mercredi 15 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 7

Chapitre 7





Alexandre Caillard fut de retour chez lui vers 23 h 30. La 403 l’avait laissé sur le trottoir de la mairie, place Gambetta, et il avait remonté l’avenue l’esprit cotonneux. Il se sentait entre parenthèse.
Évidemment, Dany ne dormait pas.
Elle était même assise tout habillée sur le canapé-lit.
Il lui trouva un air bizarre. Elle avait les yeux rougis, comme si elle avait pleuré.
Elle s’étonna qu’il soit rentré si tôt. D’un ton sec.
Caillard se surprit lui-même.
– Il n’est pas venu, dit-il en prenant un air désolé pour lequel il n’eut pas à se forcer. Je ne comprends pas. J’ai poireauté jusqu’à vingt-deux heures trente devant la fontaine. J’avais l’air con à attendre comme ça…
Elle le dévisagea d’une façon étrange.
– T’as dû être déçu, mon Minou ?
– Bah, il a dû avoir un contretemps. De toute façon, il rappellera.
– Tu as l’air bizarre. T’es contrarié, hein ?
Il haussa les épaules et détourna son regard.
– Je suis surtout crevé.
Elle ravala un sanglot.
– Quand même, j’aurais bien voulu que ce soit réglé pour nous deux. Qu’il sache…, dit-elle après un temps.
Alexandre Caillard ne comprit pas le sens de ses paroles.
Qu’est-ce qu’elle peut être chiante, pensa-t-il tout en ôtant sa veste.
Alexandre Caillard eut du mal à trouver le sommeil.
La mort de Lestrade résolvait un problème, mais il ne se sentait pas soulagé pour autant.
Le bruit mat du corps heurté par la cabine résonnait. Désagréable. Incongru.
Et cette conne qui se lovait contre lui en croyant au grand amour…
Il trouva enfin le sommeil en songeant qu’il faudrait qu’il s’en débarrasse en douceur. Le plus vite possible. Dès cet été.
Comme ça, plus rien ne le rattacherait à Lestrade.
Mais tout foira dès le lendemain.
RTL en fit des tonnes sur le suicide du jeune activiste anarchiste Jean Lestrade tout juste libéré de prison.
Et Dany se branchait sur RTL dès le réveil.
Et il fallait que ce con de reporter interviewe un poivrot qui prétendait avoir vu quelqu’un pousser le jeune homme.
– C’est comme j’vous l’dis. Je somnolais sur le banc juste à côté et j’ai bien vu ce que j’ai vu ! braillait le clochard.
Ce fut l’hystérie.
Des larmes. Des cris. Puis des crises de spasmophilie successives. Entrecoupées de longs sanglots ou de phases d’atonie complète.
Il crut qu’elle allait virer dingue.
Il la gifla. Elle le griffa et le laboura de coups de pied et de coups de poing.
Une vraie furie.
Avec un regard dément à vous en foutre la frousse.
Et « mon Jeannot » par-ci, « mon Jeannot » par-là. Comme si elle en était encore amoureuse. De l’irrationalité à l’état pur.
Puis, tout à coup, elle se précipita à nouveau sur lui et le saisit à deux mains par le col de sa chemise en le secouant.
– Assassin ! C’est toi qui l’as tué ! hurla-t-elle en affermissant sa prise avec une force qu’il n’aurait pu lui soupçonner et qui l’empêchait de dégoiser le moindre mot.
Il ne parvint à s’en débarrasser qu’en lui donnant un coup de genou dans le bas-ventre.
– T’es dingue, ou quoi ! brailla-t-il affolé et en lui donnant des coups de pied.
Elle resta quelques minutes recroquevillée sur elle-même après qu’il se fut lassé de la frapper.
Pleurant à nouveau.
– Je ne suis pas dingue, murmura-t-elle en lui jetant un regard de haine. Tu l’as tué. Je le sens. Je le sais. Et tu vas le payer, Alex…
Alexandre Caillard faillit se jeter sur elle et l’étrangler pour qu’elle se taise.
Mais il eut peur.
Les voisins avaient dû entendre toute cette sarabande.
Il tenta de se calmer en se disant que le plus urgent, pour le moment, était de l’amadouer.
– Tu vas le payer, poursuivait-elle d’une voix rauque et lourde de menaces. Tu vas m’épouser ou alors tout le monde saura…


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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