dimanche 31 mai 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





Deux heures plus tard, les policiers contemplaient leur tri sur la table du salon.
Le capitaine Isabelle Cavalier jubilait.
Il y avait les mêmes bouquins que ceux trouvés dans le studio de Jean Partot, le postier. Mais chacun en plusieurs exemplaires.
Et les quatre mêmes brochures, dont les trois signées du pseudo « Nilloc ». Également en plusieurs exemplaires. Une bonne cinquantaine chacune.
Et même les tracts émanant du « Comité révolutionnaire contre l’islamophobie ». Trois paquets de mille glissés sous le lit.
– On est tombés sur un drôle de truc, capitaine, vous ne croyez pas ?
– Un drôle de truc, en effet, lieutenant.
Isabelle Cavalier consulta son bracelet-montre.
Il était vingt-trois heures trente.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

samedi 30 mai 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 5

Chapitre 5





Le lieutenant de la BAC tendit à Isabelle Cavalier une photo.
– J’ai trouvé ça dans la bibliothèque de la chambre.
Quatre hommes se tenant par les épaules et souriant à l’objectif. Entre trente et soixante ans.
Le lieutenant lui désigna le deuxième en partant de la gauche.
– Celui-là, c’est notre client ! dit-il fièrement.
Sur la photo, il était le plus grand.
À sa droite, le premier à gauche sur la photo, un type d’une quarantaine d’années à la calvitie prononcée. À sa gauche, un petit brun, assez mince et aux yeux rieurs. La quarantaine. Le dernier, un barbu de taille moyenne et sans âge bien défini aux cheveux bouclés. Un anneau dans le lobe de l’oreille gauche.
Le capitaine Cavalier contemplait la photo et éprouvait une sensation de malaise.
Quelque chose lui échappait. Mais quoi ?
– Ça vous dit quelque chose ? demanda le lieutenant.
Isabelle Cavalier secoua la tête.
– Je ne sais pas. Le barbu avec son anneau… La victime du 11 novembre avait elle aussi un anneau dans l’oreille…
– Il s’est peut-être rasé la barbe…, commença le lieutenant.
– Et le crâne ! dit Cavalier. Et le crâne ! C’est ça. Bingo ! lieutenant. C’est Jean Partot. Mon client précédent.
– Vous avez votre point commun, capitaine. Deux des victimes sont sur la photo, il ne vous reste qu’à identifier les deux autres.
– Plus celui qui a pris la photo, lieutenant.
Isabelle Cavalier se sentit devenir toute fébrile.
– Vous avez fouillé dans ses livres ? Vous avez regardé les titres ?
Le lieutenant haussa les épaules.
– J’ai fouillé, mais je n’ai pas regardé les titres. Et puis, il y en a tellement.
– Alors on s’y met ! lui lança le capitaine. Et on cherche aussi des brochures…
Le lieutenant soupira.
– On en a pour le réveillon !
– Allez voir si vos hommes n’ont plus rien à faire en bas. Vous en laissez un de faction dans le hall et vous ramenez les deux autres. À quatre on devrait s’en sortir rapidement…


© Alain Pecunia, 2009.
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vendredi 29 mai 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 4

