lundi 27 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Il s’était à peine installé à son bureau de la mairie de D… que la secrétaire lui passa un appel soi-disant urgent. Alors qu’on était samedi après-midi et qu’il était seul dans la mairie avec la secrétaire et le premier adjoint.
– J’espère que tu as passé une bonne nuit, dit la voix. Profite de ton week-end. Tout condamné a droit à un répit avant l’exécution de la sentence.
Clic.
Il resta cloué dans son fauteuil. Manqua d’air.
Il porta la main à son col pour desserrer sa cravate. Machinalement.
Il n’en portait jamais quand il était à la mairie.
Pour faire simple et proche de ceux « d’en bas ». La nouvelle ligne.
– Ça va, Alex ? s’enquit son premier adjoint. Tu es tout pâle. Une mauvaise nouvelle ?
Il se ressaisit et recomposa son masque.
– Non, ce n’est rien. J’ai mal dormi et je suis surchargé de boulot à mon cabinet.
L’adjoint était en train de lui expliquer que le plus urgent était ce dossier sur l’assainissement d’eau, mais qu’il fallait à tout prix qu’il trouve le temps pendant le week-end de faire un passage à la maison de retraite. Justement, le dimanche après-midi était idéal. C’est le moment où il y a le plus de visites. Surtout que les familles s’y montrent plus souvent que de coutume depuis l’hécatombe de l’été. Elles ont vachement culpabilisé et leurs vieux font tout pour les surculpabiliser. Tu peux leur faire confiance, ils ont les médias de leur côté ! Alors, on est sûr d’engranger un double bénéfice politique.
– Mais j’y suis déjà aller pour le repas de Noël et pour les Rois la semaine dernière…, protesta Alexandre Caillard.
– Oui, mais le pédé socialo aussi. Alors il faut que tu te démarques en en faisant plus que lui. Enfin, c’est ce que je te conseille…
Caillard n’en avait strictement rien à foutre.
Son seul problème, c’était ces putains d’appels.
Et comment, d’ailleurs, pouvait-il savoir qu’il était là ? Il venait à peine d’arriver.
Qui pouvait le trahir ?
On n’est jamais trahi que par les siens, dit l’adage.
Dany ?
Mais elle était trop conne pour ça. Elle devait d’ailleurs l’avoir oublié depuis longtemps, son Jean Lestrade.
Tout comme lui.
Avant ces putains d’appels.
Son fils ?
Il était taré-débile !
Il leva un regard lourd de suspicion vers son adjoint.
Trop con ! Efficace, mais con.
Il l’avait choisi parce qu’il était sûr qu’il ne caresserait jamais l’idée de lui piquer son fauteuil.
Il secoua la tête.
Non. Exclu.
Alors, l’ex-ministre socialo ? Ce pédé.
Là, c’était déjà plus solide.
Mais comment aurait-il pu savoir ?
Peut-être était-il la cible d’une magouille au sein de la majorité, tout compte fait.
Il gambergea quelques minutes sur cette hypothèse tandis que son adjoint récitait le nouveau catéchisme environnemental sur l’assainissement d’eau.
Fait chier, ce con !
De toute façon, quelle que soit l’hypothèse, ça ne pouvait venir que du « Service ».
Mais qui, bon Dieu ?
Il assena un coup de poing sur la table.
L’adjoint et la secrétaire sursautèrent dans le même temps.
– Vous estimez que le coût du projet est exorbitant ? demanda l’adjoint d’un ton craintif après avoir toussoté.
Alexandre Caillard ne l’entendit pas. Tout comme il n’avait pas eu conscience d’avoir frappé la table du poing.
Il venait enfin de trouver à qui appartenait la voix.
C’était celle de Jean Lestrade.
– Mais, putain, c’est impossible ! Je l’ai vu se faire écrabouiller, dit-il à haute voix en s’affaissant dans son fauteuil.
Le premier adjoint et la secrétaire échangèrent un regard entendu et quittèrent le bureau sur la pointe des pieds.
– Mais, putain, c’est évident ! cria Alexandre Caillard en se levant d’un bond, tout excité, alors que l’adjoint refermait la porte précautionneusement en baissant les yeux avec une moue attristée.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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