vendredi 24 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12





Il s’enfonça dans son fauteuil crapaud de cuir fauve, allongea ses jambes devant lui et aspira lentement la première bouffée de fumée de son barreau de chaise.
Il l’avait choisi précautionneusement dans son humidificateur marqueté de superbe facture qu’il s’était offert l’année précédente pour fêter la conclusion heureuse d’un dossier difficile.
Quand les choses allaient de travers, comme en ce moment, c’était sa parade. Évoquer une affaire à l’heureux dénouement – et il avait le choix !
Il en oubliait les pressions, les coups tordus et autres chausse-trappes qui lui avaient permis d’atteindre son objectif quand le poids de sa renommée n’y suffisait pas.
Il y avait bien longtemps qu’il n’avait plus à mettre la main à la pâte pour ce type de basses œuvres. Le « Service » y pourvoyait.
Ensuite, généralement, le « grand » Me Caillard n’avait plus qu’à conclure. Pour les formalités.
Sauf cette fois-là, dans cette affaire de fausses factures des HLM de L’Avenir-Devant-Soi où il avait fallu que l’association de locataires se constitue partie civile et se fasse représenter par le seul avocat du barreau de Paris qui se prît pour Saint-Just.
L’avocat borné par excellence. Inaccessible à toute pression – même amicale – ou menace – feutrée, évidemment, entre gens de bonne compagnie.
Et il voulait la peau des « mis en examen ». Faire témoigner trois ministres successifs. Rien que ça !
Osant le menacer, lui, Me Caillard, de révélations délicates !
Le petit con. L’inconscient.
Le type qui se trompait d’époque.
Comment s’appelait-il, déjà ?… Ah oui ! Jérôme Mollar… Avec un nom pareil, il avait de quoi être complexé. Ça expliquait le personnage.
À trente-cinq ans, il était resté un obscur de la profession et il avait cru trouver là son heure de gloire.
Alexandre Caillard ne l’avait croisé que deux fois.
La dernière fois, en sortant du bureau du juge d’instruction.
Tout à coup, il se souvint que cet imbécile lui avait lâché :
– Toi aussi tu tomberas sous le métro.
Merde, mais c’est vrai ! Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ?
À l’époque, il avait demandé à François Cavalier de faire « jouer » le « Service » car le type était totalement incontrôlable et nuisible. Mais il n’avait pas établi alors de rapport avec Jean Lestrade. Cette si vieille histoire.
Et, depuis ces maudits coups de fil surgis du passé, pas plus, car le type était mort. Proprement. Pas même un bouton de culotte à mettre dans une boîte.
Juste le week-end suivant.
Le « Service » avait fait fissa.
Faut dire que ça urgeait, car le dossier de Mollar était solide.
Mais chacun a son point faible. Ou pratique un hobby dangereux.
Lui, Mollar, c’était la voile, son point faible.
Quelle que soit l’époque de l’année, il filait le week-end à Trouville pour bichonner son petit voilier de croisière et lui faire faire des ronds dans l’eau quand le temps le permettait.
C’était sa résidence secondaire.
Le Vertueux qu’il l’avait appelé son voilier, ce con !
Alors, quand le rafiot avait explosé dans la nuit de samedi à dimanche à la veille de Noël, la cause en parut évidente aux enquêteurs.
Explosion de gaz à bord.
Exit le gêneur.
Le dossier compromettant avait été récupéré la même nuit dans son cabinet. Sans laisser la moindre trace d’effraction.
Mais personne n’avait songé à enquêter plus avant sur son passé et ses relations.
Quand la solution d’un problème est évidente, c’est fou ce qu’on peut être négligent.
C’est vrai que François Cavalier avait tendance à pécher par excès d’assurance depuis quelque temps.
C’est d’ailleurs ce qui avait causé sa perte, pensait Alexandre Caillard.
Il se leva pour prendre un annuaire de Paris dans l’intention d’y chercher un éventuel Mollar.
À quoi bon ? se dit-il. Il était divorcé depuis plusieurs années avant de s’évanouir en particules et sa disparition n’avait pas fait de vagues – si l’on peut dire.
Faut jamais mourir une veille de fête.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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