Chapitre 4





Avec l’attroupement sur le trottoir et l’éclat des gyrophares des véhicules de pompiers et de la police, elle n’eut pas à chercher le numéro de l’immeuble.
La victime gisait au pied de l’escalier dans une mare de sang.
Proprement égorgée sur toute la largeur. Comme celle du 11 novembre.
Le lieutenant de la brigade anticriminalité, la BAC, lui tendit la carte d’identité de la victime.
– Il habitait l’immeuble. Il rentrait ou descendait de chez lui. On ne sait pas. Il habitait au premier, précisa-t-il.
Dimitri Bertov, né le 7 mai 1961. Quarante-deux ans.
– Madame dit qu’il vivait seul. Divorcé, reprit le lieutenant en indiquant du regard une femme d’une trentaine d’années qui se tenait en retrait.
Elle était livide et un des policiers lui tenait le bras.
– C’est la gardienne de l’immeuble, ajouta-t-il.
Le capitaine Isabelle Cavalier secoua la tête.
– Qu’est-ce qu’il faisait ? demanda-t-elle sans détacher son regard du cadavre.
– Libraire, dit la gardienne d’une voix sourde.
Isabelle Cavalier se tourna vers la gardienne.
– Je voudrais voir son appartement.
Elle demanda au lieutenant de l’accompagner.
Le corps de la victime barrant le passage de l’escalier, ils prirent l’ascenseur en compagnie de la gardienne.
Un deux-pièces avec des livres partout.
Sur des étagères ou empilés à même le plancher dans l’entrée et dans la pièce principale. Une bibliothèque vitrée dans la chambre.
Quelques revues dans la cuisine et une pile de livres dans les WC.
Une sorte d’annexe de la librairie, en quelque sorte. Mais l’appartement était bien tenu.
– C’est moi qui fais le ménage, précisa fièrement la gardienne.
Isabelle Cavalier termina son inspection par le réfrigérateur.
Un coup d’œil lui suffit pour constater que la victime avait fait des courses pour le réveillon.
– Il ne vous a pas dit s’il avait l’intention de réveillonner avec des amis chez lui ? demanda-t-elle à la gardienne.
La gardienne haussa les épaules. Elle ne savait pas.
Isabelle Cavalier explora plus avant le réfrigérateur.
Saumon fumé venant probablement d’une supérette d’après l’emballage. Des escargots surgelés. Deux bocaux d’œufs de lump. Du foie gras de bonne marque.
Un dîner pour deux à quatre personnes, conclut Isabelle Cavalier pour elle-même.
Le lieutenant l’interrompit dans ses réflexions.
– J’ai trouvé ça dans le salon sur une étagère à côté de la chaîne, dit-il en lui tendant un sachet de papier Kraft contenant quelques barrettes de shit.
Le capitaine Cavalier haussa les épaules.
– Conso personnelle. Ça ne nous donnera rien. Même des ministres en fument, alors !
Le lieutenant sembla déçu et haussa les épaules à son tour en posant le sachet sur un coin du plan de travail.
Isabelle Cavalier avait repris le cours de ses réflexions.
Elle consulta son bracelet-montre. Il était près de vingt heures quinze.
Elle congédia la gardienne pour rester seul à seul avec le lieutenant.
– À mon avis, il attendait du monde ce soir. Qui ? Ça, je ne le sais pas. De plus, vu l’attroupement et la présence policière, ceux ou celles qui devaient venir ne vont peut-être pas se montrer. Mais on peut toujours attendre. Quelqu’un se présentera peut-être. C’est Noël, un miracle est toujours possible.
Puis elle demanda au lieutenant de fouiner dans l’appartement pendant qu’elle redescendait pour voir où en était l’identité judiciaire.
L’équipe technique était en train de terminer les derniers prélèvements.
– Vu le topo, on fait ce qu’on peut, lui précisa le responsable avec une moue dubitative lorsqu’elle sortit de l’ascenseur. Avec tout ce sang, il n’y a pas grand-chose à glaner. Je souhaite bien du courage à ceux qui vont devoir l’emballer, le client !
C’était un grand rouquin entre deux âges que rien ne semblait plus ébranler.
– Bah ! j’ai vu pire, conclut-il en retournant vers le corps.
Isabelle Cavalier enfonça ses mains dans les poches de son blouson et sortit sur le trottoir.
L’attroupement habituel. Avec les visages aux expressions habituelles.
Plus une demi-douzaine de râleurs qui s’impatientaient de plus en plus bruyamment pour rentrer dans l’immeuble dont l’entrée leur était interdite pour le moment. Des habitants et des invités.
Isabelle Cavalier consulta à nouveau sa montre.
Avec ceux qui s’étaient agglutinés dans l’escalier entre le premier et le deuxième étage, les uns pour « voir », les autres pour sortir de l’immeuble, il était temps que le corps soit enlevé avant que ça ne tourne à la manif spontanée.
– Ça va encore durer longtemps ? l’interpella avec véhémence une femme qui lui rappela sa belle-mère.
Le capitaine Cavalier lui tourna le dos sans répondre et rentra dans l’immeuble en se demandant quelles pouvaient être les similitudes entre ces deux crimes.
Elle revit le studio de la victime du 11 novembre. Jean Partot. Rue Damrémont, dans le XVIIIe. Un immeuble cage à lapins des années soixante-dix.
Un féru d’informatique avec du matos pas possible et aux revenus mal définis si l’on comparait la valeur des engins avec sa paie de postier.
Ça sentait la combine ou le trafic. Ce qui revenait au même.
Celui-là, c’était un taciturne, d’après les voisins. Jamais de visites. Aucune relation connue. Un type seul.
Un temps syndiqué à SUD, ensuite à la CNT. Puis à plus rien.
Ses collègues n’avaient été d’aucun secours pour le cerner un peu plus.
Bizarre. Sauvage. Paumé.
Mais est-ce qu’il faisait correctement son boulot ?
– Un méticuleux et un drogué d’informatique, avait répondu son responsable.
À part les revues informatiques, il y avait quelques bouquins et des brochures. Du genre ultra-gauche tendance révisionniste d’après les sujets et les auteurs. Quatre brochures anticapitalistes, anti-impérialistes, antisionistes et propalestiniennes, dont trois signées par un certain Nilloc, qui s’était avéré être un pseudonyme. Plus quelques tracts émanant d’un certain Comité révolutionnaire contre l’islamophobie. Inconnu au bataillon d’après les sections RG et DST concernées. Prônant une sorte d’anarcho-islamisme tiers-mondiste.
Sur les murs, un poster du Che et un drapeau palestinien.
Jean Partot avait été retrouvé égorgé rue Championnet, dans une descente de parking. Vers dix heures du soir.



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jeudi 28 mai 2009

Noir Express : "Sans se salir les mains" (Chroniques croisées VII) par Alain Pecunia, Chapitre 3

