Chapitre 6 (suite 2)
Isabelle marqua une pause et soupira.
– Quatre ou cinq ans auparavant, on avait découvert un problème cardiaque à mon père. Quand il avait un malaise ou un signe avant-coureur, il devait prendre une petite pilule. Je ne me souviens même pas du nom du truc… Mais c’était vital pour lui. Alors il avait toujours une boîte de pilules sur lui dans sa poche de pantalon et une autre qui ne quittait jamais la tablette du lavabo dans la salle de bains… Tu es prêt à écouter la suite, Pierre ? Tu es sûr de vouloir savoir ? De toute façon, enchaîna Isabelle avant qu’il ait pu répondre, je ne t’ai pas laissé le choix. Nous devons aller ensemble jusqu’au bout… Donc, je t’apprends, mon pauvre Pierre, que j’avais décidé de tuer mon père le jour de mes quinze ans… Je n’en pouvais plus de toute cette salissure, tu comprends ? En devenant ado, je m’étais rendu compte que ma relation avec mon père était une saloperie de relation, que c’était pas normal, qu’il avait abusé de mon enfance, qu’un adulte c’est pas fait pour coucher avec une môme… ou un môme, c’est pareil… Qu’il m’avait contrainte et menacée… Ce sont les pilules qui m’ont donné l’idée. Je ne voulais surtout pas me retrouver en prison… J’avais envie de me débarrasser de mon salaud de père, mais ce n’était pas pour quitter une prison pour une autre !… J’avais remarqué – tu sais combien je suis observatrice ! – qu’il avait surtout des malaises quand il prenait son bain… Je ne sais pas si c’était psychologique ou réel, ou seulement une combine à lui pour m’attirer dans la salle de bains, car, après avoir avalé sa foutue pilule, il avait toujours envie que je le masturbe… Alors, quand il était dans son bain et avait son malaise, soit il se levait pour attraper la boîte sur le rebord du lavabo, soit il m’appelait en beuglant pour que je la lui donne… Donc, le matin de mes quinze ans – parce qu’à quinze ans, je m’étais dit que je serais assez grande pour vivre ma vie seule –, au petit déj je l’ai amignonné en lui laissant croire que j’étais disposée à bien de ses caprices, et qu’on n’était peut-être pas obligés d’attendre le soir… une vraie garce ! Toujours est-il que mon père, qui était un maniaque de la propreté, a aussitôt filé dans la salle de bains après le petit déjeuner… Je lui ai même fait couler l’eau de son bain ! Lui, il était tout guilleret. Il devait sûrement se voir passant la vitesse supérieure… Il ne savait pas qu’il allait toutes les passer d’un coup, le salaud !… « Je reste à côté, mon petit papa, si tu as besoin de tes pilules, appelle-moi. » Il m’a dit : « Surtout, ne t’éloigne pas ! » « Bien sûr » que j’ai dit. Mais j’ai attendu qu’il m’appelle pour me barrer de l’appartement. Ses deux boîtes de pilules – celle du pantalon et celle du lavabo – en poche… J’ai été chercher son journal du matin – Le Figaro de la gauche branchée – et des fruits et légumes. Le tout m’a pris une bonne demi-heure. Puis j’ai discuté avec une voisine dans le hall de l’immeuble en prenant tout mon temps. Ensuite, je suis remonté à pied jusqu’à l’appartement. Trois étages marche par marche… C’est drôle, j’avais même pas d’appréhension en ouvrant la porte. J’étais préparée à ce que j’allais trouver… Oh ! il n’a pas été bien loin ! Il est mort en enjambant le rebord de la baignoire et il est retombé dedans, d’après ce qu’ils ont dit, vu la position de son corps et la jambe qui pendouillait à demi à l’extérieur… J’ai vite remis la boîte de pilules du lavabo sur le lavabo, avant j’avais déjà remis celle de son pantalon dans la poche, et je me suis mise à beugler comme une chienne hurlant à la mort… Et je chialais, et je chialais… Bon, je ne te raconte pas la suite, tu sais comment ça se passe… Je me suis retrouvée momentanément chez une voisine… Ma mère ? tu vas me demander. Ah oui ! je ne t’ai pas dit ! C’est d’ailleurs curieux que je n’en t’ai pas parlé plus tôt… Elle était aux sports d’hiver et sa voiture a dérapé sur une plaque de verglas juste le jour de Noël précédent. Direct le ravin avec ma petite sœur… Je ne les ai revues toutes les deux que sous forme de cercueils et c’est en jetant la poignée de terre sur celui de maman que je me suis juré de tuer mon salaud de père… pour qu’elle me pardonne enfin…
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Isabelle marqua une pause et soupira.
