Chapitre 11
À peu près à la même heure ce 25 décembre, aux Lilas, les couples Berthon et Collin, abrutis par leur nuit blanche et sonnés par la nouvelle de la mort violente de Dimitri Bertov, étaient affalés sur leurs sièges autour de la table du salon.
Ils terminaient les restes du repas de la veille auquel ils n’avaient guère touché. Sans échanger une parole.
Ce n’était pas nécessaire. Tout ce qui pouvait être dit avait été dit durant la nuit. Sans aboutir à quoi que ce soit puisqu’on ne savait pas « comment » Dimitri avait été tué.
Jérôme Cassard avait soutenu qu’on voulait les éliminer un à un.
– Encore un coup tordu des sionistes ! avait-il prétendu. Pour faire porter le chapeau aux Arabes et salir la cause palestinienne…
Alain s’était montré dubitatif, mais Gégé avait estimé que ce n’était pas si con que ça en avait l’air.
– Ils ont bien fait sauter les Twin Towers et poussé les Yankees à intervenir en Irak, alors !
Les deux femmes tentaient de se rassurer en soutenant qu’il s’agissait sûrement de coïncidences malheureuses.
– Si c’est les sionistes, avait poursuivi Cassard, il faut leur faire payer ça au centuple. Faut qu’on se paie une synagogue ou une de leurs écoles. Mais pour de vrai, pour leur donner une bonne leçon !
Jamais il n’avait tant était excité.
– Y’en a marre de les intimider. Faut en tuer !
Gégé avait soupiré et tranché.
– Arrête de déconner ! Tu sais que ce n’est pas politique. C’est ce qu’a fait Hitler et ça les a rendus intouchables. Et ils le seront tant qu’Israël existera, on le sait tous. C’est pourquoi le soutien à la cause palestinienne et le harcèlement d’Israël jusqu’à sa destruction est nécessaire. C’est même la condition sine qua non avant toute action sérieuse en Europe. Après, mais seulement après, on pourra se les faire. Avec les Arabes qui feront le boulot pour nous. Mais pas maintenant, c’est trop tôt. C’est aussi pourquoi Samir a tort de vouloir se lancer dans sa campagne terroriste en France. C’est un converti et il a l’impatience des néophytes. Il faut laisser le prolétariat des pays arabes en finir avec l’existence arrogante d’Israël.
– T’as peut-être raison, avait concédé mollement Jérôme.
– Souviens-toi de ce que disait Jean. Il faut en finir avec cette injustice de quatre millions de Juifs qui oppriment quatre cents millions d’Arabes et les empêchent de se développer.
– Mais qu’est-ce qu’on va faire en attendant ?
– Continuer à défendre le droit légitime au port du voile, continuer à soutenir les revendications des musulmans à des lieux ou des horaires distincts pour les activités physiques des hommes et des femmes, créer des jours fériés pour marquer les grands moments de la vie religieuse musulmane.
– Mais sur les cinq millions qui proviennent de pays de culture musulmane, il y en a à peine cinq cent mille qui pratiquent, avait objecté Alain.
– On s’en fout ! Le gouvernement et les médias parlent toujours de cinq millions et les cathos soutiennent les brèches que créent les islamistes dans la laïcité pour s’y engouffrer à leur tour. C’est l’ironie de l’histoire, les religions vont foutre en l’air cette société pourrie, tout comme le pape a foutu en l’air le communisme.
– J’ai quand même l’impression que la société française résiste à l’islamisme, objecta Alain à nouveau.
– Pour un temps, crois-moi. Il faut marteler notre équation magique : refuser sa place à l’islam en France, c’est être islamophobe, donc anti-arabe, donc raciste. Les derniers arrivés n’ont pas à se laisser dicter leur mode de vie par les plus anciens ni à subir des lois à l’élaboration desquelles ils n’ont pas participé. Nos ennemis baisseront les bras, crois-moi ! On va les bouffer !
– Ça c’est sûr, surenchérit Jérôme Cassard, et c’est les masses musulmanes qui vont faire notre révolution anti-impérialiste et anticapitaliste. On va revenir à la solidarité du communisme primitif qui protégeait l’homme et respectait la nature grâce à l’islam ! Ah ! vivement la fin du yankee-sionisme !
Sur ces bonnes paroles, qui en faisaient, sinon les héritiers de Bakounine te de Kropotkine, du moins les dignes émules d’autres « révolutionnaires », les nazis et les fascistes qui luttèrent contre le judéo-bolchevisme et l’impérialisme ploutocratique anglo-saxon avec le succès et les méthodes que l’on sait, Jérôme Cassard avait pris congé des deux couples.
Il devait se rendre au déjeuner traditionnel de Noël chez sa vieille mère et il craignait d’être en retard, car il devait d’abord passer chez son ex, avenue Simon-Bolivar, dans le XIXe, pour récupérer ses deux pré-ados.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
À peu près à la même heure ce 25 décembre, aux Lilas, les couples Berthon et Collin, abrutis par leur nuit blanche et sonnés par la nouvelle de la mort violente de Dimitri Bertov, étaient affalés sur leurs sièges autour de la table du salon.
Ils terminaient les restes du repas de la veille auquel ils n’avaient guère touché. Sans échanger une parole.
Ce n’était pas nécessaire. Tout ce qui pouvait être dit avait été dit durant la nuit. Sans aboutir à quoi que ce soit puisqu’on ne savait pas « comment » Dimitri avait été tué.
Jérôme Cassard avait soutenu qu’on voulait les éliminer un à un.
– Encore un coup tordu des sionistes ! avait-il prétendu. Pour faire porter le chapeau aux Arabes et salir la cause palestinienne…
Alain s’était montré dubitatif, mais Gégé avait estimé que ce n’était pas si con que ça en avait l’air.
– Ils ont bien fait sauter les Twin Towers et poussé les Yankees à intervenir en Irak, alors !
Les deux femmes tentaient de se rassurer en soutenant qu’il s’agissait sûrement de coïncidences malheureuses.
– Si c’est les sionistes, avait poursuivi Cassard, il faut leur faire payer ça au centuple. Faut qu’on se paie une synagogue ou une de leurs écoles. Mais pour de vrai, pour leur donner une bonne leçon !
Jamais il n’avait tant était excité.
– Y’en a marre de les intimider. Faut en tuer !
Gégé avait soupiré et tranché.
– Arrête de déconner ! Tu sais que ce n’est pas politique. C’est ce qu’a fait Hitler et ça les a rendus intouchables. Et ils le seront tant qu’Israël existera, on le sait tous. C’est pourquoi le soutien à la cause palestinienne et le harcèlement d’Israël jusqu’à sa destruction est nécessaire. C’est même la condition sine qua non avant toute action sérieuse en Europe. Après, mais seulement après, on pourra se les faire. Avec les Arabes qui feront le boulot pour nous. Mais pas maintenant, c’est trop tôt. C’est aussi pourquoi Samir a tort de vouloir se lancer dans sa campagne terroriste en France. C’est un converti et il a l’impatience des néophytes. Il faut laisser le prolétariat des pays arabes en finir avec l’existence arrogante d’Israël.
– T’as peut-être raison, avait concédé mollement Jérôme.
– Souviens-toi de ce que disait Jean. Il faut en finir avec cette injustice de quatre millions de Juifs qui oppriment quatre cents millions d’Arabes et les empêchent de se développer.
– Mais qu’est-ce qu’on va faire en attendant ?
– Continuer à défendre le droit légitime au port du voile, continuer à soutenir les revendications des musulmans à des lieux ou des horaires distincts pour les activités physiques des hommes et des femmes, créer des jours fériés pour marquer les grands moments de la vie religieuse musulmane.
– Mais sur les cinq millions qui proviennent de pays de culture musulmane, il y en a à peine cinq cent mille qui pratiquent, avait objecté Alain.
– On s’en fout ! Le gouvernement et les médias parlent toujours de cinq millions et les cathos soutiennent les brèches que créent les islamistes dans la laïcité pour s’y engouffrer à leur tour. C’est l’ironie de l’histoire, les religions vont foutre en l’air cette société pourrie, tout comme le pape a foutu en l’air le communisme.
– J’ai quand même l’impression que la société française résiste à l’islamisme, objecta Alain à nouveau.
– Pour un temps, crois-moi. Il faut marteler notre équation magique : refuser sa place à l’islam en France, c’est être islamophobe, donc anti-arabe, donc raciste. Les derniers arrivés n’ont pas à se laisser dicter leur mode de vie par les plus anciens ni à subir des lois à l’élaboration desquelles ils n’ont pas participé. Nos ennemis baisseront les bras, crois-moi ! On va les bouffer !
– Ça c’est sûr, surenchérit Jérôme Cassard, et c’est les masses musulmanes qui vont faire notre révolution anti-impérialiste et anticapitaliste. On va revenir à la solidarité du communisme primitif qui protégeait l’homme et respectait la nature grâce à l’islam ! Ah ! vivement la fin du yankee-sionisme !
Sur ces bonnes paroles, qui en faisaient, sinon les héritiers de Bakounine te de Kropotkine, du moins les dignes émules d’autres « révolutionnaires », les nazis et les fascistes qui luttèrent contre le judéo-bolchevisme et l’impérialisme ploutocratique anglo-saxon avec le succès et les méthodes que l’on sait, Jérôme Cassard avait pris congé des deux couples.
Il devait se rendre au déjeuner traditionnel de Noël chez sa vieille mère et il craignait d’être en retard, car il devait d’abord passer chez son ex, avenue Simon-Bolivar, dans le XIXe, pour récupérer ses deux pré-ados.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire