samedi 16 octobre 2010

Noir Express : "Une putain d'histoire" (C. C. XVI) par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Quand Chloé pénétra dans l’appartement, une odeur âcre la saisit à la gorge et une légère fumée filtrait de sous la porte de la chambre.
Retenant sa respiration, elle ouvrit la porte pour la refermer aussitôt. La couette avait commencé de s’enflammer.
Le cœur battant la chamade, elle se ravisa, rouvrit la porte de la chambre, sortit de l’appartement en laissant sa porte palière grande ouverte et grimpa quatre à quatre l’escalier jusqu’au troisième.
Elle cria : « Au feu ! » en frappant avec insistance à la porte de Mme Lesiure mère.
L’autre locataire du troisième, l’infirmière, n’était pas encore rentrée. Au quatrième, les voisins du policier, un couple paisible, travaillaient tous deux au casino.
La veuve du gendarme ouvrit la porte en poussant des cris d’orfraie.
– Mon fils ! mon fils !
– Il est en sécurité en bas. Descendez vite, je préviens les locataires du quatrième.
Sans se retourner, la masse tremblotante de Mme Lesiure entreprit la dégringolade des escaliers en alternant les « Mon fils ! » et « Au feu ! » d’une voix perçante.
Chloé pénétra prestement dans l’appartement des Lesiure et tourna à fond le bouton du plus grand des feux de la cuisinière au gaz.
Elle ressortit précipitamment en laissant la porte grande ouverte et dévala les marches.
La fumée commençait à envahir la cage d’escalier et l’incendie gagnait leur salon.
Au deuxième et au premier, les locataires évacuaient dans la confusion. Deux femmes, un homme, quatre enfants, un hamster en cage, un lapin nain, un chien et deux chats.
Des cris, des lamentations et déjà des spectateurs aux fenêtres des immeubles voisins et quelques badauds sur le parking.
L’explosion de gaz se produisit quand l’appartement des sœurs Terrassou fut en flammes. Alors que l’on entendait déjà la sirène affolée des pompiers.
Chloé eut envie de pousser un hourrah mais se contenta de prendre Zoé, terrifiée, dans ses bras. Une nouvelle fois, elles s’étaient sorties d’une mauvaise passe. « La chance est à nouveau de notre côté, se dit Chloé. Je suis la plus forte ! »
En tout cas, elle allait être l’héroïne du jour.
Tous les locataires avaient leurs biens détruits mais étaient sains et saufs, et ce « grâce à la présence d’esprit de Mlle Chloé Terrassou ». « Précisez-le bien, avait insisté la veuve de gendarme. Elle a prévenu tout le monde et est même montée me chercher au péril de sa vie. Si elle n’avait pas été là, je serais morte à l’heure qu’il est !»
Son fils n’osa même pas mentionner aux enquêteurs qu’il lui avait semblé sentir une odeur de brûlé provenant de l’appartement des filles Terrassou quand il était descendu peu de temps auparavant.
Sa mère ne jurait que par Chloé et il était impossible de la contrarier en quoi que ce soit. Il était bien placé pour le savoir.
– Et toi qui ne cessait de critiquer cette jeune femme méritante, reprocha-t-elle à son fils. Sans elle…, ne cessait-elle de répéter avec des trémolos de barytonne dans la voix. Et toi qui t’étais absenté pour je ne sais quelle raison…
Les locataires présents au moment du drame étaient tout aussi reconnaissants, quoique avec moins d’épanchements, envers leur « sauveuse ».
Tant et si bien que l’on accorda peu d’importance au décès d’Eusèbe Clovis – il y aurait dû en avoir tant d’autres que c’en était un miracle ! – dont le cadavre mutilé et carbonisé ne fut retrouvé que trois jours plus tard.
Seuls les experts s’acharnèrent un temps à comprendre comment le corps du policier, locataire de l’appartement du quatrième situé au-dessus de celui des Lesiure, côté droit de l’immeuble, avait pu se retrouver côté gauche dans les décombres qui devaient appartenir à l’appartement des Terrassou.
Puis ils en vinrent à la conclusion logique.
Feu Eusèbe Clovis avait entendu les cris d’alarme de Mlle Terrassou et était descendu le dernier – puisque personne ne l’avait vu. Mais ce policier municipal courageux, découvrant l’origine de l’incendie dans l’appartement des sœurs Terrassou, n’avait écouté que son sens du devoir et avait dû tenter d’en combattre le foyer.
Un héroïsme bête, mais un héroïsme tout de même, qui méritait bien une décoration à titre posthume.


© Alain Pecunia, 2010.
Tous droits réservés.

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