lundi 18 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





En fin d’après-midi, Chloé prit son courage à deux mains et demanda à la patronne l’autorisation d’utiliser son Minitel.
Fébrilement, elle rechercha un Bellou en Loire-Atlantique.
Il n’y en avait qu’un. À Pornic. Un certain René Bellou.
Elle nota le numéro de téléphone et attendit la soirée pour l’appeler d’une cabine téléphonique.
Elle tenait le combiné d’une main moite et avait la gorge sèche.
– Je voudrais parler à Henri-Jacques, dit-elle d’une voix incertaine.
– Qui ? répondit une voix d’homme irritée.
– Excusez-moi, fit-elle, j’ai dû faire une erreur.
Chloé était déçue et s’apprêta à raccrocher le combiné.
– Non. Mais il n’est pas là et je ne sais pas où est reparti mon vaurien de fils.
– Ah ! lâcha-t-elle soulagée, le cœur battant. Je l’ai raté de peu, alors ?
– Il est resté ici trois semaines et il est reparti il y a quinze jours pour je ne sais où… Mais, qui êtes-vous, mademoiselle ?
Chloé déglutit. « Maintenant ou jamais, ma vieille », se dit-elle pour s’encourager.
– Je suis sa sœur…
Un long moment, elle crut qu’il n’y avait plus personne à l’autre bout du fil.
– Ah ! fit la voix qui avait perdu son irritation.
– Oui, je suis la fille de Marie-Louise Bellemain, Marilou, et j’ai une sœur…
– Vous êtes Zoé ou Chloé, alors ? la coupa doucement la voix.
Chloé était abasourdie.
– Vous êtes là ? demanda la voix.
– Oui, et je suis Chloé, parvint-elle à murmurer.
– Je vous entends mal.
– Chloé. Je suis Chloé…
Elle sentait les larmes lui monter aux yeux.
– Vous êtes mon père ? demanda-t-elle en réprimant un sanglot.
Silence ponctué par la respiration de l’homme.
Chloé enfonçait ses ongles dans la paume de sa main libre pour ne pas crier.
L’homme répondit indirectement, d’une voix de confession.
– Quand j’ai connu votre mère, elle avait à peine dix-huit ans et moi vingt-quatre. Votre frère est né l’année suivante. Je l’ai reconnu mais je ne pouvais épouser Marilou car j’étais fiancé. Vos grands-parents, qui étaient très à cheval sur les principes, l’ont chassée et ont élevé Jacques-Henri en lui interdisant de le revoir. Alors elle a disparu et je l’ai retrouvée, presque cinq ans plus tard, par hasard dans un bar d’un village de la région. J’étais fou d’elle et vous êtes née de nos amours secrètes. Puis Zoé…Mais votre mère avait beaucoup changé et…
– Nous, ma sœur et moi, vous ne nous avez pas reconnues ? le coupa sèchement Chloé en maîtrisant son envie de pleurer.
– Non… Ma femme ne l’aurait pas accepté bien qu’elle ne pouvait pas me donner d’enfants. Elle m’avait pardonné pour Jacques-Henri – et à condition de ne jamais le revoir, trouva-t-il nécessaire de préciser – car nous n’étions pas encore mariés, mais vous…
– Vous êtes un salaud, murmura Chloé.
Silence tendu.
– Non, lâche, tout simplement… et je ne voulais pas compromettre ma carrière.
– Vous êtes un salaud.
– Si vous voulez, dit-il d’une voix lasse après avoir hésité.
Chloé avait à présent envie de mettre fin à la communication.
– Peut-être, reprit la voix de l’homme, pourrions-nous faire enfin connaissance. Et peut-être alors pourriez-vous, vous et Zoé, me pardonner…
– Ça, jamais ! dit Chloé la voix tremblante de colère contenue. Il y a eu trop de dégâts à cause de vous et de votre lâcheté.
– Pourquoi m’avez-vous appelé, alors ?
– Pour savoir.
– Je comprends. Et Jacques-Henri n’était qu’un prétexte. Mais comment avez-vous appris son existence ?
Chloé ricana.
– En croisant sa route par hasard et en nous envoyant en l’air avec lui. Nous deux, Zoé et moi.
– Que voulez-vous dire ? demanda la voix de l’homme soudain inquiète.
– Que nous sommes des putes comme notre mère. À cause de vous. Et votre fils, notre frère, est un criminel, et nous-mêmes ses complices. Mais je vais le buter, cet enfoiré, et toi après, espèce d’ordure…
Chloé raccrocha et s’effondra en sanglots dans la cabine téléphonique.


© Alain Pecunia, 2010.
Tous droits réservés.

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