Chapitre 3





Isabelle Cavalier entendit sa fille Philippine gronder son chat.
Elle sortit de la cuisine pour jeter un coup d’œil dans le salon-salle à manger où trônait un majestueux sapin de Noël près de la fenêtre.
Elle vit Philippine accroupie au pied de l’arbre et en train de remettre la boule que Titi, le chat, s’était amusé à décrocher. Pour l’énième fois de la journée.
Elle sourit puis son regard tomba sur son mari vautré sur le canapé et en train de lire une revue.
– Tu pourrais peut-être venir me donner un coup de main en cuisine, non ?
– Je les surveille, dit-il sans lever les yeux de sa revue.
Elle haussa les épaules et se dirigea vers la cuisine.
En ce soir de Noël, elle refusait de se contrarier et voulait profiter de ce réveillon à trois.
Ce qu’elle appréhendait, en revanche, c’était le déjeuner du lendemain avec la mère de Pierre qui s’était invitée d’office.
– Vous me laissez déjà seule ce soir, lui avait-elle reproché à nouveau au téléphone dans l’après-midi.
Son plan de table en était bouleversé. Ils seraient sept adultes au lieu de six avec Phil, « Euh-Euh », Gilbert et sa petite amie.
Dans son empressement, elle s’entailla légèrement le pouce de la main gauche avec le couteau à pain, au moment où la sonnerie du poste fixe du salon retentit.
Elle pesta et suça son pouce.
Puis cria à Pierre de décrocher.
– C’est pour toi ! hurla-t-il dans le plus parfait silence de l’appartement.
Isabelle revint vers le salon tout en continuant de suçoter son pouce et s’empara du combiné.
– Je suis désolé.
En reconnaissant la voix du commissaire principal Derosier, son supérieur, Isabelle avait immédiatement identifié la cata.
Elle devinait déjà le couplet. « Je n’ai que vous sous la main, etc. »
Les autres collègues qui n’étaient pas de service avaient sûrement étaient moins cons. Ils ne décrochaient pas leur téléphone, eux.
« Merde », jura-t-elle entre les dents en attendant la suite.
Le commissaire Derosier enjoliva son couplet.
– Il n’y a que vous qui pouvez vous en occuper, dit-il. D’après les premières constatations, ça a peut-être un rapport avec le meurtre du 11 novembre sur lequel vous travaillez déjà. Modus operandi identique. En plus, c’est pas loin de chez vous. Le square Georges-Brassens. On vous y attend.
Isabelle se dit que la victime aurait pu attendre aussi. Mais ce n’était pas une pensée très professionnelle pour un flic.
Elle n’eut pas d’explication à donner à son mari. Pierre avait compris.
– Essaie de ne rien faire cramer et occupe-toi de la petite. Je ne sais pas à quelle heure je rentrerai, dit-elle en enfilant son blouson fourré.
Il était dix-huit heures quinze.



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Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 2

Chapitre 2





Samir-Oussama ne décolérait pas.
– Putain de leur race, disait-il à ses deux interlocuteurs en moulinant l’air de ses grands bras, vous avez vu comment il s’est dégonflé, ce pédé ?
Samir-Oussama était tout excité.
Il ne supportait pas le jeûne du ramadan. Surtout les premiers jours. Les plus durs pour lui.
Ce n’est pas qu’il manquât de volonté. Il n’y arrivait pas, c’est tout.
C’était son quatrième ramadan, mais, dès le deuxième, Roger Bangros « Samir-Oussama » avait pensé que les nouveaux convertis auraient dû en être dispensés. Tout au moins, ne pas en subir toute la rigueur. Une sorte d’aménagement pour les nouveaux musulmans européens. Une façon de les encourager.
La première fois, ça avait été sympa même si ça avait été duraille. Cela avait au moins l’attrait de la nouveauté.
Mais comment penser correctement, lorsqu’on exerce des responsabilités politiques comme lui, avec le ventre vide et sans pouvoir cloper ni boire une blonde. Surtout quand on se défonce pour des clopinettes comme taxi dix heures par jour.
– Normal, lui répondit Mohammed dit « Momo », ce sont tous des mécréants, des athées.
Il avait prononcé les mots « mécréants » et « athées » sur le ton du plus profond mépris.
Le troisième, Mourad, cracha par terre avec une moue de dégoût.
– Hé ! crache pas sur mon tapis de prière ! le reprit Roger Samir-Oussama.
Mourad s’excusa sincèrement.
– Pardonne, mon frère !
Samir-Oussama continuait de marcher de long en large.
– Il faut peut-être leur donner une leçon, proposa Momo.
Samir-Oussama s’arrêta de marcher et lui sourit.
Momo était le moins con et de loin le plus utile. Il allait toujours au-devant de ses vœux. Même s’il se permettait parfois de le contredire.
– Justement, j’y ai pensé, dit-il d’un air mystérieux. Ils vont quand même nous être utiles…


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samedi 23 mai 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 1

