mardi 19 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 25

Chapitre 25





Le commissaire principal René Bellou de la direction régionale des Renseignements généraux des Pays de la Loire resta un long moment affalé sur le canapé de cuir du salon de sa villa cossue de la côte de Gourmelon.
Sa vie semblait lui échapper définitivement. Il avait pris vingt ans d’un seul coup de fil.
Il était un ripou dans sa vie professionnelle* et un fumier dans sa vie privée. Par lâcheté, bien sûr. Veulerie, si l’on veut. « Mais merde, se dit-il, ça ne se contrôle pas ces trucs-là, c’est comme le diabète et le cholestérol ou la drogue… »
Il essaya d’imaginer physiquement ses deux filles. Elles avaient trois ou quatre ans d’écart et l’aînée, Chloé devait avoir vingt et un ou vingt-deux ans, et la cadette dix-huit ou dix-neuf. En tout cas, elles devaient ressembler à leur mère avant sa déchéance et être jolies, et l’aînée semblait aussi dingue que sa mère Marilou. « Peut-être que Zoé, la petite, tient plus de moi », se plut-il à rêver.
Puis il se souvint que Chloé avait dit qu’elles étaient « des putes comme leur mère ». Qu’elles s’étaient envoyées en l’air avec leur frère. Que Jacques-Henri était un criminel, « et nous-mêmes ses complices ».
René Bellou se servit un scotch bien tassé, sans glaçons, dont il avala la moitié d’une seule rasade.
– C’est de la provocation, bordel ! c’est évident, jura-t-il entre ses dents. Et je suis en train de me laisser manipuler par une petite garce qui ne pense qu’à venger sa mère…
Il termina son verre cul sec, comme rageusement, et s’en servit un second tout aussi bien tassé, mais en prenant la peine d’aller chercher deux glaçons dans la cuisine.
René Bellou se dit qu’il avait tendance à boire depuis la mort de sa seconde femme. Mais elle n’était plus là pour le lui reprocher et il y a des occasions où c’est quasiment thérapeutique. Comme ce soir.
Puis il se dirigea vers le coin du salon où il avait installé le flipper de collection qu’il avait remonté de la cave après la mort de sa femme. Un rêve de gosse, ce flipper.
Avant son veuvage, il ne pouvait que le contempler en cachette, maintenant il pouvait en jouir à volonté. Parfois même de façon compulsive.
Il fit monter une bille et s’apprêta à la lancer. Il suspendit son geste en pensant à son fils. « Jacques-Henri, un criminel ? » Il haussa les épaules et lança la bille d’un geste nerveux. « Tout au plus un vaurien, un combinard, une petite frappe. Mais pas un criminel. Il n’en a pas l’envergure. »
Il ne put s’empêcher de penser que l’on voyait à présent pas mal de criminels sans envergure, de petites frappes qui tuaient pour un rien.
« Tiens, justement, comme la mort de Marie-Thérèse Bellemain. Retrouvée assassinée au petit matin dans la véranda de sa villa. Pour lui piquer à peine trois mille euros. Un crime de rôdeur. Même pas touché aux bijoux de la vieille. Un meurtre à la va-vite commis par un minable une nuit de Noël. »
René Bellou s’énerva et l’appareil lui rendit un tilt vengeur.
* Voir Par esprit de famille.


© Alain Pecunia, 2010.
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