samedi 13 juin 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 16 (suite et fin)

Chapitre 16 (suite et fin)





Il était vingt-trois heures passé.
– Avez-vous une idée de l’identité de la personne qui a pris cette photo, qui semble relativement récente ? Je crains qu’elle ne soit également en danger.
Le capitaine essayait de saisir le regard de Gérard Collin qui se dérobait en se dandinant sur sa chaise inconfortable.
– Serait-ce vous ou une autre personne ?
Gérard Collin persistait dans son silence en semblant hésiter.
– De toute façon, M. Alain Berthon s’en souviendra peut-être…
– C’est moi qui l’ai prise au printemps dernier, dit-il à contrecœur.
– Je vous remercie, monsieur Collin… Quelle est la profession de M. Berthon ?
– Il est sociologue. Chercheur au CNRS.
Isabelle Cavalier fit une moue admirative.
– Votre ami Jean Partot était postier et Dimitri Bertov était libraire…
– Bouquiniste, précisa Gérard Collin spontanément.
– C’est un peu pareil, non ?
Elle comprenait mieux la raison de tous ces empilements de livres chez la victime.
– Et quelle est votre profession, monsieur Collin ?
– Imprimeur.
– Vous imprimez quoi ?
– Oh ! c’est une petite imprimerie de ville. Cartes de visite, faire-part, photocopies, thèses ou scénarios…
– Qui vous permet également d’imprimer des brochures de ce genre, n’est-ce pas ? Et je ne parle pas de ces tracts…, dit Cavalier avec une moue de dégoût qui n’échappa pas à Gérard Collin.
– Nous sommes en démocratie, madame…, objecta-t-il en reprenant un semblant d’assurance.
– Capitaine, s’il vous plaît ! le coupa-t-elle sèchement. Et je sais que nous sommes en démocratie, et que la démocratie permet à chacun de s’exprimer librement, même à ses ennemis. Merci de me le rappeler opportunément. Mais là n’est pas mon propos, monsieur Collin. Je vous l’ai déjà dit. Je voulais seulement suggérer que cette littérature puisse vous attirer des ennemis. J’ai retrouvé les mêmes brochures et les mêmes tracts chez vos trois amis assassinés. J’imagine que M. Berthon et vous-même possédez les mêmes, non ?
Le capitaine Cavalier n’attendait pas de réponse.
– Arrêtez-moi si je me trompe, monsieur Collin. Il me semble que vous êtes un groupe d’amis et que vous partagez les mêmes idées – celles qui sont exprimées là-dedans, dit-elle en tapotant les brochures qu’elle avait réunies en une pile. Et vous les propagez…
– C’est notre droit !
– Bien sûr, la démocratie, etc., mais j’ai la nette impression que ça ne doit pas plaire à tout le monde puisque vous disparaissez les uns après les autres. À mon avis, vous vous êtes fait des ennemis…
Le capitaine Cavalier croisa ses mains sur le bureau. Gérard Collin s’efforçait de rester impassible.
– Mais assassine-t-on pour cela, monsieur Collin ? En tout cas, j’en doute. Peut-être y a-t-il une autre raison. Qu’en pensez-vous ?
Gérard Collin haussa les épaules.
Évidemment, il était impossible que ces meurtres soient d’horribles coïncidences. Un ennemi non identifié leur en voulait au point de les éliminer un par un.
Il était partagé entre le désir de confier ses craintes à ce policier et la hâte de sortir au plus tôt pour contacter Roger Bangros et se mettre sous sa protection.
Sûr ! C’était un coup des sionistes extrémistes français. Des services israéliens, même.
Qui d’autre pouvait avoir intérêt à éliminer les membres directeurs du Comité révolutionnaire contre l’islamophobie ?
Et, en plus, ces enfoirés, en les égorgeant, faisaient porter les soupçons sur les islamistes !
C’était la preuve que sa propagande était bien plus dangereuse que les projets terroristes de Roger « Samir-Oussama ». Les Juifs avaient choisi de s’attaquer au Comité et non pas au groupe de Roger !
Soudain, un doute s’insinua.
Et si un service antiterroriste français cherchait à les éliminer ?
Mais ça ne tenait pas. Le gouvernement français ne souhaitait pas jeter de l’huile sur le feu. Tout au contraire.
À ce point de ses réflexions, Gérard Collin estima qu’il serait préférable qu’il s’entretienne avec Alain avant de prendre contact avec Roger.
Alain l’avait toujours aidé à voir clair. D’ailleurs, il devait l’admettre, c’était toujours Alain qui avait les meilleures idées. Lui était le stratège, mais c’était Alain le penseur. Il n’y avait qu’à voir la qualité de ses brochures, dont il lui abandonnait la paternité pour ne pas se faire repérer au CNRS comme négationniste.
Alain, c’était le véritable ami. Trente ans de complicité.
Oui. Faire d’abord le point avec Alain et voir Roger ensuite.
Cette fliquette arrogante pouvait toujours courir après ses réponses ! Il fermerait sa gueule et Alain en ferait autant.
Ils étaient des révolutionnaires en guerre contre le sionisme et l’impérialisme.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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