jeudi 23 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





– Mon Minou, le téléphone a sonné plusieurs fois en fin d’après-midi, mais, chaque fois que je décroche ça raccroche. Tu pourrais m’expliquer ?
Alexandre Caillard ne supportait plus cette voix doucereuse que prenait sa femme pour l’asticoter sur ses prétendues conquêtes qui devenaient, avec le temps, plus prétendues que réelles.
Après cette journée de merde, il se sentit au bord de l’explosion.
Il reposa sa fourchette avec le morceau de viande qu’il s’apprêtait à avaler sur le rebord de son assiette, ferma les yeux et tenta de se rasséréner.
– Mon Minou, minauda juste à ce moment son taré de fils en ricanant bêtement.
Il ne put s’empêcher de lui envoyer sa main dans la figure.
Le taré se mit à couiner comme un goret que l’on égorge et se leva d’un bond en s’emparant de l’assiette de blanquette de veau pour la lancer à la tête de son père.
D’une main incertaine, l’autre tenant plaquée sur le nez sa serviette de table pour retenir le sang qui en pissait.
Alexandre Caillard, quoique surpris, esquiva l’assiette avec habileté.
Dont le fracas contre la desserte au service de cristal fut recouvert par le braillement strident de Dany qui hurlait en trépignant et en portant les mains à ses oreilles.
La bonne à tout faire ghanéenne contemplait ce spectacle de sauvages bouche bée et les bras ballant le long de son tablier blanc.
– Je vais te crever, putain ! hurla le bâtard en s’emparant d’une main tremblant de fureur du couteau à dessert.
Maître Caillard, remparé derrière sa chaise, défiait son fils du regard.
– Parricide ! hurla-t-il.
– Non ! cria Dany, flageolante, tout en tentant, mollement, de s’interposer.
– Vieux con ! cracha le fils.
– Taré ! jeta le père en reculant d’un bon pas tout en traînant la chaise devant lui.
– Madame ! Monsieur ! supplia, en vain, la bonne.
– Je vais te crever, fumier !
– Essaie donc, connard ! surenchérit le père tout en reculant à nouveau d’un bon pas.
Son taré de fils n’était pas bien épais, mais son mètre quatre-vingts déployé l’impressionnait.
Il ne supportait pas que son bâtard le dominât de dix centimètres par la taille.
« Normal que le cerveau n’ait pas suivi », se disait-il souvent pour rétablir l’équilibre.
Le téléphone sonnait avec insistance depuis plusieurs secondes.
Soudain, chacun se figea dans son attitude.
La bonne prit sur elle d’aller décrocher le combiné.
Elle eut une moue dubitative en raccrochant quelques secondes plus tard.
– Y’a personne, dit-elle en haussant les épaules.
Alexandre Caillard éprouva soudainement une forte lassitude et ignora un ultime ricanement de défi de son fils.
Il avait hâte d’aller s’enfermer dans son bureau. Seul havre de paix dans cet appartement.
Il l’avait conçu à l’identique du bureau de son cabinet. Pour favoriser la concentration, avait-il prétendu.
En fait, uniquement pour oublier, dès qu’il y pénétrait, qu’il se trouvait dans l’appartement familial.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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