Chapitre 1





– Alors ?
Quatre paires d’yeux impatients observaient le maître des lieux qui venait de déposer sur le plateau de verre de la table basse un assortiment de kémia et de pistaches, une bouteille de vodka, une autre de whisky, quatre canettes de bière et des verres.
– Alors ? redemanda Alain qui était assis d’une fesse sur l’accoudoir d’un des fauteuils du salon.
Jean était enfoncé dans l’autre fauteuil de cuir. Dimitri et Jérôme étaient assis chacun à une des extrémités du canapé.
Gérard fit un geste d’impatience et tendit un verre de vodka à Alain.
Puis il se servit un copieux whisky sur un lit de trois glaçons et se laissa tomber sur le canapé entre Dimitri et Jérôme.
Eux, ils étaient bière.
– Servez-vous, leur dit-il en indiquant du menton la table basse.
Jean, lui, ne buvait pas.
Le centre du canapé s’était affaissé sous le poids de Gérard qui allongea les jambes devant lui.
Gérard, dit « Gégé », était, à cinquante-cinq ans, la caricature de Bakounine, le révolutionnaire anarchiste russe rival de Marx dans la Première Internationale. La barbe en moins.
Il jouait de son volume ventral pour en imposer et ses longs silences que chacun supposait réflexifs lui donnaient encore plus de poids. Enfin le croyait-il.
Dimitri et Jérôme, la quarantaine, attendaient patiemment en silence.
Alain, quarante-neuf ans, l’ami de trente ans de Gégé, son alter ego et, physiquement, son Laurel, connaissait par cœur ses mises en scène et s’impatientait.
Il reformula sa question.
– Alors. Tu leur as parlé, oui ou non ?
– Bien sûr. Mais ça n’a pas été si simple.
À voir sa tête, Alain pouvait deviner que c’était là un euphémisme.
– Je crois qu’on s’est gourés, dit Gégé après avoir avalé une gorgée de whisky. Ils vont trop loin et nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde.
Il soupira. Pour lui, c’était un échec personnel et l’aveu lui coûtait.
– On ne peut plus continuer de les aider. Sinon, on va avoir des emmerdes.
Il soupira à nouveau et ôta ses lunettes en inspectant machinalement leur netteté.
Il les recala sur son nez en grimaçant.
– En tout cas, je leur ai dit que le Comité révolutionnaire contre l’islamophobie ne pouvait pas les suivre sur cette voie.
Alain connaissait son Gégé. Il avait dû exprimer une position plus nuancée. Gérard aimait l’ambiguïté.
– Bon, positivons, dit Alain qui reçut immédiatement l’acquiescement de Dimitri et Jérôme, qui commençaient de trouver l’atmosphère pesante. De toute façon, pour des anars bouffeurs de curé, on avait un peu l’air con de défendre les islamistes, la visibilité de l’islam et le voile à l’école...
Gégé regarda Alain en se renfrognant.
– Tu ne comprends rien à la stratégie, lui lâcha-t-il d’un ton condescendant. Notre analyse était la bonne. La seule force au monde qui s’oppose à l’impérialisme américain sont les musulmans. C’est le nouveau prolétariat. Eux seuls peuvent le contrecarrer et représentent une force suffisante pour renverser ce système pourri. T’as qu’à voir la lutte exemplaire que mène depuis des années le prolétariat palestinien contre les colons juifs. Ils vont finir par la gagner cette nouvelle guerre d’Algérie et ces pieds-noirs sionistes devront prendre la mer et retourner d’où ils viennent. C’est pas chez eux, là-bas, s’emporta-t-il. Chacun chez soi !
Alain ferma les yeux un instant. Dimitri et Jérôme haussèrent les épaules. Jean regardait le plafond.
Ils savaient qu’il était inutile d’essayer d’endiguer la logorrhée de Gégé. De toute façon, il allait vite avoir soif et cesserait de lui-même pour avaler son whisky.
Il suffisait d’attendre un peu.
– Ils vont en finir avec l’État fasciste israélien et ce nazi de Sharon, et alors je ne donne pas cher de l’impérialisme américain. Stratégiquement, conclut-il en haussant le ton, nous avons raison.
Gégé avait soif.
– Alors, pourquoi on continue pas de les soutenir ? demanda Dimitri.
Gégé haussa les épaules.
– Depuis que Samir veut qu’on l’appelle Oussama, il est devenu con.
Dangereux, surtout, pensa Alain.
– Le soutien moral et politique que nous leur apportons ne leur suffit pas, poursuivait Gégé. Ils veulent qu’on les soutienne logistiquement et qu’on mette la main à la pâte...
– Ben, c’est normal, le coupa Jérôme en haussant les épaules pour en souligner l’évidence et en se tournant vers Gégé. Si on se dit révolutionnaires et anti-impérialistes et qu’ils font la révolution, ils veulent nous voir à l’œuvre à leurs côtés. Ils veulent qu’on partage les mêmes risques...
Le regard de Gégé s’assombrit soudainement.
Jérôme venait de prononcer le mot « tabou » de l’extrême gauche révolutionnaire depuis des décennies. « Risque ».
La contamination des avant-gardes révolutionnaires par le syndrome « zéro mort » avait précédé d’une guerre, celle du Vietnam, la contamination des armées occidentales par le même syndrome.
Les minorités agissantes avaient pris l’habitude de faire la révolution par « champions » interposés, collectifs, comme pour le Vietnam, ou individuels, tel le « Che ». Si possible le plus loin de chez soi.
Avec parfois une tentative locale – la bande à Baader, les Brigades rouges ou Action directe. Mais ça avait tendance à virer au cauchemar manipulateur et sanguinolent du terrorisme d’État ou à la dérive artisanale de la bande à Bonnot, qui faisait encore plus peur parce qu’elle était bien de chez nous.
Mais ces conflits finissaient par avoir une fin.
Plus de collage, plus de manif, plus de discussions-engueulades sans fin.
Quand même, à force de lutter contre les « stals », on avait réussi à les avoir.
C’était un sacré succès.
D’accord, à partager avec le pape et les States qui s’étaient appropriés le beau rôle – et les peuples concernés, accessoirement. Mais ils n’auraient jamais pu y arriver sans les avant-gardes révolutionnaires.
De toute façon, grâce au conflit palestinien – heureusement, sans fin, lui – et à la révolte des peuples musulmans, nouveau prolétariat messianique, les avant-gardes ne tarderaient à faire mordre la poussière à l’impérialisme judéo-américain.
Gégé se tourna vers Jérôme.
– T’as envie de finir en taule comme terroriste, toi ? lui jeta-t-il rageur.
L’autre baissa le regard.
– Gégé a raison, intervint Alain, on ne peut quand même pas les aider à préparer des attentats et y participer nous-mêmes...
La suite à mercredi...


