Chapitre 1
La mission déplaisait au commandant Pierre Cavalier affecté à la Direction centrale des Renseignements généraux de Paris. Il savait, pourtant, qu’appartenir à la section des « affaires spéciales » n’était pas une sinécure, mais, là, il avait le sentiment d’être carrément envoyé au casse-pipe.
Il avait déjà ressenti un mauvais pressentiment lorsque le sous-directeur Tomasini l’avait convoqué discrètement. Pressentiment qui n’avait fait que croître lorsque celui-ci avait commencé par le couvrir d’éloges et qui se confirma lorsque Tomasini en arriva à la conclusion que lui seul, Cavalier, pouvait mener à bien une telle mission vitale pour la République.
De toute façon, il n’avait pas réellement le choix. Il se trouvait dans la situation du volontaire désigné d’office. Son choix venait de « très haut », avait précisé mystérieusement le sous-directeur.
– Puis vous verrez, la Corse est encore plus belle et plus étrange au mois de décembre. Surprenante, même !
Ce qu’il n’aimait pas, Cavalier, c’était l’aspect clandestin et incognito de sa mission. D’être lâché en pleine nature –hostile, sinon sauvage – sans autre point de chute qu’un « cousin » du sous-directeur Tomasini. Un indic, ayant un vague lien de parenté avec lui, bien introduit dans le milieu nationaliste corse, puisqu’un de ses leaders en vue.
Il ne devait avoir aucun contact avec un quelconque service de police et encore moins la gendarmerie. Et surtout pas la section antiterroriste et ses juges.
Au moindre problème, il ne devait compter que sur le « cousin » et ne surtout pas appeler le service.
Le commandant estimait qu’il y avait trop de « surtout » dans la définition de sa mission.
« Ayez du doigté, surtout », « soyez vigilant, surtout », « agissez avec grande prudence et, surtout, évitez de vous faire remarquer »…
En fait, le bon déroulement de sa mission clandestine et sa propre « survie » reposaient sur le « cousin » corse, l’indic. Ce qui n’est pas vraiment l’idéal pour un officier de police parachuté sur le terrain.
Le seul point positif, dans la longue exposition du sous-directeur Tomasini, était d’échapper à un parachutage nocturne hasardeux.
– Imaginez-vous en pleine Seconde Guerre mondiale, avait déliré le sous-directeur. Vous êtes parachuté en France occupée et votre mission est vitale pour la Résistance. Sauf que la Gestapo, ce sont les nationalistes corses et qu’ils bénéficient de complicités dans les services de l’Etat…
Le commandant Cavalier avait tiqué. « Je ne suis pas commando, merde ! » s’était-il surpris à penser dans un moment de faiblesse. Il avait eu une moue dubitative qui n’avait pas échappé à son interlocuteur.
– Si, si, je vous assure, avait poursuivi le sous-directeur Tomasini. Au-delà de ce que vous pouvez imaginer ! Sinon, mon cher Cavalier, il n’y aurait pas de nationalisme corse. C’est une histoire, en quelque sorte, du type « je te tiens par la barbichette »… Vous voyez, Cavalier ?
– Pas trop, monsieur, se permit-il de dire.
– Eh bien, disons que, si l’Etat n’avait pas créé le nationalisme corse, je dis bien créé, nous n’aurions pas tout ce merdier, et la gauche et la droite ne se repasseraient pas le même bâton merdeux au rythme des alternances… Je te tiens par la barbichette, tu me tiens par la barbichette…, se mit à chantonner le sous-directeur en souriant. Tout ça, reprit-il en retrouvant son sérieux, ça remonte à la fin des années 60, avec la crainte d’une prise de pouvoir par la gauche… Bien sûr, vous, vous ne l’avez pas connue, cette gauche. Celle qui faisait peur et représentait l’Apocalypse ou le Grand Soir, selon les uns ou les autres. Chacun y voyait un nouveau Front populaire. Alors, dans la crainte et l’hypothèse de son arrivée au pouvoir, certains imaginèrent de la plomber en lançant des mouvements régionalistes dont l’existence et surtout les actions violentes constitueraient un élément de déstabilisation au cas où… Un peu, si vous voulez, comme cette stratégie de la tension développée en Italie au même moment et dans le but – carrément – d’empêcher l’hypothèse même de l’arrivée d’une coalition socialo-communiste au pouvoir. Mais, bien sûr, ça aussi vous l’ignorez. Vous étiez trop jeune… Bref, en France, il y avait deux fers au feu. D’un côté, il y avait les Bretons, de l’autre les Corses. Donc – je résume –, arrivée de la gauche au pouvoir et ça se met à péter de partout en Bretagne et en Corse. Un moyen de pression comme un autre. Et, évidemment, la « main-d’œuvre », les premiers éléments de ces noyaux nationalistes étaient en général carrément fachos, comme on disait à l’époque.
Ça, le commandant Cavalier, comme tout quidam bien informé, le savait. D’un côté, à l’origine, les nostalgiques d’une Bretagne indépendante au sein du Grand Reich hitlérien ; de l’autre, des inconsolables du rattachement de la Corse à l’Italie fasciste, qu’avaient rejoints des anciens de l’OAS.
Il avait encore à l’esprit la dernière intervention du ministre de l’Intérieur sur la Corse : « Depuis trente ans, l’Etat laisse, consciemment ou inconsciemment, un certain nombre de mafieux faire régner une forme de terreur sur l’île*. »
La mission déplaisait au commandant Pierre Cavalier affecté à la Direction centrale des Renseignements généraux de Paris. Il savait, pourtant, qu’appartenir à la section des « affaires spéciales » n’était pas une sinécure, mais, là, il avait le sentiment d’être carrément envoyé au casse-pipe.
