lundi 20 avril 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





– Merde, merde et merde !
Alexandre Caillard assena un violent coup de poing sur son bureau et appela son cabinet pour prévenir sa secrétaire qu’il serait en retard et lui demander d’annuler les rendez-vous de la journée.
« C’est un coup tordu, se dit-il. Quelqu’un veut ma peau. »
Mais qui pouvait connaître les conditions exactes de la mort de Jean Lestrade.
Dany, sa femme, n’en avait eu que l’intuition.
L’homme qui l’avait poussé sous la rame était mort dans l’explosion prématurée de la charge qu’il était en train de placer contre un relais de télévision au fin fond de la Bretagne, au début des années soixante-dix.
Le chauffeur de la 406 était décédé dans un banal accident de la circulation.
Et François Cavalier, qui avait supervisé l’élimination de Lestrade, s’était suicidé, en plein exercice de ses fonctions de ministre de la Justice, le jeudi 17 juillet de l’été 2003
*.
Il y avait encore l’ancien commissaire franquiste José Perez. Mais lui aussi était décédé. D’un simple cancer de la prostate. En 1989.
Un instant, Alexandre Caillard songea au clochard qui avait prétendu avoir vu un homme pousser Lestrade à l’entrée de la rame dans la station. Pour se remémorer aussitôt que Cavalier avait pris soin de le faire éliminer quelques semaines plus tard. Par précaution.
Une rixe entre cloches autour d’une poubelle pour un morceau de chiffon.
C’est vrai, François Cavalier ne laissait rien au hasard. C’était un grand pro. Presque à l’égal de Pierre-Marie de Laneureuville, qui avait fini par avoir sa peau.
Ce qu’il avait pu deviner de leur rivalité l’avait toujours intrigué.
Pendant plusieurs décennies, le grand patron des basses œuvres, le maître incontesté du coup tordu, avait été Xavier Cavalier, dit « le Vieux ». Le père de François qui, contrairement à son fils, venait de mourir de mort naturelle. À quatre-vingt-seize ans. Le 25 novembre. Simplement débranché après avoir survécu à la canicule.
Pierre-Marie de Laneureuville, de trois ans l’aîné de François Cavalier, avait été le supérieur de ce dernier durant de longues années. Dès le début des années soixante.
Donc, logiquement, Laneureuville était le commanditaire de l’élimination de Lestrade. Tout au moins, il ne pouvait ne pas être au courant.
Mais connaissait-il pour autant son rôle à lui, Alexandre Caillard ?
Il était en droit de le supposer. Et, en conséquence, s’attendre au pire de sa part.
Alexandre Caillard avait toujours été à la remorque de François Cavalier. Il lui devait tout.
Cavalier l’avait même appelé à ses côtés à la Chancellerie au titre de conseiller technique. Et, depuis trois ans, il était un des avocats des laboratoires Crindos, une des bases du « Service ».
Pour Laneureuville, il appartenait au « clan Cavalier ». Le clan ennemi. Et, depuis des années, les deux clans se livraient une guerre sans merci faite de chausse-trappes pour prendre la succession du « Vieux ».
Le fruit de ses réflexions ne réjouissait pas Alexandre Caillard, mais, au moins, il avait identifié la menace.
Ce qui ne la supprimait pas pour autant, reconnaissait-il lucidement.
La sonnerie du téléphone le surprit dans ses pensées.
Il hésita à décrocher et se ravisa en pensant que ce devait être sa secrétaire.
– Papa.
Entendre la voix de sa fille le décrispa instantanément.
Nathalie avait toujours été la bulle d’air de son existence. Sa plus grande joie. Sa seule vraie réussite personnelle.
La seule part de vérité de sa vie faite de faux-semblants.
– Oui, ma chérie.
– Ça va ? Tu as l’air soucieux.
– Non. C’est rien. Je suis sur un dossier difficile.
– Tu ne me caches rien ?
– Bien sûr que non, ma chérie. Comment pourrais-je te cacher quoi que ce soit ? Tu es la princesse de ma vie. Tu le sais bien.
À trente-quatre ans, elle était toujours un amour de fille.
La seule chose qui le tracassait, parfois, c’était qu’elle ne fût pas encore mariée.
Oh ! c’était purement égoïste de sa part. Il aurait aimé avoir des petits-enfants.
Il y a quelques années – il ne se souvenait pas trop –, elle avait entamé une relation stable et sérieuse qui semblait avoir brutalement cessé l’année dernière.
Pendant quelque temps, il l’avait trouvée bizarre. Elle n’avait plus eu tout à fait le même comportement à son égard. Comme si elle le repoussait.
Il avait mis ça sur le compte de la déception amoureuse. Sagement. Car tout avait fini par se remettre en ordre.
Mais Nathalie était secrète et ne leur avait jamais présenté ses relations. Peut-être se confiait-elle à sa mère ? Il en doutait.
La porte de son bureau s’ouvrit brutalement.
Quand on parle du loup…
– C’est qui ? demanda, hargneuse, Dany toujours en peignoir de bain.
Il sourit. Pensant que la mère et la fille étaient le jour et la nuit.
L’une était un tonneau bosselé et l’autre la grâce incarnée. Un mètre soixante-quinze, cinquante-deux kilos. D’une beauté diaphane. De longs cheveux d’or…
– C’est qui ?

* Voir Un vague arrière-goût.




© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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