mercredi 20 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 26

Chapitre 26





René Bellou s’était endormi sur le sofa du salon après le quatrième whisky. Ronflant comme un sonneur. Mais il se réveilla avec une sensation de malaise. Il fallait qu’il en ait le cœur net.
À neuf heures, il appela son service pour dire qu’il avait affaire dans la région pornicaise. Mais qu’il serait là en début d’après-midi.
Il avala deux tasses de café coup sur coup et hésita longuement avant de composer le numéro de téléphone du chef de corps du 1er RIMA à Angoulême.
Qui était absent.
– Que puis-je pour vous ? lui demanda l’officier de service auquel il n’avait pas décliné son identité, se présentant comme un officier anonyme des Renseignements généraux.
– Nous aimerions savoir où se trouvait le caporal Jacques-Henri Bellou la nuit de Noël 2003.
– Laissez-moi votre numéro, je vous rappelle dans vingt minutes.
Le commissaire Bellou tourna en rond une vingtaine de minutes en se disant que tout cela était une histoire de dingues, qu’il faisait fausse route. Que, par une coïncidence quelconque, les chemins de son fils et de ses filles s’étaient croisés et qu’ils avaient décidé de monter tout un scénario pour lui pourrir la vie, se venger qu’il ne se soit pas occupé d’eux. « Les petites ordures », était-il en train de se dire quand la sonnerie du téléphone retentit.
– Les Renseignements généraux ?
– Oui.
C’était une autre voix. Sûrement un sous-fifre administratif.
– L’engagement de Jacques-Henri Bellou a pris fin le vendredi 19 décembre 2003.
Le commissaire faillit demander à son interlocuteur s’il en était sûr.
– Merci, dit-il en raccrochant.
« C’est pas mon boulot de demander un complément d’information », se dit-il. De toute façon, il ne se voyait pas demander une enquête sur son propre fils car cela risquait de rouvrir le placard aux cadavres et de réveiller des soupçons encore frais*.
Et c’est à ce moment-là que ces petits cons choisissaient pour intervenir dans sa vie, le menaçant même de mort.
Bon, ça c’était pas le plus grave. Sûrement que Chloé y était allé au flan. Ça devait rentrer dans leur putain de scénario.
Qu’est-ce qu’elle avait dit, déjà ? Que Jacques-Henri était un criminel et qu’elles étaient ses complices. Qu’elles allaient le buter, et lui après…
« C’est cohérent », se dit-il en se rendant à la salle de bains.
Les chemins du frère et des frangines se croisent. Ils découvrent leur parenté. Ils sont dans la panade. Jacques-Henri apprend à ses sœurs qu’ils ont une grand-mère pleine aux as. L’idée germe chez l’un ou l’autre de se refaire en tuant la vieille.
« Putain, les mômes, quelle engeance de nos jours… »
Ils n’ont pas cogité ça le soir du réveillon de Noël. Ils ont dû se rencontrer avant, à un moment quelconque.
« Ça, ça n’a pas d’importance, trancha-t-il. Inutile d’embrouiller. »
En tout cas, ça expliquait que le « rôdeur » n’ait pas touché aux bijoux. Les petits salauds, ils savaient qu’il y avait l’héritage de la vieille à la clé.
« Putain, se dit le commissaire, si ça se découvre, je suis bon pour la retraite anticipée. Je serai jamais nommé divisionnaire… »
René Bellou se coupa en se rasant et pesta contre ces coups de queue de jeunesse que l’on paie toute sa vie.
– C’est la faute à la Marilou, maugréa-t-il en passant un bâton cicatrisant sur la coupure. Elle n’avait qu’à prendre ses précautions ou m’obliger à mettre une capote.
Non, il n’y avait aucune raison de payer pour ça.
Il se surprit à chercher dans sa mémoire quel était le nom de ce dieu grec qui bouffait ses propres mômes.
Bah, ça n’avait pas d’importance. Sûrement qu’il les bouffait parce que, sinon, c’eût été l’inverse.
C’était une métaphore, en quelque sorte. Les vieux Grecs devaient déjà connaître ce genre de situation.
« Il faut que je mette la main sur eux et que je m’en débarrasse », pensa-t-il en bouclant la ceinture de son pantalon.


* Voir Par esprit de famille.


© Alain Pecunia, 2010.
Tous droits réservés.

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