– Quatre ou cinq ans auparavant, on avait découvert un problème cardiaque à mon père. Quand il avait un malaise ou un signe avant-coureur, il devait prendre une petite pilule. Je ne me souviens même pas du nom du truc… Mais c’était vital pour lui. Alors il avait toujours une boîte de pilules sur lui dans sa poche de pantalon et une autre qui ne quittait jamais la tablette du lavabo dans la salle de bains… Tu es prêt à écouter la suite, Pierre ? Tu es sûr de vouloir savoir ? De toute façon, enchaîna Isabelle avant qu’il ait pu répondre, je ne t’ai pas laissé le choix. Nous devons aller ensemble jusqu’au bout… Donc, je t’apprends, mon pauvre Pierre, que j’avais décidé de tuer mon père le jour de mes quinze ans… Je n’en pouvais plus de toute cette salissure, tu comprends ? En devenant ado, je m’étais rendu compte que ma relation avec mon père était une saloperie de relation, que c’était pas normal, qu’il avait abusé de mon enfance, qu’un adulte c’est pas fait pour coucher avec une môme… ou un môme, c’est pareil… Qu’il m’avait contrainte et menacée… Ce sont les pilules qui m’ont donné l’idée. Je ne voulais surtout pas me retrouver en prison… J’avais envie de me débarrasser de mon salaud de père, mais ce n’était pas pour quitter une prison pour une autre !… J’avais remarqué – tu sais combien je suis observatrice ! – qu’il avait surtout des malaises quand il prenait son bain… Je ne sais pas si c’était psychologique ou réel, ou seulement une combine à lui pour m’attirer dans la salle de bains, car, après avoir avalé sa foutue pilule, il avait toujours envie que je le masturbe… Alors, quand il était dans son bain et avait son malaise, soit il se levait pour attraper la boîte sur le rebord du lavabo, soit il m’appelait en beuglant pour que je la lui donne… Donc, le matin de mes quinze ans – parce qu’à quinze ans, je m’étais dit que je serais assez grande pour vivre ma vie seule –, au petit déj je l’ai amignonné en lui laissant croire que j’étais disposée à bien de ses caprices, et qu’on n’était peut-être pas obligés d’attendre le soir… une vraie garce ! Toujours est-il que mon père, qui était un maniaque de la propreté, a aussitôt filé dans la salle de bains après le petit déjeuner… Je lui ai même fait couler l’eau de son bain ! Lui, il était tout guilleret. Il devait sûrement se voir passant la vitesse supérieure… Il ne savait pas qu’il allait toutes les passer d’un coup, le salaud !… « Je reste à côté, mon petit papa, si tu as besoin de tes pilules, appelle-moi. » Il m’a dit : « Surtout, ne t’éloigne pas ! » « Bien sûr » que j’ai dit. Mais j’ai attendu qu’il m’appelle pour me barrer de l’appartement. Ses deux boîtes de pilules – celle du pantalon et celle du lavabo – en poche… J’ai été chercher son journal du matin – Le Figaro de la gauche branchée – et des fruits et légumes. Le tout m’a pris une bonne demi-heure. Puis j’ai discuté avec une voisine dans le hall de l’immeuble en prenant tout mon temps. Ensuite, je suis remonté à pied jusqu’à l’appartement. Trois étages marche par marche… C’est drôle, j’avais même pas d’appréhension en ouvrant la porte. J’étais préparée à ce que j’allais trouver… Oh ! il n’a pas été bien loin ! Il est mort en enjambant le rebord de la baignoire et il est retombé dedans, d’après ce qu’ils ont dit, vu la position de son corps et la jambe qui pendouillait à demi à l’extérieur… J’ai vite remis la boîte de pilules du lavabo sur le lavabo, avant j’avais déjà remis celle de son pantalon dans la poche, et je me suis mise à beugler comme une chienne hurlant à la mort… Et je chialais, et je chialais… Bon, je ne te raconte pas la suite, tu sais comment ça se passe… Je me suis retrouvée momentanément chez une voisine… Ma mère ? tu vas me demander. Ah oui ! je ne t’ai pas dit ! C’est d’ailleurs curieux que je n’en t’ai pas parlé plus tôt… Elle était aux sports d’hiver et sa voiture a dérapé sur une plaque de verglas juste le jour de Noël précédent. Direct le ravin avec ma petite sœur… Je ne les ai revues toutes les deux que sous forme de cercueils et c’est en jetant la poignée de terre sur celui de maman que je me suis juré de tuer mon salaud de père… pour qu’elle me pardonne enfin…
© Alain Pecunia, 2008.
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