mercredi 7 janvier 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 1 (suite et fin)

Chapitre 1 (suite et fin)





Le capitaine reprit la déposition.
« Mme Brochon, Chantal, épouse Plantin, née le 7 septembre 1961 à Yvetot (Seine-Maritime)… »
Isabelle Cavalier pensa à la connerie des formulaires – « épouse » alors qu’elle est veuve à sa façon.
– Votre mari, commença-t-elle, aurait fait des menaces à votre fille, mais vous n’avez pas précisé la nature de ces menaces, madame…
– Oh ! c’était tout bête. Il l’avait surprise plusieurs fois avec des petits hauts qui dénudent le nombril et parfois un peu le bas du ventre et du dos, comme c’est la mode depuis quelque temps, vous voyez ?
Le capitaine l’encouragea d’un hochement de tête.
– Mon mari ne le supportait pas. Plusieurs fois, il lui avait ordonné de se vêtir correctement. Il disait même qu’il préférerait voir sa propre fille morte plutôt que d’avoir une fille perdue… Il l’a même giflée. La petite pleurait… Elle pleurait même souvent ces derniers temps…
Le débit de Chantal Plantin était lent et son ton ne montrait pas d’émotion.
– Vous avez donc, poursuivit Isabelle Cavalier, entendu des bruits de discussion dans la chambre de votre fille aînée, hier soir, un peu avant vingt-deux heures. C’est bien ça ?
– Oui. Et je suis allée voir ce qui se passait… C’est juste la chambre à côté de la nôtre, dans le couloir…
– Et vous étiez couchée ?
– Oui, j’étais en train de lire au lit.
– Et votre mari ?
– Il était resté regarder la télé.
– Et votre seconde fille, Mélissa ?
– Oh ! elle, c’est une couche-tôt. Et puis elle aime bien s’isoler dans sa chambre… Je crois qu’elle s’y est rendue juste après avoir dîné, vers huit heures et demie…
Le capitaine Cavalier comprenait peu à peu l’origine de son malaise. Il y avait trop de cohérence dans la déposition de Mme Plantin. C’était trop construit et elle donnait le sentiment de réciter une leçon apprise.
– Donc, reprit Isabelle Cavalier, vous êtes allée voir ce qui se passait, et… ?
Chantal Plantin baissa la tête et le capitaine ne put saisir son regard pendant qu’elle parla.
– Je suis juste arrivée au moment où il frappait notre fille… J’ai d’abord cru qu’il lui avait donné un coup de poing… avant de voir tout ce sang couler… et puis il s’est alors retourné vers moi avec des yeux fous – un vrai dément ! –, hagards, m’empêchant de me précipiter vers ma fille qui agonisait sur le sol… Il tenait son couteau à la main, me menaçant… Alors, je me suis précipitée instinctivement sur lui pour le bousculer et aller porter secours à ma petite… C’est alors qu’on s’est battus et – je ne sais comment – que j’ai réussi à le désarmer, et que je l’ai frappé… Mais je ne me souviens pas vraiment… Voyez, j’ai même été blessée là au bras et je ne me rappelle même pas…
Elle désigna un bandage autour de son avant-bras droit.
– Vous vouliez sûrement protéger votre fille ?
– Oui ! c’est ça. J’ai voulu protéger ma fille…
Le capitaine estima qu’elle avait été un peu rapide dans sa réponse.
– Donc, après, vous vous êtes immédiatement précipitée vers le corps ensanglanté de votre fille ?
– Euh… non.
Première hésitation de Mme Plantin.
– Qu’avez-vous fait ?
– J’ai appelé Police-Secours…
Elle était devenue hésitante, semblant réfléchir à l’enchaînement de ses réponses.
– Êtes-vous allée voir Mélissa dans sa chambre ?
– Euh… non. Pourquoi ?
Elle avait raison. C’était une question piège. Mais elle aurait quand même pu se soucier du sort de sa cadette.
– Vous avez alors appelé Police-Secours, reprit le capitaine d’un ton neutre, mais pourquoi n’avez-vous pas tenté d’abord d’arrêter l’hémorragie de votre fille… avec n’importe quoi, une serviette, le premier linge vous tombant sous la main ?
Isabelle Cavalier sentit sa « cliente » déstabilisée. Elle réfléchit trop avant de lancer :
– J’ai sûrement paniqué…
Non, se dit Isabelle, c’est maintenant que tu commences à paniquer...


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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