. On ne sait plus qui est le méchant et le bon. Mais quand on est sûr qui est le méchant, c’est bien. C’est simple.
Euh-Euh il a eu l’idée du couteau quand il a vu Abraham brandir son couteau.
C’est une belle image qui a beaucoup plu à Euh-Euh.
Lui, Euh-Euh, rendre justice comme dans la Bible.
Les gens ils ont aimé, mais ils n’aiment plus a dit le professeur à Euh-Euh.
Mais l’idée du couteau, c’était plus pratique que les transformations en statues de sel, le feu du ciel, les nuées de sauterelles et tous ces trucs qui demandent plein de techniques comme au cinéma.
Euh-Euh, il aime les idées simples.
Les idées simples, lui a dit le professeur, c’est toujours ce qu’il y a de mieux. En toute chose. « C’est classique et tout ce qui est classique est beau. »
Euh-Euh, il aime beaucoup quand le professeur il parle comme ça.
Euh-Euh, il comprend.
Euh-Euh, il comprend beaucoup moins bien les idées de punir les méchants du fils du monsieur de la Bible dont on parle à la fin.
C’est compliqué et pas classique du tout. Donc c’est pas bon.
Mais Euh-Euh, il a compris que c’était quelque chose qui a été rajouté. C’est plus du tout pareil.
D’ailleurs, les méchants, ils ne sont plus punis du tout.
C’est pas de la punition.
Et Mercedes, il ne l’a pas vue monter au ciel.
Mercedes, ils l’ont mis dans une boîte où on pourrit.
Elle méritait pas ça Mercedes après ce que les méchants ils lui ont fait.
C’est pourquoi Euh-Euh il a voulu vraiment les punir.
Pour que ça fasse du bien à Mercedes et que ça l’empêche de pourrir entièrement.
Le professeur il a dit que Euh-Euh il a raison. Que c’est une bonne idée d’empêcher de pourrir complètement.
Il a dit qu’il avait essayé, lui aussi. Mais que personne l’a compris. Il était triste, le professeur, en disant ça à Euh-Euh.
Mercedes, elle était jolie. Très jolie. Toute brune. Avec de longs cheveux noirs.
Quand Euh-Euh a montré sa photo au professeur – jamais à personne d’autre, même pas la dame gentille de la police –, il a dit qu’elle ressemblait à une « moresque ».
Euh-Euh sait pas ce que c’est. Mais ça doit être ça.
Mercedes, elle a toujours été très belle déjà toute petite.
Euh-Euh aimait beaucoup sortir avec elle. Elle était comme sa petite sœur.
Mais Euh-Euh il a pas su veiller sur elle comme un frère. La protéger.
Il y a plus de deux ans, Mercedes a fait la connaissance de Clément Duroc.
Euh-Euh, il l’a pas aimé tout de suite. C’était un frimeur et un menteur.
Mercedes, elle, l’a aimé. Plus que Euh-Euh.
Euh-Euh l’a dit à Mercedes. Elle a dit qu’il était jaloux. Pour ça qu’il disait ça.
Mercedes, elle a pas écouté Euh-Euh.
Alors Euh-Euh, il a fait semblant d’admettre. Il a même fait l’effort de devenir ami avec Clément.
Lui, le Clément, ça l’amusait de promener Euh-Euh avec eux.
– Fais euh-euh…, disait-il.
Ça l’amusait beaucoup.
Ça a aussi gêné Mercedes au début. Moins après, quand elle a commencé à changer. Par sa faute au Clément.
Mais Euh-Euh était content de pas quitter Mercedes.
Puis le Clément il a fait prendre des choses à Mercedes. De la poudre blanche qu’on renifle et qui font que les gens ils sont plus pareils.
Euh-Euh a pris aussi une fois. L’après-midi où ils étaient tous les trois dans l’appartement du Clément et qu’il a déshabillé Mercedes pour faire comme au cinéma.
Euh-Euh était content. Ça faisait plaisir à Mercedes.
Mais Euh-Euh il a refusé de faire comme au cinéma avec Mercedes.
Clément il voulait. Pas trop Mercedes.
Alors il l’a giflée pour l’obliger.
Mercedes elle a alors voulu. Mais pas Euh-Euh.
Il est parti en courant.
Mercedes elle a jamais plus été pareille après.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

