vendredi 23 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





Le capitaine Cavalier et le lieutenant Lenoir rejoignirent à pied le boulevard de Grenelle et le descendirent jusqu’au métro Dupleix pour s’engager ensuite dans la rue Daniel-Stern.
Au numéro indiqué de la rue George-Bernard-Shaw, ils se trouvèrent face à un digicode. Dont ils n’avaient pas le code.
Ils attendirent patiemment que des enfants rentrent dans l’immeuble et leur emboîtèrent le pas. Ils n’avaient pas eu envie de sortir leur carte de police pour tenter de se faire discrets.
Mais Cavalier ne trouva pas de « Ferniti » dans la liste de noms des locataires.
– C’est quoi, ce binz ? demanda-t-elle en se tournant vers le lieutenant.
– Oh ! excuse-moi. J’ai oublié de te dire qu’ils lui ont donné une nouvelle identité. « Jean Fernandi ». Tiens, il est juste là. Premier étage gauche.
Quand Jean Fernandi leur ouvrit, ils découvrirent un homme grisonnant, de taille moyenne, au teint pâle, qui paraissait plus vieux que son âge et s’exprimait à voix basse.
– Je vous en prie, dit-il. « On » m’a prévenu que j’aurais de la visite, mais je ne vous attendais pas si tôt… Je vous en prie, entrez.
Quand le capitaine et le lieutenant pénétrèrent dans le studio, ils eurent la surprise – la stupeur pour Isabelle Cavalier – de découvrir Philippe-Henri Dumontar, « Phil » pour les intimes, et Patrice Dutour, Euh-Euh pour ceux qui le connaissaient, assis tranquillement autour de la table et en train de déguster quelques galettes et de boire une menthe à l’eau pour l’un et du jus d’orange pour l’autre.
Aucun des deux ne semblant surpris de voir débarquer Isabelle et Gilbert chez Jean Fernandi.
– Mais qu’est-ce que vous faites là ? s’exclama Isabelle qui ne s’était pas remise de sa stupeur.
Lenoir, lui, donnait l’impression de trouver ça plutôt amusant.
« Oh ! la la ! Dans quel plan on est barrés… », se dit Isabelle.
Ce n’étaient pas les « euh-euh… » effusionnels de Patrice qui pouvaient l’éclairer.
– Mais fais pas cette tête-là, Isa ! intervint Philippe-Henri. Nous sommes entre amis.
Isabelle croyait halluciner.
– Amis…
– Ben oui, fit Fernandi de sa voix si basse qu’elle était quasiment inaudible.
– Euh-euh… euh-euh…, approuva Patrice avec d’énergiques hochements de menton, sa face lunaire illuminé de son éternel sourire.
Et cet idiot de Gilbert qui regardait Isabelle en répétant : « Ben oui », au cas où elle n’aurait pas compris et qu’il s’agissait d’une évidence comme une autre.
– Nous nous sommes rencontrés aux Invalides il y a quinze jours, reprit Philippe-Henri, alors que nous visitions avec Patrice – l’agrégé de lettres n’appelait jamais Patrice par son sobriquet – le tombeau de l’Empereur. Nous avons tout de suite sympathisé et sommes devenus immédiatement amis. Un coup de foudre de l’amitié, en quelque sorte…
« Avec cet assassin-là, ce salopard ! » se dit Isabelle en frissonnant d’appréhension.
– Et nous avons tous trois adhéré le même jour au Souvenir napoléonien pour sceller notre amitié, poursuivit le professeur tout sourire.
Isabelle Cavalier avait cru rêver, mais elle ne rêvait pas. « L’Empire, maintenant ! » s’exclama-t-elle muettement.
Ils s’étaient tous assis autour de la table. Même Lenoir. Qui accepta un verre de jus d’orange que lui proposait Euh-Euh.
Seule Isabelle restait debout. Éberluée. Comme se sentant de trop.
Elle lança un regard de rappel à l’ordre au lieutenant. Qui l’ignora superbement. Isabelle sentait la situation lui échapper et elle détestait ça.
– Eh bien, assieds-toi, ma chérie, dit Philippe-Henri en lui désignant la dernière chaise libre. Une chaise pliante en plastique de couleur verte comme les quatre autres.
Isabelle Cavalier avait beau considérer Philippe-Henri comme son père et le grand-père de Philippine, elle détestait qu’il lui dise « ma chérie » en public. « Ma fille », oui, mais pas « ma chérie » !


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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