Chapitre 2 (suite et fin)
Avant de s’y atteler, le capitaine Isabelle Cavalier appela chez lui le commandant qui avait effectué l’enquête de flagrance la nuit dernière et recueilli les premiers aveux de Mme Plantin.
Les photos de la « scène du crime » et des corps quasiment enchevêtrés dans cette petite chambre d’enfant étaient étalées sur son bureau. Elles s’interposaient entre Isabelle et la réalité. Le commandant, lui, n’avait pas eu droit à cette médiation. Sa voix se ressentait encore de la vision de cette horreur indescriptible à laquelle on ne s’habitue jamais. Surtout lorsque la vie est encore tiède. Avec ces odeurs mêlées d’abattoir à l’ancienne.
Celles du sang. De la chair. Des viscères, surtout.
D’un animal, on supporte. Bien obligé, si on veut en bouffer.
D’un homme, déjà moins. Pas vraiment par compassion ni pitié. Non plus réellement pour cause d’identification – quand on est flic, on vous a appris la « distanciation »… appris seulement, pas communiqué dans les faits. Plutôt parce qu’on appartient à la même espèce du règne animal.
Mais d’un enfant, on ne supporte pas du tout.
Parce qu’un enfant, c’est frais. Ça sent bon. C’est l’image de l’innocence. Que c’est pas fait pour puer la mort.
Tandis que le commandant poursuivait son topo méthodique, le regard d’Isabelle se bloqua sur une des photos.
La petite gisant sur le tapis. La tête de son père reposant sur ses jambes juste sous les genoux, son corps formant un angle de quarante-cinq degrés par rapport à celui de la petite.
Elle était revêtue d’un pyjama à fleurs roses, le pantalon s’arrêtant à mi-mollet. Mais le haut du pantalon était baissé à mi-hauteur sur le frêle bassin. Presque à la naissance du pubis.
Comme s’il s’était baissé lors de la chute…
Ou comme si on ne l’avait pas remonté complètement.
Comme si la petite s’était reculottée vivement au moment d’être frappée – qu’elle était en cours de se reculotter…
Non, le commandant ne lui en voulait pas de reprendre l’enquête. Avec ce sang partout dans la chambre, sur la petite, sur le père, sur la mère qui s’était battue avec son mari, quelque chose avait pu échapper.
D’ailleurs, avait-elle des nouvelles du labo pour savoir de qui provenait le sang qui avait éclaboussé la mère.
Ça, elle pouvait le lui dire. Les analyses étaient arrivées en fin de matinée.
Sur Chantal Plantin et ses vêtements, on avait pu identifier son propre sang, celui de son mari et celui de sa fille.
Normal, puisqu’elle avait été blessée au cours de la lutte avec son mari, que du sang de celui-ci avait giclé sur elle et qu’elle s’était agenouillée auprès de sa fille après avoir appelé Police-Secours. D’ailleurs, on avait identifié des traces de sang de Mme Plantin sur la veste de pyjama de la petite.
S’était-il soucié de l’origine du couteau de chasse ?
Il devait reconnaître que non.
– Tu sais, nous avions ses aveux, alors…
Mais, c’est vrai, il aurait dû s’en soucier.
Que venait faire un couteau de chasse dans cette famille ? Genre dague pour « servir » le gros gibier ? L’arme par excellence. Qui traverse et tranche le cuir le plus dur.
– T’as raison, Cavalier, lui disait le commandant. T’as peut-être un foutu caractère dans le boulot, mais tu sais toujours dénicher le petit détail qui échappe aux autres. Tu te souviens quand tout le service se fourvoyait sur la piste de Philippe-Henri Dumontar lors de l’affaire du « Père Noël tueur » et que tu as su nous montrer que c’était absurde… ? D’accord, on n’a jamais retrouvé le tueur, mais, au moins, on a arrêté de perdre du temps avec cette histoire à la con*.
Isabelle Cavalier permit à un sourire d’effleurer ses lèvres à cette évocation.
Le suspect s’était mué en substitut de père pour elle et…
La douleur revint. À l’évocation du mot « père ». Qu’elle avait tenu enfoui au plus profond d’elle-même jusqu’à la rencontre avec ce vieux prof original. Qui l’avait réconciliée avec elle-même et permis d’accepter l’amour rencontré avec Pierre Cavalier. Et même l’idée de devenir mère…
– Oh ! papa…, murmura-t-elle après avoir raccroché le téléphone.
Le capitaine Isabelle Cavalier se surprit à pleurer.
Comme lorsqu’elle était petite fille.
À l’âge de la petite victime.
Et bien plus tard aussi.
Jusqu’au jour de sa rencontre avec Philippe-Henri Dumontar. L’été 98. Alors qu’elle avait vingt-huit ans.