mardi 2 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





La cinquième victime était assise au volant de sa voiture, rue George-Bernard-Shaw, à hauteur de la supérette G20. Juste sous un réverbère.
Elle était affalée sur le volant. Poignardée, cette fois, au niveau du cœur. Mais toujours avec un couteau à désosser.
Elle fut découverte à deux heures du matin, le mercredi 15 octobre, par la patrouille de surveillance de la synagogue de la même rue.
Entre deux passages.
Une boîte à chaussures remplies de sachets de crack fut trouvée dans le coffre. Dans le logement de la roue de secours.
La victime avait vingt et un ans et était livreur de pizzas. Samuel Jançon.
Ce fut le tollé. Le comité de quartier se joignit au comité des familles de victimes.
On accusa le redéploiement des forces de police de la capitale vers des quartiers comme le XVIIIe et le XXe arrondissement d’avoir livré le XVe aux voyous. Pourtant, ces voyous-là étaient des « locaux ».
Lors du dépôt de gerbe, qui avait tendance à devenir une coutume locale, le capitaine Cavalier remarqua la présence de Euh-Euh parmi les badauds.
Elle se dirigea vers lui et, aussitôt, il se tapota la poitrine en accompagnant son geste de « euh-euh… » qui semblaient plus enthousiastes que d’habitude.
Isabelle Cavalier ne partageait pas l’exubérance du jeune homme au sourire épanoui sur sa face lunaire.
Elle se sentait lasse et avait demandé à être dessaisie de l’enquête.
Ce qui lui fut refusé car personne n’aurait voulu lui succéder devant un tel merdier.
Mais il n’y eut pas d’autres crimes au couteau à désosser dans le quartier les jours suivants. Et la police n’avait toujours pas le moindre témoin ni aucun suspect à soumettre à la question.
Cette série de meurtres était faite pour rejoindre la kyrielle de crimes non élucidés.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

