Me Alexandre Caillard, ténor du barreau parisien à la brillante carrière, est habitué à nager en eaux troubles, mais il ne s’attendait pas à se retrouver aux prises avec un fantôme surgi du passé et d’un quai de métro.
Ni que le « Service », que dirige à présent le commandant Pierre Cavalier, le lâche.
Pourtant…
Mais il est trop tard pour regretter d’avoir voulu jouer aux anarchistes dans sa jeunesse et d’avoir accepté le pacte du Diable.
Ce récit a pour point de départ le « terrorisme » en Espagne au début des années 60 et permet d’en savoir plus sur le père de Pierre Cavalier et les pratiques passées du « Service ».
Chapitre 1
– Dis, mon Minou, c’était qui ce coup de fil ?
Il détestait cette habitude qu’avait sa femme de l’appeler « mon Minou ». À cinquante-sept ans, il trouvait ça ridicule. Surtout que c’était devenu chez elle un tic langagier en toute circonstance, aussi bien en privé qu’en public. Au point que cela avait failli lui coûter ses dernières élections municipales quand ses opposants de l’extrême gauche avaient fait expédier par la poste, à chacun de ses électeurs potentiels, un tract rédigé sous forme de fable de La Fontaine, intitulé « Les Fredaines de Mon Minou », l’histoire d’un matou voluptueux et jouisseur, opportuniste et rusé, avide de pouvoir et de reconnaissance sociale. Moralement immonde, politiquement veule. Visant la royauté d’un minuscule royaume que lui disputait le « Paon paonnant » – ça, c’était une allusion à son adversaire, un ancien ténor du parti socialiste qui avait eu maille à partir avec la justice et qui avait été envoyé là pour se refaire une virginité politique en recommençant au bas de l’échelle. Mais qui tenait toujours à ce qu’on l’appelle « monsieur le ministre ». Même au purgatoire.
Par bonheur pour « Mon Minou », son rival socialiste, le seul sérieux du point de vue de l’arithmétique électorale, qui brandissait sa sexualité tel un étendard de procession, n’était pas en odeur de sainteté, quoique bel homme, auprès de la mère supérieure du couvent sis sur sa circonscription électorale. Les quinze moniales votèrent « Mon Minou » comme un seul homme. Ce qui fit la différence.
Et ça avait tenu à bien peu de chose.
Simplement parce que la supérieure était en conflit avec l’évêché et que l’évêque du diocèse avait ostensiblement marqué une préférence pour l’ancien ministre. Non pas par penchant politique ou sexuel de sa part, bien sûr que non, mais simplement parce que le ministre n’était pas franc-maçon et que « Mon Minou », si. Tout comme lui.
– Tu m’écoutes, mon Minou ?
Le ton sucré qu’avait employé sa femme l’exaspéra, comme chaque fois qu’elle en usait.
Pour une fois, Alexandre Caillard préféra n’en rien montrer.
– Une erreur de numéro. Ça a raccroché, dit-il d’une voix blanche.
Sa femme se planta devant son bureau.
– Encore une erreur ? Tu ne crois pas qu’il y en a beaucoup en ce moment. Ne serait-ce pas plutôt encore une de tes maîtresses ? D’ailleurs, je t’ai entendu parler.
Il la regarda un bref instant par-dessus ses lunettes de lecture demi-lune. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à retrouver dans ce visage boursouflé par l’alcool les traits de celui qu’il avait aimé une trentaine d’années plus tôt. Encore moins s’il baissait le regard sur son corps enveloppé dans un peignoir qui lui découvrait les cuisses. Même Boucher n’aurait pas osé peindre ce corps-là.
– Écoute, Dany, ce n’était pas une de mes maîtresses et je n’ai pas envie de me disputer avec toi. Je n’ai pas la tête à ça en ce moment. J’ai une affaire difficile à plaider.
Il tapota du plat de la main le dossier ouvert devant lui et qu’il était en train de consulter lorsque le téléphone avait sonné quelques instants plus tôt, provoquant l’intrusion de sa femme dans son sanctuaire.
Elle lui trouva un air pitoyable. Qu’elle ne lui avait jamais connu au cours de toutes ces longues années de pauvre vie « commune ». Lui, le grand avocat si sûr de lui, si arrogant, qui n’avait cessé de voler de succès en succès. Maître Caillard ! La terreur des prétoires.
Alexandre Caillard descendit de son piédestal.
– Bon, peux-tu me laisser travailler à présent ? dit-il d’un ton suppliant.
Le visage flasque de sa femme resta inexpressif. Elle dissimula son étonnement.
Danielle Caillard haussa les épaules, resserra la ceinture de son peignoir entrebâillé et se retira en traînant volontairement ses pantoufles.
Ce qui avait le don d’exaspérer son mari. Elle le savait.
