lundi 9 février 2009

Noir Express : "Pleurez, petites filles..." (C. C. IX) par Alain Pecunia, Chapitre 16

Chapitre 16





Tout en roulant vers leur appartement de la rue du Commerce, Pierre Cavalier, qui conduisait, ne cessa de penser à Pierre-Marie de Laneureuville et à ses coups tordus. Il savait que, tant que celui-ci occuperait la fonction de ministre de la Justice, il bénéficierait de l’impunité, mais se réjouissait d’avance à l’idée qu’il ne le serait pas éternellement.
– Je me le ferai ! marmonna-t-il entre ses dents.
Isabelle Cavalier, enfoncé dans le siège passager, n’y prêta pas attention.
On n’en savait toujours pas plus sur le tueur au couteau à désosser, mais elle avait la satisfaction d’avoir mis fin au calvaire d’une gamine martyrisée par des prédateurs.
Et puis elle s’était faite une grande amie de Djamila Kamil. Elle avait hâte de la revoir et de filer un coup de main à son mouvement, « Ni putes ni soumises ». Elle était admirative de leur boulot et se sentait fière d’être femme.
En arrivant au bas de leur immeuble vers vingt et une heures trente, ils cédèrent le passage à un livreur de pizzas qui semblait pressé.
Il les précéda dans l’escalier et ils eurent la surprise de le voir sonner à leur propre porte.
Ils se regardèrent interloqués.
Philippe-Henri ouvrit au livreur et ils entendirent la voix de leur fille Philippine crier du fond de l’appartement :
– J’ai faim !
Phil les aperçut derrière le livreur et leur demanda s’ils ne pouvaient pas régler les deux pizzas géantes.
Médusés, ils s’exécutèrent en silence en laissant la monnaie au livreur.
Puis ils s’avancèrent lentement dans le couloir de leur appartement, craignant le pire.
Qui, effectivement, se concrétisa.
Philippe-Henri était déjà en train d’ouvrir un carton d’emballage tandis que Euh-Euh attaquait le second.
Philippine, calée sur les genoux de Jean Fernandi – abomination des abominations pour Isabelle ! – tapant du manche d’une fourchette sur son assiette…
Le bocal du poisson rouge trônant au milieu de la table.
Avec deux poissons rouges à l’intérieur qui se bisoutaient…
Isabelle Cavalier hallucinait.
– C’est quoi, ça… ?
– J’espère qu’il y en aura pour nous ! dit son mari plus terre à terre et que rien ne semblait jamais étonné.
– C’est quoi, ça, j’ai dit ! insista Isabelle en haussant le ton.
– Des pizzas, maman, dit Philippine.
– Ben oui, des pizzas ! renchérit Philippe-Henri en attaquant le découpage savant de la sienne.
– Euh-euh… (C’était Patrice qui manifestait l’évidence.)
– Non, je parle du bocal !
La voix d’Isabelle Cavalier s’était fait stridente.
– Deux poissons rouges, Isa, tu vois bien ! dit Pierre, qui avait hâte d’être servi, en haussant les épaules.
– Deux poissons, maman. Deux Titi…
Isabelle Cavalier hurla.
– On m’explique ce cirque, s’il vous plaît !
Frayeur de Patrice. Surprise des autres.
– Ne te mets pas dans ces états, ma chérie, intervint Philippe-Henri. Nous avons passé la journée à travailler pour toi…
– On m’explique ! le coupa-t-elle en trépignant.
– C’est ce que je suis en train de faire, ma chérie. Donc, quand j’ai découvert après le déjeuner que Philippine, ma petite-fille et filleule, dit-il en regardant avec admiration et tendresse la petite, comprenait son Titi et pouvait communiquer avec lui, j’ai vite téléphoné à notre ami Jean, ici présent…
– Je le vois !
– Euh-euh… (Grosse inquiétude de Patrice qui ne savait vraiment plus à quoi s’en tenir avec la « gentille dame de la police ».)
– … pour qu’il vienne avec son Titi et – ô miracle ! –, dès qu’il a été mis en compagnie de ton Titi…
– C’est pas le mien !
– Ne lui en voulez pas, dit Pierre, elle est crevée.
– Ta gueule, toi ! Continue, Phil, ça m’intéresse !
– Bon, du Titi de ma petite-fille, si tu préfères…
– Je préfère !
– … eh bien, il a été dépanné, ma chérie ! Et ce grâce à ma petite Philippine…
– Et alors ?
– Et alors, et alors… Qu’est-ce que tu peux être désagréable parfois alors que je me décarcasse pour toi !… Mais c’est que le Titi de Jean, une fois dépanné et la communication rétablie, nous a mis sur la piste… Voilà ! conclut-il en se rengorgeant.
– Quelle piste ? demanda Isabelle narquoise en le fusillant du regard et en croisant rageusement ses bras sur sa poitrine, signe de cataclysme imminent, que Philippe-Henri ignora superbement.
Les autres, Patrice Dutour, Jean Fernandi et Pierre Cavalier, s’étaient plongés hypocritement dans la dégustation de leur part de pizza. Même Philippine.
– Quelle piste ? Mais la piste de ton affaire, cette histoire de tournante sur laquelle tu t’escrimes… Nous avons même un nom ! Enfin… presque un nom… qu’on n’arrive pas trop à déchiffrer… Mais, rassure-toi, ce n’est plus qu’une question de temps, maintenant…
– Et c’est quoi comme « presque un nom » ? demanda Isabelle avec un sourire carnassier.
– Ben, fit Philippe-Henri gêné, c’est là que c’est pas clair… Il – je veux dire le Titi de notre ami Jean – nous parle de « roses », de « rosière »… Alors c’est peut-être un nom comme Lépine ou Couronne, Bouquet, pourquoi pas ?…




© Alain Pecunia, 2009.
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