lundi 1 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 7

Chapitre 7





Dix jours plus tard, l’affaire du tueur au couteau n’était plus qu’un dossier en cours d’enterrement discret, quand, le samedi 4 octobre, l’assassin frappa pour la quatrième fois.
Cette fois-ci, il s’agissait d’un Français « de souche ». Samy Dupuis. Dix-neuf ans. Egalement membre de la « bande tricolore ». Le fils d’un haut cadre technique de la mairie de Paris.
Le corps avait été découvert, un peu après trois heures trente du matin, sur un banc de l’allée Marguerite-Yourcenar qui longe le jardin public Nicole-de-Hauteclocque de la résidence Dupleix.
Le découvreur en était un photocompositeur qui venait de terminer son service de nuit à l’imprimerie des Journaux officiels et qui rejoignait sa voiture garée vers l’église Saint-Léon.
Il avait d’abord détourné le regard car il croyait que l’homme était en train de se masturber. Mais il est rare de pratiquer ce genre d’activité à deux mains.
Samy Dupuis tenait justement à deux mains le manche du couteau planté dans son bas-ventre. Tête affalée sur la poitrine et vidé d’une partie de son sang.
Le capitaine Isabelle Cavalier était sur les lieux une heure plus tard. Rejointe rapidement par le lieutenant Gilbert Lenoir.
Les cinq SDF habitués aux bancs autour du jardin, été comme hiver, n’avaient rien vu ni entendu.
C’était une habitude chez eux de ne rien voir ni de ne rien entendre. Une sorte de sagesse. Toutefois, dans ce cas précis, ils semblaient être sincères.
Quelques lumières d’appartements s’allumèrent, puis s’éteignirent.
Isabelle Cavalier crut apercevoir la silhouette de Euh-Euh au bout de l’allée, du côté de la rue Desaix.
Elle dit au lieutenant Lenoir qu’il finirait par lui arriver un malheur s’il continuait de traîner comme ça.
Le lieutenant haussa les épaules.
Le patron de la Crim et le commissaire Antoine des Stups conférèrent longuement dans la matinée avec le capitaine Cavalier.
En bref, ils voulaient du résultat. C’est-à-dire un coupable. Le plus vite possible. Limite erreur judiciaire.
Mais toujours pas un seul témoin ni le moindre suspect en vue pour tenir ce rôle.
Les trois précédents crimes étaient espacés de trois jours.
Trois semaines séparées le quatrième du troisième.
La piste d’une symbolique du chiffre trois fut néanmoins rapidement abandonnée. Pourtant, les têtes pensantes des services concernés planchèrent dessus une huitaine. Avant de découvrir que Samy Dupuis était parti pour le Maroc le dimanche 5 octobre pour en revenir la veille de son meurtre.
– Dommage qu’il se soit fait tuer, commenta le commissaire Antoine. Il nous aurait fait un suspect idéal pour les trois premiers crimes.
Ce meurtre ne passa pas inaperçu. Par contrecoup les précédents si soigneusement étouffés. Ça dégoulina quelque temps dans les médias.
Le père de Samy Dupuis créa un comité des familles des victimes. Dénonçant la cabale qui voulait salir la mémoire de leurs enfants en les présentant comme d’odieux trafiquants de mort.
Une gerbe fut déposée sur le banc de l’allée Marguerite- Yourcenar. Une autre devant l’ambassade de Cuba et une dernière sous le métro devant le siège de la DST.
Clément Duroc fut oublié. Il n’était pas du quartier.
Le capitaine Cavalier ne savait plus que penser.
Philippe-Henri tenta de la réconforter quand il vit son moral au plus bas.
– Souviens-toi des crimes du tueur « au collier de perles », le « Père Noël tueur
* ». Eh bien, ça finira peut-être aussi par s’arrêter tout seul !
Isabelle Cavalier haussa les épaules. Phil ne comprenait rien à la logique criminelle. Son univers était le classicisme, pas le sordide.
– Mais c’est simple, pourtant, Isa, poursuivit-il en ignorant son scepticisme. Réfléchis un peu. Quand tous les membres de la « bande tricolore » auront été éliminés, ça s’arrêtera automatiquement.
Isabelle sursauta. Comment Phil pouvait-il savoir qu’on avait surnommé ainsi cette bande ?
Elle plissa le front. Un bref instant, l’homme qu’elle considérait comme son père se métamorphosa en un étranger. Puis elle se ressaisit. Se dit que c’était l’effet de toute cette tension. Que Pierre, son mari, commandant à la Direction centrale des Renseignements généraux, lui en aura sûrement parlé.
Mais la réflexion de Phil n’était pas si stupide. Ni elle ni personne ne s’était demandé une seule fois combien ils pouvaient être dans cette maudite « bande tricolore ». Trois, cinq, huit, douze… ?
– Phil, tu es positivement génial ! lui dit-elle en lui tapotant la main.
– Comme toujours, ma chérie.
Elle appela aussitôt le commissaire Antoine de son portable.
– Antoine, je suis avec Phil et il vient d’avoir une idée de génie… Peux-tu me dire combien d’individus composent la bande qui nous intéresse ?
Le commissaire Antoine sembla réfléchir longtemps ou consulter des notes.
– Attends ! finit-il par dire.
Elle l’entendit interpeller un collaborateur. Puis un autre.
– Ne quitte pas ! reprit-il.
Un long hurlement de noms d’oiseaux suivi d’une pause d’un silence extrême.
– Alors ? s’impatienta Isa.
– Je te rappelle !
Ce qui signifiait qu’il n’en avait pas la moindre idée.
– Tu as peut-être raison, Phil, reprit-elle après une longue pause. Et Samy Dupuis est peut-être la dernière victime.
– Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
– C’est simple, si je reprends ta logique. Les premiers crimes sont espacés de trois jours. Le quatrième de trois semaines. Ce qui signifie que notre assassin a attendu le retour de Samy pour l’assassiner et que, s’il y en avait d’autres, même un seul, il aurait essayé de les tuer entre-temps. Donc, ils n’étaient que quatre. Et tout est fini à présent.
Isabelle Cavalier était très fière de son raisonnement. C’était l’évidence même.
– Ma chère Isa, rien n’est jamais évident quand il s’agit de crime. L’univers du crime relève de l’art du trompe-l’œil.
Le capitaine Cavalier se figea de stupéfaction.
* Voir Sous le sugne du rosaire.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
* Voir Sous le signe du rosaire.