– Je te souhaite une bonne journée, mon Minou, lui jeta-t-elle d’un ton mielleux en refermant la porte du bureau.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Ni que le « Service », que dirige à présent le commandant Pierre Cavalier, le lâche.
Pourtant…
Mais il est trop tard pour regretter d’avoir voulu jouer aux anarchistes dans sa jeunesse et d’avoir accepté le pacte du Diable.
Ce récit a pour point de départ le « terrorisme » en Espagne au début des années 60 et permet d’en savoir plus sur le père de Pierre Cavalier et les pratiques passées du « Service ».
Chapitre 1
– Dis, mon Minou, c’était qui ce coup de fil ?
Il détestait cette habitude qu’avait sa femme de l’appeler « mon Minou ». À cinquante-sept ans, il trouvait ça ridicule. Surtout que c’était devenu chez elle un tic langagier en toute circonstance, aussi bien en privé qu’en public. Au point que cela avait failli lui coûter ses dernières élections municipales quand ses opposants de l’extrême gauche avaient fait expédier par la poste, à chacun de ses électeurs potentiels, un tract rédigé sous forme de fable de La Fontaine, intitulé « Les Fredaines de Mon Minou », l’histoire d’un matou voluptueux et jouisseur, opportuniste et rusé, avide de pouvoir et de reconnaissance sociale. Moralement immonde, politiquement veule. Visant la royauté d’un minuscule royaume que lui disputait le « Paon paonnant » – ça, c’était une allusion à son adversaire, un ancien ténor du parti socialiste qui avait eu maille à partir avec la justice et qui avait été envoyé là pour se refaire une virginité politique en recommençant au bas de l’échelle. Mais qui tenait toujours à ce qu’on l’appelle « monsieur le ministre ». Même au purgatoire.
Par bonheur pour « Mon Minou », son rival socialiste, le seul sérieux du point de vue de l’arithmétique électorale, qui brandissait sa sexualité tel un étendard de procession, n’était pas en odeur de sainteté, quoique bel homme, auprès de la mère supérieure du couvent sis sur sa circonscription électorale. Les quinze moniales votèrent « Mon Minou » comme un seul homme. Ce qui fit la différence.
Et ça avait tenu à bien peu de chose.
Simplement parce que la supérieure était en conflit avec l’évêché et que l’évêque du diocèse avait ostensiblement marqué une préférence pour l’ancien ministre. Non pas par penchant politique ou sexuel de sa part, bien sûr que non, mais simplement parce que le ministre n’était pas franc-maçon et que « Mon Minou », si. Tout comme lui.
– Tu m’écoutes, mon Minou ?
Le ton sucré qu’avait employé sa femme l’exaspéra, comme chaque fois qu’elle en usait.
Pour une fois, Alexandre Caillard préféra n’en rien montrer.
– Une erreur de numéro. Ça a raccroché, dit-il d’une voix blanche.
Sa femme se planta devant son bureau.
– Encore une erreur ? Tu ne crois pas qu’il y en a beaucoup en ce moment. Ne serait-ce pas plutôt encore une de tes maîtresses ? D’ailleurs, je t’ai entendu parler.
Il la regarda un bref instant par-dessus ses lunettes de lecture demi-lune. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à retrouver dans ce visage boursouflé par l’alcool les traits de celui qu’il avait aimé une trentaine d’années plus tôt. Encore moins s’il baissait le regard sur son corps enveloppé dans un peignoir qui lui découvrait les cuisses. Même Boucher n’aurait pas osé peindre ce corps-là.
– Écoute, Dany, ce n’était pas une de mes maîtresses et je n’ai pas envie de me disputer avec toi. Je n’ai pas la tête à ça en ce moment. J’ai une affaire difficile à plaider.
Il tapota du plat de la main le dossier ouvert devant lui et qu’il était en train de consulter lorsque le téléphone avait sonné quelques instants plus tôt, provoquant l’intrusion de sa femme dans son sanctuaire.
Elle lui trouva un air pitoyable. Qu’elle ne lui avait jamais connu au cours de toutes ces longues années de pauvre vie « commune ». Lui, le grand avocat si sûr de lui, si arrogant, qui n’avait cessé de voler de succès en succès. Maître Caillard ! La terreur des prétoires.
Alexandre Caillard descendit de son piédestal.
– Bon, peux-tu me laisser travailler à présent ? dit-il d’un ton suppliant.
Le visage flasque de sa femme resta inexpressif. Elle dissimula son étonnement.
Danielle Caillard haussa les épaules, resserra la ceinture de son peignoir entrebâillé et se retira en traînant volontairement ses pantoufles.
Ce qui avait le don d’exaspérer son mari. Elle le savait.
– Je te souhaite une bonne journée, mon Minou, lui jeta-t-elle d’un ton mielleux en refermant la porte du bureau.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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