mercredi 28 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





Le lendemain matin, après une nuit de sommeil récupérateur, Isabelle Cavalier se sentait à nouveau d’attaque mais eut un haut-le-corps en apercevant le bocal de l’ide sur le guéridon du salon.
Elle se dit qu’elle était idiote. Que c’était normal à l’âge de Philippine de rechercher ce type de compagnie. Que ce serait pire dans quelque temps avec un hamster, un lapin nain ou un volatile quelconque. Si ce n’est un chat qui griffera les fauteuils et le canapé du salon et grimpera aux rideaux ou un jeune chiot qui sèmera la désolation en faisant ses dents… Tout compte fait, c’était un moindre mal. Et si ça amusait sa fille de lui « parler », pourquoi pas ? C’était de son âge. Mais pas de celui de Phil et du salopard d’indic – passe encore pour Euh-Euh.
D’ailleurs, elle avait été déçue que Phil se lie d’amitié avec un tel individu. Un agrégé de lettres des plus éminents, qui rédigeait des manuels scolaires et était reconnu comme un des meilleurs spécialistes de Corneille et de Racine – c’est vrai qu’il n’y avait quand même pas tellement de concurrence –, bref, un homme de cette qualité se commettant avec un ex-taulard et présentement indicateur de police – de la DST, qui plus est !
Non, vraiment, Isabelle Cavalier était décidée à en parler fermement à Phil. Elle le menacerait, s’il le fallait, de ne plus lui laisser Philippine en garde quand elle était en panne de nounou ou de baby-sitter.
Elle sentait qu’elle s’énervait et respira trois fois calmement et profondément. Inspirer… expirer…
Elle s’apprêta à sortir à neuf heures quinze. Elle avait rendez-vous à la demie à la sortie du métro Dupleix avec le lieutenant Lenoir.
Son mari avait pris sa matinée pour conduire la petite chez le pédiatre.
Philippine et son père étaient en train de tapoter sur la paroi du bocal à tour de rôle depuis un quart d’heure.
Ça commençait de taper sur les nerfs d’Isabelle Cavalier.
Inspirer… expirer…
– Surtout, tu n’oublies pas le rendez-vous chez le pédiatre à onze heures, hein ?
Elle eut droit à un vague borborygme pour toute réponse.
– Maman, dis au revoir à Titi !
– Je suis en retard, Philippine…
Elle descendit sportivement les deux étages.
« Putain de mois de novembre ! » se dit-elle en sortant et en ouvrant son parapluie.
Elle descendit le boulevard de Grenelle en marchant sous le métro aérien pour être à l’abri de la pluie. Elle détestait les parapluies.
Quand elle aperçut Lenoir, elle espéra qu’il lui serait plus utile que la veille. Elle le lui dit.
« Mauvaise journée en perspective », se dit le lieutenant habitué aux sautes d’humeur du capitaine.
Elle avait rouvert son parapluie pour les abriter tous deux en quittant l’abri du métro aérien.
– Et cette histoire d’adhésion au Souvenir napoléonien, lui dit-elle en traversant le boulevard, tu ne trouves pas ça débile ?
– Non.
– Ben moi, je trouve ça débile ! Surtout de la part de Phil.
– Ça ne peut pas faire de mal et ça prouve que le Fernandi est un bon indic. C’est une infiltration comme une autre, dit Lenoir en haussant les épaules. C’est un malin, l’indic.
– Comme s’il y avait à infiltrer ces trucs-là !
Aujourd’hui, Isabelle l’énervait. « Qu’est-ce qu’on en a à foutre qu’ils aient adhéré ou non au Souvenir napoléonien ! » songea-t-il.
– Et puis ce mec, reprit le capitaine, je ne le sens pas du tout. Il me colle la chair de poule et il est malsain. Tu as vu son teint ? Même sa peau elle n’est pas saine !
– Tu sais, lui rétorqua Gilbert Lenoir, si tu passais plus de dix ans au trou, tu crois que tu en ressortirais avec la peau saine, toi ?
La réplique du lieutenant la déstabilisa un instant.
La sienne fut cinglante.
– C’est sympa de me dire ça, Gilbert !



© Alain Pecunia, 2009.
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