Il avait déjà ressenti un mauvais pressentiment lorsque le sous-directeur Tomasini l’avait convoqué discrètement. Pressentiment qui n’avait fait que croître lorsque celui-ci avait commencé par le couvrir d’éloges et qui se confirma lorsque Tomasini en arriva à la conclusion que lui seul, Cavalier, pouvait mener à bien une telle mission vitale pour la République.
De toute façon, il n’avait pas réellement le choix. Il se trouvait dans la situation du volontaire désigné d’office. Son choix venait de « très haut », avait précisé mystérieusement le sous-directeur.
– Puis vous verrez, la Corse est encore plus belle et plus étrange au mois de décembre. Surprenante, même !
Ce qu’il n’aimait pas, Cavalier, c’était l’aspect clandestin et incognito de sa mission. D’être lâché en pleine nature –hostile, sinon sauvage – sans autre point de chute qu’un « cousin » du sous-directeur Tomasini. Un indic, ayant un vague lien de parenté avec lui, bien introduit dans le milieu nationaliste corse, puisqu’un de ses leaders en vue.
Il ne devait avoir aucun contact avec un quelconque service de police et encore moins la gendarmerie. Et surtout pas la section antiterroriste et ses juges.
Au moindre problème, il ne devait compter que sur le « cousin » et ne surtout pas appeler le service.
Le commandant estimait qu’il y avait trop de « surtout » dans la définition de sa mission.
« Ayez du doigté, surtout », « soyez vigilant, surtout », « agissez avec grande prudence et, surtout, évitez de vous faire remarquer »…
En fait, le bon déroulement de sa mission clandestine et sa propre « survie » reposaient sur le « cousin » corse, l’indic. Ce qui n’est pas vraiment l’idéal pour un officier de police parachuté sur le terrain.
Le seul point positif, dans la longue exposition du sous-directeur Tomasini, était d’échapper à un parachutage nocturne hasardeux.
– Imaginez-vous en pleine Seconde Guerre mondiale, avait déliré le sous-directeur. Vous êtes parachuté en France occupée et votre mission est vitale pour la Résistance. Sauf que la Gestapo, ce sont les nationalistes corses et qu’ils bénéficient de complicités dans les services de l’Etat…
Le commandant Cavalier avait tiqué. « Je ne suis pas commando, merde ! » s’était-il surpris à penser dans un moment de faiblesse. Il avait eu une moue dubitative qui n’avait pas échappé à son interlocuteur.
– Si, si, je vous assure, avait poursuivi le sous-directeur Tomasini. Au-delà de ce que vous pouvez imaginer ! Sinon, mon cher Cavalier, il n’y aurait pas de nationalisme corse. C’est une histoire, en quelque sorte, du type « je te tiens par la barbichette »… Vous voyez, Cavalier ?
– Pas trop, monsieur, se permit-il de dire.
– Eh bien, disons que, si l’Etat n’avait pas créé le nationalisme corse, je dis bien créé, nous n’aurions pas tout ce merdier, et la gauche et la droite ne se repasseraient pas le même bâton merdeux au rythme des alternances… Je te tiens par la barbichette, tu me tiens par la barbichette…, se mit à chantonner le sous-directeur en souriant. Tout ça, reprit-il en retrouvant son sérieux, ça remonte à la fin des années 60, avec la crainte d’une prise de pouvoir par la gauche… Bien sûr, vous, vous ne l’avez pas connue, cette gauche. Celle qui faisait peur et représentait l’Apocalypse ou le Grand Soir, selon les uns ou les autres. Chacun y voyait un nouveau Front populaire. Alors, dans la crainte et l’hypothèse de son arrivée au pouvoir, certains imaginèrent de la plomber en lançant des mouvements régionalistes dont l’existence et surtout les actions violentes constitueraient un élément de déstabilisation au cas où… Un peu, si vous voulez, comme cette stratégie de la tension développée en Italie au même moment et dans le but – carrément – d’empêcher l’hypothèse même de l’arrivée d’une coalition socialo-communiste au pouvoir. Mais, bien sûr, ça aussi vous l’ignorez. Vous étiez trop jeune… Bref, en France, il y avait deux fers au feu. D’un côté, il y avait les Bretons, de l’autre les Corses. Donc – je résume –, arrivée de la gauche au pouvoir et ça se met à péter de partout en Bretagne et en Corse. Un moyen de pression comme un autre. Et, évidemment, la « main-d’œuvre », les premiers éléments de ces noyaux nationalistes étaient en général carrément fachos, comme on disait à l’époque.
Ça, le commandant Cavalier, comme tout quidam bien informé, le savait. D’un côté, à l’origine, les nostalgiques d’une Bretagne indépendante au sein du Grand Reich hitlérien ; de l’autre, des inconsolables du rattachement de la Corse à l’Italie fasciste, qu’avaient rejoints des anciens de l’OAS.
Il avait encore à l’esprit la dernière intervention du ministre de l’Intérieur sur la Corse : « Depuis trente ans, l’Etat laisse, consciemment ou inconsciemment, un certain nombre de mafieux faire régner une forme de terreur sur l’île*. »
* France 2, « 100 minutes pour convaincre », jeudi 20 novembre 2003.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire