mardi 17 février 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 1 (suite et fin)

Chapitre 1 (suite et fin)





– En Bretagne, continuait le sous-directeur, la mayonnaise n’a pas pris. En Corse, si. La « spécificité » corse, en quelque sorte. Et au-delà des espérances des apprentis sorciers des officines parallèles du pouvoir de l’époque. Au point que c’en est devenu un véritable imbroglio, aux fils tellement enchevêtrés qu’aucune chatte au monde ne pourrait y retrouver ses petits. Surtout avec les alternances politiques successives. Et puis, toujours, le sempiternel « je te tiens par la barbichette »… Dès que la moindre bombe explose en Corse, on en connaît l’auteur, mais la « spécificité » corse fait que… Vous comprenez, Cavalier, trop de nationalistes corses savent trop de choses et pourraient faire des révélations désagréables. Alors, c’est devenu un jeu où aucun des protagonistes n’a envie de siffler la fin de partie. Trop d’intérêts en jeu des deux côtés. Et puis, pour les terroristes corses, c’est devenu plus lucratif que les subventions traditionnelles de l’État. Ils sont toujours aussi « fachos » mais ils en arrivent presque à se faire passer pour de doux anarchistes en lutte contre l’État oppresseur. Mais, en Corse, on dit qu’il est « colonial »…
Le sous-directeur Tomasini sembla se perdre dans le fil de son discours. En fait, il pesait chaque mot de sa conclusion.
– Bref, Cavalier, votre mission, reprit-il, c’est de me trouver le marionnettiste principal, et vous comprenez sûrement, maintenant, pourquoi je vous demande la plus grande discrétion, y compris et surtout à l’égard de Leprot, votre supérieur direct.
Pierre Cavalier le comprenait parfaitement. Le divisionnaire Leprot était une des âmes damnées de Pierre-Marie de Laneureuville, présentement ministre de la Justice et grand maître de l’occulte devant l’Éternel. Et il existait un lourd contentieux entre Laneureuville et Cavalier, que ce dernier espérait solder en sa faveur
*.
En revanche, le commandant s’interrogeait sur l’utilisation qui pourrait être faite de sa découverte et l’identité de celui qui, peut-être, en profiterait pour devenir à son tour le marionnettiste principal.
Il opta pour le profil bas sur cet aspect des choses, mais il pouvait au moins demander le pourquoi d’une telle recherche puisque, depuis le temps que le « problème corse » revenait à la une de l’actualité de façon récurrente, le marionnettiste principal devait être connu comme le loup blanc par les initiés.
– Bonne pioche ! lui répondit le sous-directeur. En fait, certains pensent qu’il a été trop loin sur ce coup-là. Mais nous devons quand même avoir confirmation qu’il en est l’auteur. Une manipulation à plusieurs niveaux est toujours possible. D’où votre mission : rapporter la preuve absolue.
Au point où ils en étaient, le commandant Cavalier préférait sonder les sentiments du sous-directeur. Sans se faire trop d’illusion, mais, vu le contexte de la mission, il n’avait rien à y perdre.
– Pour ma part, monsieur, se lança Pierre Cavalier, si nous pensons bien au même personnage l’un et l’autre, j’estime qu’il a toujours « été trop loin », et ce brusque désir de le neutraliser par « la preuve absolue » que je suis censé découvrir me semble pour le moins curieux. Pourquoi maintenant, si je puis me permettre cette question, monsieur ?
Le sous-directeur se carra dans son fauteuil et fixa le commandant Cavalier un long moment avant de répondre.
– Si vous avez été choisi, c’est parce que l’on vous fait confiance, et j’emploie le « on » indéfini volontairement. Il fallait un regard neuf et vous êtes ce regard neuf. Personnellement, je sais qu’un gros coup est en cours et j’en soupçonne l’instigateur. Mais il faut contrôler et donc reprendre tout de zéro. C’est votre mission. Et, si vos conclusions recoupent les miennes, ce sera notre « preuve absolue ». Mais je ne vous en dirai pas plus pour que votre jugement ne soit pas faussé. Votre contact à Ajaccio est votre point de départ. C’est un « cousin » sérieux, vous verrez…
Pierre Cavalier traduisit par : « On a trouvé un pigeon. Qu’il se démerde avec Laneureuville et ses sbires plus ses acolytes corses dans les pattes. Avec un peu de chance, il passera à travers les balles et nous aura tiré les marrons du feu… »
Le sale pressentiment qu’il avait éprouvé l’avait lâché pour faire place à une boule d’angoisse.
Le commandant Pierre Cavalier se sentait tout à fait inapte aux missions suicides.
Il était officier de police, pas kamikaze.
Pourtant, ce n’était pas un vendredi 13. On était le 28 novembre.
* Voir Un vague arrière-goût et Euh-Euh !


© Alain Pecunia, 2009.
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