samedi 10 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 3

Chapitre 3





À seize heures dix, Mme Plantin fut ramenée dans la pièce servant à l’interrogatoire.
Isabelle Cavalier la trouva soudainement vieillie et comme absente, mais elle sembla se ressaisir dès la première question d’Isabelle.
– Pouvez-vous, madame, m’expliquer la provenance du couteau de chasse de votre mari ?
– Je n’en ai aucune idée, répondit-elle en haussant les épaules. Et quelle importance puisque j’ai avoué son meurtre ?
– Tout aura de l’importance pour le juge, madame, dit le capitaine sans se départir d’un ton neutre monocorde. Donc, vous n’aviez jamais vu ce couteau chez vous. On peut donc supposer que votre mari l’avait acheté récemment et l’avait dissimulé en vue d’un « usage » quelconque…
– Certainement ! s’empressa de répondre – trop vite au goût du capitaine – Chantal Plantin.
Isabelle savait qu’il faudrait – à moins d’un coup de chance – au moins quelques jours pour en déterminer la provenance exacte et l’identité de l’acheteur.
Elle préférait, pour l’instant, passer outre et déstabiliser sa cliente en griffonnant quelques instants sur son calepin. Comme absorbée par ces griffonnages de petits « a », « b » et « c ». Passionnément.
Ce qui était le cas.
« a », le mari, « b », sa fille, « c », la femme.
« a » a tué « b » et a été tué par « c ».
« b » a tué « a » et a été tué par « c ».
« c » a tué « a » et « b ».
La femme devait trouver le temps long car elle croisa et décroisa les jambes à plusieurs reprises.
Le capitaine Cavalier attendait patiemment qu’elle en arrive à perdre patience. Un enseignant ne doit pas apprécier d’être « mis au coin ». Personne n’aime voir son statut ni son rôle inversé. Dénié.
Le capitaine, elle, aimait inverser les termes d’un rapport. Ça donnait parfois des choses farfelues, mais, le plus souvent, la vérité se dévoilait derrière l’apparente évidence.
Dans la première ligne, le mari était le meurtrier de sa fille puis avait été tué par sa femme. C’était l’évidence apparente. Si l’on admettait la version de « c ».
Dans la deuxième ligne, la fille tuait son père et était assassinée par sa propre mère.
À la troisième ligne, la mère tuait et sa fille et son mari.
Isabelle Cavalier ressentit à nouveau ce sentiment angoissant d’oppression.
La deuxième et la troisième ligne la fascinaient de façon morbide.
Le mari, sur trois « équations », tuait une fois dans la première ligne. La fille également une fois, dans la troisième ligne. Tandis que la mère, elle, tuait dans les trois lignes en totalisant quatre « meurtres »…
Selon le même principe, le père tuait sa fille une fois et la mère deux.
L’évidence « vraie » était là !
– Vous n’avez plus de question à me poser ? demanda soudainement l’institutrice d’un ton hautain.
– Non, fit Isabelle sans lever les yeux de ses gribouillis.
– Alors ?…
Chantal Plantin s’était départie de son rôle de femme discrète. Sa voix avait pris une tonalité autoritaire. Impérieuse même.
Le ton d’une maîtresse femme qui sait « trancher » les problèmes, se dit le capitaine en levant enfin vers sa cliente un regard vide de toute expression. Tout en restant silencieuse.
Le regard de Mme Plantin lui envoyait des questions muettes. « Qu’est-ce que ça signifie ce petit jeu puisque tout est fini ? » « À quoi jouez-vous ? »…
Mais il cessa vite d’émettre des questions pour s’emplir d’un voile d’inquiétude.
Elle toussota. Décroisa et recroisa ses jambes. Demanda si elle pouvait boire alors que le gobelet en carton et la bouteille d’eau étaient juste posés devant elle. Dit qu’elle commençait à se sentir fatiguée.
Mais elle n’avait toujours pas demandé de nouvelles de sa cadette, Mélissa…



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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