mardi 6 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (Chroniques croisées IX) par Alain Pecunia, Chapitre 1

Le capitaine Isabelle Cavalier de la Crim reprend une enquête sur un drame familial qui fait resurgir son propre passé douloureux de petite fille. Puis elle enchaîne sur une « tournante ». « Ça vous fera comme des vacances », lui avait dit son supérieur. Mais elle quitte un cauchemar pour tomber dans un autre. Sans compter cette rencontre avec le sinistre tueur indic de la DST. Le Jean Ferniti de National, toujours ! Devenu l’ami de Philippe-Henri Dumontar et de Euh-Euh.
De quoi frissonner.


Tout homme, même s’il l’ignore, a une dette pendante envers les femmes.
Écrire ce livre est une façon de la payer.

Chapitre 1





Le commissaire principal Derosier, face à la réticence du capitaine Isabelle Cavalier, avait mis fin à l’entretien en lui lâchant :
– Et puis, un drame familial, ça vous changera de vos derniers dossiers*. C’est toujours simple à résoudre. En plus, nous tenons le coupable. Vous avez juste à contrôler sa déposition pour voir si tout colle. D’ailleurs, c’est une femme, alors je préfère que ce soit vous qui vous y mettiez.
C’était une affaire comme une autre, mais celle-ci la mettait mal à l’aise rien qu’à son évocation.
Un père poignarde sa fille de onze ans. La mère est à son tour menacée par le meurtrier mais parvient à retourner l’arme – un couteau de chasse – contre le mari.
La mère reconnaît avoir poignardé son mari.
De la légitime défense.
Il était vingt-deux heures. Hier soir.
Pas d’autre témoin dans l’appartement, si l’on excepte l’autre petite fille du couple, âgée de sept ans, que les policiers ont découverte terrée dans sa chambre.
En état de choc et incapable de parler.
C’est le voisin du dessous qui a appelé la police en entendant des cris inhabituels et des bruits de lutte – un guéridon renversé, un vase qui s’écrase, une chaise qui tombe.
L’enquête de voisinage n’a rien apporté de plus jusqu’à présent.
Un couple apparemment sans histoire.
Le père clerc de notaire dans une étude du 9e. La mère institutrice.
Pas de problème financier et ni l’un ni l’autre ne semblant avoir d’aventure extraconjugale.
Ce n’était donc apparemment pas un drame de la jalousie.
Le père adorait ses enfants et s’en occupait beaucoup. « Même plus qu’un père ordinaire, a déclaré la voisine de palier. Il passait tout son temps libre avec ses filles, surtout l’aînée, la pauvre… »
Le capitaine Isabelle Cavalier se fait du mari l’image d’un homme dynamique.
En contraste avec la femme assise devant elle de l’autre côté de la table d’interrogatoire.
Quarante-deux ans. Un mètre soixante-dix. Les cheveux frisés. Légèrement grassouillette et un je-ne-sais-quoi de légèrement négligé. Mais la garde à vue ne met jamais le prévenu en valeur. Surtout après avoir passé une nuit blanche et avoir été l’un des protagonistes d’un drame effroyable.
Elle a perdu une enfant, tué son mari…
Pourtant, elle ne semble pas abattue. Son attitude générale exprime plutôt une grande lassitude, de la résignation également.
Et elle n’a pas encore demandé de nouvelles de sa cadette. Comme si le sort de sa dernière fille la laissait indifférente.
Ça, le capitaine Cavalier ne le comprend pas. Elle songe à sa propre fille, Philippine.
D’accord, la mère n’a pas pu sauver l’aînée. Elle s’est interposée trop tardivement. Elle ne pensait pas que son mari mettrait ses menaces à exécution. Mais l’autre, elle est en vie…
L’état de choc ? Non, elle ne paraît pas choquée même si son regard exprime parfois un grand vide.
Comme un abyme ouvert sur elle-même, pense le capitaine à cet instant.
Isabelle Cavalier en éprouve un frisson. De malaise. Comme lors de la lecture du dossier tout à l’heure, dans le bureau de Derosier.
* Voir Euh-Euh !


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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