Chapitre 6 (suite et fin)
La grand-tante était massive et faisait un bon mètre soixante-dix. Pas le genre à se faire marcher sur les pieds ni à mâcher ses mots, comme Pierre allait pouvoir s’en rendre compte.
– C’est votre petit-neveu de Paris, Pierre, avait répondu la jeune femme.
– Pierre qui ?
La jeune femme s’était tourné vers Pierre avec un regard interrogateur et amusé.
– Je suis le fils de votre nièce Nicole, répondit Pierre en souriant.
– Cette salope ! lâcha la grand-tante tel un juron et en faisant face au nouveau venu.
Elle en fit l’examen des pieds à la tête en faisant passer son mégot d’un côté l’autre de ses lèvres, la tête légèrement rejetée en arrière et en continuant de plisser les yeux à cause de la fumée.
– Excuse-moi, mais je dis toujours ce que je pense et comme je le pense.
La jeune femme fit un sourire d’excuse à Pierre mais celui-ci se sentait conquis par cette maîtresse femme au franc parler.
– Je partage entièrement votre opinion, ma tante, dit-il en souriant largement.
– Ah ! tu me plais, mon neveu ! répondit la vieille dame en s’essuyant les mains à son tablier noir à fleurs mauves. T’as rien de ta mère et pas grand-chose des Cavalier. Allez, viens que je t’embrasse…
Les bras de la tante enserrèrent Cavalier avec une force qu’il n’aurait pu soupçonner. Puis elle l’invita à embrasser sa cousine.
Au cours du déjeuner qui s’ensuivit, il apprit que sa tante avait été directrice d’école et que son mari, chef de bataillon à la coloniale, était décédé trente ans plus tôt. Qu’elle n’ignorait rien des turpitudes des Cavalier ni de sa mère. Qu’elle était Corse française et qu’elle exécrait les nationalistes qui n’existaient qu’à cause ou grâce aux « couilles molles de Paris », au choix.
Bref, qu’il n’était pas venu en Corse pour les beaux yeux de sa grand-tante dont il ignorait l’existence même quelques jours plus tôt. Encore moins de sa cousine dont il n’avait jamais entendu parler.
Donc qu’il était en mission en Corse.
– T’es là officiellement ou en clandestin ? lui demanda-t-elle tout à trac en le laissant interloqué, la bouchée de polenta aux châtaignes en travers de la gorge.
Il s’en étouffa. Toussa. Cracha dans sa serviette. Les larmes aux yeux.
– Ben dis donc, se moquait la tante en s’adressant à sa nièce, elle est belle notre police… Si c’est ça qui va nous débarrasser des extrémistes !… Allez, petit, remets-toi ! J’ai fait la Résistance ici contre les fascistes, alors, tu sais, la clandestinité, je connais…
Rouge de confusion, Pierre Cavalier bafouilla des excuses. En s’essuyant le visage avec sa serviette de table.
Il avait surtout honte du fou rire qui s’était emparé de la cousine Élisa. Si jolie et si mystérieuse avec sa frange de cheveux qui retombait sur ses yeux et qu’elle rejetait gracieusement en arrière.
– Hé ! disait la grand-tante, il connaît pas encore les femmes corses, mais je crois qu’il va vite les découvrir. T’inquiète pas, mon neveu, on ne va pas te laisser seul, on va t’aider !
La cousine opinait tout en essayant de contenir son rire.
Le commandant Cavalier se sentait être redevenu tout à coup un petit garçon.
Il opina sagement.
La cousine Élisa, dont il avait appris entre-temps qu’elle était médecin généraliste en ville et vivait avec la vieille dame, commença de desservir après le fromage et prépara le café.
La tante entraîna le neveu dans un salon haut de plafond et aux tentures cramoisies.
Elle se carra dans un vieux fauteuil recouvert d’un velours vieil or et commença de se rouler avec dextérité une cigarette de tabac gris.
Elle se tut jusqu’à ce que sa nièce ait apporté et servi le café. Celle-ci proposa à Pierre un cigarillo et en prit un elle-même.
– Pour commencer, attaqua la grand-tante en relâchant la fumée après une longue inspiration, tu vas venir loger ici. C’est préférable après la mort de Ferlatti. Élisa va t’accompagner pour récupérer tes bagages. Après, nous aviserons.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
La grand-tante était massive et faisait un bon mètre soixante-dix. Pas le genre à se faire marcher sur les pieds ni à mâcher ses mots, comme Pierre allait pouvoir s’en rendre compte.
– C’est votre petit-neveu de Paris, Pierre, avait répondu la jeune femme.
– Pierre qui ?
La jeune femme s’était tourné vers Pierre avec un regard interrogateur et amusé.
– Je suis le fils de votre nièce Nicole, répondit Pierre en souriant.
– Cette salope ! lâcha la grand-tante tel un juron et en faisant face au nouveau venu.
Elle en fit l’examen des pieds à la tête en faisant passer son mégot d’un côté l’autre de ses lèvres, la tête légèrement rejetée en arrière et en continuant de plisser les yeux à cause de la fumée.
– Excuse-moi, mais je dis toujours ce que je pense et comme je le pense.
La jeune femme fit un sourire d’excuse à Pierre mais celui-ci se sentait conquis par cette maîtresse femme au franc parler.
– Je partage entièrement votre opinion, ma tante, dit-il en souriant largement.
– Ah ! tu me plais, mon neveu ! répondit la vieille dame en s’essuyant les mains à son tablier noir à fleurs mauves. T’as rien de ta mère et pas grand-chose des Cavalier. Allez, viens que je t’embrasse…
Les bras de la tante enserrèrent Cavalier avec une force qu’il n’aurait pu soupçonner. Puis elle l’invita à embrasser sa cousine.
Au cours du déjeuner qui s’ensuivit, il apprit que sa tante avait été directrice d’école et que son mari, chef de bataillon à la coloniale, était décédé trente ans plus tôt. Qu’elle n’ignorait rien des turpitudes des Cavalier ni de sa mère. Qu’elle était Corse française et qu’elle exécrait les nationalistes qui n’existaient qu’à cause ou grâce aux « couilles molles de Paris », au choix.
Bref, qu’il n’était pas venu en Corse pour les beaux yeux de sa grand-tante dont il ignorait l’existence même quelques jours plus tôt. Encore moins de sa cousine dont il n’avait jamais entendu parler.
Donc qu’il était en mission en Corse.
– T’es là officiellement ou en clandestin ? lui demanda-t-elle tout à trac en le laissant interloqué, la bouchée de polenta aux châtaignes en travers de la gorge.
Il s’en étouffa. Toussa. Cracha dans sa serviette. Les larmes aux yeux.
– Ben dis donc, se moquait la tante en s’adressant à sa nièce, elle est belle notre police… Si c’est ça qui va nous débarrasser des extrémistes !… Allez, petit, remets-toi ! J’ai fait la Résistance ici contre les fascistes, alors, tu sais, la clandestinité, je connais…
Rouge de confusion, Pierre Cavalier bafouilla des excuses. En s’essuyant le visage avec sa serviette de table.
Il avait surtout honte du fou rire qui s’était emparé de la cousine Élisa. Si jolie et si mystérieuse avec sa frange de cheveux qui retombait sur ses yeux et qu’elle rejetait gracieusement en arrière.
– Hé ! disait la grand-tante, il connaît pas encore les femmes corses, mais je crois qu’il va vite les découvrir. T’inquiète pas, mon neveu, on ne va pas te laisser seul, on va t’aider !
La cousine opinait tout en essayant de contenir son rire.
Le commandant Cavalier se sentait être redevenu tout à coup un petit garçon.
Il opina sagement.
La cousine Élisa, dont il avait appris entre-temps qu’elle était médecin généraliste en ville et vivait avec la vieille dame, commença de desservir après le fromage et prépara le café.
La tante entraîna le neveu dans un salon haut de plafond et aux tentures cramoisies.
Elle se carra dans un vieux fauteuil recouvert d’un velours vieil or et commença de se rouler avec dextérité une cigarette de tabac gris.
Elle se tut jusqu’à ce que sa nièce ait apporté et servi le café. Celle-ci proposa à Pierre un cigarillo et en prit un elle-même.
– Pour commencer, attaqua la grand-tante en relâchant la fumée après une longue inspiration, tu vas venir loger ici. C’est préférable après la mort de Ferlatti. Élisa va t’accompagner pour récupérer tes bagages. Après, nous aviserons.
© Alain Pecunia, 2009.
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