Avant de s’y atteler, le capitaine Isabelle Cavalier appela chez lui le commandant qui avait effectué l’enquête de flagrance la nuit dernière et recueilli les premiers aveux de Mme Plantin.
Les photos de la « scène du crime » et des corps quasiment enchevêtrés dans cette petite chambre d’enfant étaient étalées sur son bureau. Elles s’interposaient entre Isabelle et la réalité. Le commandant, lui, n’avait pas eu droit à cette médiation. Sa voix se ressentait encore de la vision de cette horreur indescriptible à laquelle on ne s’habitue jamais. Surtout lorsque la vie est encore tiède. Avec ces odeurs mêlées d’abattoir à l’ancienne.
Celles du sang. De la chair. Des viscères, surtout.
D’un animal, on supporte. Bien obligé, si on veut en bouffer.
D’un homme, déjà moins. Pas vraiment par compassion ni pitié. Non plus réellement pour cause d’identification – quand on est flic, on vous a appris la « distanciation »… appris seulement, pas communiqué dans les faits. Plutôt parce qu’on appartient à la même espèce du règne animal.
Mais d’un enfant, on ne supporte pas du tout.
Parce qu’un enfant, c’est frais. Ça sent bon. C’est l’image de l’innocence. Que c’est pas fait pour puer la mort.
Tandis que le commandant poursuivait son topo méthodique, le regard d’Isabelle se bloqua sur une des photos.
La petite gisant sur le tapis. La tête de son père reposant sur ses jambes juste sous les genoux, son corps formant un angle de quarante-cinq degrés par rapport à celui de la petite.
Elle était revêtue d’un pyjama à fleurs roses, le pantalon s’arrêtant à mi-mollet. Mais le haut du pantalon était baissé à mi-hauteur sur le frêle bassin. Presque à la naissance du pubis.
Comme s’il s’était baissé lors de la chute…
Ou comme si on ne l’avait pas remonté complètement.
Comme si la petite s’était reculottée vivement au moment d’être frappée – qu’elle était en cours de se reculotter…
Non, le commandant ne lui en voulait pas de reprendre l’enquête. Avec ce sang partout dans la chambre, sur la petite, sur le père, sur la mère qui s’était battue avec son mari, quelque chose avait pu échapper.
D’ailleurs, avait-elle des nouvelles du labo pour savoir de qui provenait le sang qui avait éclaboussé la mère.
Ça, elle pouvait le lui dire. Les analyses étaient arrivées en fin de matinée.
Sur Chantal Plantin et ses vêtements, on avait pu identifier son propre sang, celui de son mari et celui de sa fille.
Normal, puisqu’elle avait été blessée au cours de la lutte avec son mari, que du sang de celui-ci avait giclé sur elle et qu’elle s’était agenouillée auprès de sa fille après avoir appelé Police-Secours. D’ailleurs, on avait identifié des traces de sang de Mme Plantin sur la veste de pyjama de la petite.
S’était-il soucié de l’origine du couteau de chasse ?
Il devait reconnaître que non.
– Tu sais, nous avions ses aveux, alors…
Mais, c’est vrai, il aurait dû s’en soucier.
Que venait faire un couteau de chasse dans cette famille ? Genre dague pour « servir » le gros gibier ? L’arme par excellence. Qui traverse et tranche le cuir le plus dur.
– T’as raison, Cavalier, lui disait le commandant. T’as peut-être un foutu caractère dans le boulot, mais tu sais toujours dénicher le petit détail qui échappe aux autres. Tu te souviens quand tout le service se fourvoyait sur la piste de Philippe-Henri Dumontar lors de l’affaire du « Père Noël tueur » et que tu as su nous montrer que c’était absurde… ? D’accord, on n’a jamais retrouvé le tueur, mais, au moins, on a arrêté de perdre du temps avec cette histoire à la con*.
Isabelle Cavalier permit à un sourire d’effleurer ses lèvres à cette évocation.
Le suspect s’était mué en substitut de père pour elle et…
La douleur revint. À l’évocation du mot « père ». Qu’elle avait tenu enfoui au plus profond d’elle-même jusqu’à la rencontre avec ce vieux prof original. Qui l’avait réconciliée avec elle-même et permis d’accepter l’amour rencontré avec Pierre Cavalier. Et même l’idée de devenir mère…
– Oh ! papa…, murmura-t-elle après avoir raccroché le téléphone.
Le capitaine Isabelle Cavalier se surprit à pleurer.
Comme lorsqu’elle était petite fille.
À l’âge de la petite victime.
Et bien plus tard aussi.
Jusqu’au jour de sa rencontre avec Philippe-Henri Dumontar. L’été 98. Alors qu’elle avait vingt-huit ans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire