vendredi 1 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 7

Chapitre 7





Chloé descendit l’escalier en se disant qu’une fois débarrassées du Jacques-Henri, il leur faudrait changer de région au plus vite. Que le coin devenait malsain pour elles. Elles pourraient au moins aller se mettre au vert quelque temps.
Elle n’avait pas encore d’idées bien précises de leur future destination quand elles arrivèrent devant la porte du box, Zoé piétinant sur place d’impatience comme lorsqu’une envie pressante la prenait.
– T’inquiète, dit Chloé en sélectionnant la clé du box sur son trousseau, le colis est toujours là.
Avant même qu’elle ait mis la clé dans la serrure, Zoé appuya sur le haut de la porte comme si cela eût pu accélérer son ouverture.
Chloé allait lui dire : « Tu te calmes ! », quand elle reçut le bas de la porte basculante dans le genou droit.
– Merde ! jura-t-elle en se frottant l’os.
Sa sœur la contemplait, effarée.
– Mais on avait fermé ! lâcha celle-ci.
Toutes deux sursautèrent en même temps.
– Un problème, les petites dames ?
Zut ! c’était l’Antillais du quatrième toujours prêt à rendre service.
Zoé se remit à piétiner sur place. Sa sœur la fusilla du regard. Elle la sentait paniquer.
Eusèbe Clovis les écarta de son autorité naturelle de policier municipal et termina de basculer la porte du box.
– Ben, mes petites dames, c’est pas prudent de laisser son coffre ouvert, surtout lorsqu’on a oublié de fermer son box ! s’exclama-t-il.
Le réverbère extérieur éclairait faiblement l’intérieur du box. Suffisamment, toutefois, pour dévoiler le contenu du coffre.
– Ben dites donc, vous en avez de la corde là-dedans ! dit Eusèbe Clovis tout en dodelinant du chef et poussant un sifflement de perplexité.
Zoé piétinait de plus belle et se sentait au bord de la crise de nerfs. Chloé, elle, était scotchée sur place.
Eusèbe Clovis tenta de refermer le coffre qui refusa de se fermer. Puis il se gratta longuement son crâne rasé.
– Je comprends pas, dit-il en se tournant vers les deux sœurs. On dirait que votre coffre a été forcé de l’intérieur…
Chloé déglutit difficilement et prit son courage à deux mains.
– Il est resté coincé l’autre jour et j’ai dû le forcer pour l’ouvrir. Depuis, il ferme mal, lâcha-t-elle d’une traite d’une voix penaude.
Eusèbe Clovis tenta de le fermer en force.
– Il ferme même plus du tout, constata-t-il à la troisième tentative. Moi, à votre place, je ferais réparer au plus vite… Si vous voulez, demain j’essaierai de le faire…
– C’est gentil. On verra ça demain, s’empressa de répondre Chloé.
– Vous sortiez ? demanda le policier municipal en fixant le visage hébété de Zoé.
– Non, nous avions oublié quelque chose dans la voiture, dit Chloé en tentant de ficher la clé dans la serrure de la portière et qui ne parvenait pas à maîtriser son tremblement nerveux.
« Il faut que je trouve quelque chose, putain de merde », se dit-elle quand elle y fut enfin parvenue.
Elle farfouilla dans l’habitacle et extirpa une boîte de mouchoirs en papier de sous le siège passager.
– Voilà ! dit-elle triomphante après avoir refermé la voiture et en brandissant la boîte sous le nez d’Eusèbe Clovis.
Qui la regardait avec étonnement.
– Je l’avais oubliée sous le siège, se crut-elle obligée de préciser.
Le policier municipal haussa les épaules et resta planté auprès des deux jeunes femmes.
– Poussez-vous, lui dit Chloé en le bousculant presque. Je vais refermer.
Eusèbe Clovis se recula légèrement. Chloé fit basculer la porte du boxe, mit la clé dans la serrure en tournant le dos à l’Antillais et sentit que la clé tournait dans le vide.
Sans se démonter, elle fit volte-face et planta son regard dans celui du policier municipal.
– Voilà ! c’est fermé. Merci encore pour votre aide, monsieur Clovis, dit-elle en restant plantée devant la porte.
