mercredi 22 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 10 (suite et fin)

Chapitre 10 (suite et fin)





Alexandre Caillard éprouva la désagréable sensation d’être revenu quarante ans en arrière et de se trouver devant le commissaire franquiste José Perez.
Déstabilisé, sa superbe assurance en lambeaux.
– J’ai reçu des menaces et je demande votre protection, finit-il par dire la bouche sèche.
L’autre arqua les sourcils.
– À quel titre ?
– Mais… mais c’est lié à nos activités… enfin, avec votre père, bafouilla-t-il maladroitement. Et, comme vous êtes le successeur…
Le commandant eut un sourire ironique.
– On vous aura mal renseigné, cher maître. Si vous continuez de recevoir des appels anonymes et vous sentez menacé, je vous conseille de vous adresser à la PJ. Je crains de ne rien pouvoir faire pour vous.
– Vous ne pouvez pas me lâcher…, protesta-t-il la voix tremblante.
– Je ne vous lâche pas, cher maître. Je ne vous connais pas, c’est différent.
– Mais…
– Je n’assumerai pas les dérives du passé et je ne veux même pas faire l’inventaire des crimes qui ont pu être commis sous couvert de ce que vous nommez le « Service ». Je tourne la page.
Alexandre Caillard s’était senti humilié, outragé.
Le pire affront qu’il n’eut jamais essuyé.
Il eut un sursaut d’orgueil qui tourna court.
– Mais…
Il savait qu’il ne pouvait pas se dresser contre le « Service ». Ceux qui l’avaient tenté en été sortis anéantis, broyés – parfois au sens propre.
En sortant du bureau du commandant Cavalier, Alexandre Caillard prit conscience de sa solitude et de sa vulnérabilité.
Sottement, il pensa appeler des amis journalistes. Mais que pouvait-il leur révéler sans se condamner lui-même ?
Et quel quotidien ou hebdo hexagonal oserait publier un dossier sur le « terrorisme d’État » ? En éprouverait même l’envie ?
La levée de boucliers serait unanime.
Seule la presse étrangère pouvait se permettre de mentionner « le goût des dirigeants français – François Mitterrand, notamment – pour le terrorisme d’État
* » sans encourir les foudres des bonnes âmes et se faire traîner en justice pour diffamation.
Et que pouvaient les anciens du « clan Cavalier » ?
Développer un pouvoir de nuisance pour tenter de déboulonner le nouveau patron ?
Alexandre Caillard était sans illusion.
Chacun filerait doux. Ayant trop à perdre.
En fin de compte, lui seul était dans la merde.
S’il continuait sur cette pente, il allait finir parano.
Après avoir imaginé que Pierre-Marie de Laneureuville en voulait à sa peau, il en venait à présent à se demander si le commandant Cavalier n’était pas le deus ex machina de cette machination dont il était victime.
Peut-être le fils Cavalier savait-il pour Lestrade.
Mais qu’en avait-il à foutre ?


* ABC, Madrid, « La supériorité française prise en défaut », par César Alonso de los Ríos, in Courrier international n° 669 (28 août-3 septembre 2003, p. 7).







© Alain Pecunia, 2009.

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