lundi 22 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 23

Chapitre 23





Pierre Cavalier passa le début d’après-midi de ce 26 décembre à relire pour l’énième fois les fiches de Jean Partot, Dimitri Bertov, Gérard Collin, Alain Berthon et celle, établie post mortem, de Jérôme Cassard.
Dans l’ordre, ils avaient trente-deux, quarante-deux, cinquante-cinq, quarante-neuf et quarante-trois ans.
Célibataire, divorcé, marié deux enfants, marié sans enfants et séparé avec deux jeunes enfants.
Postier féru d’informatique, bouquiniste, imprimeur de ville, chercheur au CNRS et prof de lycée.
Tiens ! prof de quoi, Cassard ? Personne ne l’a noté, s’étonna le commandant Cavalier.
Il appela un de ses adjoints qui avait établi la fiche à la hâte.
Celui-ci n’avait pas trouvé utile d’être plus précis – mauvais point pour lui, se dit Cavalier, la précision étant une des manies de la boutique. Par chance, il se souvenait de la matière qu’enseignait Cassard. La chimie.
Le commandant Cavalier engueula l’adjoint.
– Vous êtes con ou quoi ! Un chimiste dans un groupe d’extrémistes, à vous, ça ne vous dit rien ?
Le lieutenant fila sans demander son reste.
Pierre Cavalier reprit sa réflexion.
Un bricolo en informatique, un bouquiniste qui écoule la propagande, un imprimeur qui imprime, un chercheur qui pense et un chimiste…
Un prof de chimie, ça sait comment bricoler un explosif. Mais il ne parvenait pas à les imaginer comme constituant un groupe potentiellement terroriste.
Le parcours de chacun d’eux – excepté Cassard – était précis.
Deux étaient anarchisants – Partot et Collin –, deux marxisants – Bertov et Berthon.
Et deux avaient navigué dans les eaux perturbées de la mouvance d’Action directe, Collin et Berthon. Berthon avait également séjourné deux étés en Palestine.
Quand même bizarre que l’on n’ait rien sur Cassard, songeait le commandant Cavalier. Il vient de quelque part à droite ou à gauche. Et si l’on n’a rien sur lui, c’est peut-être parce qu’il est protégé. Qu’il sert d’indic à un service. Et si ce n’est pas chez nous, c’est peut-être en face.
« En face », c’était la DST.
Inutile de le leur demander officiellement, se dit Cavalier.
Il appela un de ses contacts de la rue Nélaton, le siège de la DST.
– J’ai besoin d’un certain Jérôme Cassard, né le 16 août 1960 à Carrières-sous-Poissy, dit-il laconiquement à son interlocuteur.
L’autre le rappela vingt minutes plus tard.
– C’est en boutique mais accès impossible.
S’il n’avait pu en apprendre plus sur le passé politique de Cassard, il avait au moins confirmation qu’il était un indic de la DST.
Ce qui n’arrangeait en rien son affaire car la boutique d’en face allait se mettre en mouvement et enquêter de son côté. Interférant avec sa propre enquête au risque de brouiller les pistes et de foutre le bordel.
Le commandant Pierre Cavalier n’avait pas le choix.
Quitte à le griller, il lui fallait prendre contact au plus vite avec son informateur auprès du « Groupe de la Foi » de Roger Bangros.
Il consulta sa montre. Il était déjà seize heures.
Avant de lui téléphoner, il composa le numéro de sa femme pour savoir si elle avait du nouveau à propos d’Alain Berthon.
– Toujours introuvable ainsi que sa femme. Mais il y a pire ! dit-elle d’une voix blanche. Un massacre chez les Collin. Nous avons été prévenus par les flics des Lilas il y a une demi-heure.
Un voisin qui promenait son chien s’était étonné que le lampadaire du jardinet des Collin ainsi que la lanterne au-dessus du perron soient restés allumés en plein jour.
Il avait sonné à leur porte et son chien s’était mis à aboyer « bizarrement ».
– Ce sont ses propres termes, précisa Isabelle Cavalier.
Il a alors constaté que la porte n’était pas fermée à clé et il est entré.
– Il en est resté tétanisé, le petit vieux. Il n’a pas pu dépasser le salon. Il a mis un bon quart d’heure avant de recouvrer ses esprits et d’être capables d’appeler la police. Et je me demande si les flics qui sont intervenus ne vont pas avoir besoin d’une cellule de soutien psychologique !
Pierre Cavalier avait hâte d’en savoir plus mais il préféra ne pas brusquer sa femme. Quand elle maniait l’humour noir, c’était généralement le signe qu’elle était sous le coup d’une vive émotion.
– Dans le salon, ils ont découvert la mère Collin massacrée – viol et éventration. Ensuite, dans la cuisine, le corps du père au pied du réfrigérateur – foudroyé par une crise cardiaque, semble-t-il. Faut dire qu’à l’intérieur du frigo, dont la porte était restée entrouverte, il y avait deux paires d’attributs…
– Des attributs ? la coupa Pierre Cavalier qui ne saisit pas immédiatement.
– Ben oui, des attributs ! Le truc vachement important qui pendouille sous le ventre des mecs, tu vois ? Bon, il paraît que c’était pas ragoûtant. T’imagine la suite, non ?
– Raconte toujours, s’impatienta Pierre Cavalier.
– Ben, ils se sont mis à chercher à qui ça manquait. Et ils ont trouvé les anciens propriétaires dans le sous-sol. Les fils Collin. Étranglés et émasculés. Il y en a même un qui a eu droit à une décharge de fusil de chasse en prime…
Pierre Cavalier en restait abasourdi.
– Bon, je te laisse, faut que j’aille sur place, conclut Isabelle.
– Attends ! J’espère que tu leur as demandé de ne pas faire de commentaire à la presse. Il faut absolument que nous contrôlions cette information…
– Tu parles ! Le voisin d’en face s’est mis à filmer avec son caméscope dès l’arrivée des flics…
– Mais, il faut le lui confisquer !
– Ah oui ! Vous êtes marrants dans ta police politique. Le mec il est journaliste à FR 3 et il a déjà balancé l’info à l’AFP… Ciao, mon chéri !


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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