jeudi 8 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 2

Chapitre 2





– Alors, Cavalier, c’est bientôt bouclé ? lui demanda familièrement le commissaire principal Derosier une heure plus tard. Il est déjà quinze heures… Vous n’allez pas passer toute la journée dessus, hein ? Vous allez me la déférer bientôt…
– Certainement pas, monsieur, je reprends tout.
– Comment ça, vous reprenez tout ! Qu’est-ce qui vous prend ? Nous avons les aveux de la meurtrière… Ah ! je vous vois venir, vous ! D’une histoire simple, vous allez encore me faire tout un pataquès… Le mari poignarde sa fille, la femme le tue au lieu d’être tuée par lui – sauvant par là la vie de sa seconde fille –, c’est clair, non ?
Il n’aimait pas quand un subalterne lui tenait tête. Et, chez le capitaine Cavalier, ça semblait devenir une habitude.
– Non, justement, monsieur, ce n’est pas clair du tout…
– Et le travail de vos collègues et mes propres conclusions, ça compte pour du beurre, peut-être ?
– Je ne me permettrais pas, monsieur, vous me connaissez…
– Justement, je vous connais ! la coupa-t-il rageusement.
– Disons que ça mérite quelques investigations complémentaires et, surtout, que je la réentende…
– Mais elle a signé ses aveux, cette dame !
– Non, monsieur.
– Comment ça, non ? C’est moi qui vous les ai remis avec le dossier…
– Alors ils ont dû s’égarer car je ne les y ai pas trouvés…
– Cavalier, si…
Le capitaine avait déjà tourné les talons pour aller s’accorder une heure de pause et laisser mariner sa cliente.
Pour prendre le temps aussi de dissiper cette sensation têtue de malaise, de mal-être. Cette oppression physique qu’elle ressentait avec cette affaire.
En fait, elle passa quasiment cette heure au téléphone.
Elle appela d’abord le lieutenant qui avait été envoyé deux heures plus tôt compléter l’enquête de voisinage.
Non. Les voisins étaient formels. Le mari n’était ni un violent ni un colérique. Pas effacé, mais calme, posé, maître de soi. Toujours courtois et affable. Jamais de scène de ménage. Parfois les pleurs ou les cris d’une des enfants qui devait faire un caprice. Rien d’anormal. Presque la banalité d’un couple heureux.
Le lieutenant avait raison de dire « presque », pensa le capitaine. Car la banalité d’un couple sans histoire ne conduit pas à un « drame familial ».
C’était trop lisse. Et il est des violences sans cri, sans coup apparent, qui s’exercent dans le silence le plus complet, méthodiques, implacables. Les pires, peut-être. Celles que l’on nomme faussement psychologiques.
Cette famille avait donné l’apparence du bonheur. Mais ce n’était pas un couple heureux.
Il fallait découvrir son histoire.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

Aucun commentaire: