dimanche 18 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





Pierre Cavalier, mari du capitaine Isabelle Cavalier et lui-même commandant à la Direction centrale des Renseignements généraux, regarda instinctivement la pendulette de la salle à manger-salon quand il entendit la clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée de leur appartement de la rue du Commerce.
Il était vingt-deux heures vingt.
Pierre se leva et alla au-devant de sa femme.
– J’étais inquiet. J’ai appelé ton service et il y a plus d’une heure que tu es partie…
Il se tut en voyant l’air égaré de sa femme qui se blottit dans ses bras, recherchant la protection des quatre-vingts kilos de son « nounours ».
Il resta là à la bercer debout tout le temps que durèrent ses sanglots. Puis deux gros reniflements en signalèrent le tarissement.
Pierre prit délicatement le visage d’Isabelle entre ses mains et lui baisa le front et les joues, effleurant tendrement ses lèvres. Jusqu’à ce qu’un pâle sourire apparaisse.
Il crut qu’elle allait repartir en pleurs et s’empressa de la conduire dans le salon pour l’allonger sur le canapé.
– Sale journée ? lui demanda-t-il en lui rapportant un verre d’eau de la cuisine. Pourtant, Derosier n’a pas tari d’éloges sur toi quand je les ai appelés tout à l’heure…
Elle haussa les épaules tout en s’essuyant le visage du revers de la main.
– C’est un con, marmonna-t-elle.
Pierre sourit pour lui-même. La crise semblait passée.
– J’ai eu envie de marcher un peu, c’est pour ça que je suis en retard… Et puis je ne voulais pas que la petite me voie dans cet état-là…
– Oh ! tu sais, elle est couchée depuis un bon bout de temps…
Isabelle s’était assise sur le canapé et Pierre la rejoignit, lui passant un bras autour des épaules.
– J’ai pas arrêté de chialer depuis que j’ai quitté ce con de Derosier…
– Alors, raconte-moi ce gros malheur.
– Ce n’est pas un gros malheur… c’est une grosse horreur, une colossale monstruosité, mon pauvre Pierre.
Pierre Cavalier se tut pour éviter de dire des conneries.
Sa femme se leva et partit s’enfermer dans la salle de bains une demi-heure, puis accepta d’avaler un yaourt et un grillé.
Ils s’allongèrent côte à côte dans leur lit mais Isabelle refusa qu’il lui passe le bras autour du cou.
– Plus tard... Si tu en as encore envie, dit-elle mystérieusement après l’avoir repoussé.
Pierre resta coi, songeant que c’était la première fois que sa femme n’allait pas embrasser Philippine avant de se coucher.
– Je ne sais pas si tu as envie d’entendre ce que j’ai à dire… mais il faut que je le dise et que quelqu’un l’entende… et ce ne peut être que toi. En tout cas, pour moi, c’est important. Après, tant pis, c’est que je me serai trompée…
La voix d’Isabelle était étouffée et avait la tonalité que prennent parfois les voix dans les rêves. Puis le front de Pierre se plissa quand il pensa que c’était presque la voix d’une personne sous hypnose.
– Je t’ai dit, poursuivit Isabelle, que ma mère était partie – nous avait quittés, mon père et moi – quand j’avais onze ans. Mais je ne t’ai jamais dit pourquoi.
Elle marqua une pause. Ce qu’elle allait dire lui semblait difficile à énoncer.
– Quand nous avons fait l’amour pour la première fois, le 6 avril 1999, je n’étais pas vierge. Je t’ai laissé croire que j’avais eu quelques aventures pour ne pas paraître trop conne à tes yeux. J’allais avoir vingt-neuf ans le 11 avril… Mais tu étais mon premier homme… mon premier…
Pierre l’entendit ravaler ses larmes.
– Depuis mon père, mon enfoiré de salaud de père…
Pierre se surprit à éprouver la douleur de sa femme au plus profond de son être. Mais il conserva son immobilité comme Isabelle conservait la sienne.
– Maintenant, reprit-elle après une longue pause, je t’en ai trop dit pour ne pas aller jusqu’au bout. Alors, accroche-toi, mon pauvre Pierre. Tu vas découvrir celle que tu croyais connaître dans sa nue réalité, ses recoins les plus secrets… C’est pas ragoûtant, crois-moi !
Pierre savait qu’il ne l’en aimerait pas moins, quoi qu’il puisse apprendre. Il pressentait également qu’il devait pouvoir l’écouter jusqu’au bout de ce qui semblait être une confession s’il ne voulait pas la perdre.
Sans un mot. Sans une question. Sans manifester la moindre réaction.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

Aucun commentaire: