lundi 25 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 33

Chapitre 33





Jacques-Henri arriva le mercredi midi à Pornic après avoir galéré en stop.
Il avait estimé qu’il était plus prudent pour lui de ne pas aller traîner pour l’instant à Pornichet et avait préféré passer l’estuaire. Que le mieux était de prendre la villa de son père comme base arrière. Et puis, il avait besoin de fric, donc de taper le vieux.
Il fut contrarié en découvrant les volets fermés de la villa. Son père avait peut-être pris des vacances.
Mais il n’y avait pas de raison qu’il aille à l’hôtel pour autant. Cette maison était aussi la sienne.
En faisant un léger détour, il connaissait un petit chemin qui lui permettrait d’arriver sur l’arrière de la maison sans être aperçu des voisins.
Il avait faim et se réjouissait à l’idée d’y trouver de quoi se nourrir vu que le congélo de son père était toujours bourré de plats cuisinés pour célibataire.
Il stoppa net en apercevant le volet fracturé d’une des fenêtres de l’arrière, celle de gauche donnant sur l’arrière-cuisine. La vitre en était absente, mais il n’y avait pas d’éclats de verre dans la plate-bande de bégonias au pied du mur.
Sur ses gardes, il se dirigea vers la porte donnant accès par l’arrière de la villa. Celle-ci était fermée à clé.
Il imagina un instant des voleurs ou des squatters. Mais il ne percevait aucun bruit dans la maison.
Jacques-Henri retourna vers le fond du jardin et déterra au pied d’un des poteaux de ciment de la clôture une reproduction de la clé de la porte d’entrée de la villa qu’il avait pris la précaution de faire faire lors de son dernier passage. Au cas où. Puis il se munit d’une branche qui avait dû tomber lors de la dernière tempête et revint silencieusement vers la villa.
Il ouvrit la porte et attendit un moment avant de pénétrer dans la pénombre du couloir.
Il avançait à pas de loup, méthode commando, plaqué contre le mur en tenant la branche à deux mains à hauteur de son ventre. Progressant lentement en maîtrisant sa respiration, il parvint dans le vaste vestibule qu’il traversa pour se poster au pied de l’escalier, l’oreille aux aguets. Mais aucun froissement ou craquement ne provenait de l’étage.
Il retourna contre le mur et progressa jusqu’à l’entrée du salon. Il y pénétra d’un bond souple et resta les jambes fléchies. Son regard circulaire ne percevant rien d’anormal dans la semi-obscurité de la pièce, il se décida à allumer la lumière.
Tout était en ordre. Il se détendit et respira profondément. Puis il perçut un faible bruit provenant de la cuisine, comme le raclement d’un pied de chaise.
Il fit volte-face en serrant à deux mains sa branche et marcha lentement vers la cuisine en allumant le vestibule au passage.
Une petite voix intérieure lui murmurait : « Fous le camp ! » Il lui répondit qu’il n’allait pas se laisser intimider par un petit voleur de poule ou un SDF. Au contraire, il allait lui foutre une bonne dérouillée.
– Hé ! le clodo, cria-t-il en affermissant sa voix et en gonflant les muscles, sors de là que je te règle ton compte.
Campé à trois mètres de la porte de la cuisine plongée dans l’obscurité, jambes fléchies, branche tenue fermement à deux mains à hauteur du ventre, il entendit comme un froissement et vit surgir son clodo – Titus.
Qui se mit en position d’attaque, bavant et grognant.
Jacques-Henri recula instinctivement d’un pas. Se retenant de détaler. Mais il savait pertinemment que c’était la dernière chose à faire.
– Calme, mon chien, dit-il sottement à voix basse au fauve à l’échine hérissée.
Titus avança d’un pas en grognant et bavant de plus belle.
Jacques-Henri avait les méninges en stand-by et n’avait pas encore fait la liaison entre le doberman et les filles. Il devait bien y avoir quelqu’un avec le chien, bien sûr. Un clebs ça ne fracture pas un volet. Enfin, pas encore.
« C’est un chien de drogué », se dit-il avant que ses warnings ne se mettent à clignoter.
– Les salopes ! dit-il en reculant encore d’un pas.
Il regarda autour de lui.
Chloé se tenait sur le seuil du salon, le fusil Remington à répétition de son père à la main.
Zoé apparut à la porte de la cuisine avec un couteau à découper.
Les warnings de Jacques-Henri s’affolèrent.
– Écoutez, les filles, on pourrait peut-être discuter, dit-il d’une voix incertaine.
Zoé arma le fusil à pompe.
– Pas de discussion, frérot, direction la cave, fit-elle en indiquant du canon la direction à suivre.
« Gagner du temps », lui dicta son cerveau à la recherche d’une solution.
D’abord faire preuve de bonne volonté. Amadouer.
– Tenez, les filles, je pose ma branche et vous mettez votre monstre en laisse.
– Pédé, va ! lui cracha Zoé qui s’était avancée jusqu’à la hauteur de Titus et lui flattait l’encolure. Répète un peu que mon Titus est un monstre, si t’es un homme !
Chloé voyait où Jacques-Henri voulait en venir. Faire diversion en rendant Zoé incontrôlable.
– Du calme, ma chérie, dit Chloé. On procède comme on a dit. Et toi, Tarzan, tu peux te la garder, ta branche. On en a rien à cirer.
Et elle indiqua de nouveau la direction de la cave du bout du fusil.
Jacques-Henri alluma l’interrupteur de la cave sur l’ordre de Chloé et descendit docilement en songeant à la pelle qui se trouvait toujours au pied de l’escalier contre le mur.
Les filles ne pouvaient descendre l’escalier qu’une à une, pensa-t-il. Mais ce fut Titus qui descendit.
Son geste était suspendu. Il allait lâcher sa branche et se saisir de la pelle pour se débarrasser du fauve.
C’est ce qu’il fallait faire. D’abord mettre la bestiole hors d’état de nuire. Après, il avait une chance. Chloé était folledingue mais elle n’oserait pas l’abattre. Son fun à elle, c’était de voir mourir les autres, pas de tuer.
D’ailleurs elles ne descendaient pas et restaient l’une derrière l’autre à mi-hauteur de l’escalier, Zoé devant.
« Une chance de plus pour moi », pensa-t-il.
Titus avait pressenti le geste de l’homme qui bandait ses muscles et fléchissait les jambes.
Une dernière fois, le regard de l’homme croisa le regard du chien avant d’agir. Commettant l’erreur de le fixer un quart de seconde de trop.
Pour Titus, c’était le signal de l’attaque.
Il crocha les couilles alors que Jacques-Henri lâchait sa branche pour se saisir de la pelle.
Jacques-Henri poussa un hurlement à lui arracher la gorge et porta ses mains au cou de Titus qui se débattait pour arracher le morceau de barbaque à travers l’étoffe.
Mais il n’y parvint que lorsque Jacques-Henri s’écroula terrassé de douleur.
Chloé et Zoé le regardèrent se tordre tel un ver bruyant et se vider de son sang tandis que Titus se délectait de sa prise avec des petits grognements de chiot satisfait.
Il n’avait pas mangé, lui non plus, depuis son départ de Deauville.
– Et de un ! fit Chloé quand leur frère expira.
– Brave Titus, conclut Zoé en embrassant son trésor de chien sur sa truffe humide de sang.


© Alain Pecunia, 2010.
Tous droits réservés.

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