samedi 11 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 5

Chapitre 5





Jean Lestrade revint à Paris le 3 juillet.
Le 4, il téléphona chez les parents Caillard pour parler à leur fils. À l’heure du déjeuner.
Mme Caillard lui demanda de rappeler vers dix-neuf heures trente, Alexandre devant venir dîner ce soir-là avec… mais elle se tut, se rendant compte in extremis qu’elle avait failli mentionner Dany Morieux.
Lestrade rappela donc à dix-neuf heures quarante.
– Jeannot, quelle joie ! dit Alexandre Caillard en reconnaissant la voix de son ami.
Celui-ci voulait passer le voir chez lui.
– Écoute, vieux, j’ai une meilleure idée. On se retrouve à vingt et un heures devant la fontaine Saint-Michel et on fête ça dignement, hein ! On a tellement de choses à se dire…
Dany n’était pas encore descendue de leur chambre de bonne.
– Dînez sans moi, dit-il à sa mère. Dis-lui que je vais voir Jeannot et que je vais tout lui expliquer pour nous deux. Je l’ai promis à Dany.
– Sois prudent, mon chéri.
Alexandre Caillard trouva la réflexion de sa mère stupide et haussa les épaules.
Il dévala les trois étages et se retrouva à vingt heures cinq place Gambetta.
Il dut patienter cinq minutes que la cabine téléphonique fût libre, puis il appela le numéro que lui avait donné le commissaire José Perez.
Alexandre Caillard lui annonça son rendez-vous avec Jean Lestrade à vingt et une heures.
Il était à la fois anxieux et tout excité.
– Parfait, dit le commissaire qui lui demanda d’attendre un instant.
Caillard entendit la voix étouffée du policier s’adresser en français à une autre personne.
Ce fut bref.
– Écoute, dit le commissaire qui le tutoyait pour la première fois, tu vas prendre un pot avec lui dans le coin, vous faites vos retrouvailles et, vers vingt-deux heures, tu lui proposes de prendre le métro à Saint-Michel pour aller voir ses autres camarades qui lui ont réservé une surprise. Direction…. Châtelet. Et tu laisses faire. Vous vous mettez sur le quai en fin de rame. D’accord ?
Alexandre Caillard fut à l’heure pile à son rendez-vous.
Jean Lestrade l’attendait depuis dix minutes.
Leurs retrouvailles furent chaleureuses.
Lestrade préféra déambuler le long des quais en bavardant plutôt que de s’attabler dans un bistrot du quartier.
Caillard regardait de temps à autre sa montre.
– T’as un autre rendez-vous ? finit par le blaguer Lestrade. Je croyais que nous avions toute notre soirée ?
– Justement, les camarades t’ont préparé une petite réception pour ton retour. Nous devons nous retrouver chez Pablo à République. Il faudrait qu’on prenne le métro vers vingt-deux heures pour être à l’heure pour la fiesta.
En à peine une heure, ils avaient parlé de tout et de rien à bâtons rompus.
Du lycée, de la prison, des camarades.
L’air malheureux, Caillard dit à Lestrade combien il avait eu honte d’être le seul à s’en tirer.
– Comment ça ? fit Lestrade étonné.
Alexandre Caillard se rendit compte de sa bévue. Qu’il aurait mieux fait de fermer sa grande gueule. Que Lestrade n’avait jamais su qu’il avait été envoyé pour le réceptionner sur le quai du port de Barcelone.
Maintenant, il devait le lui expliquer. Sans lui dire qu’il avait paniqué.
Il avait simplement appliqué les consignes.
« S’il y a le moindre problème, tu décroches », lui avait dit Pablo.
Il vit le regard de Lestrade s’assombrir.
– Je n’étais pas au courant, lâcha-t-il laconiquement.
Mais il le connaissait suffisamment pour savoir qu’il allait se mettre à gamberger.
« Il n’y avait vraiment pas d’autre solution », se dit Alexandre Caillard tout en regardant sa montre.
Il était moins dix de vingt-deux.
– Faut qu’on y aille, dit-il à Lestrade sans parvenir à mettre dans son intonation tout l’entrain qu’il aurait souhaité.
Jean Lestrade sourit.
– Et à propos, t’as des nouvelles de Dany ?
Alexandre Caillard se raidit.
Il croyait échapper à cette explication après celle déjà suffisamment pénible pour lui de sa mission de réception.
– Oh ! Dany, tu sais…, fit-il en haussant les épaules.
– Putain, dit Lestrade en commençant de descendre les marches du métro, qu’est-ce qu’elle était chaude, tu ne peux pas savoir ! Un sacré coup, la garce ! Mais elle me gonflait avec ses idées de mariage et de gosses. J’avais dix-sept ans et elle dix-neuf. C’était le cadet de mes soucis, mais, elle, elle ne pensait qu’à ça !
Arrivé sur le quai, Lestrade se rendit compte que son ami restait indifférent à son évocation de Dany.
D’habitude, il aurait été le premier à en rire avec lui.
– Putain, je plains le mec sur lequel elle mettra définitivement le grappin ! conclut-il dans une ultime tentative pour dérider Alexandre Caillard qu’il sentait de plus en plus crispé.
Caillard était en train de se dire qu’il n’avait vraiment rien à regretter. Qu’il haïssait Lestrade à un point tel qu’il avait hâte que tout soit fini le plus rapidement possible. Mais il n’osait pas jeter de regard alentour pour repérer le ou les envoyés du commissaire.
Il avait simplement fait comme le commissaire le lui avait recommandé. Se tenir le plus près possible du bord du quai.
– Putain, disait Lestrade, tel que je te connais, je croyais que tu te la serais faite…
Alexandre Caillard avait fermé les yeux dès l’instant où il avait entendu la rame surgir du tunnel.
Un homme de taille moyenne et râblé, la trentaine, qui attendait la rame et se tenait un peu en retrait de Lestrade et de Caillard, s’était approché d’eux quelques secondes plus tôt.
Il se mit juste derrière Lestrade et le poussa brusquement.
Alexandre Caillard rouvrit les yeux en se reculant instinctivement au moment même où la cabine de la voiture de tête percutait Lestrade.
Le temps que le machiniste réagisse, Jean Lestrade fut traîné sur toute la longueur du quai.
Il y avait suffisamment de monde dans la station pour que la pagaille soit complète.
Alexandre Caillard vomit sans avoir à se forcer et crut qu’il allait tourner de l’œil.
L’inconnu le prit par le bras en lui murmurant :
– C’est fini. Tout va bien.
Puis il l’entraîna vers la sortie en lui tenant toujours fermement le bras.
Personne ne leur avait prêté attention.
Les usagers s’étaient agglutinés sur le quai à l’avant de la cabine. Là où le corps de Jean Lestrade se donnait en spectacle sur les rails.
Enfin, ce qu’il en restait.
Le machiniste, en état de choc, sanglotait dans sa cabine.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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