Chapitre 3
C’est comme ça qu’il s’était fait piéger en cette fin de matinée du 6 avril 1963.
Les trois camarades qu’il avait donnés furent arrêtés, deux le jour même, dont son ami Jean Lestrade, et le dernier le lendemain.
« De toute façon, s’était-il dit, Jean ne pouvait être qu’arrêté et il aurait réagi comme moi s’il s’était retrouvé dans ma situation. »
Et puis, il s’agissait de sa peau, et on n’a qu’une vie.
Les lâches prêtent toujours leurs pensées aux autres.
L’Héroïsme, c’est pour ceux qui ont de la chance.
La seule chose qui l’ennuyait était que ses camarades pussent l’apprendre. Mais, quand il rentra à Paris, ils le félicitèrent de sa chance et les arrestations furent mises sur le compte d’un malheureux enchaînement de hasards.
Alexandre Caillard s’étonna de ne pas éprouver de remords ou de tourment quelconque à l’égard de son ami – les deux autres étaient des camarades qu’il connaissait à peine. Et, si sa conscience ne trouvait rien à redire, c’était bien la preuve qu’il n’avait rien à se reprocher. Cela le conforta dans sa conviction qu’il avait simplement fait le bon choix dans une situation difficile.
Il fit même chorus avec l’un des responsables, Pablo, quand celui-ci évoqua la possibilité que l’un des trois qui venaient d’être arrêtés ait pu donner les deux autres.
– Toi qui le connais bien, tu penses que Jean aurait pu faire ça ? lui avait-il demandé en aparté.
Il eut la sagesse de ne pas se porter garant de son ami. D’ailleurs, il ne l’enfonça pas non plus.
Alexandre Caillard se contenta d’une moue dubitative.
Consoler la copine éplorée de Lestrade lui parut la chose la plus naturelle. De toute façon, il avait toujours eu envie de coucher avec. Mais, la conne, même si elle n’était pas farouche, elle y tenait à son Jeannot. En plus, elle le voyait presque en héros. Il lui avait fallu tout un travail de sape pour parvenir à ses fins. Mais tout s’accéléra quand il lui révéla, comme à contrecœur – « Je ne sais pas si je dois te le dire » –, que les camarades se posaient des questions à propos de Jean.
Les nécessités naturelles firent le reste.
En fait, s’il faisait le bilan, d’avoir voulu baiser Dany, c’était la seule chose qu’il ait eu à réellement regretter dans son existence. Car, ensuite, il n’avait jamais pu s’en dépêtrer et, par le chantage, elle l’avait mené devant le maire quatre ans plus tard. En 67.
Un an après cette merde de juillet 66.
Il ne pensait pas que Jean Lestrade sortirait si tôt.
Depuis ce mois d’avril 1963, il avait profité de la vie un max, s’éloignant imperceptiblement de ses anciens camarades anars pour ne plus les fréquenter qu’épisodiquement.
– Jean a peut-être donné mon nom. Il faut que je sois prudent, avait-il dit.
Mais il manifestait sa noblesse d’âme en s’inquiétant deux fois l’an du « sort des camarades emprisonnés ».
Au moment des deux événements pouvant donner lieu à des grâces ou des remises de peine. Noël et la fête nationale espagnole le 18 juillet, date anniversaire du soulèvement franquiste de 1936.
Mais Alexandre Caillard était tranquille. Avec ses quinze ans de taule, c’est pas demain la veille qu’il allait sortir, Jean Lestrade.
Aussi, lorsqu’il apprit, fin juin 66, qu’il allait être élargi, tout d’abord il n’en crut pas ses oreilles.
– Vous blaguez ? dit-il au commissaire José Perez qui l’avait contacté pour le rencontrer de toute urgence et qui venait de lui annoncer la nouvelle de la libération de Lestrade.
Le policier espagnol le regarda avec commisération.
Il fallait vraiment être con pour croire qu’il pût se déplacer pour venir blaguer avec un pauvre mouchard.
Alexandre Caillard eut vite fait de se rendre compte que ce n’était pas une blague.
Depuis le 6 avril 63, il n’avait revu le policier qu’une seule fois.
Il ne lui avait même rien demandé. Il profitait d’un séjour à Paris pour prendre de ses nouvelles.
Alexandre Caillard se sentit paniquer.
Il avait la trouille.
– J’ai préféré vous apprendre moi-même la nouvelle. La presse va sûrement en parler, disait le commissaire d’une voix qui lui semblait lointaine.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
C’est comme ça qu’il s’était fait piéger en cette fin de matinée du 6 avril 1963.