dimanche 30 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





La surveillance fut renforcée de jour comme de nuit dans un périmètre délimité par le boulevard de Grenelle, l’avenue de La Motte-Picquet, le boulevard de La Tour-Maubourg et la Seine. La BAC des deux arrondissements concernés par le dispositif, le XVe et le VIIe, en constituait le pivot, renforcée par deux équipes « volantes » de vététistes et de rolleristes de la police de six hommes – et femmes – chacune. Que la hiérarchie pensa à mettre en civil pour la nécessaire discrétion.
Le capitaine Cavalier coordonnait le dispositif de nuit. Le commissaire Antoine, qui en avait fait une question personnelle depuis le dernier meurtre, celui de jour.
Mais rien ne se produisit, et, dix jours plus tard, le lundi 21 septembre, il fut décidé d’alléger le dispositif dès le lendemain.
Parallèlement, la quête sur la provenance des couteaux menée par le lieutenant Lenoir n’avait toujours pas abouti. Antoine et Cavalier en vinrent à penser qu’il s'était peut-être agi de crimes ponctuels. Que la série s’arrêtait à trois.
Le mercredi 23, après sa première bonne nuit de sommeil depuis la découverte du premier corps, Isabelle Cavalier songea à Euh-Euh, qui était resté « prisonnier » tout ce temps chez ses parents. « Le pauvre, ça a dû lui sembler une éternité que de ne pouvoir sortir selon son humeur, se dit-elle. Il a sûrement vécu cette réclusion comme une punition. »
Elle s’en sentait responsable et décida qu’il lui fallait faire quelque chose pour se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qu’elle éprouvait à l’égard de Euh-Euh.
Son mari jugea que c’était idiot, qu’elle n’y était pour rien. Mais il savait qu’Isabelle suivait toujours ses « impulsions ». – Une fois, il avait utilisé le terme « tocades » et s’en était mordu les doigts durant toute une semaine.
Isabelle Cavalier se rendit à pied chez les Dutour, rue Amélie. Elle sonna à la porte de leur appartement vers onze heures.
Paulette Dutour l’accueillit avec inquiétude et ne se détendit que lorsque le capitaine Cavalier lui eut expliqué l’objet de sa visite.
– C’est très gentil à vous, mais il ne fallait pas vous inquiéter pour Patrice. Vous savez, il n’a même pas essayé de sortir. Comme s’il avait compris notre conversation de l’autre jour et qu’il pouvait être victime à son tour.
Patrice Dutour apparut dans l’embrasure de la porte du salon. Les bras ballants mais sans gants. Son sourire épanoui sur sa face lunaire.
Il manifesta sa satisfaction de revoir Isabelle Cavalier. Se tapotant la poitrine.
– Euh-euh…
Mme Dutour traduisit pour Isabelle.
– Quand il fait ça, il veut dire : « C’est moi. » En général, quand il a réussi ou fait quelque chose de précis, car, sinon, vous savez, il est plutôt du genre contemplatif. Il passe son temps à observer. Mais, là, il doit vouloir vous dire qu’il a fait quelque chose dont il est satisfait… Ah ! mon pauvre chéri !
Paulette Dutour était très contente d’apprendre qu’il n’y avait, pour ainsi dire, plus de crainte à avoir. Que c’était très gentil de la part du capitaine de s’être déplacée personnellement. Mais qu’elle aurait pu, tout simplement, téléphoner.
Isabelle Cavalier lui proposa d’emmener déjeuner Patrice dans le quartier. Que ça lui faisait plaisir. Qu’elle y tenait beaucoup, même.
– C’est pas si souvent que mon Patrice a de telles invitations… Mais, vous savez, il se tient très bien. Il est juste un peu lent.
Puis elle expliqua à son Patrice qu’il allait manger dehors avec la dame.
Il donna l’impression d’en être très satisfait.
– Euh-euh…
Plusieurs fois.
Isabelle et Euh-Euh se rendirent au Relais angevin, qui avait rouvert récemment depuis sa fermeture début août à la suite de l’arrestation de la « bande du Relais angevin » et pour cause d’« absence temporaire » du patron, Gérard Langlot
*.
Euh-Euh semblait très fier d’être au restaurant avec une dame. Il se tint à la perfection.
Comme on était mercredi et qu’il n’avait pas cours, Isabelle Cavalier ne fut pas surprise de voir Philippe-Henri les rejoindre.
Elle présenta Euh-Euh à Phil, mais ils semblaient déjà se connaître. Ce qui était logique vu que l’agrégé de lettres avait toujours vécu dans le quartier et que Patrice Dutour y était connu comme le loup blanc.
Phil ne semblait pas avoir de problème de communication avec Euh-Euh. Et vice versa. Ce qui étonna Isabelle.
Elle nota que Patrice semblait moduler ses « euh-euh… » et que Phil en percevait les nuances.
Ils partirent dans une grande explication à laquelle elle ne comprit strictement rien. Mais, à voir le visage attentif et soucieux de Phil, celui-ci paraissait parfaitement suivre. Surtout lorsque Euh-Euh se tapota la poitrine.
Phil ne répondait pas par des « euh-euh… » mais par des mines, des moues, des mouvements de sourcils, des hochements de tête très expressifs – tout au moins pour Patrice.
Isa, en tout cas, se sentait parfaitement exclue de leur échange.
Les deux hommes la raccompagnèrent ensuite jusqu’en haut de la rue Cler et, quand elle se retourna, elle les vit prendre ensemble la direction des Invalides. Ils semblaient lancé dans une grande discussion gestuelle.
* Voir Cadavres dans le blockhaus, Sous le signe du rosaire et Sans se salir les mains.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.