vendredi 15 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 20

Chapitre 20






Le dépanneur était arrivé avec un camion-plateau pour emmener la BM au garage.
Chloé était contrariée. Elle avait pensé qu’il changerait les pneus sur place et qu’elle pourrait jeter un coup d’œil de temps en temps à la fenêtre du salon donnant sur le parking.
– Mais, ma p’tite dame, le pneu c’est pas la roue. En plus vous en avez deux à changer. Alors, vous comprenez, ce sera bien plus facile pour moi au garage, là-bas ça ira vite avec mon outillage, et puis il faut tout rééquilibrer.
Le garagiste treuilla la voiture sur son plateau et les laissa sur place, leur promettant qu’elle pourrait reprendre leur véhicule vers dix-sept heures.
Chloé, encombrée de sa sœur, hésita un long moment sur la conduite à tenir.
Elles ne pouvaient pas rester à bayer aux corneilles devant leur immeuble en attendant que le feu se déclenche.
Puis elle se décida.
– On remonte, dit-elle à Zoé en la prenant par le bras.
Avant de pénétrer dans le hall, elle jeta machinalement un dernier regard à la fenêtre du salon.
Toujours rien.
La tête en l’air, elle ne vit pas débouler en trombe un de leurs voisins du troisième qui faillit la renverser.
– Ah ! vous tombez bien ! J’allais justement chercher le gardien à cause de vous.
Chloé le regarda avec étonnement. Puis le prit de haut. Le bonhomme lui était antipathique. La quarantaine asexuée. Genre avorton. De plus, il était le « chieur » de l’immeuble et elles étaient dans son collimateur depuis qu’elles y avaient emménagé. « Vous avez fait du bruit cette nuit », « Dites donc, c’est un véritable moulin chez vous », ou « Vous rentrez tard ». À croire qu’il passait son temps à surveiller leurs faits et gestes. Et même pas flic ou assimilé. Un simple comptable plaqué par sa meuf et abonné au chômage longue durée vivant « chez » sa maman, veuve, elle, de gendarme.
– Qu’avons-nous encore fait, monsieur Lesiure ? lâcha Chloé en pinçant les lèvres. Aurions-nous dérangé votre môman ? ajouta-t-elle en regrettant que le feu n’ait pas pris et cramé par la même occasion la mère Lesiure aussi large et épaisse que son fils était maigrichon.
Le fils Lesiure fut déconcerté par la réponse de Chloé qui, d’habitude, ne lui répondait même pas et se contentait de hausser les épaules.
– Ça sent le brûlé chez vous…, bafouilla-t-il. J’ai pensé que vous aviez peut-être laissé quelque chose sur le feu.
– Vous avez senti ça de chez vous ? demanda Chloé en reprenant espoir et en ne pouvant s’empêcher de sourire.
– Non, non…, hésita-t-il, je descendais faire une course… C’est en passant devant votre porte…
Le sourire de Chloé s’évanouit. À cause de ce débile, les pompiers allaient intervenir avant que le feu ait eu le temps de prendre.
– Vous avez dû vous faire une idée. Nous n’avons rien laissé sur le feu.
– Pourtant, je vous assure…
– Écoutez, faites vos courses et rassurez-vous. Ma sœur et moi remontions justement chez nous.
Chloé pestait intérieurement et espérait éloigner l’importun.
– Dans ce cas…, fit à contrecœur le fils Lesiure en s’écartant pour laisser passer Chloé et Zoé.
Chloé regarda l’ex-comptable s’éloigner puis ordonna à sa sœur de rester dans le hall.
« Il faut en finir une fois pour toutes », se dit-elle en grimpant les escaliers avec résolution.


© Alain Pecunia, 2010.
Tous droits réservés.

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