Les trois camarades qu’il avait donnés furent arrêtés, deux le jour même, dont son ami Jean Lestrade, et le dernier le lendemain.
« De toute façon, s’était-il dit, Jean ne pouvait être qu’arrêté et il aurait réagi comme moi s’il s’était retrouvé dans ma situation. »
Et puis, il s’agissait de sa peau, et on n’a qu’une vie.
Les lâches prêtent toujours leurs pensées aux autres.
L’Héroïsme, c’est pour ceux qui ont de la chance.
La seule chose qui l’ennuyait était que ses camarades pussent l’apprendre. Mais, quand il rentra à Paris, ils le félicitèrent de sa chance et les arrestations furent mises sur le compte d’un malheureux enchaînement de hasards.
Alexandre Caillard s’étonna de ne pas éprouver de remords ou de tourment quelconque à l’égard de son ami – les deux autres étaient des camarades qu’il connaissait à peine. Et, si sa conscience ne trouvait rien à redire, c’était bien la preuve qu’il n’avait rien à se reprocher. Cela le conforta dans sa conviction qu’il avait simplement fait le bon choix dans une situation difficile.
Il fit même chorus avec l’un des responsables, Pablo, quand celui-ci évoqua la possibilité que l’un des trois qui venaient d’être arrêtés ait pu donner les deux autres.
– Toi qui le connais bien, tu penses que Jean aurait pu faire ça ? lui avait-il demandé en aparté.
Il eut la sagesse de ne pas se porter garant de son ami. D’ailleurs, il ne l’enfonça pas non plus.
Alexandre Caillard se contenta d’une moue dubitative.
Consoler la copine éplorée de Lestrade lui parut la chose la plus naturelle. De toute façon, il avait toujours eu envie de coucher avec. Mais, la conne, même si elle n’était pas farouche, elle y tenait à son Jeannot. En plus, elle le voyait presque en héros. Il lui avait fallu tout un travail de sape pour parvenir à ses fins. Mais tout s’accéléra quand il lui révéla, comme à contrecœur – « Je ne sais pas si je dois te le dire » –, que les camarades se posaient des questions à propos de Jean.
Les nécessités naturelles firent le reste.
En fait, s’il faisait le bilan, d’avoir voulu baiser Dany, c’était la seule chose qu’il ait eu à réellement regretter dans son existence. Car, ensuite, il n’avait jamais pu s’en dépêtrer et, par le chantage, elle l’avait mené devant le maire quatre ans plus tard. En 67.
Un an après cette merde de juillet 66.
Il ne pensait pas que Jean Lestrade sortirait si tôt.
Depuis ce mois d’avril 1963, il avait profité de la vie un max, s’éloignant imperceptiblement de ses anciens camarades anars pour ne plus les fréquenter qu’épisodiquement.
– Jean a peut-être donné mon nom. Il faut que je sois prudent, avait-il dit.
Mais il manifestait sa noblesse d’âme en s’inquiétant deux fois l’an du « sort des camarades emprisonnés ».
Au moment des deux événements pouvant donner lieu à des grâces ou des remises de peine. Noël et la fête nationale espagnole le 18 juillet, date anniversaire du soulèvement franquiste de 1936.
Mais Alexandre Caillard était tranquille. Avec ses quinze ans de taule, c’est pas demain la veille qu’il allait sortir, Jean Lestrade.
Aussi, lorsqu’il apprit, fin juin 66, qu’il allait être élargi, tout d’abord il n’en crut pas ses oreilles.
– Vous blaguez ? dit-il au commissaire José Perez qui l’avait contacté pour le rencontrer de toute urgence et qui venait de lui annoncer la nouvelle de la libération de Lestrade.
Le policier espagnol le regarda avec commisération.
Il fallait vraiment être con pour croire qu’il pût se déplacer pour venir blaguer avec un pauvre mouchard.
Alexandre Caillard eut vite fait de se rendre compte que ce n’était pas une blague.
Depuis le 6 avril 63, il n’avait revu le policier qu’une seule fois.
Il ne lui avait même rien demandé. Il profitait d’un séjour à Paris pour prendre de ses nouvelles.
Alexandre Caillard se sentit paniquer.
Il avait la trouille.
– J’ai préféré vous apprendre moi-même la nouvelle. La presse va sûrement en parler, disait le commissaire d’une voix qui lui semblait lointaine.
© Alain Pecunia, 2009.
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