Eusèbe Clovis eut une moue dubitative.
– Vaut mieux vérifier, dit-il en joignant le geste à la parole et appuyant des deux mains sur le haut de la porte basculante après avoir contourné Chloé qui s’esquiva prestement pour ne pas recevoir le bas de la porte dans les jambes.
– Votre serrure a été forcée, lâcha Eusèbe Clovis tout en examinant la serrure à l’envers et à l’endroit. C’est bizarre, de l’intérieur elle aussi…
Le policier, perplexe, se gratta de nouveau son crâne rasé. Son regard allant et venant entre la serrure de la porte et le coffre de la BM.
Puis il entreprit de faire le tour de la voiture, s’agenouillant à deux reprises.
– Vous n’auriez pas une lampe de poche, par hasard ? demanda-t-il en se redressant. Dans cette obscurité, je vois rien.
– Non, répondit sèchement Chloé. On pourrait peut-être voir ça demain au grand jour, vous ne croyez pas ?
– Bah ! ça n’a pas d’importance, fit le policier municipal en frottant le bas de son pantalon et sortant du box au grand soulagement des deux sœurs, surtout de Zoé qui était au bord de la syncope.
Chloé s’empressa de basculer la porte, remerciant de nouveau Eusèbe Clovis de sa serviabilité.
– C’est quand même bizarre, dit-il comme pour lui-même tout en fouillant du regard les alentours.
Puis, consternées, les deux sœurs le virent faire trois enjambées, apercevant dans le même temps l’objet de la convoitise d’Eusèbe Clovis : un long tournevis à manche de plastique rouge que Zoé laissait toujours traîner dans le coffre.
Elles le virent le ramasser et se redresser en le brandissant victorieusement à bout de bras.
– C’est ça que je cherchais ! exulta-t-il.
Il mit le tournevis sous le nez des deux sœurs.
– Je parie que c’est avec ça que l’on a forcé la serrure de votre porte de parking !
– Vous croyez ? demanda d’un ton neutre Chloé.
– Sûr ! répondit le policier. Et il ne serait pas à vous, par hasard ?
– Non, il n’est pas à nous.
– Dommage, ça aurait expliqué que la serrure soit forcée de l’intérieur.
Eusèbe Clovis ne cachait pas sa déception.
Il tapotait machinalement le tournevis dans la paume de sa main.
– Peut-être, après tout, qu’elle a été forcée de l’extérieur, fit-il résigné.
– Ce serait plus normal ! crut malin d’intervenir Zoé qui avait repris ses esprits. Pour ouvrir de l’intérieur, il aurait fallu que quelqu’un soit enfermé dans le box, non ?
Le policier municipal la regarda avec un air faussement surpris, tandis que sa sœur fermait les yeux en se disant qu’il n’était pas possible d’être plus conne.
– Laisse tranquille M. Clovis avec tes divagations, Zoé, intervint-elle. Monsieur nous a aidées. Merci. Et maintenant chacun remonte chez soi. Demain sera un autre jour.
Zoé prit une moue boudeuse sous la réprimande de son aînée. Vexée d’être rabrouée devant un mec qui était super bien bâti et qu’elle trouvait follement excitant. Sauf qu’il était flic et que Chloé lui avait toujours interdit de faire copain-copain avec les flics, excepté en cas d’extrême nécessité.
– Non, non, fit Eusèbe Clovis en hochant énergiquement la tête. Votre sœur ne divague pas. Elle a tout à fait raison. Seulement, le box est si petit qu’il est impossible de se dissimuler volontairement à l’intérieur et donc de s’y faire enfermer. Sauf…
Il laissa sa phrase en suspens et, impassible, considéra l’effet produit sur les deux sœurs. Dévastateur.
– Bon, suffit pour ce soir. Ça peut attendre demain… Au fait, votre ami n’est pas avec vous ? conclut-il à leur stupéfaction en prenant congé, satisfait de lui-même et s’éloignant à grandes enjambées.
Chloé retint sa cadette par le bras et laissa Eusèbe Clovis disparaître dans le hall d’entrée de l’immeuble avant de lui balancer une gifle magistrale.
– T’es contente de toi, pétasse ?



© Alain Pecunia, 2010.
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