jeudi 7 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 13


Chapitre 13





Les sœurs Terrassou, après un moment de totale panique, avaient décidé de s’enfermer dans le box pour le restant de la nuit. En utilisant la corde ayant servi à ligoter Jacques-Henri, elles avaient réussi à bloquer l’ouverture de l’intérieur en passant la corde autour de la barre inférieure de la porte basculante et en la fixant sur la boule d’attelage de la BM. Puis elles s’étaient enfermées dans leur véhicule. Blotties l’une contre l’autre sur le siège arrière pour se rassurer. Sans pour autant oser s’assoupir.
Zoé semblait résignée à son sort. Elle ne voyait pas par quelle magie sa sœur pourrait les sortir de ce mauvais pas. Elles avaient été conduites à refermer elles-mêmes leur propre piège.
En passant le reste de la nuit dans le box, elles échappaient à Jacques-Henri, mais, au matin, dès qu’elles mettraient le nez dehors, elles tomberaient sûrement sur les collègues d’Eusèbe Clovis. Et, en plus, elle sentait qu’elle allait avoir ses règles et être malade comme d’habitude.
Chloé n’était guère plus optimiste tout en recherchant désespérément une issue. Elle se souvenait d’un truc qu’elle avait appris à l’école, une histoire de type coincé entre deux rochers et que dans les deux cas c’est la cata. C’était comme avoir à choisir entre la peste et le choléra. Mais il n’y avait pas moyen de ne pas choisir. Exactement comme lorsqu’elle était coincée entre l’ogre et les « gagnants ».
« La peste et le choléra ne me lâcheront jamais », se dit-elle amère.
Un moment, elle se laissa aller à rêver qu’elles se trouvaient toutes deux, non pas piégées dans ce foutu box, mais installées dans une cabane haut perchée dans un arbre. Presque à toucher les nuages et, en tout cas, hors de portée de tout adulte.
Gamine, c’était souvent son rêve refuge. Et elle disait à Zoé que les petits oiseaux viendraient les nourrir.
– C’est comme un nid, alors ? avait dit Zoé.
– Oui, comme un nid.
Chloé sentit les larmes lui monter aux yeux et la gorge se serrer.
« Putain d’espèce humaine ! se dit-elle. C’est la seule race de bêtes qui saccage ses propres nids. Pourquoi qu’on est nées petites filles Zoé et moi ? Pourquoi qu’on a pas eu la chance d’appartenir à une autre race ?… »
Chloé ravala ses larmes en reniflant.
– Tu préfères la peste ou le choléra ? demanda-t-elle brusquement à sa sœur.
– Ben, je sais pas…, hésita Zoé surprise.
– Moi non plus, trancha sa sœur. Mais quand on a le choix qu’entre deux bâtons merdeux, il faut choisir le moins merdeux.
– Et comment tu fais, toi, pour savoir avant ?
– Tais-toi, je réfléchis à haute voix. La peste et le choléra, t’en meurs pareil. Mais Jacque-Henri et Eusèbe Clovis, c’est pas pareil. Le premier est un serpent vénéneux. Le second est policier…
– Ben, jusqu’à maintenant, je ne vois pas où est ta différence, la coupa Zoé. Un flic c’est aussi un serpent et en plus c’est sournois.
– Oui, mais c’est un serpent que l’on peut charmer…
– Tu veux qu’on se tape l’Antillais ? dit Zoé en se redressant, tout émoustillée par le sous-entendu de sa sœur.
– Accessoirement, fit sa sœur en haussant les épaules. Mais un flic, ça se charme en lui offrant un coupable.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Zoé soudain inquiète.
– Ben, qu’on va offrir Jacques-Henri à Eusèbe…
– Mais t’es devenue folle ! s’insurgea sa sœur.
– Pas le moins du monde, ma chérie… Écoute-moi, plutôt. Un, on va voir Eusèbe Clovis ou on le chope quand il va partir bosser tout à l’heure. Deux, on lui raconte les horribles crimes du Jacques-Henri…
– Mais il va dire qu’on était avec lui, cet enculé, et nous on va écoper ! T’es devenue dingue…
– Oui, mais le juge retiendra que nous l’avons dénoncé et nous dirons qu’il nous forçait à l’accompagner, qu’il nous terrorisait.
– T’es folle !
– Nous aurons le minimum…
– Mais j’veux pas finir en taule, moi ! brailla Zoé en secouant sa sœur par l’épaule. Et les petits vieux qu’on michetonnait et qu’on a plumés avec son aide, hein ?
– Il nous obligeait à commettre plein de vilaines choses sous la menace, répondit Chloé impassible.
Zoé se rencogna boudeuse contre la vitre.
– Moi je marche pas, dit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
– Ma chérie, il n’y a pas trente-six solutions et c’est la seule qui nous permette de nous débarrasser de Jacques-Henri à moindres frais et de repartir à zéro. D’ailleurs, je me permets de te rappeler que c’est toi qui l’as aguichée…
– Eh ! dis, ça t’a pas déplu et il nous a vachement aidées…
– Laisse-moi faire, conclut Chloé en posant sa main sur le bras de sa sœur.



© Alain Pecunia, 2010.
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