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Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (Chroniques croisées XII), par Alain Pecunia

Les « affaires » reprennent… Je pense que ce nouveau texte – à vous de me le dire – retiendra l’attention de plus nombreux lecteurs de par sa nature polémique, mais, comme souvent avec le roman noir, il faudra attendre la dernière ligne avant de pouvoir porter un jugement définitif.
C’est un texte « coup de gueule » écrit fin 2004 (de mémoire toujours faillible) où je souhaitais tourner en dérision les individus de l’ultra-gauche flirtant avec l’islamisme pur et dur, tout en en restant prudemment, fort heureusement, au stade de la théorie, mais ce discours m’énervait car il relevait de la vieille errance des « révolutionnaires » français à faire depuis plus de cinquante ans la révolution par « champions interposés » en soutenant de-ci de-là à travers le monde (mais si possible loin de notre hexagone) des mouvements insurrectionnels les plus divers allant de Cuba à la Palestine en passant par le Vietnam et les Khmers rouges, les Brigades rouges et tutti quanti.
Par certains aspects, il est dur et cruel, mais il suffira de se souvenir des crimes du GIA algérien pour le « recadrer ». Mais je vous propose avant tout une dérision « distrayante »…




Un vrai casse-tête pour la police que cette hécatombe qui frappe le « Comité révolutionnaire contre l’islamophobie » en pleine trêve des confiseurs.
Le capitaine Isabelle Cavalier, de la Crim, patauge dans l’hémoglobine. Son mari, le commandant Pierre Cavalier des RG, depuis peu à la tête du redoutable « Service », prend l’affaire en main de son côté malgré la DST qui veut jouer sa partition.
Pierre Cavalier n’ira pas par quatre chemins et son action permettra d’éviter un carnage. Mais il ne le saura jamais.


jeudi 7 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 22

Chapitre 22





Le drame de D… fit la une de tous les journaux et relégua dans les médias celui de Vilnius.
Le premier adjoint au maire et la secrétaire témoignèrent du comportement bizarre de Me Alexandre Caillard peu avant le massacre dont il était l’auteur au vu des relevés de l’identité judiciaire et que son suicide incongru à la station Saint-Michel semblait confirmer.
Le tout fut mis sur le compte du stress et du surmenage par les uns, d’une dépression latente pour les autres.
Seuls quelques journaux et hebdos, en général de gauche, firent état des rumeurs tenaces qui n’avaient cessé d’accompagner tant la vie professionnelle que publique de Me Caillard. Le présentant comme un homme de réseaux et proches de certains services.
On rappela son rôle de défenseur attitré des gauchistes à la dérive dans les années soixante-dix, son glissement vers le social-libéralisme sous Mitterrand, pour aboutir à la droite sous la cohabitation Jospin-Chirac.
Ceux de droite se limitèrent à rappeler son amitié avec l’ancien garde des Sceaux, François Cavalier.
La Chancellerie annonça dans un communiqué que Nathalie Caillard, substitut du procureur, particulièrement choquée, avait dû être placée en maison de repos.
Le commandant Pierre Cavalier intervint discrètement pour que l’enquête « oublie » son éventuel rôle après son arrivée au presbytère vers dix-neuf heures trente et son départ en compagnie de son père peu après vingt heures trente.
Il estimait qu’elle n’avait pas à payer les pots cassés du « Service ».





« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue. »
Hugo, Victor.




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mercredi 6 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Alexandre Caillard n’eut aucune peine à reconnaître Bernard Lestrade. Et il se trouvait là où il pensait le trouver.
À l’endroit même du quai où il s’était trouvé tant d’années plus tôt en compagnie de son frère jumeau.
Lestrade se tenait sur le bord et regardait les rails.
Il se tourna à peine vers lui quand Caillard vint se placer à sa hauteur.
Une rame arrivait.
Elle redémarra sans qu’ils eussent esquissé le moindre mouvement.
– Je suis là, Bernard, finit par dire d’une voix étrangement claire Alexandre Caillard.
Lestrade le considéra un bref instant. Puis il se concentra à nouveau sur les rails.
– Je ne suis pas Bernard, dit-il sans le regarder.
Alexandre Caillard haussa les épaules.
– Je m’en suis douté après avoir écouté ta fille.
– C’est un beau gâchis, non ?
– Oui, répondit Caillard d’un ton neutre en se concentrant à son tour sur les rails.
Il y eut un long silence et une nouvelle rame eu le temps de s’y insérer.
– Tu sais qu’on jouait souvent à se remplacer Bernard et moi. Nous étions de parfaits jumeaux, reprit Lestrade.
– Oui, fit Caillard.
– Bernard a tenu à me remplacer ce soir-là. Pour me protéger. Je lui avais dit que je te soupçonnais de nous avoir donnés et il craignait une réaction violente de ma part.
Il se tut.
Caillard lui demanda pourquoi il n’avait pas songé à venger sa mort plus tôt.
Lestrade haussa les épaules tristement.
– Tu sais, la prison ne donne pas spécialement le goût de la vengeance et de la justice expéditive…, poursuivit-il.
Ni l’un ni l’autre n’avait quitté les rails des yeux.
Une nouvelle rame déboucha du tunnel.
Deux jeunes qui en descendaient les bousculèrent en les traitant de vieux cons.
Ils haussèrent les épaules de concert et reprirent leur position initiale au bord du quai.
– Faut pas s’éterniser, dit Jean Lestrade après le départ de la rame.
– Oui, fit Caillard.
Lestrade se disait qu’une mort n’en rachète pas une autre. Qu’il lui restait sa fille. Qu’Alexandre Caillard, lui, n’avait plus rien et n’était plus rien.
Il allait le prendre par le bras et lui dire qu’il fallait remonter quand une nouvelle rame se fit annoncer au débouché du tunnel.
– Je regrette pour ton fils, prends soin de Nathalie, dit Alexandre Caillard au moment même où il se laissait tomber sous la voiture de tête.
Mais Jean Lestrade n’avait rien entendu de ses dernières paroles.
Seul le bruit mat du corps heurté par la cabine résonna longtemps dans son esprit. Tel un écho sans cesse relancé par on ne sait quelle malédiction originelle.


