mercredi 14 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 4 (suite 2 et fin)

Chapitre 4 (suite 2 et fin)





– Mais, intervint Isabelle Cavalier pour la première fois depuis le début de cette confession, d’une voix douce, pourquoi n’avez-vous pas songé à intervenir, à mettre fin à tout ça ce jour-là ?
– J’ai eu peur de traumatiser la petite.
– À tout moment vous auriez pu intenter une action contre votre mari…
– Oh ! j’avais trop peur de faire voler en éclats la si belle façade de notre « famille »… Et puis, j’aurais été ridiculisée. La grande n’aurait jamais témoigné contre son père…
– Mais Claudine n’était qu’une petite fille. Elle n’était pour rien dans tout ça… S’il y a jeu de séduction de la part d’un enfant, c’est à l’adulte de ne pas entrer dans ce jeu et de s’en servir pour entraîner l’enfant dans un monde qui n’est pas le sien…
Tout en prononçant ces belles phrases, le capitaine savait que ce n’était pas aussi évident et songea à toutes les années qu’il lui avait fallu pour arriver à concevoir un tel discours.
Sa mère à elle avait préféré la fuite. Si elle était restée, peut-être serait-elle devenue une meurtrière, elle aussi…
Chantal Plantin hocha la tête.
– En fait, j’admettais ce qui se passait même si je ne voulais pas voir ni connaître la réalité des choses. Parce que je croyais que Mélissa serait préservée de tout ça, vous comprenez ? Mais, quand j’ai vraiment vu ce qu’ils faisaient et que Mélissa était en danger, ma rage trop longtemps contenue a éclaté et je n’ai pensé qu’au meurtre… « Pensé » est vraiment le bon terme… nuit et jour… à chercher comment les tuer en préservant Mélissa… Puis j’ai fini par trouver et je les ai tués tous les deux…
Chantal Plantin semblait épuisée par sa longue confession.
« Malheur à celui par qui le scandale arrive, pensa tristement Isabelle Cavalier. Même si ce malheur doit atteindre l’innocent. »
Elle ne savait pas si la meurtrière allait poursuivre sa confession. Elle n’était d’ailleurs pas sûre d’en avoir très envie. À quoi bon ? Arrivé à ce point, était-ce si important de savoir qui avait été tué en premier ou en second ? Pourquoi à ce moment-là et pas à un autre ?
Pour la procédure, bien sûr. Rien que pour cette maudite procédure.
Le capitaine eut envie de se boucher les oreilles quand Chantal Plantin reprit sa confession d’elle-même.
– C’est à la mi-septembre que j’ai acheté le couteau chez un armurier… Je ne me souviens plus du nom. C’est une petite rue pas loin du Printemps, peut-être la fin de la rue de Provence, vous voyez ?
Isabelle Cavalier opina légèrement du chef.
– Puis j’ai attendu…
– Vous n’avez pas songé à y renoncer ? la coupa doucement le capitaine.
– Non. Jamais ! Vous comprenez, il fallait que je protège la petite… J’ai simplement attendu le moment opportun…
– Presque deux mois, quand même ? Pourquoi n’avez-vous pas agi avant ?
– Je n’étais pas sûre de bien arriver à poignarder mon mari. J’avais peur qu’il ne me désarme après que j’aurais tué sa putain de fille…
Le capitaine eut un haut-le-corps qu’elle ne parvint pas à contrôler quand elle entendit la meurtrière user de ce terme de « putain » pour désigner sa fille, surtout avec ce ton soudain haineux.
– Pourquoi vouliez-vous tuer votre fille en premier ?
Le regard de Chantal Plantin avait changé. Il était comme voilé ou absent.
– Pour le faire souffrir ! dit-elle avec un visage empreint de haine et de rage et en martelant ses mots. Pour qu’il constate la mort de son joujou, du trésor de sa vie, de sa petite chérie, de sa putain… Et je l’ai vu souffrir, vous pouvez me croire ! ricana-t-elle.
Isabelle Cavalier frissonna.
– Et vous voulez savoir le plus beau ? Eh bien, alors que j’avais craint pendant des mois qu’il ne me désarme, il ne s’est même pas défendu ! Il est resté là à me regarder les bras ballants et bouche bée et je l’ai frappé sans qu’il tente le moindre geste de défense… comme s’il attendait lui aussi sa juste punition…
Le regard de démence de Chantal Plantin affola un instant Isabelle Cavalier. Puis il s’estompa peu à peu, laissant place à un regard de défi.
– Je vais même vous dire ce que vous ne pourrez pas deviner !
Le capitaine sentait la nausée l’envahir alors qu’elle avait éprouvé quelque temps plus tôt de la compassion pour cette femme meurtrie.
– Quand j’ai décidé d’agir ce soir-là après avoir bien observé leur manège des jours et des jours, mon mari était tout habillé, mais il avait ouvert sa braguette et sorti sa bite et ses couilles et la petite avait baissé son pantalon de pyjama et le touchait… Quand ils m’ont vu surgir avec le couteau à la main, la petite a commencé à remonter son pantalon et je l’ai poignardée, puis je me suis retournée contre mon mari qui avait toujours les couilles à l’air et je l’ai frappé… C’est moi, après, qui lui ai remis tout son attirail en place et j’ai remonté la braguette… Ça, vous n’auriez pas pu le deviner, hein ?
– Mais les cris et les bruits de lutte, le vase brisé et la chaise et le guéridon renversés… ?
– J’ai fait ça juste après, pour la mise en scène. J’ai simulé ! ricana la mère.
– Puis vous vous êtes blessée vous-même ?
– Bien sûr !
– Et, pendant tout ce temps-là, vous avez laissé votre fille se vider de son sang…
Un long silence s’ensuivit.
Chantal Plantin semblait ailleurs.
Isabelle Cavalier regarda sa montre. Il était dix-neuf heures.
Elle éteignit le magnétophone et la caméra.
Elle avait vraiment envie de vomir.
Elle quitta la pièce sans un regard pour Chantal Plantin.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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