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Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 20

Chapitre 20





Ils arrivèrent à vingt-deux heures dix à hauteur de la fontaine Saint-Michel.
Ils n’avaient pas échangé un mot de tout le trajet.
– Laisse-moi là, dit-il.
Elle le vit se diriger vers la station et s’y engouffrer.
Elle ferma les yeux un bref instant et redémarra.



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mardi 5 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 19

Chapitre 19





Quand sa fille arriva à dix-neuf heures trente, elle le trouva affalé et en état d’hébétude absolue dans un des fauteuils du salon.
Elle poussa un cri strident en découvrant les corps de sa mère et de son frère.
L’un et l’autre étaient sans vie.
– Qu’as-tu fait ? dit-elle d’une voix blanche en se tournant vers son père qui restait sans réaction. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Alexandre Caillard avait le regard vide.
Elle se dirigea vers lui et le secoua violemment par l’épaule.
– Tu vas répondre, espèce de salaud !
Puis elle éclata en sanglots et se laissa choir aux pieds de son père.
– Ils sont morts pour rien, dit-elle au bout d’un long moment. Ils n’avaient rien à voir dans tout ça. C’est moi qui ai tout organisé.
Alexandre Caillard eut un léger froncement de sourcils. Mais sa fille ne le regardait pas.
– J’aimais Jérôme Mollar. Nous projetions même de nous marier. Il se sentait menacé dans cette affaire des HLM où tu défendais – comme presque toujours, d’ailleurs – les pourris. Je ne l’ai pas cru, mais je lui ai rapporté l’histoire que maman m’avait racontée. Comment tu avais participé à l’assassinat de Jean Lestrade. Ton ami de jeunesse.
Nathalie s’essuya les yeux.
– Je pensais que ce serait son assurance, que ça le protégerait de toi… Je ne savais pas que ça le condamnerait à mort… Jérôme était l’homme le plus doux qui soit, mon nounours pour la vie. Le seul homme que j’aie jamais aimé, après toi… enfin, tant que je croyais que tu étais mon père. Parce que maman m’a tout avoué quand elle m’a vu si malheureuse après la mort de Jérôme.
Elle eut un rire triste.
– La mort de Jérôme, son assassinat plutôt. Mais je ne l’ai compris que lorsque ton ami Cavalier, le garde des Sceaux, m’a convoqué dans son bureau pour me confier qu’il avait découvert que j’étais la petite amie de Jérôme Mollar, qu’il savait que tu l’ignorais et l’ignorerais toujours si j’oubliais cette affaire et savais me taire. Sinon… J’ai alors compris que vous étiez des tueurs, et c’est lorsqu’il s’est suicidé que j’ai décidé qu’il fallait que tu paies à ton tour…
Alexandre Caillard avait fermé les yeux et son front s’était plissé de rides.
– Maman m’a donné l’adresse du frère de Jean Lestrade et j’ai été le voir… C’est la première fois que je voyais mon vrai père…
Le visage d’Alexandre Caillard était devenu un masque douloureux.
– Maman, elle, n’avait cessé de le voir régulièrement et toi, mon pauvre « papa », tu ne t’es jamais douté que tu élevais une nichée de petits Lestrade.
Elle partit dans un fou rire métallique et grinçant.
Le masque de Caillard était de plus en plus douloureux.
La demie de vingt heures sonna.
Nathalie consulta sa montre.
C’était l’heure juste.
Avec un peu de chance, ils seraient à l’heure.
De toute façon, ce n’était plus à cinq minutes près.
Si elle était venue à D…, c’était sur la demande pressante du frère Lestrade, son vrai père, qui l’avait appelée à dix-sept heures quarante-cinq pour lui dire qu’il craignait qu’un drame ne soit survenu au presbytère.
Si c’était le cas, elle devait annoncer à Alexandre Caillard que Bernard Lestrade lui donnait rendez-vous pour vingt-deux heures.
Elle se releva.
Son père la regardait fixement. Sans exprimer le moindre sentiment.
Alexandre Caillard était sorti de sa prostration.
– Papa (elle se surprit à l’appeler ainsi), Bernard t’attend à vingt-deux heures à la station Saint-Michel. Je t’accompagne. C’est moi qui conduirai.
Il opina du chef silencieusement et se leva du fauteuil.
Il suivit sa fille et quitta la pièce sans avoir jeté le moindre regard aux deux corps inertes.



© Alain Pecunia, 2009.
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lundi 4 mai 2009

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





– J’ai toujours su que tu avais tué Jean, commença-t-elle. Ce soir-là, je suis descendue chez tes parents peu après ton départ. Ta mère m’a dit que tu avais rendez-vous avec Jean près de la fontaine Saint-Michel. J’ai prétexté que je me sentais souffrante et que je désirais remonter dans notre chambre. Ta mère n’a pas insisté pour me retenir.
Elle s’interrompit en faisant une grimace de douleur.
– J’ai mal, gémit-elle en portant sa main droite à son ventre.
– Plus tard. Continue ! ordonna-t-il.
Elle grimaça de nouveau.
– Je voulais apercevoir Jean. Alors, je me suis rendue à votre lieu de rendez-vous en prenant soin de me tenir à bonne distance et de m’enfoncer sur les yeux la capuche de mon duffle-coat. Je vous ai suivis de loin. Jusque dans le métro où je me suis dissimulée sur le côté de la guérite du milieu de quai.
Elle se mit à sangloter.
– J’ai tout vu, hoqueta-t-elle en levant son regard vers le sien.
– Mais tu étais à la maison quand je suis rentré ? dit-il incrédule.
– Je venais juste de d’arriver. Je suis rentrée dix minutes avant toi…
Alexandre Caillard était abasourdi.
Elle en jouit mais ce lui parut dérisoire.
Dany avait porté la main sur la poitrine de son fils qui ne râlait plus.
– Il est mort, dit-elle laconiquement en levant vers son mari un regard aveugle.
Alexandre Caillard se baissa et secoua le corps de son fils qui émit un faible râle.
– Mais non ! dit-il. Il est juste sonné. Continue !
– Tu crois ? fit-elle en se raccrochant à cet espoir et en blottissant la tête de son fils entre ses cuisses.
– Bien sûr. Continue !
Dany s’efforça de ravaler ses larmes et renifla.
– Après, je n’ai plus pensé qu’à te pourrir la vie… Tu n’avais pas le droit de le tuer…
– C’est donc ça, murmura Caillard pour lui-même.
Le corps de Jean Caillard sembla tressaillir et eut un dernier soubresaut.
Sa mère ne s’en aperçut pas.
– J’ai mal, gémit-elle avant de perdre connaissance.
Alexandre Caillard les secoua l’un et l’autre.
Dany émit une plainte.
Le corps de son fils resta muet.
La demie de dix-sept heures sonna à l’horloge comtoise du corridor.
Alexandre Caillard s’affola.
Il pensa appeler sa fille et chercha son portable dans la pièce.
La sonnerie du poste fixe résonna au moment même où il finissait par dénicher son portable qui était tombé par terre.
Il décrocha machinalement le combiné.
Il reconnut immédiatement la voix de Bernard Lestrade.
Il le coupa.
– À cause de toi, je viens de tuer mon fils et peut-être ma femme. T’es content ? dit-il d’une voix neutre.
Il y eut un silence suivi d’un hurlement de bête blessée.
– Quoi ! Tu as tué mon fils ?
Alexandre Caillard laissa retomber le combiné et se sentit chanceler.
Il avait l’impression de perdre la raison.


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dimanche 3 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 17 (suite et fin)

Chapitre 17 (suite et fin)





– Assassin ! hurla sa femme en tentant de prendre appui sur ses coudes pour se relever.
Il attendit qu’elle parvienne à se mettre à quatre pattes pour lui assener un coup de pied dans le flanc qui la fit retomber.
– Couchée, la chienne aussi !
Dany se tenait le ventre de douleur.
– Pitié ! gémit-elle. Au moins pour lui… Appelle un médecin, des secours… ne le laisse pas comme ça, par pitié…
Le souffle court, Alexandre Caillard sembla réfléchir.
– D’accord, finit-il par lâcher, un mauvais rictus déformant son visage, tandis que sa femme tentait de nouveau de se relever.
Il la laissa se diriger à quatre pattes vers le corps de son fils qui gémissait par râles brefs.
À mi-distance, il s’interposa entre eux.
– D’accord, si tu me dis tout.
– Pitié ! l’implora-t-elle. Appelle de l’aide…
– Après ! dit-il en faisant claquer le ceinturon sur le dos de sa femme qui se laissa rouler sur le flanc pour tenter de se protéger.
Dany ne pouvait qu’admettre sa défaite et se soumettre. Pour tenter de sauver son fils.
– Bien, murmura-t-elle faiblement. Mais aide-moi à m’asseoir.
Alexandre Caillard posa son ceinturon sur la table, traîna sa femme par les épaules sur deux mètres et la fit s’asseoir à même le sol, dos au mur.
Puis il tira le corps de son fils, qui poussa une longue plainte, jusqu’à la hauteur de Dany et posa sa tête sur les cuisses de sa mère.
– Voilà ! dit-il avec une certaine fierté. Tu vois, je ne suis pas si mauvais… Bon, je t’écoute !
– Il est mal-en-point, dit Dany en larmes en entourant de ses bras la tête de son fils. Appelle des secours, je t’en prie. Le laisse pas crever…
– Ta gueule ! dit-il d’un ton lourd de menaces en s’emparant à nouveau du ceinturon. Tu me racontes tout ou vous allez crever tous les deux. Bernard… je t’écoute !
Il vit une lueur étrange briller dans le regard de sa femme. Comme si elle ne s’avouait pas totalement vaincue.


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samedi 2 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





Il sortit de son bureau et descendit le perron de la mairie dans un état second. Sans aucune conscience de sa furieuse excitation.
Il traversa la place à grandes enjambées, contourna l’église et pénétra dans la courette du presbytère.
– Dany ! hurla-t-il après s’être engouffré dans le corridor de la vieille demeure et en se dirigeant vers la première pièce sur la gauche, le salon.
Elle était en train d’agencer un bouquet de fleurs séchées sur le guéridon près de la fenêtre et se tenait de trois quarts.
– Dany ! cria-t-il en s’arrêtant sur le seuil.
Elle se tourna lentement vers lui. Comme dans l’un de ces vieux films familiaux que l’on se plaisait à passer au ralenti avant la télé.
– Oui, mon Minou, minauda-t-elle d’une voix pâteuse.
Elle s’est encore mise à picoler son whisky à peine arrivée, se dit-il.
Il était bien décidé à la dessoûler.
– Un problème, mon Minou ? demanda-t-elle d’une voix incertaine en retournant à son bouquet.
Il s’était avancé vers elle, la mâchoire crispée de rage.
– C’est joli, non ? fit-elle en ayant la mauvaise idée de tourner son visage vers lui.
La gifle la frappa violemment et elle trébucha contre le guéridon, heurtant le vase de Sèvres de son coude.
Elle ne réagit pas immédiatement. Sa vision se troublait de larmes.
Elle se tourna craintivement vers lui tout en protégeant son visage de son bras gauche.
– T’es devenu fou ? dit-elle hébétée.
– Putain de salope ! hurla-t-il en la saisissant par le bras et en tentant de la gifler de nouveau.
– T’es fou ! cria-t-elle.
– Je suis prêt à te massacrer si tu ne me dis pas toute la vérité, salope ! dit-il en crochetant sa jambe pour la déséquilibrer et la faire tomber.
Puis il commença de labourer son flanc de coups de pied. Redoublant de fureur en ne rencontrant que des bourrelets de graisse.
– C’est toi qui informes Bernard Lestrade de tous mes faits et gestes, hein ! salope…
Elle se mit à crier et à appeler au secours.
– Qu’est-ce que tu manigances avec ce salaud, derrière mon dos, hein ? Tu vas le dire ou tu vas crever ! hurla-t-il en portant un coup plus fort que les autres qui la fit se retourner de douleur.
Alexandre Caillard haletait et cessa momentanément de frapper pour reprendre son souffle et essuyer la sueur qui perlait de son front.
Elle profita de ce bref instant de répit pour lui jeter dans un ricanement :
– Plutôt crever, ordure ! Je n’ai rien à te dire.
Il défit alors son ceinturon et entreprit de la fouetter méthodiquement.
– Tu parleras, putain ! Tu parleras !
Il alternait les coups de boucle de ceinturon et les coups de pied.
– À l’aide ! gémissait-elle.
– Personne ne peut t’entendre, ma pauvre conne ! ricana-t-il méchamment.
Alexandre Caillard, dans sa fureur, en avait oublié la présence de son fils dans la demeure.
Jean Caillard avait mis un certain temps avant de réaliser que les bruits qui lui parvenaient deux étages plus haut dans les combles aménagés en chambres n’étaient pas ceux de la télé.
Son père ne l’avait pas entendu dégringoler le vieil escalier de chêne.
Il lui tomba dessus en hurlant, hystérique :
– Ne touche pas à ma mère, fumier !
Alexandre Caillard se tourna, les yeux injectés de sang, vers son fils.
– Toi, le bâtard, tu restes tranquille !
Deux fureurs se provoquèrent un instant du regard.
Puis le fils tenta de s’emparer du ceinturon. En se jetant sur son père qui le cueillit d’un coup de genou dans le bas-ventre.
Tandis que le gamin se tordait de douleur à ses pieds, il lui assena un violent coup de pied dans la tempe.
– Couché le chien-chien ! ordonna Alexandre Caillard d’une voix démente alors que le fils se mettait à râler faiblement.
Alexandre Caillard avait les yeux exorbités par la haine.


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vendredi 1 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 16

Chapitre 16





C’était bien la voix de Jean Lestrade. Il n’était pas fou !
Celle de son frère jumeau. Bernard !
Il éclata d’un rire de collégien et se mit à sautiller sur place telle une pom-pom girl.
Putain, qu’il était fort !
Oui, lui, Me Caillard, était le meilleur.
Pas pour rien qu’il en était arrivé là où il était.
Oui, bien sûr, Bernard Lestrade pouvait le soupçonner. L’avoir deviné.
Intuitivement. Tout comme cette connasse de Dany.
Mais pourquoi se manifestait-il tant d’années plus tard ? Pour quelles raisons ?
Ça tenait pas. C’était tout à fait illogique. Irrationnel.
Et puis, on en revenait à la même question.
Qui pouvait le tenir informé de ses allées et venues ? De ses faits et gestes ? De son sommeil, même ?
Putain, mais c’est cette salope de Dany. Sûr !
Alexandre Caillard serra les poings et crispa les mâchoires, se jurant de lui faire cracher tout ce qu’elle savait.



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